Rachid Tlemçani. Politologue
Quelle lecture politique faites-vous de ce remaniement ministériel ?
C’est un remaniement que tout le monde attendait. On l’attendait en réalité depuis avril 2009, depuis l’intronisation du président Abdelaziz Bouteflika pour un troisième mandat. Il a fallu donc plus d’une année d’immobilisme structurel, politique et économique pour assister à un remaniement. Comme par hasard, ce remaniement coïncide avec la visite, tant attendue, du président Abdelaziz Bouteflika en France, la participation au sommet France-Afrique perçue comme un signe d’apaisement dans les relations bilatérales alors que les relations algéro-US sont apaisées depuis que le siège de l’Africom a été installé à Stuttgart. Globalement, les changements n’ont touché que quelques postes.
Il n’y a pas un chamboulement profond dans la prise de décision au sein du gouvernement algérien. La première impression est qu’il y a deux ou trois nouvelles têtes, une permutation de certains postes, un ministère complètement relooké et géré par Abdelhamid Temmar ainsi qu’un poste de vice-Premier ministre endossé par Yazid Zerhouni. A y regarder de plus près, il apparaît que ce remaniement reflète, d’une certaine manière, la lutte existant au sein du pouvoir algérien entre les différents groupes d’intérêts autour de la distribution de la rente et des nouveaux enjeux de la nouvelle reconfiguration politique de l’après-Bouteflika.
Comme autre élément de la grille de lecture, cela renvoie à l’affrontement des clans qui existe au sein du gouvernement algérien, entre deux groupes fondamentaux : la présidence et le service sécuritaire, entre un pouvoir monarchique, de type tribal, et un pouvoir sécuritaire, de type moderniste.
Quelle analyse faites-vous de l’éjection de Chakib Khelil, ministre de l’Energie, souvent cité dans le scandale de Sonatrach ainsi que du départ de Yazid Zerhouni du poste de ministre de l’Intérieur ?
Il faut savoir que dans les pays autoritaires, le ministère de l’Intérieur est un poste-clé alors que dans les pays rentiers, le secteur du pétrole est extrêmement important. Dans le cas algérien, on peut dire qu’il y a deux départements stratégiques, à savoir le ministère de l’Intérieur et celui de l’Energie. Et il se trouve que ces deux institutions ont changé de main : nous avons, d’un côté, un Daho Ould Kablia, enfant du sérail, qui s’invite souvent dans le débat public à titre de président de l’association du MALG. De l’autre côté, le département de l’Energie revient à Youcef Yousfi, qui a une connexion bien établie dans le sérail. Le ministre des Travaux publics, Amar Ghoul, qui a été atteint par de grosses affaires de corruption et de malversations, a été maintenu à son poste. Le ministre de la Pêche, qui a lui aussi subi des scandales financiers, a été placé à la tête d’un autre département. Cela amène à croire que la Présidence n’a pas été le grand vainqueur de cette lutte qui existe depuis plusieurs années. Nous avons l’impression que la Présidence a perdu la première manche dans ce jeu d’ombres.
Peut-on considérer ce poste de vice-Premier ministre comme une promotion pour Zerhouni ?
Je ne le pense pas, pour la simple raison que le poste de vice-Premier ministre est strictement honorifique, qui n’aura aucune prise de décision sur les grands dossiers. Lorsqu’il était à la tête du département de l’Intérieur, Zerhouni gérait des dossiers hautement importants : les fonctionnaires, la police, les partis politiques, les ONG, le passeport biométrique et bientôt les autorisations de sortie du territoire national, tout l’appareil du système de sécurité… Dans un régime autoritaire, le département de l’Intérieur est une institution « pivotale ». C’est la plaque tournante de tout édifice sécuritaire. En devenant un associé du Premier ministre Ouyahia, Zerhouni n’a plus de poids comme par le passé. Nourredine Yazid Zerhouni prépare sa sortie, par quelle porte, petite ou grande ?
Quelles sont les tâches du vice-Premier ministre ?
A ma connaissance, la Constitution ne fait que mentionner ce poste, sans en préciser les tâches. L’article 77 de la Constitution introduisant ce poste ne définit pas bien les attributions de cette fonction. C’est la première fois, dans l’histoire de l’Algérie, qu’un tel poste est attribué. Maintenant, tout dépend de la stratégie politique adoptée. Le fait est que son supérieur hiérarchique est Ahmed Ouyahia, un homme qui n’appartient pas au même camp, la lutte sera encore plus dure. Pour ma part, je pense que Zerhouni se prépare à sortir vu son âge et son état de santé. Va-t-on lui trouver une digne voie de sortie ?
Comment expliquer le fait que Chakib Khelil soit sacrifié alors que Amar Ghoul, dont le département a également connu des affaires de corruption, soit maintenu dans le gouvernement ?
Il ne faut pas oublier que Sonatrach c’est l’Algérie. A l’extérieur, on ne connaît que l’entreprise algérienne d’hydrocarbures. Et il se trouve que Sonatrach a connu de gros dossiers de corruption qui ont porté atteinte, d’une certaine manière, à l’image de marque du pays. Voilà un pouvoir qui multiplie les efforts, depuis 1999, pour redorer l’image de l’Algérie, qui voit tout le travail de la lutte antiterroriste réduit à néant. Avec l’affaire Sonatrach, l’Algérie est très mal vue. Certains investisseurs ne sont plus aussi emballés de venir en Algérie à cause de ce dossier.
En opposition de ce qui a été dit dans les médias, je pense que Chakib Khelil est un des gagnants de ce remaniement. Il ne va pas rendre compte de son bilan, une gestion des revenus de tout un peuple durant toute une décennie. Quant à Ghoul, tout dépendra du clan dans lequel il se place. Pour ma part, je ne pense pas qu’il appartienne au clan présidentiel. Son département a été souillé par des dossiers de corruption et de malversations, mais il reste à son poste. Les éléments se réclamant de l’Islam du bazar sont toujours aux postes de commande dans ce gouvernement. Son département dispose d’un budget faramineux pouvant « arroser » de nombreux réseaux ici et à l’étranger, mais il reste que le pétrole soit encore plus stratégique.
Que penser de la « rétrogradation » de Temmar, connu pour être un homme du Président ?
Abdelhamid Temmar, un ancien membre du MALG, est nommé à la tête d’une cellule de réflexion. Mais tant qu’il reste au ministère, qu’il tient un département à responsabilité, il continuera à jouer un rôle important. Dans le système algérien, il est essentiel d’être toujours dans les « parages ». Et Temmar est au centre même du processus décisionnel, puisqu’il est chef d’un nouveau département. En un mot, ce remaniement ministériel n’a pas réglé la lancinante question de succession. Tous les coups bas sont encore permis au détriment de l’intérêt national et cette situation perdurera tant que la politique n’est pas institutionnalisée et que le jeu politique n’est pas ouvert à tous les acteurs.
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