5 octobre 1988 : Espoirs, désillusions et leçons
Salah-Eddine Sidhoum, 2 octobre 2008
« L’Histoire ce ne sont pas seulement les faits, mais les leçons que l’on tire ».
Il y a 20 ans, une manipulation criminelle de l’un des gangs du système provoquait la mort de plus de 600 algériens dont une majorité d’adolescents. Cette manipulation, avec le recul, n’était en réalité qu’une répétition à petite échelle de la tragédie de janvier 92 qui allait faucher plus de 200 000 Algériens.
Il y a 20 ans, on a tiré à la mitrailleuse sur des adolescents et on a torturé systématiquement d’autres dans les commissariats et les casernes de la sinistre police politique. Leur seul crime était d’avoir clamé violemment leur aversion d’un système de haggarines. Ces mêmes haggarines qui pensaient manipuler une jeunesse désoeuvrée pour assouvir leurs bas instincts de brigands, ne savaient pas qu’ils manipulaient une poudrière. Les manipulateurs dans leur inconscience, donnaient ainsi l’occasion à une jeunesse abandonnée et sans repères, de vomir sa haine d’un régime illégitime qui avait transformé son pays en une vaste prison à ciel ouvert. Et cette poudrière éclatera sur leur visage hideux et sans scrupules.
Abandonnée à elle-même et minée déjà par de nombreux fléaux sociaux, notre jeunesse se donnera à cœur joie à détruire ce qui représentait à ses yeux les symboles de la hogra et de la corruption (kasmates et mouhafadhates du FLN, ministères, souks el Fellah, Riadh El Feth…..). Elle faisait inconsciemment sienne, la citation d’un auteur français : « Dans cette forêt d’injustice que peut faire la cognée du bûcheron ? Ce qu’il faut, c’est l’incendie, le grand incendie ». Cette violence inouïe signifiait tout simplement le rejet profond de ce système. Et ce rejet appelait au changement de ce dernier dans sa globalité. Mais, hélas on préféra changer de vitrine.
Ces douloureux événements permettaient également de mettre à nu l’odieux visage de ce régime illégitime, sa cruauté et son échec patent dans sa gestion chaotique du pays. Sa violente réaction à des événements que l’un de ses gangs avait lui-même provoqué nous donnait déjà un avant-goût de ce que nous allions vivre comme horreurs quelques années plus tard.
Des criminels en col blanc pensaient se débarrasser du gang dit conservateur du système en provoquant des émeutes téléguidées. Ils pensaient « réformer » le pays en sacrifiant des enfants, ignorant superbement la sentence de Tocqueville qui disait que « le moment le plus dangereux pour un mauvais gouvernement est d’ordinaire celui où il commence à se réformer ». Car l’Algérie de 88 n’avait pas besoin de réformes, mais d’un CHANGEMENT RADICAL de système.
Je tiens avant tout et à l’occasion de ce douloureux anniversaire, à m’incliner avec émotion et respect devant la mémoire de ces innocentes victimes juvéniles, sacrifiées sur l’autel de prétentions politiciennes criminelles.
En tant que chirurgien orthopédiste et militant des droits de la personne humaine, j’ai eu à vivre de très près ces tragiques événements. Outre les nombreux cas de tortures et de blessures par balles que nous avons eu à traiter, je fus particulièrement marqué par la sanglante répression bestiale qui s’est abattue sur les participants de la manifestation pacifique du 10 octobre 88 à Alger.
Ce jour-là, un confrère traumatologue de garde à l’hôpital Mustapha, débordé par l’afflux des blessés, m’appela pour lui prêter main forte. Je fus bouleversé par le spectacle désolant qui s’offrait à mes yeux. J’ai eu à opérer plus particulièrement deux patients, l’un de 19 ans, lycéen demeurant à Alger qui avait participé à la marche qui avait démarré du quartier de Belouizdad pour rejoindre Bab El Oued. Il fut fauché devant le siège de la direction nationale de la police (DGSN) par des tirs venant d’un blindé selon ses dires. Sa cuisse était réduite à une véritable bouillie cutanée, musculaire et osseuse. La peau et les muscles étaient totalement calcinés et son fémur totalement éclaté. Aucun traitement conservateur n’était possible devant cette importante perte de substance. Je fus contraint de pratiquer une amputation au niveau de la cuisse pour sauver ce jeune citoyen qui perdait énormément de sang. Le 2e patient était âgé de 32 ans, manœuvre, originaire de Jijel et travaillant dans un chantier de la capitale. Lui aussi fut grièvement blessé par balles lors de la même manifestation. Les importants dégâts provoqués au niveau de sa jambe m’amenèrent là aussi à pratiquer une amputation. Je me suis interrogé avec mon confrère de garde sur le type de balles utilisées, car nous n’avions retrouvé aucune trace des projectiles. Seulement des pertes importantes de substance, des brûlures et une bouillie osseuse. Alors que les jours précédents, nous avions eu à opérer des blessés par balles et on retrouvait toujours un orifice d’entrée, parfois de sortie de la balle sur le membre, quand cette balle ne se logeait pas dans le muscle ou l’os. J’avais conclu ce jour là que les balles utilisées n’étaient pas des balles conventionnelles. Il s’agissait bel et bien de balles explosives.
’autres confrères chirurgiens me rapportèrent les mêmes constatations. J’ai eu à relater ces cas à la presse internationale présente à l’époque à Alger et à quelques journalistes nationaux courageux qui venaient s’enquérir de la situation des blessés. J’apprendrais, suite à une enquête que j’avais réalisé avec une poignée de confrères au sein du Comité médical de lutte permanente contre la répression et la torture que nous avions créé après la tragédie d’octobre, que ce jour-là huit citoyens avaient subi des amputations dans les différents hôpitaux d’Alger suite à des blessures par ces balles ravageuses.
Je fus également bouleversé d’apprendre qu’un enfant de 11 ans fut froidement abattu d’une balle dans la tête et à bout portant par un policier en civil à Belfort, quartier d’El Harrach.
Je fus troublé en lisant le témoignage du père d’une victime demeurant à Annaba qu’avait mis à notre disposition Me Brahimi, président de la ligue officielle des droits de l’Homme de l’époque (LADH) et d’apprendre comment fut assassiné froidement son fils avant d’être jeté dans un dumper de la voierie municipale.
Salah-Eddine Sidhoum, 2 octobre 2008
« L’Histoire ce ne sont pas seulement les faits, mais les leçons que l’on tire ».
Il y a 20 ans, une manipulation criminelle de l’un des gangs du système provoquait la mort de plus de 600 algériens dont une majorité d’adolescents. Cette manipulation, avec le recul, n’était en réalité qu’une répétition à petite échelle de la tragédie de janvier 92 qui allait faucher plus de 200 000 Algériens.
Il y a 20 ans, on a tiré à la mitrailleuse sur des adolescents et on a torturé systématiquement d’autres dans les commissariats et les casernes de la sinistre police politique. Leur seul crime était d’avoir clamé violemment leur aversion d’un système de haggarines. Ces mêmes haggarines qui pensaient manipuler une jeunesse désoeuvrée pour assouvir leurs bas instincts de brigands, ne savaient pas qu’ils manipulaient une poudrière. Les manipulateurs dans leur inconscience, donnaient ainsi l’occasion à une jeunesse abandonnée et sans repères, de vomir sa haine d’un régime illégitime qui avait transformé son pays en une vaste prison à ciel ouvert. Et cette poudrière éclatera sur leur visage hideux et sans scrupules.
Abandonnée à elle-même et minée déjà par de nombreux fléaux sociaux, notre jeunesse se donnera à cœur joie à détruire ce qui représentait à ses yeux les symboles de la hogra et de la corruption (kasmates et mouhafadhates du FLN, ministères, souks el Fellah, Riadh El Feth…..). Elle faisait inconsciemment sienne, la citation d’un auteur français : « Dans cette forêt d’injustice que peut faire la cognée du bûcheron ? Ce qu’il faut, c’est l’incendie, le grand incendie ». Cette violence inouïe signifiait tout simplement le rejet profond de ce système. Et ce rejet appelait au changement de ce dernier dans sa globalité. Mais, hélas on préféra changer de vitrine.
Ces douloureux événements permettaient également de mettre à nu l’odieux visage de ce régime illégitime, sa cruauté et son échec patent dans sa gestion chaotique du pays. Sa violente réaction à des événements que l’un de ses gangs avait lui-même provoqué nous donnait déjà un avant-goût de ce que nous allions vivre comme horreurs quelques années plus tard.
Des criminels en col blanc pensaient se débarrasser du gang dit conservateur du système en provoquant des émeutes téléguidées. Ils pensaient « réformer » le pays en sacrifiant des enfants, ignorant superbement la sentence de Tocqueville qui disait que « le moment le plus dangereux pour un mauvais gouvernement est d’ordinaire celui où il commence à se réformer ». Car l’Algérie de 88 n’avait pas besoin de réformes, mais d’un CHANGEMENT RADICAL de système.
Je tiens avant tout et à l’occasion de ce douloureux anniversaire, à m’incliner avec émotion et respect devant la mémoire de ces innocentes victimes juvéniles, sacrifiées sur l’autel de prétentions politiciennes criminelles.
En tant que chirurgien orthopédiste et militant des droits de la personne humaine, j’ai eu à vivre de très près ces tragiques événements. Outre les nombreux cas de tortures et de blessures par balles que nous avons eu à traiter, je fus particulièrement marqué par la sanglante répression bestiale qui s’est abattue sur les participants de la manifestation pacifique du 10 octobre 88 à Alger.
Ce jour-là, un confrère traumatologue de garde à l’hôpital Mustapha, débordé par l’afflux des blessés, m’appela pour lui prêter main forte. Je fus bouleversé par le spectacle désolant qui s’offrait à mes yeux. J’ai eu à opérer plus particulièrement deux patients, l’un de 19 ans, lycéen demeurant à Alger qui avait participé à la marche qui avait démarré du quartier de Belouizdad pour rejoindre Bab El Oued. Il fut fauché devant le siège de la direction nationale de la police (DGSN) par des tirs venant d’un blindé selon ses dires. Sa cuisse était réduite à une véritable bouillie cutanée, musculaire et osseuse. La peau et les muscles étaient totalement calcinés et son fémur totalement éclaté. Aucun traitement conservateur n’était possible devant cette importante perte de substance. Je fus contraint de pratiquer une amputation au niveau de la cuisse pour sauver ce jeune citoyen qui perdait énormément de sang. Le 2e patient était âgé de 32 ans, manœuvre, originaire de Jijel et travaillant dans un chantier de la capitale. Lui aussi fut grièvement blessé par balles lors de la même manifestation. Les importants dégâts provoqués au niveau de sa jambe m’amenèrent là aussi à pratiquer une amputation. Je me suis interrogé avec mon confrère de garde sur le type de balles utilisées, car nous n’avions retrouvé aucune trace des projectiles. Seulement des pertes importantes de substance, des brûlures et une bouillie osseuse. Alors que les jours précédents, nous avions eu à opérer des blessés par balles et on retrouvait toujours un orifice d’entrée, parfois de sortie de la balle sur le membre, quand cette balle ne se logeait pas dans le muscle ou l’os. J’avais conclu ce jour là que les balles utilisées n’étaient pas des balles conventionnelles. Il s’agissait bel et bien de balles explosives.
’autres confrères chirurgiens me rapportèrent les mêmes constatations. J’ai eu à relater ces cas à la presse internationale présente à l’époque à Alger et à quelques journalistes nationaux courageux qui venaient s’enquérir de la situation des blessés. J’apprendrais, suite à une enquête que j’avais réalisé avec une poignée de confrères au sein du Comité médical de lutte permanente contre la répression et la torture que nous avions créé après la tragédie d’octobre, que ce jour-là huit citoyens avaient subi des amputations dans les différents hôpitaux d’Alger suite à des blessures par ces balles ravageuses.
Je fus également bouleversé d’apprendre qu’un enfant de 11 ans fut froidement abattu d’une balle dans la tête et à bout portant par un policier en civil à Belfort, quartier d’El Harrach.
Je fus troublé en lisant le témoignage du père d’une victime demeurant à Annaba qu’avait mis à notre disposition Me Brahimi, président de la ligue officielle des droits de l’Homme de l’époque (LADH) et d’apprendre comment fut assassiné froidement son fils avant d’être jeté dans un dumper de la voierie municipale.
Dernière édition par Admin le Ven 3 Oct - 21:16, édité 1 fois