Un ambassadeur pas comme les autres
Ahmed Ould Souilem (à g.) reçu par le roi Mohammed VI, le 30 juillet 2009 à Tanger.
HO/AP/SIPA Le royaume chérifien a demandé à l’Espagne d’accréditer comme ambassadeur Ahmed Ould Souilem, ancien membre fondateur du Polisario.
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Le 10 avril, le quotidien espagnol El País a jeté un pavé dans la mare en révélant le nom du probable futur ambassadeur du Maroc en Espagne : Ahmed Ould Souilem. Ancien membre fondateur du Polisario, l’homme a rallié le Maroc en juillet 2009. Depuis, il n’a de cesse de défendre la proposition marocaine d’autonomie et de dénoncer la situation humanitaire dans les camps.
Pour le royaume chérifien, c’est un joli coup diplomatique, qui requiert plusieurs lectures. Le premier message s’adresse à l’opinion publique espagnole. Influencés par les lobbies pro-Polisario, très présents dans la péninsule Ibérique, les Espagnols avaient manifesté de la sympathie à l’égard de la militante sahraouie Aminatou Haidar lors de sa grève de la faim en décembre 2009. « La nomination d’Ould Souilem permettrait de médiatiser la complexité de l’affaire du Sahara et de montrer à une opinion publique inégalement informée que tous les Sahraouis ne défendent pas les thèses du Polisario, et que même les plus engagés peuvent changer d’avis », explique une source marocaine proche du dossier. La parole d’Ould Souilem, cadre dirigeant du mouvement pendant plus de trente ans, a un poids non négligeable. Lors de l’affaire Aminatou Haidar, il avait d’ailleurs écumé les plateaux de télévision espagnols pour expliquer que la militante était « l’otage de l’Algérie et du Polisario, qui la manipulent dans le cadre d’une vile stratégie visant à faire avorter l’audacieuse proposition marocaine d’autonomie ».
Le choix d’Ould Souilem rappelle aussi aux Sahraouis que la patrie marocaine est non seulement « clémente et miséricordieuse », comme le disait Hassan II en 1988, mais encore qu’elle sait accorder sa confiance aux transfuges du mouvement séparatiste et leur faire une place à des postes à responsabilité. Pour le Polisario, cette nomination est un coup dur, car il perd là un dirigeant à la fois politique, tribal et historique. Alors que plus de 80 personnes ont récemment quitté les camps de Tindouf pour rejoindre le Maroc (plus de 8 000 sont rentrées depuis 1988), le Front paraît plus que jamais en perte de vitesse.
Nomination en suspens
Né en 1951 à Dakhla, Ould Souilem appartient à la très influente tribu des Ouled Dlim. Membre fondateur du Polisario dès 1975, il est chargé de l’action diplomatique du mouvement. Entre 1977 et 1985, il représente le Front en Guinée-Bissau, au Panamà, en Angola et en Iran. Il réintègre ensuite les sphères dirigeantes du Polisario à Tindouf et se voit confier la mise à niveau de l’enseignement dans les camps. En 1988, excédé par les pratiques dictatoriales de la direction du mouvement, il rejoint Omar Hadrami, Brahim Hakim et Mohamed Salem Ould Salek, un groupe de dirigeants contestataires qui lancent cette année-là le grand soulèvement populaire d’octobre. « Il y a toujours eu une concurrence tribale très forte au sein du Polisario, et les Ouled Dlim se sont souvent opposés à la direction des camps », ajoute notre source.
Les dissensions avec le chef, Mohamed Abdelaziz, allant s’accentuant, Ould Souilem finit par rallier le Maroc. Reçu à Tanger par Mohammed VI, qui fête alors ses dix ans de règne, il affiche clairement son allégeance et celle de sa tribu. D’emblée, l’idée d’en faire un ambassadeur de la cause marocaine s’impose. Mais si la décision de l’envoyer à Madrid est audacieuse et pourrait marquer les esprits, elle ne sera pas forcément efficace. Tout dépend désormais de la capacité d’Ould Souilem à mobiliser ses réseaux et à faire entendre sa voix.