Abdelmadjid Azzi vient de publier le récit de son Parcours d’un combattantde l'ALN- Wilaya III -
En refermant Parcours d’un combattant de l’ALN - Wilaya III de Abdelmadjid Azzi, le lecteur reste sur le sentiment d’avoir approché quelques aspects des plus précieux de notre guerre de libération. Au collège déjà, à peine ado, il rêvait de la «montagne» et, pendant le cours, il s’évadait à écrire aux maquisards. Et de sa toute jeune vie dans les steppes vers Djelfa, pendant la famine, le rationnement, le typhus, il retiendra cette image du vieillard gémissant de faim à la porte de la demeure.
Cela marque-t-il un enfant de remettre à un homme dans la détresse une assiette de coucous vite emplie par la mère, sans calcul et sans réfléchir, alors même qu’elle peine à assurer le quotidien à ses propres enfants ?
Cela marque-t-il un enfant de voir dans les yeux de l’homme passer une trop fugace lueur de bonheur face à ce geste ? Et de quoi l’homme fut-il reconnaissant, de l’assiette ou de l’écoute rencontrée par son appel et qui, peut-être, le retiendra de tomber tout à fait dans la désespérance ? Et dont le récit nous retiendra, nous aussi, d’y tomber.
La question n’a pas d’importance pour le vieillard affamé. Il aura été reconnaissant pour l’assiette et pour l’écoute mais elle est d’une importance capitale pour l’enfant Azzi.
Avec ses yeux d’enfant, il avait déjà relevé que cette disette ne touchait pas tout le monde.
L’opulence ostentatoire se tenait du côté des colons et de quelques-uns de leurs alliés indigènes. Et les familles ou les individus tombés dans la misère n’espéraient rien de ce côté-là. Et il ne lui faudra pas longtemps pour comprendre que cette misère, avec la faim, le froid, la maladie sans chance de soins, le gourbi insalubre, provenait de la condition coloniale. Irrésistiblement nous reviennent, si on les a lus, la Grande Maison, l’Incendie, le Métier à tisser, et la description qu’on y trouve de l’effroyable condition coloniale.
C’est par cette expérience et cette observation que le petit Abdelmadjid, saisira, encore intuitivement, que le geste de sa mère relevait de la solidarité, pas de la charité.
La nuance est de taille et l’impression sur l’enfant, profonde. Il ne nous le dit pas de cette façon, et peut-être n’en avait-il pas conscience tout à fait en écrivant son texte, mais la solidarité de sa mère constituera sa première leçon sociale ; elle deviendra politique. C’est pour cela qu’il prendra la route des premiers affrontements spontanés dans les zones de contact avec la population des colons : l’école, le sport, la rue. C’est pour cela aussi qu’il prendra ensuite la route des maquis : porter le geste de solidarité de sa mère à l’échelle de tout le pays.
La leçon de Azzi
Le geste de sa mère n’est pas qu’une incidence.
Il aurait pu être de la simple charité. Mais le tableau social que découvre sans cesse, un peu plus, Abdelmadjid Azzi lui confère un autre sens : celui de la solidarité d’une communauté, d’un peuple réduit mais qui résiste, en tout cas mentalement.
Car Azzi entre dès son jeune âge dans une résistance mentale.
Il commence à percevoir l’idée qu’il appartient à un peuple et c’est le point de bascule pour passer à la conscience nationale.
Ce n’est qu’une incidence. Désormais, il expérimentera dans ses émotions que la solidarité constitue le cœur de la résistance et de la confrontation. A l’école, sur le terrain de sport, dans la rue. Et au maquis. Finalement, le discours patriotique prend sur cette première réalité. Sa diffusion, son ancrage puis sa réussite reposent sur ces valeurs, cette valeur de solidarité. Disons qu’il ne prend pas si la société n’est pas prête depuis longtemps dans ses valeurs préservées et dans ses pratiques spontanées à le recevoir.
Abdelmadjid Azzi, depuis son jeune âge pendant lequel ses parents l’ont éveillé aux gestes de solidarité et lui ont fait découvrir la gratification morale de donner cet instant de bonheur, même fugace, au vieillard, attendait le discours politique qui offrirait à son premier engagement moral une issue et une perspective politiques. C’est une grande leçon que nous dispense Abdelmadjid Azzi et une invitation à réfléchir sur les rapports entre société et politique.
Tout au long du livre, finalement, nous découvrirons comment, dans la réalité d’une guerre terrible, les décisions politiques et militaires dépendaient de l’état d’esprit de la population, des valeurs qu’elles développaient ou auxquelles elle s’attachait. Une scène en est particulièrement significative. L’armée coloniale donne l’ordre d’évacuation aux habitants d’un village stratégique dans le dispositif de l’ALN et dans ses déplacements et sa logistique.
L’aviation bombarde le village et le détruit. Des villageois resteront pourtant sur place, dans une zone désormais interdite et dans laquelle ils deviennent des cibles de guerre. Mais leur départ aurait aussi été un désastre pour l’ALN. Mais qu’est-ce qui peut pousser des villageois à rester sur place et à courir autant de risques que les combattants, les armes en moins ? Sur des pentes escarpées jusqu’au vertige, quelque part dans les montagnes de Beni Ksila, au cœur de la forêt, dans une zone interdite sous le feu constant d’un navire de guerre et sous les bombardements réguliers de l’aviation et le pilonnage de l’artillerie, d’autres villageois sont restés. Ils ont construit des cahutes et se sont mis à une économie de survie et de subsistance minimale. Les maquisards trouveront auprès d’eux, au moins, l’exemple de la détermination, un soutien moral, de l’aide à la surveillance des mouvements ennemis et une maigre pitance.
Ce sont peut-être là des exemples extrêmes. Et cette solidarité s’est déployée sur une gamme infinie. Il fallait contourner les interdictions, les surveillances, les difficultés d’apprivoisement, faire face aux imprévus innombrables de la guerre. On se rend compte, page après page, dans le concret de l’expérience de Azzi, combien notre guerre de libération aurait été impossible sans cet élan de fond, cette solidarité sans faille, y compris après des défaillances, des retournements ou des trahisons. On comprend bien par ce livre que les maquisards n’étaient que le détachement avancé, la première ligne de feu, les hommes en mission des tâches militaires d’une immense armée que constituait le peuple. Et que, héroïsme pour héroïsme, celui des moussebiline, celui des femmes et des hommes alignés sur la place du village sous la répression et l’humiliation et qui reprendront juste après les gestes quotidiens de la lutte souterraine, n’étaient pas moindres que celui des combattants.
Ce souffle populaire qui portait les maquisards était l’élément clé du combat. L’organisation civile et militaire n’était que le moyen que s’était donné une lutte réellement populaire qui allait au-delà de cette organisation et de ses chefs...
En refermant Parcours d’un combattant de l’ALN - Wilaya III de Abdelmadjid Azzi, le lecteur reste sur le sentiment d’avoir approché quelques aspects des plus précieux de notre guerre de libération. Au collège déjà, à peine ado, il rêvait de la «montagne» et, pendant le cours, il s’évadait à écrire aux maquisards. Et de sa toute jeune vie dans les steppes vers Djelfa, pendant la famine, le rationnement, le typhus, il retiendra cette image du vieillard gémissant de faim à la porte de la demeure.
Cela marque-t-il un enfant de remettre à un homme dans la détresse une assiette de coucous vite emplie par la mère, sans calcul et sans réfléchir, alors même qu’elle peine à assurer le quotidien à ses propres enfants ?
Cela marque-t-il un enfant de voir dans les yeux de l’homme passer une trop fugace lueur de bonheur face à ce geste ? Et de quoi l’homme fut-il reconnaissant, de l’assiette ou de l’écoute rencontrée par son appel et qui, peut-être, le retiendra de tomber tout à fait dans la désespérance ? Et dont le récit nous retiendra, nous aussi, d’y tomber.
La question n’a pas d’importance pour le vieillard affamé. Il aura été reconnaissant pour l’assiette et pour l’écoute mais elle est d’une importance capitale pour l’enfant Azzi.
Avec ses yeux d’enfant, il avait déjà relevé que cette disette ne touchait pas tout le monde.
L’opulence ostentatoire se tenait du côté des colons et de quelques-uns de leurs alliés indigènes. Et les familles ou les individus tombés dans la misère n’espéraient rien de ce côté-là. Et il ne lui faudra pas longtemps pour comprendre que cette misère, avec la faim, le froid, la maladie sans chance de soins, le gourbi insalubre, provenait de la condition coloniale. Irrésistiblement nous reviennent, si on les a lus, la Grande Maison, l’Incendie, le Métier à tisser, et la description qu’on y trouve de l’effroyable condition coloniale.
C’est par cette expérience et cette observation que le petit Abdelmadjid, saisira, encore intuitivement, que le geste de sa mère relevait de la solidarité, pas de la charité.
La nuance est de taille et l’impression sur l’enfant, profonde. Il ne nous le dit pas de cette façon, et peut-être n’en avait-il pas conscience tout à fait en écrivant son texte, mais la solidarité de sa mère constituera sa première leçon sociale ; elle deviendra politique. C’est pour cela qu’il prendra la route des premiers affrontements spontanés dans les zones de contact avec la population des colons : l’école, le sport, la rue. C’est pour cela aussi qu’il prendra ensuite la route des maquis : porter le geste de solidarité de sa mère à l’échelle de tout le pays.
La leçon de Azzi
Le geste de sa mère n’est pas qu’une incidence.
Il aurait pu être de la simple charité. Mais le tableau social que découvre sans cesse, un peu plus, Abdelmadjid Azzi lui confère un autre sens : celui de la solidarité d’une communauté, d’un peuple réduit mais qui résiste, en tout cas mentalement.
Car Azzi entre dès son jeune âge dans une résistance mentale.
Il commence à percevoir l’idée qu’il appartient à un peuple et c’est le point de bascule pour passer à la conscience nationale.
Ce n’est qu’une incidence. Désormais, il expérimentera dans ses émotions que la solidarité constitue le cœur de la résistance et de la confrontation. A l’école, sur le terrain de sport, dans la rue. Et au maquis. Finalement, le discours patriotique prend sur cette première réalité. Sa diffusion, son ancrage puis sa réussite reposent sur ces valeurs, cette valeur de solidarité. Disons qu’il ne prend pas si la société n’est pas prête depuis longtemps dans ses valeurs préservées et dans ses pratiques spontanées à le recevoir.
Abdelmadjid Azzi, depuis son jeune âge pendant lequel ses parents l’ont éveillé aux gestes de solidarité et lui ont fait découvrir la gratification morale de donner cet instant de bonheur, même fugace, au vieillard, attendait le discours politique qui offrirait à son premier engagement moral une issue et une perspective politiques. C’est une grande leçon que nous dispense Abdelmadjid Azzi et une invitation à réfléchir sur les rapports entre société et politique.
Tout au long du livre, finalement, nous découvrirons comment, dans la réalité d’une guerre terrible, les décisions politiques et militaires dépendaient de l’état d’esprit de la population, des valeurs qu’elles développaient ou auxquelles elle s’attachait. Une scène en est particulièrement significative. L’armée coloniale donne l’ordre d’évacuation aux habitants d’un village stratégique dans le dispositif de l’ALN et dans ses déplacements et sa logistique.
L’aviation bombarde le village et le détruit. Des villageois resteront pourtant sur place, dans une zone désormais interdite et dans laquelle ils deviennent des cibles de guerre. Mais leur départ aurait aussi été un désastre pour l’ALN. Mais qu’est-ce qui peut pousser des villageois à rester sur place et à courir autant de risques que les combattants, les armes en moins ? Sur des pentes escarpées jusqu’au vertige, quelque part dans les montagnes de Beni Ksila, au cœur de la forêt, dans une zone interdite sous le feu constant d’un navire de guerre et sous les bombardements réguliers de l’aviation et le pilonnage de l’artillerie, d’autres villageois sont restés. Ils ont construit des cahutes et se sont mis à une économie de survie et de subsistance minimale. Les maquisards trouveront auprès d’eux, au moins, l’exemple de la détermination, un soutien moral, de l’aide à la surveillance des mouvements ennemis et une maigre pitance.
Ce sont peut-être là des exemples extrêmes. Et cette solidarité s’est déployée sur une gamme infinie. Il fallait contourner les interdictions, les surveillances, les difficultés d’apprivoisement, faire face aux imprévus innombrables de la guerre. On se rend compte, page après page, dans le concret de l’expérience de Azzi, combien notre guerre de libération aurait été impossible sans cet élan de fond, cette solidarité sans faille, y compris après des défaillances, des retournements ou des trahisons. On comprend bien par ce livre que les maquisards n’étaient que le détachement avancé, la première ligne de feu, les hommes en mission des tâches militaires d’une immense armée que constituait le peuple. Et que, héroïsme pour héroïsme, celui des moussebiline, celui des femmes et des hommes alignés sur la place du village sous la répression et l’humiliation et qui reprendront juste après les gestes quotidiens de la lutte souterraine, n’étaient pas moindres que celui des combattants.
Ce souffle populaire qui portait les maquisards était l’élément clé du combat. L’organisation civile et militaire n’était que le moyen que s’était donné une lutte réellement populaire qui allait au-delà de cette organisation et de ses chefs...