Kidal, 49ème wilaya d’Algérie
«Quand je parle du nord du Mali, c’est comme si je parlais de l’Algérie. Gao, Tessalit et Kidal sont pour moi la dernière wilaya de votre pays», a déclaré le président malien Amadou Toumani Touré au quotidien El Watan. (1)
Il a joute: «Ce sont des régions très pauvres. Il n’y a pas de routes, de centres de santé, d’écoles, de puits, de structures de base pour la vie quotidienne. En fait, il n’y a rien. Un jeune de cette région n’a aucune chance de pouvoir se marier ou réussir sa vie, sauf peut-être de voler une voiture ou de rejoindre les contrebandiers. Alors, donnons-leur une chance pour qu’ils ne prennent pas les armes. Je n’ai pas manqué de dire à mes amis algériens de ne pas oublier que cette région est une wilaya de votre pays vu les relations étroites qui lient nos deux populations. Il faut qu’il y ait une vaste coopération dans le domaine du développement, qui reste la seule parade contre toutes les menaces… Pour gérer ces menaces, il faut que l’Algérie sache qu’elle a une wilaya de plus qui est Kidal.» (2)
Cette étonnante déclaration du président malien n’a suscité aucune réaction d’une classe politique algérienne comateuse, ni aucun commentaire d’une presse qui évoque souvent terrorisme et contrebande dans cette région du Sahel… sans jamais y mettre les pieds. Il est temps de faire une virée dans cette 49ème Wilaya d’Algérie.
Entrée libre au pays Touareg
On peut accéder au nord du Mali par trois villes frontalières. Borj Baji Mohktar, Timiaouine et Tinzaouatine distantes chacune de près de 700 kms de Tamanrasset. A part une centaine de kms goudronnée de Tamanrasset à Silet, le reste des parcours est constitué de pistes mal bornées et peu fréquentées dans un désert hostile. En dehors de ces pistes conventionnelles, il n’est pas du tout recommandé de s’aventurer sur les 1376 km de la frontière algéro-malienne héritée de la colonisation, sans aucun «accident géographique», dans le désert du Tanezrouft. (3)
La puissance coloniale avait arbitrairement coupé le pays Touareg en fonction des points d’eau, zones de pâturage et tribus. C’est ainsi que des «frontières artificielles et administratives» ont séparé les «territoires de parcours» des Touaregs Ihaggaren et Ajjer pour l’Algérie, des Touaregs des Ifoghas et Azawed au Mali, et ceux de l’Aïr au Niger. (4)
En vertu du fait accompli colonial, les Touaregs ont obtenu le droit de traverser librement «les frontières de leur pays». Il est difficile de faire autrement quand on sait que beaucoup d’entre eux n’ont aucun papier d’identité. Alors qu’une grande partie de ceux installés en Algérie se sont fait établir de faux papiers d’identité. C’est ainsi que lorsqu’on approche de la frontière algéro-malienne, on est surpris par la liberté de circulation. Chacun est libre de se présenter ou non aux postes de la police aux frontières ou aux douanes, aussi bien du côté algérien que malien. Lorsqu’on pénètre en territoire malien, on peut même cacheter son passeport dans n’importe quelle ville jusqu’à Gao ou Tombouctou à l’entrée comme à la sortie. On peut même choisir une date selon sa convenance moyennant un supplément.
La ville frontalière la plus fréquentée par les personnes et les marchandises est Borj Baji Mokhtar distante de 17kms du village malien de Khalil, creuset de tous les trafics et toutes les transactions à l’abri des regards des autorités qui ferment ostensiblement les yeux. Depuis Khalil on peut accéder aux trois régions du nord Mali à dominante Touareg : Kidal, Gao et Tombouctou. Peuplées essentiellement d’éleveurs nomades Touaregs et Okba-Kounta et de commerçants Maures, ces régions sont de plus en plus envahies par les ethnies noires venant du sud du fleuve Niger, notamment les Sonraï et les Bambara.
Tous les Touaregs rencontrés dans les villages de Tessalit, Aguelhok, Kidal affirment : «nous sommes des Algériens». Joignant le geste à la parole, ils exhibent leurs papiers d’identité et les cartes grises de leurs véhicules immatriculés en Algérie. Si on organisait maintenant un référendum d’autodétermination, la majorité voterait pour une intégration à l’Algérie. Lorsqu’on parcourt les 900kms qui relient Borj Baji Mokhtar à Gao en passant par Kidal, c’est comme si on faisait un voyage dans le temps. Ces régions ont 40 ans de retard sur l’Algérie.
Pas de route goudronnée, pas de poteaux électriques, des constructions sommaires en terre, etc… L’aveu du président malien ATT est vérifié : le gouvernement malien n’a pratiquement rien fait pour ces régions… et le gouvernement algérien non plus.
Tamanrasset entre tourisme et dépotoir commercial
Pratiquement toutes les marchandises commercialisées au nord Mali proviennent d’Algérie. Une partie est déclarée à la douane algérienne dans le cadre des échanges par troc ou d’opération d’exportation par «passavant». Mais en raison des tracasseries douanières et du bakchich, la majeure partie des marchandises passe la frontière sans déclaration. En fait, c’est un pourcentage non négligeable de la production nationale qui est exporté. Dans cette immense brousse d’élevage sans agriculture et sans industrie, les produits algériens assurent la survie des populations. L’absence de route goudronnée jusqu’aux frontières a défiguré la ville de Tamanrasset en la transformant en «dernier dépotoir commercial», alors qu’elle est prédestinée à être un haut lieu du tourisme mondial. Un nombre incalculable de dépôts commerciaux se sont créés pour stocker les marchandises en transit vers le Niger et le Mali. Les commerçants et les éleveurs nomades de ces pays viennent régulièrement s’approvisionner avec leurs camions et Toyota bâchées.
Dans le grand projet de la Transsaharienne lancé par Boumediene, seul le goudronnage de la route Tamanrasset-In Guezzam va bientôt être réceptionné. Mais le projet de goudronnage de la route menant à Borj Baji Mokhtar depuis Reggane n’a pas encore été réalisé et celui de Tamanrasset n’est même pas budgété.
Pour l’Algérie, il devient urgent et vital d’achever ce projet de Transsaharienne pour créer des comptoirs commerciaux en zone franche à Borj Baji Mokhtar, Timiaouine et In Guezzam afin d’aider au développement du pays Touareg au Mali et au Niger et mettre fin à la rébellion, la contrebande et au terrorisme. (5)
Il est historiquement utile de rappeler qu’avant la colonisation, la ville de Tamanrasset n’existait pas. Elle fut crée en 1905 par le
moine-soldat Charles de Foucauld qui construisit sa chapelle près de l’oued Tamanrasset. Les comptoirs commerciaux entre l’Afrique blanche au nord du Sahara et l’Afrique noire se situaient dans les villes Touaregs de Tombouctou, Gao, Agadez, ….
Les walis et la rente du carburant
Parmi les marchandises exportées, il y en a une qui fait l’objet d’un trafic insensé organisé par et pour les notables du régime algérien, c’est le carburant qui alimente tout le Nord du Mali. Le carburant de Naftal est fourni par des contrebandiers aux centrales électriques de Tessalit, Agelhok, Kidal, et à une multitude de magasins de détails qui le revendent par jerrycan pour les voitures ou bouteilles pour les motos. Dans toute la région Nord, il n’y a qu’une seule station service à Kidal… fermée la plupart du temps. Les deux «ordonnateurs de la rente» de la fraude de carburant sont les walis d’Adrar, Messaoud Jari et de Tamanrasset, Abderrahmane Boubakar. (6)
Lorsque Jari était en poste à Tamanrasset, il a bloqué plusieurs projets de stations service qui avaient pourtant obtenu l’agrément du ministère de l’Energie. Deux stations réalisées à In Salah et Tamanrasset et prêtes au service n’ont toujours pas obtenu l’autorisation de vendre le carburant. D’autres attendent toujours la délivrance du permis de construire. Par contre, Jari a facilité l’ouverture de trois stations à In Guezzam pour un député FLN et le fameux contrebandier Hadj Bettou, ainsi qu’un certain Moulay El Qaïm utilisé comme prête-nom. Lorsque Jari a été muté à Adrar, ce même Moulay El Qaïm l’a suivi pour réaliser deux stations à Borj Baji Mokhtar et au km 400 sur la route de Reggane, et a obtenu l’agrément pour réaliser une 4ème station à Timiaouine. La livraison de carburant dans les wilayas d’Adrar et Tamanrasset s’effectue par convois de la compagnie Naftal une fois par mois. Lorsque les convois démarrent d’Adrar ou d’In Salah, le réseau téléphonique est saturé d’appels et une procession de véhicules chargés de fûts vides démarre du Mali et du Niger. Les deux walis sont tellement préoccupés par la maximisation de la rente du carburant qu’ils ont transformé les chefs de daïra de Borj Baji Mokhtar, Tinzaouatine, In Guezzam en «pompistes» chargés de gérer le quota de carburant qu’ils réservent dans les stations Naftal aux habitants autochtones en leur délivrant des bons de rationnement drastique de 140l/mois. Les stations d’In Guezzam et de Borj ne servent le carburant qu’au «prix rentier», de 10.000 DA le fût de 200l pour le gas-oil, et 12.000 DA pour l’essence, soit 50à 60 DA/l, alors que le prix à la pompe est de 13.70 DA et 22 DA. Au Mali, le gas-oil est revendu en détail à 100 DA/l, et l’essence à 120 DA/l. La rente du carburant varie donc de 80 à 100 DA, partagée entre les «grossistes» algériens et les revendeurs maliens. Lorsque la population locale proteste, Moulay el Qaïm crie à tue-tête qu’il n’est pas le seul à encaisser et donne même le pourcentage des parts attribuées à chaque dépositaire d’une autorité. La récente révolte populaire de Tinzaouatine camouflée par la presse sous prétexte d’immigration clandestine, concernait en fait le rationnement de carburant. Les autorités ont rapidement et discrètement relevé de ses fonctions le chef de daïra trop gourmand. Pour mieux voir l’organisation de la fraude, il suffit de se poster à Khalil où défilent carrément des camions citernes. Le plus gros gestionnaire de ce trafic est un certain Mohamed Ag X, connu de tous les revendeurs jusqu’à Gao. Le nord du Mali est paralysé et sous-développé par la cherté du carburant. Les stations électrique de Tessalit et Agelhok ne fonctionnent que 2h/jour. Celle de Kidal H24, mais à un coût exorbitant, alors qu’elle n’a besoin que de 70.000 litres/
mois, soit deux camions citernes. En outre la bouteille de gaz cédée 200 DA sur le marché algérien est revendue 1200 DA au Mali, et jusqu’à 2000 DA en période de tension. La cherté du gaz accentue la désertification en raison de l’utilisation du bois comme combustible. La première question qui se pose est «pourquoi la société Naftal ne livre-t-elle pas le carburant et le gaz directement au Mali?». Le préfet de Kidal et un diplomate algérien répondent : «la demande a été faite du côté malien… mais sans réponse du côté algérien». Effectivement, avec une telle rente qui va directement et si facilement dans les poches des notables du régime algérien, pourquoi en faire profiter Naftal, se soucier du développement du Mali et oeuvrer pour la paix ?
Contrebande, fraude, immigration, exode
Le sous-développement malien et l’absence totale de coopération économique algérienne poussent les Touaregs à la rébellion, la délinquance et l’exode. Dans un Sahara immense et hostile, personne ne peut s’aventurer sans les guides Touaregs, même les armées. Albert Camus les avait défini ainsi: «Depuis toujours, sur la terre sèche, raclée jusqu'à l'os, de ce pays démesuré, quelques hommes cheminaient sans trêve. Ils ne possédaient rien, mais ne servaient personne. Seigneurs misérables et libres d'un étrange royaume». Autrefois avec les caravanes chamelières et aujourd’hui avec les Toyota 4×4, la relation intime des Touaregs avec le désert est bien étrange. Alors qu’ils n’ont pas été à l’école, ni appris la mécanique nulle part, ils ne craignent pas de tomber en panne. Ils démontent des moteurs, des boîtes à vitesse, des ponts. Certains ont même fabriqué des pièces en plein désert avec des boîtes de conserve coupées au couteau, fondues à la braise et limées à la pierre. Les sceptiques n’ont qu’à rendre visite aux artisans Maâlmine de Tahagart et Sorro à Tamanrasset pour le constater de visu. Les Touaregs qui ont abandonné l’élevage, à cause des rébellions et des sécheresses à répétition, se sont convertis dans le transport d’immigrés clandestins ou de marchandises prohibées comme la drogue, cigarettes, armes, munitions. Attirés par le gain facile, de nombreux jeunes éleveurs n’ont pas hésité à vendre leurs cheptels pour s’offrir les fameuses Toyota Station qui coûtent 3 millions de DA. On les voit circuler à longueur de journée à Tamanrasset ou Borj Baji Mokhtar en attendant des ordres de livraison et sans s’inquiéter pour le carburant. Les commanditaires de la fraude n’en ont jamais manqué. Dans un tel contexte les jonctions et la collaboration avec des groupes terroristes sont évidentes. Quant aux Touaregs de la région de Kidal qui ne veulent pas exercer d’activités prohibées, ils se résignent les uns après les autres à l’exode vers l’Algérie par familles entières et ce depuis l’indépendance. Une accélération de cet exode a récemment été remarquée depuis l’annonce de deux informations importantes : la réalisation de la conduite d’eau In Salah-Tamanrasset et la découverte d’un méga gisement de gaz à Reggane. Même des notables, las d’attendre une amélioration, émigrent à Tamanrasset pour fuir la rébellion, avoir une meilleure qualité de vie et scolariser leurs enfants.
Hama Ag Sid Ahmed, porte-parole de l’Alliance Touareg Niger-Mali (ATNM) confirme : «Nous nous trouvons dans un contexte similaire à celui de 1990 où beaucoup de Touareg se replient sur eux-mêmes et ne croient plus à un changement possible… Le message est simple. Que les populations puissent se rendre compte de l’existence des Etats qui les abritent, par des actions de développement concrètes qui tiennent compte de l’environnement, une prise en compte de l’avenir de leurs enfants.» (7)
Pour les autorités maliennes et algériennes, les solutions sautent pourtant aux yeux. L’arrêt de la rébellion et de l’exode ne peut être obtenu que par une coopération économique étroite, une aide au développement par l’énergie et les travaux publics, et l’instauration d’une zone franche. Quant à la fraude et au terrorisme, une simple saisie des Toyota Station et la coupure des téléphones satellitaires Thuraya suffiront à réduire considérablement leur activité, voire à l’anéantir. Il est d’ailleurs difficile de comprendre comment ces deux «armes de guerre» peuvent encore être commercialisées librement. Certainement une volonté délibérée de nuire à l’Algérie. ..
«Quand je parle du nord du Mali, c’est comme si je parlais de l’Algérie. Gao, Tessalit et Kidal sont pour moi la dernière wilaya de votre pays», a déclaré le président malien Amadou Toumani Touré au quotidien El Watan. (1)
Il a joute: «Ce sont des régions très pauvres. Il n’y a pas de routes, de centres de santé, d’écoles, de puits, de structures de base pour la vie quotidienne. En fait, il n’y a rien. Un jeune de cette région n’a aucune chance de pouvoir se marier ou réussir sa vie, sauf peut-être de voler une voiture ou de rejoindre les contrebandiers. Alors, donnons-leur une chance pour qu’ils ne prennent pas les armes. Je n’ai pas manqué de dire à mes amis algériens de ne pas oublier que cette région est une wilaya de votre pays vu les relations étroites qui lient nos deux populations. Il faut qu’il y ait une vaste coopération dans le domaine du développement, qui reste la seule parade contre toutes les menaces… Pour gérer ces menaces, il faut que l’Algérie sache qu’elle a une wilaya de plus qui est Kidal.» (2)
Cette étonnante déclaration du président malien n’a suscité aucune réaction d’une classe politique algérienne comateuse, ni aucun commentaire d’une presse qui évoque souvent terrorisme et contrebande dans cette région du Sahel… sans jamais y mettre les pieds. Il est temps de faire une virée dans cette 49ème Wilaya d’Algérie.
Entrée libre au pays Touareg
On peut accéder au nord du Mali par trois villes frontalières. Borj Baji Mohktar, Timiaouine et Tinzaouatine distantes chacune de près de 700 kms de Tamanrasset. A part une centaine de kms goudronnée de Tamanrasset à Silet, le reste des parcours est constitué de pistes mal bornées et peu fréquentées dans un désert hostile. En dehors de ces pistes conventionnelles, il n’est pas du tout recommandé de s’aventurer sur les 1376 km de la frontière algéro-malienne héritée de la colonisation, sans aucun «accident géographique», dans le désert du Tanezrouft. (3)
La puissance coloniale avait arbitrairement coupé le pays Touareg en fonction des points d’eau, zones de pâturage et tribus. C’est ainsi que des «frontières artificielles et administratives» ont séparé les «territoires de parcours» des Touaregs Ihaggaren et Ajjer pour l’Algérie, des Touaregs des Ifoghas et Azawed au Mali, et ceux de l’Aïr au Niger. (4)
En vertu du fait accompli colonial, les Touaregs ont obtenu le droit de traverser librement «les frontières de leur pays». Il est difficile de faire autrement quand on sait que beaucoup d’entre eux n’ont aucun papier d’identité. Alors qu’une grande partie de ceux installés en Algérie se sont fait établir de faux papiers d’identité. C’est ainsi que lorsqu’on approche de la frontière algéro-malienne, on est surpris par la liberté de circulation. Chacun est libre de se présenter ou non aux postes de la police aux frontières ou aux douanes, aussi bien du côté algérien que malien. Lorsqu’on pénètre en territoire malien, on peut même cacheter son passeport dans n’importe quelle ville jusqu’à Gao ou Tombouctou à l’entrée comme à la sortie. On peut même choisir une date selon sa convenance moyennant un supplément.
La ville frontalière la plus fréquentée par les personnes et les marchandises est Borj Baji Mokhtar distante de 17kms du village malien de Khalil, creuset de tous les trafics et toutes les transactions à l’abri des regards des autorités qui ferment ostensiblement les yeux. Depuis Khalil on peut accéder aux trois régions du nord Mali à dominante Touareg : Kidal, Gao et Tombouctou. Peuplées essentiellement d’éleveurs nomades Touaregs et Okba-Kounta et de commerçants Maures, ces régions sont de plus en plus envahies par les ethnies noires venant du sud du fleuve Niger, notamment les Sonraï et les Bambara.
Tous les Touaregs rencontrés dans les villages de Tessalit, Aguelhok, Kidal affirment : «nous sommes des Algériens». Joignant le geste à la parole, ils exhibent leurs papiers d’identité et les cartes grises de leurs véhicules immatriculés en Algérie. Si on organisait maintenant un référendum d’autodétermination, la majorité voterait pour une intégration à l’Algérie. Lorsqu’on parcourt les 900kms qui relient Borj Baji Mokhtar à Gao en passant par Kidal, c’est comme si on faisait un voyage dans le temps. Ces régions ont 40 ans de retard sur l’Algérie.
Pas de route goudronnée, pas de poteaux électriques, des constructions sommaires en terre, etc… L’aveu du président malien ATT est vérifié : le gouvernement malien n’a pratiquement rien fait pour ces régions… et le gouvernement algérien non plus.
Tamanrasset entre tourisme et dépotoir commercial
Pratiquement toutes les marchandises commercialisées au nord Mali proviennent d’Algérie. Une partie est déclarée à la douane algérienne dans le cadre des échanges par troc ou d’opération d’exportation par «passavant». Mais en raison des tracasseries douanières et du bakchich, la majeure partie des marchandises passe la frontière sans déclaration. En fait, c’est un pourcentage non négligeable de la production nationale qui est exporté. Dans cette immense brousse d’élevage sans agriculture et sans industrie, les produits algériens assurent la survie des populations. L’absence de route goudronnée jusqu’aux frontières a défiguré la ville de Tamanrasset en la transformant en «dernier dépotoir commercial», alors qu’elle est prédestinée à être un haut lieu du tourisme mondial. Un nombre incalculable de dépôts commerciaux se sont créés pour stocker les marchandises en transit vers le Niger et le Mali. Les commerçants et les éleveurs nomades de ces pays viennent régulièrement s’approvisionner avec leurs camions et Toyota bâchées.
Dans le grand projet de la Transsaharienne lancé par Boumediene, seul le goudronnage de la route Tamanrasset-In Guezzam va bientôt être réceptionné. Mais le projet de goudronnage de la route menant à Borj Baji Mokhtar depuis Reggane n’a pas encore été réalisé et celui de Tamanrasset n’est même pas budgété.
Pour l’Algérie, il devient urgent et vital d’achever ce projet de Transsaharienne pour créer des comptoirs commerciaux en zone franche à Borj Baji Mokhtar, Timiaouine et In Guezzam afin d’aider au développement du pays Touareg au Mali et au Niger et mettre fin à la rébellion, la contrebande et au terrorisme. (5)
Il est historiquement utile de rappeler qu’avant la colonisation, la ville de Tamanrasset n’existait pas. Elle fut crée en 1905 par le
moine-soldat Charles de Foucauld qui construisit sa chapelle près de l’oued Tamanrasset. Les comptoirs commerciaux entre l’Afrique blanche au nord du Sahara et l’Afrique noire se situaient dans les villes Touaregs de Tombouctou, Gao, Agadez, ….
Les walis et la rente du carburant
Parmi les marchandises exportées, il y en a une qui fait l’objet d’un trafic insensé organisé par et pour les notables du régime algérien, c’est le carburant qui alimente tout le Nord du Mali. Le carburant de Naftal est fourni par des contrebandiers aux centrales électriques de Tessalit, Agelhok, Kidal, et à une multitude de magasins de détails qui le revendent par jerrycan pour les voitures ou bouteilles pour les motos. Dans toute la région Nord, il n’y a qu’une seule station service à Kidal… fermée la plupart du temps. Les deux «ordonnateurs de la rente» de la fraude de carburant sont les walis d’Adrar, Messaoud Jari et de Tamanrasset, Abderrahmane Boubakar. (6)
Lorsque Jari était en poste à Tamanrasset, il a bloqué plusieurs projets de stations service qui avaient pourtant obtenu l’agrément du ministère de l’Energie. Deux stations réalisées à In Salah et Tamanrasset et prêtes au service n’ont toujours pas obtenu l’autorisation de vendre le carburant. D’autres attendent toujours la délivrance du permis de construire. Par contre, Jari a facilité l’ouverture de trois stations à In Guezzam pour un député FLN et le fameux contrebandier Hadj Bettou, ainsi qu’un certain Moulay El Qaïm utilisé comme prête-nom. Lorsque Jari a été muté à Adrar, ce même Moulay El Qaïm l’a suivi pour réaliser deux stations à Borj Baji Mokhtar et au km 400 sur la route de Reggane, et a obtenu l’agrément pour réaliser une 4ème station à Timiaouine. La livraison de carburant dans les wilayas d’Adrar et Tamanrasset s’effectue par convois de la compagnie Naftal une fois par mois. Lorsque les convois démarrent d’Adrar ou d’In Salah, le réseau téléphonique est saturé d’appels et une procession de véhicules chargés de fûts vides démarre du Mali et du Niger. Les deux walis sont tellement préoccupés par la maximisation de la rente du carburant qu’ils ont transformé les chefs de daïra de Borj Baji Mokhtar, Tinzaouatine, In Guezzam en «pompistes» chargés de gérer le quota de carburant qu’ils réservent dans les stations Naftal aux habitants autochtones en leur délivrant des bons de rationnement drastique de 140l/mois. Les stations d’In Guezzam et de Borj ne servent le carburant qu’au «prix rentier», de 10.000 DA le fût de 200l pour le gas-oil, et 12.000 DA pour l’essence, soit 50à 60 DA/l, alors que le prix à la pompe est de 13.70 DA et 22 DA. Au Mali, le gas-oil est revendu en détail à 100 DA/l, et l’essence à 120 DA/l. La rente du carburant varie donc de 80 à 100 DA, partagée entre les «grossistes» algériens et les revendeurs maliens. Lorsque la population locale proteste, Moulay el Qaïm crie à tue-tête qu’il n’est pas le seul à encaisser et donne même le pourcentage des parts attribuées à chaque dépositaire d’une autorité. La récente révolte populaire de Tinzaouatine camouflée par la presse sous prétexte d’immigration clandestine, concernait en fait le rationnement de carburant. Les autorités ont rapidement et discrètement relevé de ses fonctions le chef de daïra trop gourmand. Pour mieux voir l’organisation de la fraude, il suffit de se poster à Khalil où défilent carrément des camions citernes. Le plus gros gestionnaire de ce trafic est un certain Mohamed Ag X, connu de tous les revendeurs jusqu’à Gao. Le nord du Mali est paralysé et sous-développé par la cherté du carburant. Les stations électrique de Tessalit et Agelhok ne fonctionnent que 2h/jour. Celle de Kidal H24, mais à un coût exorbitant, alors qu’elle n’a besoin que de 70.000 litres/
mois, soit deux camions citernes. En outre la bouteille de gaz cédée 200 DA sur le marché algérien est revendue 1200 DA au Mali, et jusqu’à 2000 DA en période de tension. La cherté du gaz accentue la désertification en raison de l’utilisation du bois comme combustible. La première question qui se pose est «pourquoi la société Naftal ne livre-t-elle pas le carburant et le gaz directement au Mali?». Le préfet de Kidal et un diplomate algérien répondent : «la demande a été faite du côté malien… mais sans réponse du côté algérien». Effectivement, avec une telle rente qui va directement et si facilement dans les poches des notables du régime algérien, pourquoi en faire profiter Naftal, se soucier du développement du Mali et oeuvrer pour la paix ?
Contrebande, fraude, immigration, exode
Le sous-développement malien et l’absence totale de coopération économique algérienne poussent les Touaregs à la rébellion, la délinquance et l’exode. Dans un Sahara immense et hostile, personne ne peut s’aventurer sans les guides Touaregs, même les armées. Albert Camus les avait défini ainsi: «Depuis toujours, sur la terre sèche, raclée jusqu'à l'os, de ce pays démesuré, quelques hommes cheminaient sans trêve. Ils ne possédaient rien, mais ne servaient personne. Seigneurs misérables et libres d'un étrange royaume». Autrefois avec les caravanes chamelières et aujourd’hui avec les Toyota 4×4, la relation intime des Touaregs avec le désert est bien étrange. Alors qu’ils n’ont pas été à l’école, ni appris la mécanique nulle part, ils ne craignent pas de tomber en panne. Ils démontent des moteurs, des boîtes à vitesse, des ponts. Certains ont même fabriqué des pièces en plein désert avec des boîtes de conserve coupées au couteau, fondues à la braise et limées à la pierre. Les sceptiques n’ont qu’à rendre visite aux artisans Maâlmine de Tahagart et Sorro à Tamanrasset pour le constater de visu. Les Touaregs qui ont abandonné l’élevage, à cause des rébellions et des sécheresses à répétition, se sont convertis dans le transport d’immigrés clandestins ou de marchandises prohibées comme la drogue, cigarettes, armes, munitions. Attirés par le gain facile, de nombreux jeunes éleveurs n’ont pas hésité à vendre leurs cheptels pour s’offrir les fameuses Toyota Station qui coûtent 3 millions de DA. On les voit circuler à longueur de journée à Tamanrasset ou Borj Baji Mokhtar en attendant des ordres de livraison et sans s’inquiéter pour le carburant. Les commanditaires de la fraude n’en ont jamais manqué. Dans un tel contexte les jonctions et la collaboration avec des groupes terroristes sont évidentes. Quant aux Touaregs de la région de Kidal qui ne veulent pas exercer d’activités prohibées, ils se résignent les uns après les autres à l’exode vers l’Algérie par familles entières et ce depuis l’indépendance. Une accélération de cet exode a récemment été remarquée depuis l’annonce de deux informations importantes : la réalisation de la conduite d’eau In Salah-Tamanrasset et la découverte d’un méga gisement de gaz à Reggane. Même des notables, las d’attendre une amélioration, émigrent à Tamanrasset pour fuir la rébellion, avoir une meilleure qualité de vie et scolariser leurs enfants.
Hama Ag Sid Ahmed, porte-parole de l’Alliance Touareg Niger-Mali (ATNM) confirme : «Nous nous trouvons dans un contexte similaire à celui de 1990 où beaucoup de Touareg se replient sur eux-mêmes et ne croient plus à un changement possible… Le message est simple. Que les populations puissent se rendre compte de l’existence des Etats qui les abritent, par des actions de développement concrètes qui tiennent compte de l’environnement, une prise en compte de l’avenir de leurs enfants.» (7)
Pour les autorités maliennes et algériennes, les solutions sautent pourtant aux yeux. L’arrêt de la rébellion et de l’exode ne peut être obtenu que par une coopération économique étroite, une aide au développement par l’énergie et les travaux publics, et l’instauration d’une zone franche. Quant à la fraude et au terrorisme, une simple saisie des Toyota Station et la coupure des téléphones satellitaires Thuraya suffiront à réduire considérablement leur activité, voire à l’anéantir. Il est d’ailleurs difficile de comprendre comment ces deux «armes de guerre» peuvent encore être commercialisées librement. Certainement une volonté délibérée de nuire à l’Algérie. ..