« Les Egyptiens se sont toujours comportés en tuteurs sous le masque du grand frère »
Je crois que c’est un poète italien qui disait que « l’histoire est utile non pour parcourir le passé mais pour y lire l’avenir ». Il y a du vrai dans cette réflexion et sans doute est-ce pour cela qu’il n’y a pas quelque chose qui se passe dans la vie courante sans que je n’aille chercher, dans l’histoire, des éléments de réponse aux questions que cette actualité suscite.
C’est la raison pour laquelle j’aime l’histoire. Elle vient au secours des défaillances du rationnel. Elle aide à la compréhension des situations les plus complexes. Elle explique encore plus qu’elle ne raconte. Ces dernières semaines, nous avons été les témoins d’événements qui ont apostrophé le passé avec les phases de qualification de l’équipe nationale de football pour la CAN et la Coupe du monde. Ils l’ont interpellé d’abord pour démystifier et démythifier une prétendue fraternité qui nous liait avec l’Etat et le pouvoir égyptiens, une concorde au destin d’une bulle de savon qui n’a pas résisté à une banale compétition sportive.
J’ai toujours appris que la politique est gouvernance et qu’elle consiste en l’organisation des pouvoirs et la gestion des affaires publiques. Je sais également qu’elle est la sœur aînée de la diplomatie, qui concerne, elle, la conduite des relations entre Etats. Mais je sais surtout que comme chacun est comptable du bonheur des siens, chaque dirigeant est tout aussi comptable du bonheur de son peuple. Aussi je m’interroge : quel est, dans les deux siècles précédents, le pays de la sphère géohistorique improprement appelée du reste « arabo-musulmane » qui a connu une invasion aussi terrible que la conquête génocidaire française et la colonisation déprédatrice de l’Algérie ? Quel est le pays de ce même continuum qui a mené, durant sept ans et demi, une guerre d’indépendance aussi meurtrière que celle qui a été imposée au peuple algérien par un ennemi impitoyable qui lui disputait sa terre ? Pour cet ennemi, c’était une province lotie en trois départements et pour nous, Algériens, c’était tout simplement l’Algérie ! Dans ce combat inégal contre la quatrième puissance mondiale de l’époque et inégalé dans la sphère en question, ce peuple a vaincu. Quel est enfin le pays où, comme le veut la tradition, dans chaque famille l’aîné des enfants s’appelle Mohamed, qui a servi la cause de la liberté pendant et après sa propre libération avec autant d’ardeur et de désintéressement que l’a fait l’Algérie ? C’est parce que les réponses à ces questionnements sont connues de toutes et tous que les propos outranciers et outrageants de la presse et les prédications grotesques des dirigeants politiques égyptiens sont d’une gravité inqualifiable. Ils le sont d’autant plus qu’ils émanent d’un pays et d’un peuple avec lequel nous entretenions des relations cordiales, empreintes de respect mutuel né de longues épreuves humaines communes et de solidarités au maillage serré. Nous les pensions très sincèrement sinon impérissables, à tout le moins assez affermies pour survivre aux 90 minutes d’un match de football. Nous les supposions assez adultes et prémunies pour être épargnées par les intrigues successorales que la famille du nouveau khédive d’Héliopolis vient d’étaler, toutes fenêtres béantes, aux oreilles et aux yeux de l’opinion mondiale écœurée. On se disait frères !
Nous connaissions le peuple égyptien paisible et pacifique, dont les temps immémoriaux racontent la simplicité. Endoctriné, gavé de mensonges, excité par un appareil idéologique d’Etat machiavélique, il s’est brutalement révélé sous un autre jour. Dommage que toute cette énergie colérique n’ait pas été dirigée contre ceux qui l’ont véritablement humilié… Tout comme nous savions le régime égyptien – comme, hélas, celui de bien des pays dits arabes – plus proche du « pharaonisme » (sans le génie bâtisseur) que de la démocratie qui donne la parole aux peuples. Nous savions les hommes politiques égyptiens, chaouchs du pouvoir réel, particulièrement protéiformes et souples d’échine, ils ne sont pas les seuls au demeurant entre l’Indus et l’Atlantique. Nous savions les patrons du Caire artificieux et finauds, mais pas au point d’enfieller sans vergogne des populations qui manquent de tout pour diriger leur haine contre la dignité des citoyens d’une nation dont une équipe sportive l’a emporté sur la leur !
Et de nous interroger : est-ce donc cela, « Misr Oum Eddounia » ? Dieu préserve l’humanité des jalousies d’une telle marâtre ! Vociférations, clabaudages et autres vitupérations cathodiques seraient donc devenus le nouveau langage de la culture sur les rives du Nil ? Sont-ce là les héritiers de Naguib Mahfouz et d’Oum Kalthoum, les légataires de Mustapha Lotfi El Manfalouti, Taha Hussein et Chadi Abdessalam ? Où est donc passé l’esprit d’Arabi Pacha ? Bien avant la guerre, lorsque nous allions au cinéma, c’était pour voir des films égyptiens, on disait à l’époque des films « arabes ». Emus, les yeux rivés sur l’écran, nous nous passionnions, dans un émerveillement silencieux, pour l’éblouissante Tahia Carioca, moulée dans son fourreau en lamé, descendant en ondulant un escalier impérial et allant à la rencontre de Mohamed Abdelwahab dans sa robe de chambre de soie, une pochette assortie, qui lui donnait l’aubade, des trémolos dans la voix, le crâne couronné d’un fez. Et comme dans les films d’Hollywood, il lui baisait la main avant de l’inviter à prendre place sur un sofa de velours.
Ainsi donc, se disait-on, les Arabes qui habitaient l’écran pouvaient être, faire et vivre comme les Américains ou les Français ? Pourquoi pas nous ? Et me voilà rêvant et nous voilà songeant au jour où, nous aussi, nous attendrions au bas de l’escalier cette star au déhanchement sans pareil. C’était aussi cela l’indépendance. Nous l’imaginions à travers l’objectif de la caméra d’Henri Barakat ou de Salah Abou Seif. Nous rêvions en égyptien. Lorsque, en juillet 1952, le mouvement des Officiers libres a renversé Farouk, la chute de la monarchie a été saluée comme une Révolution par tous les peuples depuis Baghdad jusqu’à Casablanca. L’Egypte n’était plus la patrie de la danse du ventre et du cinéma chantant. Gamal Abdel Nasser, un colonel bonapartiste, et ses onze compagnons du Conseil révolutionnaire, allumaient à nouveau le phare d’Alexandrie pour guider les Arabes vers de nouveaux horizons. Mais voilà, l’horizon est un pays imaginaire dont les frontières reculent à mesure qu’on avance outefois, pour l’heure, le renversement du vieux roi, un pacha jouisseur, amateur de poker, apparaissait comme un exploit, et c’en était un, qui forçait notre émerveillement. Fébriles, nous attendions notre tour pour changer les choses chez nous. Enfin, 1954, l’histoire se déchaîne au Afrique du Nord. D’abord le Maroc et la Tunisie, puis éclate le tumulte de Novembre en Algérie. Le colonel Nasser qui, en janvier, avait escamoté son camarade, le général Mohamed Néguib, a saisi dès le départ l’importance de ce qui venait de s’engager au Maghreb. Le 27 octobre 1954, Mohamed Boudiaf, coordinateur du comité des Six qui venait de fixer, lors d’une réunion qui s’était déroulée le 23 octobre, la date du déclenchement pour le 1er Novembre à minuit, quittait Alger. Destination Le Caire avec, dans la poche, le texte fondateur de la Révolution algérienne. Dans la capitale égyptienne l’attendaient les membres de la délégation extérieure, au nombre de trois : Hocine Aït Ahmed ; Ahmed Ben Bella et Mohamed Khider. Ces trois personnalités du mouvement national, dont les deux premiers cités avaient assumé successivement la direction de l’Organisation spéciale (OS) après Mohamed Belouizdad, se trouvaient au Caire depuis le début des années 1950. Ils baignaient dans l’euphorie politique engendrée par la prise de pouvoir par les Officiers libres et vivaient les grands moments de la construction laborieuse de l’Egypte révolutionnaire, dont les moyens économiques étaient très limités au regard des immenses besoins des ambitions nassériennes de développement de son pays. C’est du Caire, de la station Sawt El Arab (La voix des Arabes) qui marquera tous les Algériens, que partira l’appel de Novembre.
Le leader des masses arabes savait tout le bénéfice-prestige qu’il allait tirer de son adhésion sans réserve à un vaste courant d’émancipation. Il aurait bien sûr souhaité assurer le parrainage direct de ce processus révolutionnaire qui enflammait les trois pays du Maghreb. Son attention se focalisera particulièrement sur l’Algérie. Tribun hors pair, Gamal Abdel Nasser galvanisera les foules et les mobilisera autour de la cause de la libération de l’Algérie à travers cet instrument qu’était Sawt El Arab, qu’il utilisera avec une rare intelligence. Il en fera une des causes principales du monde arabe et lorsque les journalistes lui demandaient jusqu’où allait « son » monde arabe, il répondait : « Jusqu’où l’on capte la voix des Arabes. » Un média d’une redoutable efficacité dont les speakers, lorsqu’ils parlaient de notre combat, ne disaient jamais « thawra el djazaïrya » (révolution algérienne) mais toujours « mouqqawama el arabya » (résistance arabe) ,une façon sans doute d’impliquer cette lutte dans un vaste processus d’affranchissement multiforme qui s’étendrait à tout les pays arabes en vue de la création d’un « watan el arabi » (nation arabe).
Il serait faux de dire que l’Egypte n’a pas apporté son soutien, dans la mesure de ses possibilités, à l’Algérie combattante. Il est vrai qu’elle nous a aidés. Et pour être juste vis-à-vis de l’histoire, tous les pays du Moyen-Orient nous ont assistés, chacun selon ses capacités. Tous, particulièrement l’Egypte, parce que l’Egypte qui faisait sa révolution était considérée comme le leader. Nous ne pouvons nier que cet apport était d’importance. Il est tout aussi injuste de dire que s’ils nous ont prêté main-forte, c’est parce qu’ils ne pouvaient pas faire autrement. Tous les peuples arabes, mais aussi africains, asiatiques, latino-américains avaient épousé la cause de la libération de l’Algérie. Il n’est qu’à se référer à la motion de soutien de la Conférence de Bandoeng (18 avril 1955) et à l’accueil réservé à notre délégation lors de cette rencontre, considérée comme l’ancêtre du Mouvement des non-alignés. Cependant, il est tout aussi absurde et aberrant de prétendre que le sang d’un Egyptien, ou autre, a coulé sur cette terre pendant la Guerre de libération. Exception faite pour les Marocains et les Tunisiens, je ne connais pas de brigades internationales engagées dans notre lutte. L’Algérie ne manquait pas d’hommes, mais d’armes ! Mais ceci est un autre problème...
Je crois que c’est un poète italien qui disait que « l’histoire est utile non pour parcourir le passé mais pour y lire l’avenir ». Il y a du vrai dans cette réflexion et sans doute est-ce pour cela qu’il n’y a pas quelque chose qui se passe dans la vie courante sans que je n’aille chercher, dans l’histoire, des éléments de réponse aux questions que cette actualité suscite.
C’est la raison pour laquelle j’aime l’histoire. Elle vient au secours des défaillances du rationnel. Elle aide à la compréhension des situations les plus complexes. Elle explique encore plus qu’elle ne raconte. Ces dernières semaines, nous avons été les témoins d’événements qui ont apostrophé le passé avec les phases de qualification de l’équipe nationale de football pour la CAN et la Coupe du monde. Ils l’ont interpellé d’abord pour démystifier et démythifier une prétendue fraternité qui nous liait avec l’Etat et le pouvoir égyptiens, une concorde au destin d’une bulle de savon qui n’a pas résisté à une banale compétition sportive.
J’ai toujours appris que la politique est gouvernance et qu’elle consiste en l’organisation des pouvoirs et la gestion des affaires publiques. Je sais également qu’elle est la sœur aînée de la diplomatie, qui concerne, elle, la conduite des relations entre Etats. Mais je sais surtout que comme chacun est comptable du bonheur des siens, chaque dirigeant est tout aussi comptable du bonheur de son peuple. Aussi je m’interroge : quel est, dans les deux siècles précédents, le pays de la sphère géohistorique improprement appelée du reste « arabo-musulmane » qui a connu une invasion aussi terrible que la conquête génocidaire française et la colonisation déprédatrice de l’Algérie ? Quel est le pays de ce même continuum qui a mené, durant sept ans et demi, une guerre d’indépendance aussi meurtrière que celle qui a été imposée au peuple algérien par un ennemi impitoyable qui lui disputait sa terre ? Pour cet ennemi, c’était une province lotie en trois départements et pour nous, Algériens, c’était tout simplement l’Algérie ! Dans ce combat inégal contre la quatrième puissance mondiale de l’époque et inégalé dans la sphère en question, ce peuple a vaincu. Quel est enfin le pays où, comme le veut la tradition, dans chaque famille l’aîné des enfants s’appelle Mohamed, qui a servi la cause de la liberté pendant et après sa propre libération avec autant d’ardeur et de désintéressement que l’a fait l’Algérie ? C’est parce que les réponses à ces questionnements sont connues de toutes et tous que les propos outranciers et outrageants de la presse et les prédications grotesques des dirigeants politiques égyptiens sont d’une gravité inqualifiable. Ils le sont d’autant plus qu’ils émanent d’un pays et d’un peuple avec lequel nous entretenions des relations cordiales, empreintes de respect mutuel né de longues épreuves humaines communes et de solidarités au maillage serré. Nous les pensions très sincèrement sinon impérissables, à tout le moins assez affermies pour survivre aux 90 minutes d’un match de football. Nous les supposions assez adultes et prémunies pour être épargnées par les intrigues successorales que la famille du nouveau khédive d’Héliopolis vient d’étaler, toutes fenêtres béantes, aux oreilles et aux yeux de l’opinion mondiale écœurée. On se disait frères !
Nous connaissions le peuple égyptien paisible et pacifique, dont les temps immémoriaux racontent la simplicité. Endoctriné, gavé de mensonges, excité par un appareil idéologique d’Etat machiavélique, il s’est brutalement révélé sous un autre jour. Dommage que toute cette énergie colérique n’ait pas été dirigée contre ceux qui l’ont véritablement humilié… Tout comme nous savions le régime égyptien – comme, hélas, celui de bien des pays dits arabes – plus proche du « pharaonisme » (sans le génie bâtisseur) que de la démocratie qui donne la parole aux peuples. Nous savions les hommes politiques égyptiens, chaouchs du pouvoir réel, particulièrement protéiformes et souples d’échine, ils ne sont pas les seuls au demeurant entre l’Indus et l’Atlantique. Nous savions les patrons du Caire artificieux et finauds, mais pas au point d’enfieller sans vergogne des populations qui manquent de tout pour diriger leur haine contre la dignité des citoyens d’une nation dont une équipe sportive l’a emporté sur la leur !
Et de nous interroger : est-ce donc cela, « Misr Oum Eddounia » ? Dieu préserve l’humanité des jalousies d’une telle marâtre ! Vociférations, clabaudages et autres vitupérations cathodiques seraient donc devenus le nouveau langage de la culture sur les rives du Nil ? Sont-ce là les héritiers de Naguib Mahfouz et d’Oum Kalthoum, les légataires de Mustapha Lotfi El Manfalouti, Taha Hussein et Chadi Abdessalam ? Où est donc passé l’esprit d’Arabi Pacha ? Bien avant la guerre, lorsque nous allions au cinéma, c’était pour voir des films égyptiens, on disait à l’époque des films « arabes ». Emus, les yeux rivés sur l’écran, nous nous passionnions, dans un émerveillement silencieux, pour l’éblouissante Tahia Carioca, moulée dans son fourreau en lamé, descendant en ondulant un escalier impérial et allant à la rencontre de Mohamed Abdelwahab dans sa robe de chambre de soie, une pochette assortie, qui lui donnait l’aubade, des trémolos dans la voix, le crâne couronné d’un fez. Et comme dans les films d’Hollywood, il lui baisait la main avant de l’inviter à prendre place sur un sofa de velours.
Ainsi donc, se disait-on, les Arabes qui habitaient l’écran pouvaient être, faire et vivre comme les Américains ou les Français ? Pourquoi pas nous ? Et me voilà rêvant et nous voilà songeant au jour où, nous aussi, nous attendrions au bas de l’escalier cette star au déhanchement sans pareil. C’était aussi cela l’indépendance. Nous l’imaginions à travers l’objectif de la caméra d’Henri Barakat ou de Salah Abou Seif. Nous rêvions en égyptien. Lorsque, en juillet 1952, le mouvement des Officiers libres a renversé Farouk, la chute de la monarchie a été saluée comme une Révolution par tous les peuples depuis Baghdad jusqu’à Casablanca. L’Egypte n’était plus la patrie de la danse du ventre et du cinéma chantant. Gamal Abdel Nasser, un colonel bonapartiste, et ses onze compagnons du Conseil révolutionnaire, allumaient à nouveau le phare d’Alexandrie pour guider les Arabes vers de nouveaux horizons. Mais voilà, l’horizon est un pays imaginaire dont les frontières reculent à mesure qu’on avance outefois, pour l’heure, le renversement du vieux roi, un pacha jouisseur, amateur de poker, apparaissait comme un exploit, et c’en était un, qui forçait notre émerveillement. Fébriles, nous attendions notre tour pour changer les choses chez nous. Enfin, 1954, l’histoire se déchaîne au Afrique du Nord. D’abord le Maroc et la Tunisie, puis éclate le tumulte de Novembre en Algérie. Le colonel Nasser qui, en janvier, avait escamoté son camarade, le général Mohamed Néguib, a saisi dès le départ l’importance de ce qui venait de s’engager au Maghreb. Le 27 octobre 1954, Mohamed Boudiaf, coordinateur du comité des Six qui venait de fixer, lors d’une réunion qui s’était déroulée le 23 octobre, la date du déclenchement pour le 1er Novembre à minuit, quittait Alger. Destination Le Caire avec, dans la poche, le texte fondateur de la Révolution algérienne. Dans la capitale égyptienne l’attendaient les membres de la délégation extérieure, au nombre de trois : Hocine Aït Ahmed ; Ahmed Ben Bella et Mohamed Khider. Ces trois personnalités du mouvement national, dont les deux premiers cités avaient assumé successivement la direction de l’Organisation spéciale (OS) après Mohamed Belouizdad, se trouvaient au Caire depuis le début des années 1950. Ils baignaient dans l’euphorie politique engendrée par la prise de pouvoir par les Officiers libres et vivaient les grands moments de la construction laborieuse de l’Egypte révolutionnaire, dont les moyens économiques étaient très limités au regard des immenses besoins des ambitions nassériennes de développement de son pays. C’est du Caire, de la station Sawt El Arab (La voix des Arabes) qui marquera tous les Algériens, que partira l’appel de Novembre.
Le leader des masses arabes savait tout le bénéfice-prestige qu’il allait tirer de son adhésion sans réserve à un vaste courant d’émancipation. Il aurait bien sûr souhaité assurer le parrainage direct de ce processus révolutionnaire qui enflammait les trois pays du Maghreb. Son attention se focalisera particulièrement sur l’Algérie. Tribun hors pair, Gamal Abdel Nasser galvanisera les foules et les mobilisera autour de la cause de la libération de l’Algérie à travers cet instrument qu’était Sawt El Arab, qu’il utilisera avec une rare intelligence. Il en fera une des causes principales du monde arabe et lorsque les journalistes lui demandaient jusqu’où allait « son » monde arabe, il répondait : « Jusqu’où l’on capte la voix des Arabes. » Un média d’une redoutable efficacité dont les speakers, lorsqu’ils parlaient de notre combat, ne disaient jamais « thawra el djazaïrya » (révolution algérienne) mais toujours « mouqqawama el arabya » (résistance arabe) ,une façon sans doute d’impliquer cette lutte dans un vaste processus d’affranchissement multiforme qui s’étendrait à tout les pays arabes en vue de la création d’un « watan el arabi » (nation arabe).
Il serait faux de dire que l’Egypte n’a pas apporté son soutien, dans la mesure de ses possibilités, à l’Algérie combattante. Il est vrai qu’elle nous a aidés. Et pour être juste vis-à-vis de l’histoire, tous les pays du Moyen-Orient nous ont assistés, chacun selon ses capacités. Tous, particulièrement l’Egypte, parce que l’Egypte qui faisait sa révolution était considérée comme le leader. Nous ne pouvons nier que cet apport était d’importance. Il est tout aussi injuste de dire que s’ils nous ont prêté main-forte, c’est parce qu’ils ne pouvaient pas faire autrement. Tous les peuples arabes, mais aussi africains, asiatiques, latino-américains avaient épousé la cause de la libération de l’Algérie. Il n’est qu’à se référer à la motion de soutien de la Conférence de Bandoeng (18 avril 1955) et à l’accueil réservé à notre délégation lors de cette rencontre, considérée comme l’ancêtre du Mouvement des non-alignés. Cependant, il est tout aussi absurde et aberrant de prétendre que le sang d’un Egyptien, ou autre, a coulé sur cette terre pendant la Guerre de libération. Exception faite pour les Marocains et les Tunisiens, je ne connais pas de brigades internationales engagées dans notre lutte. L’Algérie ne manquait pas d’hommes, mais d’armes ! Mais ceci est un autre problème...