par Mohamed Ghriss *
1ère partie.
«Ils considèrent tout avec mépris, s'autorisant abus et anarchie, croyant le sage inutile, s'imposant comme les seuls valables...» Hadj M'Hamed El Anqa. (Extrait traduit d'un refrain de sa qacida populaire «Sobhan Allah ya L'tif)
Si pour nombre d'observa-teurs, les prémisses de l'ex-plosion d'octobre 1988, ont commencé à se dessiner dès la fin 1987, pour d'autres les signes avant-coureurs de cette fracture sociale remontent, au contraire, à une autre période d'amorce de contradictions complexes de la société algérienne. En effet, ces contradictions exacerbantes, cumulant, entre autres les frustrations multiples des citoyens résultant de l'oppression et injustices sociales systématiques, se sont signalées déjà au début des années 1980, durant lesquelles les émeutes sporadiques et le ras le bol général, ont atteint le point culminant avec, notamment, les soulèvements populaires massifs qui ont investi la rue, à travers les grands pôles sensibles de l'Algérie: ainsi la revendication massive du printemps berbère de 1980 en Kabylie, les évènements d'Oran en 1982 en passant par les manifestations de Constantine en 1986, etc., qui ont précédé, donc, l'explosion politico-sociale d'octobre 88, dont l'onde de choc s'est étendue, par la suite, sur tout le territoire national, annonçant, ainsi, la fin du «consensus national officiel» hégémonique, maintenu jusque là. Soit une rupture, rompant avec le monopartisme consacré d'auparavant, par l'irruption d'une brusque et profonde fracture dans le tissu social, synonyme de réorientation idéologique du système, et auquel sera donné le feu vert opérationnel à partir de l'été 1988, principalement, qui vit se multiplier les signes de l'annulation du 6è congrès du FLN prévu pour décembre de la même année, bien avant que Chadli Bendjedid ne suspende officiellement ; au mois de juillet, les travaux de la commission de sa préparation présidée par Mohammed Chérif Messaâdia, secondé de Mouloud Hamrouche et Abdelhamid Brahimi. Ceci alors que dans la rue, une rumeur persistante répand partout la nouvelle d'une grève générale prévue pour le 5 octobre - ce que confirmera plus tard le propre chef de la Sécurité Militaire, Lakhal Ayat, qui se serait agité en vain pour la prévenir, selon ses déclarations (M. Lakhal AYAT, in Sid Ahmed SEMIANE (dir.), Octobre, ils parlent, op. cit., p. 129.).
Une intense effervescence avait gagné toute la capitale, suite au discours présidentiel enflammé du 19 septembre, qui a suscité la stupeur de tous les Algériens, surpris par le ton «nouveau» de Chadli Bendjedid accusant ouvertement, - brisant le sacro-saint principe du tabou conformiste du centralisme dirigiste FLN-Gouvernement,- «d'entraver sa démarche», fustigeant les «incapables», mettant à l'index les «spéculateurs accumulant des richesses colossales en des temps records» et dénonçant les «incompétents» et «irresponsables» des clans rivaux, avertissant notamment, «ceux qui ne peuvent plus assumer leurs responsabilités doivent se démettre...ou ils seront démis».( cf. Extraits du discours du président Chadli publié dans El Moudjahid du 23/09/1988). C'est à croire qu'il tenait là un discours d'un parfait opposant au système, comme pour se démarquer du bilan d'un FLN n'ayant plus que quelques semaines de prééminence devant lui, alors qu'il en était, assez longtemps partie prenante auparavant...
De telles audacieuses invectives de grosses têtes du système apparatchik, émanant du premier responsable du pays, ne pouvaient être perçus par la population que comme une incitation à la révolte Une insubordination populaire qui irait, pardi, dans le sens des vœux du chef de file des «réformateurs» opposé aux caciques inamovibles, ce qui expliquerait pourquoi les premières vagues de manifestants criant leur colère, ciblant notamment qasmas FLN et institutions symboliques du régime, se sont vus retirer, sur leur passage, au moment opportun, les dispositifs répressifs, suivant des consignes de conduite tendant à renforcer l'opposition, par tous les moyens possibles, l'aile apparatchik rivale du clan FLNiste adverse.
Cette montée de tension sera davantage accentuée avec la manœuvre décidée en haut lieu de suppression de la prime annuelle des salariés de l'industrie, entraînant l'effet escompté, spécialement dans la contrée industrielle de la banlieue d'Alger, de Rouïba et Reghaïa, d'une paralysie totale de la zone, observant un appel à la grève. A cela s'ajoute, en vue de maintenir la pression sociale, la mesure en date du 29 septembre, avisant les banques par télex de la suppression de l'allocation devise dite «touristique», en plus des autres nombreuses initiatives impopulaires, ver /nant alimenter les folles rumeurs des émeutes à l'affût, dans les dix derniers jours du mois de septembre. Et le 1er octobre, la rumeur est à son paroxysme, s'étant propagée dans le tout Alger, parmi la population, juvénile surtout, qui se préparait à sortir dans la rue pour crier son ras le bol d'un système tyrannique castrateur, répercutant, partout, que «le 5 cela va barder !»...
En prévision des évènements, rapportent les échos de presse locaux et extérieurs, un imposant dispositif anti-émeutes est mis en place le 2 octobre, pour empêcher les débordements des manifestants, les forces de police, parfaitement organisées, gérant les affrontements avec des canons à eau et des chiens, ne tirant pas un seul coup, tandis que les principaux dirigeants du FLN sont «réquisitionnés» et «protégés par des commandos parachutistes. Et le 4 octobre, veille du déclenchement des émeutes, des forces spéciales de l'armée bouclent le siège du parti unique, rapporte l'envoyé spécial de journal français Le Monde, indiquant que «des chars sont venus dans le courant de la journée prendre position au bas des escaliers conduisant à l'esplanade d'Afrique. De l'autre côté, des automitrailleuses légères interdisent l'entrée principale» ( Le Monde, 8 octobre 1988).
Le discours du 19 septembre de Chadli jugé provocateur !
Vraisemblablement, toutes les parties d'un sombre scénario semblent avoir été mises en place, par des éléments apparentés au système auxquels ont répliqué leurs partenaires adverses, la «populace» ayant servi de «chair à canon», utilisable à souhait pour parvenir à leurs fins politiciennes. Ce qui ressort des multiples contradictions discréditant sur le terrain, à commencer par celles observées aux tous débuts du cauchemar, mors de la grève des ouvriers de la zone industrielle de Rouiba qui avait éclaté bien avant le 5 octobre. Il y a le témoignage, entre autres, de M. Messaoudi, secrétaire général de l'Union locale UGTA de Rouiba, qui rapporte notamment que le discours de Chadli «encourageant les travailleurs à défendre leurs droits, comme l'exemple des ouvriers grévistes égyptiens contre la cherté de la viande qu'il cita, coïncidait justement avec la revendication des 18 000 travailleurs de la Société Nationale des Véhicules industriels ( SNVI ) exacerbés par l'érosion de leur pouvoir d'achat, et ce d'autant plus qu'ils contestaient à suppression de la «prime de jouet» de 200 DA que la direction a décidé, pour raisons économiques, de ne plus accorder aux travailleurs.
Ce qui a soulevé un tollé général et enclenché une vague de protestation au niveau de toutes les unités de la SNVI.
«Le discours provocateur de Chadli qui coïncidait avec la contestation des lycéens a pris tout le monde de vitesse»,témoigne M. Messaoudi, (...) le 29 septembre, des centaines de travailleurs se regroupent à l'intérieur du complexe SNVI. En plus de la prime du jouet, les grévistes exigent la valorisation des salaires et la baisse des prix des produits alimentaires. La contestation ne tarde pas à gagner les autres unités telles que l'Enel, l'Emal, Anabib, GTP, Batimetal, l'Enab et l'Enag. «Les conseils de Chadli et les pénuries de l'époque ( café, cigarettes, semoule, et huile) ont contribué au pourrissement du climat social», dit M. Messaoudi qui ajoute que «des assemblées générales ont été organisées même à 5 h mais, curieusement, à chaque fois qu'un accord est conclu, il est torpillé le lendemain. Les sections syndicales et les fameuses cellules d'entreprise du parti FLN sont dépassées, voire contestées par une frange des travailleurs sous l'impulsion d'islamistes visiblement déterminés. Ces derniers qui étaient en hibernation, ont pu développer en douceur leur offensive grâce aux «moussalas» (mosquées aménagées à l'intérieur) mises à leur disposition.
Ce sont ces noyaux qui donneront quelques naissance, quelques mois plus tard, au SIT (Syndicat Islamique des Travailleurs).
Pour sa part, M.Chebab Aomar, secrétaire général de l'union de wilaya de Boumerdès, affirmera que le samedi 1er octobre, après que les travailleurs soient sortis dans la rue «la manifestation se voulait pacifique et elle répondait à la volonté qui ne demandaient que leurs droits, mais d'autres personnes animées par d'autres considérations ont bloqué la route». La manifestation dégénère et la police a eu recours aux bombes lacrymogènes pour dégager la route. «Le lendemain des groupes d'individus étrangers sont venus à bord de véhicules banalisés pour inciter les travailleurs à sortir dans la rue», indique M.Chebab . Et c'est ainsi que le mardi 3 octobre, des manifestants survoltés s'attaquent à l'unité de l'Enatb et à la brasserie de Reghaia, et tentent de l'incendier. L'attaque est repoussée par des centaines de travailleurs armés de gourdins et de bâtons, Le 5 octobre 1988, d'autres casseurs gonflés à bloc se dirigent vers les zones industrielles de Rouiba et de Reghaia. Ils seront chassés encore une fois par les ouvriers. «Non, la zone industrielle a subi le 5 octobre et ne l'a pas enfanté ! «affirme Messaoudi» (rapporté par Madjid T, in article «La zone industrielle de Rouiba n'a pas enfanté le 5 octobre...», Liberté du dimanche 5 octobre 2008).
Autre témoignage de Sadek Hadjerès, ex-premier secrétaire du PAGS (Parti d'Avant-Garde socialiste clandestin) qui rapporte que dans la nuit du 4 au 5 octobre, la répression s'est abattue sur le mouvement social et politique pourtant pacifique des travailleurs : «Cette diversion grossière a ciblé massivement les cadres et les structures d'organisation du PAGS et des syndicats actifs. Elle va fournir après coup la preuve flagrante que des sphères étaient informées par avance des mouvements destructeurs des commandos de casseurs qu'ils allaient tolérer le lendemain(...) Ils visaient à brouiller les pistes (...) Les dizaines de cadres syndicaux et politiques arrêtés et «disparus» dans les casernes et lieux de détention seront sauvagement torturés comme on l'apprendra seulement quinze jours plus tard à leur libration. Leur arrestation «préventive» n'était pas fondée sur des actes mais sur les fiches de police établies durant les années précédentes. Certaines comportaient des erreurs grossières et ont frappé des gens n'ayant plus d'activité militante.» ; quant à l'ébranlement des manifestations, «(...) Le point de départ a été le déchaînement simultané à la mi-journée de jeunes notamment adolescents dans les artères centrales de la capitale et d'autres villes du pays. Leur déferlement n'avait rien d'un «chahut de gamins» spontané comme l'avait qualifié un responsable FLN de l'époque. Une grande partie de ces jeunes étaient peu ou pas du tout politisés ou membres d'organisations, ils avaient été attirés par les rumeurs lancées les derniers jours de septembre lorsque, avec le discours du président, le bras de fer des «chefs» avait débordé les coulisses du pouvoir.
D'autres, par contre, avaient été recrutés et étroitement encadrés sur le terrain pour un travail de casse sélectif dans les villes. La synchronisation, certains mots d'ordre provocateurs proférés, les cibles des destructions, les actes de diversion étaient orchestrés directement par des chefs de file reconnaissables à divers indices. Le scénario était visiblement planifié en haut lieu. Les services de sécurité, «débordés» ou sur ordre, sont pratiquement restés à distance sans réprimer ces jeunes.» ( Cf. «Les journées d'octobre 1988 :vues d'hier et d'aujourd'hui», témoignages dans Le Soir d'Algérie du dimanche 5 octobre 2008).
Par la suite, dans la brèche ainsi créée, se sont engouffrés des milliers de jeunes manifestants, arborant s d'autres significations, et exprimant leur révolte sans être pourtant porteurs d'un projet politique social précis. D'une manière générale, l'immense majorité des manifestants, s'agitant de façon inorganisée, leurs sensibilités idéologiques variant, - unis, conjoncturellement, seulement par leur colère et leur soif de justice,- occupaient la rue selon des solidarités de proximité ( quartiers, associations, etc.). Leurs heurts avec les forces de sûreté ont été férocement réprimés, des centaines d'entre eux ayant perdu la vie et des milliers blessés. «Ils ne sont pas à confondre avec une troisième vague de manifestants, entrés en lice dans les derniers jours à la suite de tractations du pouvoir impliquant une ou des mouvances islamistes»,qui, quoique «animés par le même sentiment de révolte, ils étaient minoritaires», néanmoins par rapport aux premières vagues d'insurgés,» mais relativement structurés et regroupés idéologiquement » de l'avis de Sadek Hadjerès (Cf ; Ibid ci-dessus).
De la manipulation dans l'air...
Pour sa part, Me Mokrane Ait Larbi, avocat et militant des droits de l'homme estime que:» (...) Le 5 octobre était une «frappe préventive» contre la démocratie. Un clan du pouvoir a poussé des milliers de jeunes dans les rues d'Alger avec un seul objectif : s'attaquer aux institutions. Un autre clan a utilisé l'armée pour défendre ces mêmes institutions. «L'ouverture», qui a suivi ces évènements, a été prise au sérieux par les Algériens qui avaient commencé à s'organiser, à s'exprimer et à revendiquer un régime démocratique. Le pouvoir, pour ne pas perdre le pouvoir, a procédé à d'autres frappes préventives, toujours contre la démocratie en agréant le FIS (...)» ( in interview réalisée par Madjid Makedhi , Supplément spécial d'El Watan consacré à la commémoration du 20ème anniversaire d'octobre 1988, édition du dimanche 5 octobre 2008).
Manigances de coulisses que le général Lakhal Ayat, ancien directeur des services de renseignements dépendants de la Présidence, (la DGPS), confirme en révélant, quelques années plus tard, qu' il y a bien eu «complot algéro-algérien» : l'ex patron de la très redoutable Sécurité Militaire (SM),après s'être dégagé de toute responsabilité gestion des évènements d'Octobre et qui a été limogé fin octobre, au même titre que le patron du FLN, Mohamed Chérif Messadia, tresse les contours de cette machination :«On a voulu faire croire au peuple que c'est la rue qui réclamait les changements». Je m'explique: si on proclame des réformes et que la rue bouge, cela veut dire que le pouvoir est désavoué. Mais si l'on fait bouger la rue et qu'on impose des réformes, cela veut dire que la rue réclame des changements» déclarait-il avant d'ajouter que les changements rapides et radicaux intervenus au lendemain d'Octobre ( le référendum du 3 novembre et la nouvelle Constitution de février 1989) n'étaient que «le dernier acte d'un scénario mal ficelé». ( cf. rapporté in article Octobre dans les livres...», de Mohand Aziri, Supplément spécial Octobre 1988 d'El Watan du 5 /10/2008).
Pour beaucoup d'observateurs de la période, politiciens, sociologues, journalistes, auteurs, etc., le virage d'«Octobre 1988», a été incontestablement la résultante d'une machination montée de toutes pièces, qui a commencé à se dessiner dès la fin 1987. Et surtout à partir de l'été 1988 qui vit se multiplier les signes avant - coureurs de l'annulation du 6 è congrès du FLN prévu pour décembre, Chadli Bendjedid suspendant dès le mois de juillet les travaux de la commission de sa préparation présidée par Mohammed Chérif Messaâdia, secondé de Mouloud Hamrouche et Abdelhamid Brahimi.
Il semblerait, à la lecture de ces divers écrits et témoignages, si l'on voudrait bien considérer les choses sous un autre angle divergent, que ce n'est pas à une «certaine autorité cherchant à faire d'une pierre deux coups» qui a tout a programmé, - «réprimant la veille et tolérant le lendemain des commandos de casseurs», - qu'on aurait affaire mais plutôt à deux factions d'autorités rivales s'affrontant sur le terrain, par groupes interposés, réagissant après le discours «détonateur» du président Chadli : d'une part les partisans des réformes qui auraient discrètement suscité la grève des travailleurs de la SNVI de Rouiba, en évitant les ouvriers structurés dans les sections UGTA ou cellules dépendantes du FLN comptant sur ceux de sensibilité différentes, et d'autre part les caciques, qui craignant de perdre leurs positions privilégiées avec la perspective menaçante des réformes annoncées auraient réagi en dépêchant sur le terrain des «commandos de casseurs» pour contrer les manifestants, comme cela s'est passé avec les travailleurs de Rouiba, et discréditer, ainsi, toute contestation citoyenne de la politique officielle du régime de la pensée unique.
Lorsque le mouvement de contestation s'amplifie, les «casseurs» infiltrent les manifestants, à commencer par la marche des lycéens, et se chargent de muer une manifestation - qui était destinée au départ à constituer un soutien aux réformistes qui l'ont, vraisemblablement, instiguée,- en une «contre- offensive» des recrues des pro - apparatchiks conservateurs noyant la contestation populaire escomptée dans la confusion générale des actes de violence discréditant ciblant les institutions d'Etat et principalement le chef de file des réformateurs par le slogan «Chadli assassin !». Ce qui fera dire à un tortionnaire maltraitant un citoyen embarqué, sur simple suspicion d'actes subversifs, selon un témoignage de presse in Algérie Actualité du 8 novembre 1988: «la balle était dans votre camp, nous l'avons récupérée à présent»). Propos, signifiant en d'autres termes, la lutte implacable de deux factions rivales, par gens interposées !
Quoi qu'il en soit, mal en prit aux apprentis sorciers et fomentateurs de troubles, de quelque bord qu'ils soient, qui dans leurs calculs et manigances éhontées, s'attendaient certainement à autre chose qu'à un cinglant retour de manivelle du à leurs grossières manipulations politiciennes, de totale déconsidération de l'Ethique et respect du aux droits et libertés humaines trop longtemps bafoués et réprimés: négligents et méprisants, ils étaient loin de se douter que le menu peuple, après des années de mal vie et d'incommensurables souffrances et endurances dus au système de l'autoritarisme, de la corruption, du népotisme et de la hogra ( oppression), avait la coupe pleine et n'attendait que la moindre étincelle pour s'embraser et donner libre cours à sa rage. Ainsi, certains meneurs des émeutiers d'octobre signalés ça et là, et oeuvrant vraisemblablement pour des parties occultes du système, tout comme ces voitures banalisées qui tiraient et sur la foule et sur les forces de l'ordre, s'ils ont réussi à mettre le feu aux poudres, ils ont néanmoins pas pu éviter de tout faire basculer en l'air. Car le ras de marée populaire qui s'embrasait, était tel, qu'il prit tout le monde de court, et en premier les comploteurs, jetant bas, toutes manœuvres politiciennes et sournois agissements manipulatoires des uns, ou recours précipités aux appels hypocrites à l'unité patriotique des autres.
Ce qui incita l'ensemble du staff étatique, tendance réformatrice et tendance opposée, à se serrer conjointement les coudes pour sauver le vaisseau gouvernemental de la dérive totale. Et le bouleversement était d'une telle ampleur, par la suite, avec les centaines de morts de jeunes Algériens criant leur ras le bol de la Hogra (l'oppression), l'injustice sociale, la corruption, le piston, la mal vie et la misère sociale, etc., que l'initiative latente des réformes, pomme de discorde fermentant en sourdine, s'imposait à présent désormais au grand jour et de façon éminemment urgente, «structurellement surtout, et non pas superficiellement», cela s'entendait: c'est-à-dire allant au-delà des modestes réaménagements initialement envisagés, dans le cadre uniformisant de la politique de bricolage du parti FLN cherchant, par le biais de son feu vert donné à quelques associations du mouvement citoyen, appuyées par ses classiques organisations de masse affiliées, à faire créditer l'idée d'un pluralisme... de façade, sans grande portée politique et efficience concrète...
Les jours suivant le fatidique 5 octobre...
Tout au long des fatidiques journées d'octobre, le chef de cabinet du président Chadli, le général Larbi Belkheir affirme que c'est par le courrier que lui adresse la population que le président a appris les faits ; il en aurait été «outré». «Il était impensable pour lui que des Algériens torturent des Algériens», poursuit-il, avant de diluer les torts et les complicités en les multipliant : «Deux problèmes s'étaient posés à la présidence: celui de la torture et celui des voitures banalisées. A suivre.
* Auteur indépendant de textes journalistiques, dramatiques et littéraires
( éditeur de l'ex-magazine culturel bilingue indépendant «Tassili Star» (1999 - 2001).
Source : Quotidien d'Oran
1ère partie.
«Ils considèrent tout avec mépris, s'autorisant abus et anarchie, croyant le sage inutile, s'imposant comme les seuls valables...» Hadj M'Hamed El Anqa. (Extrait traduit d'un refrain de sa qacida populaire «Sobhan Allah ya L'tif)
Si pour nombre d'observa-teurs, les prémisses de l'ex-plosion d'octobre 1988, ont commencé à se dessiner dès la fin 1987, pour d'autres les signes avant-coureurs de cette fracture sociale remontent, au contraire, à une autre période d'amorce de contradictions complexes de la société algérienne. En effet, ces contradictions exacerbantes, cumulant, entre autres les frustrations multiples des citoyens résultant de l'oppression et injustices sociales systématiques, se sont signalées déjà au début des années 1980, durant lesquelles les émeutes sporadiques et le ras le bol général, ont atteint le point culminant avec, notamment, les soulèvements populaires massifs qui ont investi la rue, à travers les grands pôles sensibles de l'Algérie: ainsi la revendication massive du printemps berbère de 1980 en Kabylie, les évènements d'Oran en 1982 en passant par les manifestations de Constantine en 1986, etc., qui ont précédé, donc, l'explosion politico-sociale d'octobre 88, dont l'onde de choc s'est étendue, par la suite, sur tout le territoire national, annonçant, ainsi, la fin du «consensus national officiel» hégémonique, maintenu jusque là. Soit une rupture, rompant avec le monopartisme consacré d'auparavant, par l'irruption d'une brusque et profonde fracture dans le tissu social, synonyme de réorientation idéologique du système, et auquel sera donné le feu vert opérationnel à partir de l'été 1988, principalement, qui vit se multiplier les signes de l'annulation du 6è congrès du FLN prévu pour décembre de la même année, bien avant que Chadli Bendjedid ne suspende officiellement ; au mois de juillet, les travaux de la commission de sa préparation présidée par Mohammed Chérif Messaâdia, secondé de Mouloud Hamrouche et Abdelhamid Brahimi. Ceci alors que dans la rue, une rumeur persistante répand partout la nouvelle d'une grève générale prévue pour le 5 octobre - ce que confirmera plus tard le propre chef de la Sécurité Militaire, Lakhal Ayat, qui se serait agité en vain pour la prévenir, selon ses déclarations (M. Lakhal AYAT, in Sid Ahmed SEMIANE (dir.), Octobre, ils parlent, op. cit., p. 129.).
Une intense effervescence avait gagné toute la capitale, suite au discours présidentiel enflammé du 19 septembre, qui a suscité la stupeur de tous les Algériens, surpris par le ton «nouveau» de Chadli Bendjedid accusant ouvertement, - brisant le sacro-saint principe du tabou conformiste du centralisme dirigiste FLN-Gouvernement,- «d'entraver sa démarche», fustigeant les «incapables», mettant à l'index les «spéculateurs accumulant des richesses colossales en des temps records» et dénonçant les «incompétents» et «irresponsables» des clans rivaux, avertissant notamment, «ceux qui ne peuvent plus assumer leurs responsabilités doivent se démettre...ou ils seront démis».( cf. Extraits du discours du président Chadli publié dans El Moudjahid du 23/09/1988). C'est à croire qu'il tenait là un discours d'un parfait opposant au système, comme pour se démarquer du bilan d'un FLN n'ayant plus que quelques semaines de prééminence devant lui, alors qu'il en était, assez longtemps partie prenante auparavant...
De telles audacieuses invectives de grosses têtes du système apparatchik, émanant du premier responsable du pays, ne pouvaient être perçus par la population que comme une incitation à la révolte Une insubordination populaire qui irait, pardi, dans le sens des vœux du chef de file des «réformateurs» opposé aux caciques inamovibles, ce qui expliquerait pourquoi les premières vagues de manifestants criant leur colère, ciblant notamment qasmas FLN et institutions symboliques du régime, se sont vus retirer, sur leur passage, au moment opportun, les dispositifs répressifs, suivant des consignes de conduite tendant à renforcer l'opposition, par tous les moyens possibles, l'aile apparatchik rivale du clan FLNiste adverse.
Cette montée de tension sera davantage accentuée avec la manœuvre décidée en haut lieu de suppression de la prime annuelle des salariés de l'industrie, entraînant l'effet escompté, spécialement dans la contrée industrielle de la banlieue d'Alger, de Rouïba et Reghaïa, d'une paralysie totale de la zone, observant un appel à la grève. A cela s'ajoute, en vue de maintenir la pression sociale, la mesure en date du 29 septembre, avisant les banques par télex de la suppression de l'allocation devise dite «touristique», en plus des autres nombreuses initiatives impopulaires, ver /nant alimenter les folles rumeurs des émeutes à l'affût, dans les dix derniers jours du mois de septembre. Et le 1er octobre, la rumeur est à son paroxysme, s'étant propagée dans le tout Alger, parmi la population, juvénile surtout, qui se préparait à sortir dans la rue pour crier son ras le bol d'un système tyrannique castrateur, répercutant, partout, que «le 5 cela va barder !»...
En prévision des évènements, rapportent les échos de presse locaux et extérieurs, un imposant dispositif anti-émeutes est mis en place le 2 octobre, pour empêcher les débordements des manifestants, les forces de police, parfaitement organisées, gérant les affrontements avec des canons à eau et des chiens, ne tirant pas un seul coup, tandis que les principaux dirigeants du FLN sont «réquisitionnés» et «protégés par des commandos parachutistes. Et le 4 octobre, veille du déclenchement des émeutes, des forces spéciales de l'armée bouclent le siège du parti unique, rapporte l'envoyé spécial de journal français Le Monde, indiquant que «des chars sont venus dans le courant de la journée prendre position au bas des escaliers conduisant à l'esplanade d'Afrique. De l'autre côté, des automitrailleuses légères interdisent l'entrée principale» ( Le Monde, 8 octobre 1988).
Le discours du 19 septembre de Chadli jugé provocateur !
Vraisemblablement, toutes les parties d'un sombre scénario semblent avoir été mises en place, par des éléments apparentés au système auxquels ont répliqué leurs partenaires adverses, la «populace» ayant servi de «chair à canon», utilisable à souhait pour parvenir à leurs fins politiciennes. Ce qui ressort des multiples contradictions discréditant sur le terrain, à commencer par celles observées aux tous débuts du cauchemar, mors de la grève des ouvriers de la zone industrielle de Rouiba qui avait éclaté bien avant le 5 octobre. Il y a le témoignage, entre autres, de M. Messaoudi, secrétaire général de l'Union locale UGTA de Rouiba, qui rapporte notamment que le discours de Chadli «encourageant les travailleurs à défendre leurs droits, comme l'exemple des ouvriers grévistes égyptiens contre la cherté de la viande qu'il cita, coïncidait justement avec la revendication des 18 000 travailleurs de la Société Nationale des Véhicules industriels ( SNVI ) exacerbés par l'érosion de leur pouvoir d'achat, et ce d'autant plus qu'ils contestaient à suppression de la «prime de jouet» de 200 DA que la direction a décidé, pour raisons économiques, de ne plus accorder aux travailleurs.
Ce qui a soulevé un tollé général et enclenché une vague de protestation au niveau de toutes les unités de la SNVI.
«Le discours provocateur de Chadli qui coïncidait avec la contestation des lycéens a pris tout le monde de vitesse»,témoigne M. Messaoudi, (...) le 29 septembre, des centaines de travailleurs se regroupent à l'intérieur du complexe SNVI. En plus de la prime du jouet, les grévistes exigent la valorisation des salaires et la baisse des prix des produits alimentaires. La contestation ne tarde pas à gagner les autres unités telles que l'Enel, l'Emal, Anabib, GTP, Batimetal, l'Enab et l'Enag. «Les conseils de Chadli et les pénuries de l'époque ( café, cigarettes, semoule, et huile) ont contribué au pourrissement du climat social», dit M. Messaoudi qui ajoute que «des assemblées générales ont été organisées même à 5 h mais, curieusement, à chaque fois qu'un accord est conclu, il est torpillé le lendemain. Les sections syndicales et les fameuses cellules d'entreprise du parti FLN sont dépassées, voire contestées par une frange des travailleurs sous l'impulsion d'islamistes visiblement déterminés. Ces derniers qui étaient en hibernation, ont pu développer en douceur leur offensive grâce aux «moussalas» (mosquées aménagées à l'intérieur) mises à leur disposition.
Ce sont ces noyaux qui donneront quelques naissance, quelques mois plus tard, au SIT (Syndicat Islamique des Travailleurs).
Pour sa part, M.Chebab Aomar, secrétaire général de l'union de wilaya de Boumerdès, affirmera que le samedi 1er octobre, après que les travailleurs soient sortis dans la rue «la manifestation se voulait pacifique et elle répondait à la volonté qui ne demandaient que leurs droits, mais d'autres personnes animées par d'autres considérations ont bloqué la route». La manifestation dégénère et la police a eu recours aux bombes lacrymogènes pour dégager la route. «Le lendemain des groupes d'individus étrangers sont venus à bord de véhicules banalisés pour inciter les travailleurs à sortir dans la rue», indique M.Chebab . Et c'est ainsi que le mardi 3 octobre, des manifestants survoltés s'attaquent à l'unité de l'Enatb et à la brasserie de Reghaia, et tentent de l'incendier. L'attaque est repoussée par des centaines de travailleurs armés de gourdins et de bâtons, Le 5 octobre 1988, d'autres casseurs gonflés à bloc se dirigent vers les zones industrielles de Rouiba et de Reghaia. Ils seront chassés encore une fois par les ouvriers. «Non, la zone industrielle a subi le 5 octobre et ne l'a pas enfanté ! «affirme Messaoudi» (rapporté par Madjid T, in article «La zone industrielle de Rouiba n'a pas enfanté le 5 octobre...», Liberté du dimanche 5 octobre 2008).
Autre témoignage de Sadek Hadjerès, ex-premier secrétaire du PAGS (Parti d'Avant-Garde socialiste clandestin) qui rapporte que dans la nuit du 4 au 5 octobre, la répression s'est abattue sur le mouvement social et politique pourtant pacifique des travailleurs : «Cette diversion grossière a ciblé massivement les cadres et les structures d'organisation du PAGS et des syndicats actifs. Elle va fournir après coup la preuve flagrante que des sphères étaient informées par avance des mouvements destructeurs des commandos de casseurs qu'ils allaient tolérer le lendemain(...) Ils visaient à brouiller les pistes (...) Les dizaines de cadres syndicaux et politiques arrêtés et «disparus» dans les casernes et lieux de détention seront sauvagement torturés comme on l'apprendra seulement quinze jours plus tard à leur libration. Leur arrestation «préventive» n'était pas fondée sur des actes mais sur les fiches de police établies durant les années précédentes. Certaines comportaient des erreurs grossières et ont frappé des gens n'ayant plus d'activité militante.» ; quant à l'ébranlement des manifestations, «(...) Le point de départ a été le déchaînement simultané à la mi-journée de jeunes notamment adolescents dans les artères centrales de la capitale et d'autres villes du pays. Leur déferlement n'avait rien d'un «chahut de gamins» spontané comme l'avait qualifié un responsable FLN de l'époque. Une grande partie de ces jeunes étaient peu ou pas du tout politisés ou membres d'organisations, ils avaient été attirés par les rumeurs lancées les derniers jours de septembre lorsque, avec le discours du président, le bras de fer des «chefs» avait débordé les coulisses du pouvoir.
D'autres, par contre, avaient été recrutés et étroitement encadrés sur le terrain pour un travail de casse sélectif dans les villes. La synchronisation, certains mots d'ordre provocateurs proférés, les cibles des destructions, les actes de diversion étaient orchestrés directement par des chefs de file reconnaissables à divers indices. Le scénario était visiblement planifié en haut lieu. Les services de sécurité, «débordés» ou sur ordre, sont pratiquement restés à distance sans réprimer ces jeunes.» ( Cf. «Les journées d'octobre 1988 :vues d'hier et d'aujourd'hui», témoignages dans Le Soir d'Algérie du dimanche 5 octobre 2008).
Par la suite, dans la brèche ainsi créée, se sont engouffrés des milliers de jeunes manifestants, arborant s d'autres significations, et exprimant leur révolte sans être pourtant porteurs d'un projet politique social précis. D'une manière générale, l'immense majorité des manifestants, s'agitant de façon inorganisée, leurs sensibilités idéologiques variant, - unis, conjoncturellement, seulement par leur colère et leur soif de justice,- occupaient la rue selon des solidarités de proximité ( quartiers, associations, etc.). Leurs heurts avec les forces de sûreté ont été férocement réprimés, des centaines d'entre eux ayant perdu la vie et des milliers blessés. «Ils ne sont pas à confondre avec une troisième vague de manifestants, entrés en lice dans les derniers jours à la suite de tractations du pouvoir impliquant une ou des mouvances islamistes»,qui, quoique «animés par le même sentiment de révolte, ils étaient minoritaires», néanmoins par rapport aux premières vagues d'insurgés,» mais relativement structurés et regroupés idéologiquement » de l'avis de Sadek Hadjerès (Cf ; Ibid ci-dessus).
De la manipulation dans l'air...
Pour sa part, Me Mokrane Ait Larbi, avocat et militant des droits de l'homme estime que:» (...) Le 5 octobre était une «frappe préventive» contre la démocratie. Un clan du pouvoir a poussé des milliers de jeunes dans les rues d'Alger avec un seul objectif : s'attaquer aux institutions. Un autre clan a utilisé l'armée pour défendre ces mêmes institutions. «L'ouverture», qui a suivi ces évènements, a été prise au sérieux par les Algériens qui avaient commencé à s'organiser, à s'exprimer et à revendiquer un régime démocratique. Le pouvoir, pour ne pas perdre le pouvoir, a procédé à d'autres frappes préventives, toujours contre la démocratie en agréant le FIS (...)» ( in interview réalisée par Madjid Makedhi , Supplément spécial d'El Watan consacré à la commémoration du 20ème anniversaire d'octobre 1988, édition du dimanche 5 octobre 2008).
Manigances de coulisses que le général Lakhal Ayat, ancien directeur des services de renseignements dépendants de la Présidence, (la DGPS), confirme en révélant, quelques années plus tard, qu' il y a bien eu «complot algéro-algérien» : l'ex patron de la très redoutable Sécurité Militaire (SM),après s'être dégagé de toute responsabilité gestion des évènements d'Octobre et qui a été limogé fin octobre, au même titre que le patron du FLN, Mohamed Chérif Messadia, tresse les contours de cette machination :«On a voulu faire croire au peuple que c'est la rue qui réclamait les changements». Je m'explique: si on proclame des réformes et que la rue bouge, cela veut dire que le pouvoir est désavoué. Mais si l'on fait bouger la rue et qu'on impose des réformes, cela veut dire que la rue réclame des changements» déclarait-il avant d'ajouter que les changements rapides et radicaux intervenus au lendemain d'Octobre ( le référendum du 3 novembre et la nouvelle Constitution de février 1989) n'étaient que «le dernier acte d'un scénario mal ficelé». ( cf. rapporté in article Octobre dans les livres...», de Mohand Aziri, Supplément spécial Octobre 1988 d'El Watan du 5 /10/2008).
Pour beaucoup d'observateurs de la période, politiciens, sociologues, journalistes, auteurs, etc., le virage d'«Octobre 1988», a été incontestablement la résultante d'une machination montée de toutes pièces, qui a commencé à se dessiner dès la fin 1987. Et surtout à partir de l'été 1988 qui vit se multiplier les signes avant - coureurs de l'annulation du 6 è congrès du FLN prévu pour décembre, Chadli Bendjedid suspendant dès le mois de juillet les travaux de la commission de sa préparation présidée par Mohammed Chérif Messaâdia, secondé de Mouloud Hamrouche et Abdelhamid Brahimi.
Il semblerait, à la lecture de ces divers écrits et témoignages, si l'on voudrait bien considérer les choses sous un autre angle divergent, que ce n'est pas à une «certaine autorité cherchant à faire d'une pierre deux coups» qui a tout a programmé, - «réprimant la veille et tolérant le lendemain des commandos de casseurs», - qu'on aurait affaire mais plutôt à deux factions d'autorités rivales s'affrontant sur le terrain, par groupes interposés, réagissant après le discours «détonateur» du président Chadli : d'une part les partisans des réformes qui auraient discrètement suscité la grève des travailleurs de la SNVI de Rouiba, en évitant les ouvriers structurés dans les sections UGTA ou cellules dépendantes du FLN comptant sur ceux de sensibilité différentes, et d'autre part les caciques, qui craignant de perdre leurs positions privilégiées avec la perspective menaçante des réformes annoncées auraient réagi en dépêchant sur le terrain des «commandos de casseurs» pour contrer les manifestants, comme cela s'est passé avec les travailleurs de Rouiba, et discréditer, ainsi, toute contestation citoyenne de la politique officielle du régime de la pensée unique.
Lorsque le mouvement de contestation s'amplifie, les «casseurs» infiltrent les manifestants, à commencer par la marche des lycéens, et se chargent de muer une manifestation - qui était destinée au départ à constituer un soutien aux réformistes qui l'ont, vraisemblablement, instiguée,- en une «contre- offensive» des recrues des pro - apparatchiks conservateurs noyant la contestation populaire escomptée dans la confusion générale des actes de violence discréditant ciblant les institutions d'Etat et principalement le chef de file des réformateurs par le slogan «Chadli assassin !». Ce qui fera dire à un tortionnaire maltraitant un citoyen embarqué, sur simple suspicion d'actes subversifs, selon un témoignage de presse in Algérie Actualité du 8 novembre 1988: «la balle était dans votre camp, nous l'avons récupérée à présent»). Propos, signifiant en d'autres termes, la lutte implacable de deux factions rivales, par gens interposées !
Quoi qu'il en soit, mal en prit aux apprentis sorciers et fomentateurs de troubles, de quelque bord qu'ils soient, qui dans leurs calculs et manigances éhontées, s'attendaient certainement à autre chose qu'à un cinglant retour de manivelle du à leurs grossières manipulations politiciennes, de totale déconsidération de l'Ethique et respect du aux droits et libertés humaines trop longtemps bafoués et réprimés: négligents et méprisants, ils étaient loin de se douter que le menu peuple, après des années de mal vie et d'incommensurables souffrances et endurances dus au système de l'autoritarisme, de la corruption, du népotisme et de la hogra ( oppression), avait la coupe pleine et n'attendait que la moindre étincelle pour s'embraser et donner libre cours à sa rage. Ainsi, certains meneurs des émeutiers d'octobre signalés ça et là, et oeuvrant vraisemblablement pour des parties occultes du système, tout comme ces voitures banalisées qui tiraient et sur la foule et sur les forces de l'ordre, s'ils ont réussi à mettre le feu aux poudres, ils ont néanmoins pas pu éviter de tout faire basculer en l'air. Car le ras de marée populaire qui s'embrasait, était tel, qu'il prit tout le monde de court, et en premier les comploteurs, jetant bas, toutes manœuvres politiciennes et sournois agissements manipulatoires des uns, ou recours précipités aux appels hypocrites à l'unité patriotique des autres.
Ce qui incita l'ensemble du staff étatique, tendance réformatrice et tendance opposée, à se serrer conjointement les coudes pour sauver le vaisseau gouvernemental de la dérive totale. Et le bouleversement était d'une telle ampleur, par la suite, avec les centaines de morts de jeunes Algériens criant leur ras le bol de la Hogra (l'oppression), l'injustice sociale, la corruption, le piston, la mal vie et la misère sociale, etc., que l'initiative latente des réformes, pomme de discorde fermentant en sourdine, s'imposait à présent désormais au grand jour et de façon éminemment urgente, «structurellement surtout, et non pas superficiellement», cela s'entendait: c'est-à-dire allant au-delà des modestes réaménagements initialement envisagés, dans le cadre uniformisant de la politique de bricolage du parti FLN cherchant, par le biais de son feu vert donné à quelques associations du mouvement citoyen, appuyées par ses classiques organisations de masse affiliées, à faire créditer l'idée d'un pluralisme... de façade, sans grande portée politique et efficience concrète...
Les jours suivant le fatidique 5 octobre...
Tout au long des fatidiques journées d'octobre, le chef de cabinet du président Chadli, le général Larbi Belkheir affirme que c'est par le courrier que lui adresse la population que le président a appris les faits ; il en aurait été «outré». «Il était impensable pour lui que des Algériens torturent des Algériens», poursuit-il, avant de diluer les torts et les complicités en les multipliant : «Deux problèmes s'étaient posés à la présidence: celui de la torture et celui des voitures banalisées. A suivre.
* Auteur indépendant de textes journalistiques, dramatiques et littéraires
( éditeur de l'ex-magazine culturel bilingue indépendant «Tassili Star» (1999 - 2001).
Source : Quotidien d'Oran