Par Mehdi Sekkouri Alaoui
MOULAY HADIF ALAOUI. Le mauvais génie de Hassan II
Purges militaires, séquestration des enfants Oufkir… On lui prête la supervision des dossiers “noirs” du règne hassanien. Portrait d’un personnage cruel, craint… et méconnu.
Droit comme un I. L’air sévère. Costume trois pièces ou jellaba officielle. Et tarbouche toujours vissé sur un crâne dégarni façon Kojak, personnage principal de la série culte américaine. Moulay Hafid Alaoui se présentait ainsi dans la plupart des photos officielles ou privées de Hassan II, jamais bien loin de son roi. Et pour cause, ce général
officiellement en charge du protocole royal durant trois décennies jusqu’à sa mort en 1989 (dix ans, donc, avant la mort de son roi), a été l’homme le plus proche du monarque. Son premier relais et, quelque part, son pendant. “Moulay Hafid était bien plus que le patron du protocole. Il était l’homme à tout faire de Hassan II dans à peu près tous les domaines : vie privée, business, armée, etc.”, confirme ce témoin de l’époque, avant d’ajouter : “Il n’était peut-être pas très connu du public comme un Réda Guédira ou un Driss Basri, mais il était de par sa proximité particulière avec Hassan II l’un des hommes les plus puissants et les plus craints du pays”. L’autre numéro deux du royaume, peut-être, le vrai. Un homme quasi unanimement détesté par les habitués du Palais et autres puissants du royaume. Un homme secret aussi, sur lequel ses proches refusent encore de s’épancher (TelQuel a sollicité sa famille pour les besoins de cette enquête, sans succès). Un homme sur lequel, aujourd’hui encore, quasiment tout reste à dire…
Au nom de la France
Moulay Hafid Alaoui a vu le jour en 1910 (un certain flou a toujours entouré sa date de naissance exacte) à Douirat, une petite localité non loin d’Errachidia. Pas très studieux en classe, ce fils d’un riche propriétaire terrien s’installe au début des années 1930 à Meknès. Là-bas, les portes de la prestigieuse école militaire de Dar Beida, créée en 1918 par Lyautey pour former les officiers marocains de l’armée française, lui sont grandes ouvertes. “Le niveau des candidats n’avait pas d’importance pour intégrer Dar Beida. Le protectorat donnait la priorité aux fils de notables et dignitaires du Makhzen”, explique ce haut gradé à la retraite. A sa sortie de Dar Beida, le lieutenant Alaoui se donne corps et âme pour honorer le drapeau tricolore. Alors que les officiers les plus brillants de sa promotion sont gratifiés d’un complément de formation à Saint Cyr en France ou Tolède en Espagne, lui doit se contenter d’une affectation locale. Sa mission : “calmer” coûte que coûte les ardeurs de la résistance dans son combat pour l’indépendance du Maroc. “Il n’avait aucun scrupule à le faire”, appuie le journaliste et historien Abdellatif Jebrou, avant de poursuivre : “Un jour, à la Résidence, il s’est vanté en public d’avoir liquidé quelques jours plus tôt des résistants dans l’Atlas. Je les ai tués comme des mouches, disait-il”.
Au milieu des années 1940, Moulay Hafid est redéployé dans l’administration. Il est nommé khalifa dans la médina de Casablanca où il est officiellement le représentant du sultan. “Il était sur le papier le représentant du sultan mais au final, il n’avait de comptes à rendre qu’au commandement militaire français” précise Jebrou, qui donne une idée sur les rapports qu’entretenait le khalifa Alaoui avec le mouvement nationaliste : “A l’époque, Moulay Hafid rendait entre autres des jugements dans des affaires où des résistants étaient sur le banc des accusés”, raconte-t-il.
Le 20 mars 1953, soutenu par la Résidence, le pacha de Marrakech, Thami Glaoui, réunit autour de lui une vingtaine de pachas, caïds et autres notables du pays. Objet de cette rencontre : faire signer à tout ce beau monde une pétition demandant l’abdication et la déposition du sultan Mohammed Ben Youssef. Moulay Hafid Alaoui est parmi les premiers à apposer sa signature au document. En contrepartie, il est promu au grade de caïd à Settat. Et continue de défendre les intérêts de la France avec un certain zèle. “En 1954, il a violemment réprimé les commerçants de Settat, qui ont fermé boutique en signe de protestation contre l’exil du sultan”, raconte Jebrou. En réaction à cet évènement, la résistance le met en tête de liste des personnalités à abattre. Il sortira indemne d’un attentat, mais avec une vilaine blessure à l’épaule “dont il s’est toujours plu à dire que c’était une blessure de guerre”, souligne ce témoin de l’époque.
Adoubé par Mohammed V
Le mouvement national va avoir finalement gain de cause. Le 16 novembre 1955, après un peu plus de deux ans d’exil, d’abord en Corse puis à Madagascar, le sultan Mohammed Ben Youssef, devenu entre-temps Mohammed V, est de retour dans son pays. Contre toute attente, Moulay Hafid Alaoui, parvenu jusqu’au grade de lieutenant-colonel dans l’armée française, prend encore du galon. Il est nommé par le roi au poste de gouverneur de la région de Marrakech. “Il ne faut pas être étonné de ce geste, Moulay Hafid était avant tout un parent de Mohammed V (voir encadré) pour qui la famille était quelque chose de sacré”, explique Midhat René Boureqat, courtisan de l’époque, qui vit aujourd’hui dans la région parisienne.
Bien entendu, le lien de parenté entre Mohammed V et Moulay Hafid n’explique pas à lui seul le geste royal. “A l’époque, la monarchie avait peur de l’hégémonie du parti de l’Istiqlal. Elle s’est donc entourée de nombreux marocains ayant collaboré avec la France parce qu’elle était sûre qu’ils lui seraient fidèles. Donnés pour perdus, cette main tendue était la seule chance de survie pour tous ces hommes” analyse avec le recul l’historien Mustapha Bouaziz.
Moulay Hafid ne fera pas de vieux os dans son fauteuil de gouverneur. Quelques mois seulement après sa nomination, une délégation de la tribu des Rhamna débarque, remontée, au siège du parti de l’Istiqlal. Les hommes sont venus protester contre le racket imposé par les représentants du roi, dont Moulay Hafid Alaoui, dans la région des Rhamna. C’est Mehdi Ben Barka qui les reçoit au nom de l’Istiqlal, leur promettant d’organiser une rencontre avec Mohammed V. Une fois devant le monarque, la délégation réclame la tête des accusés, présents eux aussi lors de l’audience royale. Moulay Hafid tente de se défendre, accusant l’Istiqlal de vouloir l’évincer par n’importe quel moyen. Ce qui n’était pas complètement dénué de sens. Mehdi Ben Barka l’interrompt et lui lance sur un ton menaçant : “Moulay Hafid, tu devrais apprendre à te taire. L’encre avec laquelle tu as signé la demande d’abdication et de déposition de ton roi n’a pas encore séché”. En sortant de l’audience royale, Moulay Hafid est tout simplement relevé de ses fonctions. Il n’est plus au service de Sa Majesté. Mais pas pour longtemps…
Le “filtre” de son roi
Quelques jours seulement après avoir été remercié par Mohammed V, Moulay Hafid Alaoui retrouve sa place dans le sérail grâce au prince héritier, Moulay Hassan, qui l’invite à rejoindre son cabinet. “Ce n’est pas vraiment étonnant de sa part, réagit Midhat Bourequat. Le prince héritier avait beaucoup de sympathie pour Moulay Hafid qui, du temps du protectorat, l’a souvent accompagné dans des soirées privées, notamment dans certains cercles à Casablanca, à l’époque où il était encore khalifa”.
Quelles sont les fonctions précises de la recrue princière ? Réponse de ce courtisan de l’époque : “Moulay Hafid ne faisait pas grand-chose. Il gravitait autour du prince héritier, en attendant son heure”. Qui vient le 26 février 1961, à la mort de Mohammed V, suite à une banale opération chirurgicale. Fraîchement intronisé, le jeune Hassan II (32 ans) compose son équipe dont fait partie Moulay Hafid Alaoui, parachuté à la tête du protocole royal. Un poste stratégique qui lui permet de se rapprocher davantage de Hassan II et de devenir un de ses principaux collaborateurs. “En plus d’être le régisseur des palais et le garant du respect des us et coutumes de la monarchie, Moulay Hafid est très vite devenu l’homme de confiance de Hassan II”, confirme ce courtisan de l’ère hassanienne. C’est simple : Moulay Hafid Alaoui est le “filtre” de Hassan II. Sans son aval, impossible d’arriver jusqu’au souverain. “Quand vous aviez un différend avec lui, vous pouviez toujours courir pour décrocher une audience royale”, ajoute notre source.
Moulay Hafid Alaoui est également une des rares personnes à avoir accès à toutes les enceintes des palais, même les plus privées (voir encadré). Il est aussi l’œil du roi dans l’armée. “C’était un peu l’espion de Hassan II chez les militaires. Il rapportait les moindres faits et gestes des hautes gradés à Sa Majesté”, explique cet officier à la retraite. Beaucoup l’ont payé de leur carrière, certains de leur liberté.
Surtout, Moulay Hafid Alaoui est l’homme des “missions spéciales” auprès du monarque. C’est lui par exemple qui est désigné pour “faire le ménage” parmi les chorfa que Hassan II trouvait beaucoup trop nombreux à son goût. Ou pour “superviser” la séquestration de la famille Oufkir au lendemain de l’attaque du Boeing royal le 16 août 1972. Quelques années plus tard, Raouf Oufkir dressera ce portrait peu reluisant de Moulay Hafid Alaoui dans Les invités (Ed. Flammarion, 2003) : “Grand prêtre du palais, âme damnée du commandeur des croyants, ce général de pacotille est la créature de son maître. C’est l’homme des affaires réservées, le régisseur des oubliettes royales, le cerbère des jardins secrets du monarque”.
MOULAY HADIF ALAOUI. Le mauvais génie de Hassan II
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