Le directeur exécutif de la forem tire la sonnette d’alarme
200 000 enfants à la rue
Près de 300 000 enfants sont utilisés dans des entreprises. Ils y travaillent sans avoir atteint l’âge légal, fixé par la loi à 16 ans. Abdelhak Mekki, directeur de l’Observatoire des droits de l’enfant de la Forem, n’en revient pas. Il s’agit bien, précise-t-il, d’une atteinte aux droits de l’enfant. Ce chiffre pourrait bien doubler si l’on tient compte du marché informel en pleine expansion, avertit M. Mekki. Ce sont notamment ces enfants utilisés en tant que domestiques, ceux exerçant des petits métiers à la sauvette dont le nombre peut atteindre le million et demi. Participant à une table ronde sur les droits de l’homme organisée hier au centre de presse d’El Moudjahid, cet ardent défenseur des droits de l’enfant affirme que la situation est bien plus « déplorable » qu’on le pense. En se référant à une enquête menée dans 8 wilayas, M. Mekki indique que plus de 200 000 enfants se trouvent dans la rue, sans aucune protection.
Il relève aussi que 10 000 bambins subissent des violences physiques chaque année. Cette situation dramatique est favorisée par une déperdition scolaire galopante. Selon le conférencier, environ 500 000 enfants sont perdus chaque année pour l’école. Interdit par la loi, le travail des enfants, explique le conférencier, est une réalité amère qui illustre on ne peut plus clairement le degré de détérioration du pouvoir d’achat des familles due à la poussée de l’inflation. Se félicitant du nouveau texte de loi sur la protection de l’enfance, M. Mekki estime que l’Etat à lui seul ne pourra pas protéger les enfants. Pour ce faire, il appelle à l’implication de tous les citoyens. Revenant sur la situation générale des droits de l’homme en Algérie, le conférencier relève une « avancée » remarquable, tout en évoquant des « insuffisances ».
Pour améliorer cette situation, M. Mekki appelle à la levée de l’état d’urgence qui constitue un obstacle à la pratique démocratique. Abordant la question des ONG internationales et de leur rôle dans la progression des droits de l’homme dans le monde, M. Mekki refuse de « remettre en cause leur travail », estimant qu’elles constituent « l’âme par laquelle on défend la société civile ». Un avis qui n’est pas partagé par l’autre conférencier, Me Azzi Marouane, président de la cellule d’assistance judiciaire pour l’application de la charte pour la réconciliation nationale. Ce dernier qualifie de « douteuse » l’activité des ONG internationales qui établissent des rapports « tendancieux à des desseins autres que ceux de défendre les droits humains ».
Sans les citer nommément, Me Azzi pointe également un doigt accusateur sur les organisations nationales de défense des droits de l’homme, qu’il considère « responsables » des « rapports erronés » établis par les ONG internationales sur la situation des droits de l’homme en Algérie. « Ils ont parlé de prisons secrètes en Algérie. Qu’ils nous fournissent les preuves de leur existence. Qu’ils nous donnent le lieu où elles se trouvent », clame-t-il en regrettant que les séquelles de la tragédie nationale soit utilisée par « certaines parties » pour faire pression sur l’Algérie. M. Azzi revient, dans ce sillage, sur l’initiative algérienne auprès des Nations unies relative à l’incrimination de la rançon, la considérant comme « nécessaire » pour lutter contre le terrorisme.
El Watan
Par M.A.O.
Les enfants des rues au Maroc vivent difficilement, souvent en liaison avec les stupéfiants et le crime. Les efforts déployés pour les réintégrer dans des familles et dans des écoles sont faibles et s’ils réussissent parfois , les experts affirment que le problème est vaste et qu’il prend racine dans la pauvreté et dans des circonstances sociales difficiles. Othmane a quitté son foyer et son école à l’âge de 14 ans pour vivre dans la rue. Il ne voulait plus assister au spectacle de sa mère luttant pour obtenir le pain quotidien de cinq petits enfants, de la voir se battre pour pouvoir louer un taudis et pour payer les dépenses scolaires de son garçon.
"La rue n’est pas plus compatissante", dit Othmane. "C’est un mensonge ; mais au moins, elle n’aura plus à penser à mon quotidien à moi. Et entre-temps, je pourrais même peut-être l’aider". Othmane porte des sacs remplis de légumes ou d’autres produits pour les clients d’un marché à proximité. De cette manière, il gagne quelques dirhams par jour, assez pour rapporter un peu d’argent lorsqu’il revient une fois par semaine au foyer maternel. Il peut même encore s’acheter les stupéfiants à bas prix qui l’aident à endurer sa souffrance.
Othmane est l’un des enfant des rues du Maroc, dont le nombre ne cesse d’augmenter. Ils représentent une jeunesse sans toit, marginalisée, sans identité ou famille. Les trottoirs sont leurs seuls refuges, les marches à l’entrée des boulangeries, leurs seuls oreillers.
A Casablanca, les "résidences" principales de ces enfants sont les ruelles de la vieille ville, le port, la gare et le marché en gros de fruits et légumes. Le port peut offrir l’opportunité d’immigrer en clandestinité. Le marché leur donne la chance de travailler comme porteurs, de gagner de l’argent pour acheter de la drogue. A la gare, ils peuvent obtenir quelques pièces de monnaie en aidant les passagers ou en demandant l’aumône aux touristes.
Selon les statistiques les plus récentes du Secrétariat d’Etat marocain pour la Famille, la Solidarité et l’Action Sociale, ce sont 7000 enfants des rues qui vivent dans la seule wilaya de Casablanca. On en dénombre 8800 de plus, dans d’autres grandes villes comme Marrakech, Fèz, et Meknès.
Les chiffres sont périmés et incertains, néanmoins, parce que les enfants sans foyer ne restent pas à un seul endroit. Ils se déplacent d’un quartier à l’autre, ou de ville en ville, à la recherche d’un nouvel abri temporaire. Ils fuient sauvent une pauvreté affreuse, une chambre unique partagée par six à dix personnes.
Une stratégie a été adoptée par la société civile marocaine : construire des centres pour abriter certains de ces enfants des rues, et s’efforcer de les réintégrer dans le système scolaire et dans des familles, mais le défi est immense. Le nombre des enfants excède souvent les portefeuilles financiers de ces structures, et de nombreux enfants sont renvoyés.
"Nous nous efforçons d’offrir de l’aide à ces enfants. Nous ne disons pas que nous allons régler le problème une fois pour toute", dit Al Tahir Skali, de Casbah Association Casbah pour les Efants en Situation Difficile.
Son groupe construit actuellement un refuge pour les enfants sans domicile fixe à Mohammedia, dans le cadre de l’Initiative Nationale pour le Développement Humain. Cet asile offrira l’hébergement, la scolarisation, la nourriture et éventuellement, l’intégration socio-professionnelle. Mais alors qu’il y a des milliers d’enfants des rues dans la seule ville de Mohammedia, le centre ne pourra en loger plus de cent. Même si l’expérience s’avère concluante, elle ne sera qu’une petite goutte d’eau dans la mer.
Skali reconnaît la difficulté de l’intervention dans la lutte en faveur des sans-abris. "Beaucoup de gens ne répondent pas à notre initiative en raison de leur addiction aux stupéfiants", dit-il. "Ils s’enfuient pour revenir dans la rue. Nous avons alors le sentiment d’avoir échoué, à l’exception de cas très rares. Malgré tout, nous n’avons jamais perdu espoir, et nous avons adopté une politique de prévention. Aujourd’hui, nous recherchons dans des familles très pauvres des enfants qui pourraient potentiellement aller vivre dans la rue. Nous appellons ces familles à prendre soin de leurs enfants, à les placer dans un centre, nous les aidons à retourner à l’école ou à continuer leur formation professionnelle".
Hamid Tachfin, travailleur social à l’association Bayti, reconnaît que la pauvreté a contribué à l’épidémie des enfants des rues. Des situations sociales difficiles peuvent pousser l’enfant à vivre dans la rue et souvent, à chuter dans le monde des stupéfiants et du crime.
"Nous sommes arrivés à la conclusion que c’est une grande souffrance qui se dissimule derrière la plupart des cas," dit Tachfin. "La pauvreté familiale, l’échec scolaire, la peur de la famille, le divorce des parents [et] les disputes conjugales sont le plus souvent à l’origine de la vie dans la rue, qui fait embrasser un destin inconnu".
Convaincre les enfants de placer leur confiance dans les centres et les associations créées pour leur venir en aide est encore difficile. Les jeunes sans abri ont perdu toute confiance dans la capacité de la société à les aider. Ils ne croient même plus en eux-mêmes. Ils n’ont souvent d’autre désir que de courir librement et de vivre sans le contrôle des adultes.
Une histoire à fin heureuse, néanmoins, pourrait être celle de Noureddine, âgé de 12 ans. Les autres enfants des rues le battaient âprement et régulièrement au nom de leur simple amusement, mais Bayti l’a sauvé des trottoirs.
"J’ai trouvé un nouveau refuge et de nouveaux amis ici," dit-il. La chose la plus importante que j’ai faite, c’est de retourner à l’école, et je ne la quitterai jamais plus, parce que Bayti va me soutenir jusqu’au bout. C’est une occasion qui n’est pas donnée à tous", ajoute le garçonnet.
Najat M’jid, Président de Bayti, dit que les efforts déployés par les quelques centres et associations du Maroc qui s’occupent des enfants des rues commencent à porter leurs fruits. "Lorsque nous faisons le compte du nombre d’enfants qui sont capables annuellement de se réintégrer, que ce soit dans les familles ou les écoles, nous nous aperçevons que nous progressons d’année en année."
M’jit ajoute, malgré tout, que pour pouvoir s’occuper du phénomène dans toute son ampleur, il reste beaucoup à faire. "Nous n’avons pas encore élaboré de plan spécifique pour lutter contre les vrais problèmes qui engendrent les enfants des rues : la pauvreté, l’exode rural, l’école et sa qualité, le taux croissant de chômage et la perte pour les jeunes de l’espoir de pouvoir se construire un avenir dans leur propre pays", dit-elle.
Source : Magharebia - Imane Belhaj