Algérie, Maroc : l'insupportable désunion
par Akram Belkaid: Paris
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Il y a, pour l'Algérien qui vit en France, des analogies ou des comparaisons qui ne sont ni raison ni supportables. L'une d'elles consiste à s'entendre dire que l'Algérie et le Maroc doivent être aussi sages que le furent la France et l'Allemagne, en oubliant le passé et en s'unissant pour bâtir un avenir commun au Maghreb. Certes, tout n'a pas été rose entre nos deux pays, surtout depuis l'indépendance, mais de là à faire le parallèle avec la trame franco-allemande qui n'a longtemps été que sang et souffrances…
J'ai d'ailleurs toujours été réticent vis-à-vis des débats organisés de ce côté-ci de la Méditerranée à propos du conflit du Sahara et de ce qu'il coûte comme blocages et inerties à l'Union du Maghreb. C'est un peu comme si l'ancienne puissance coloniale se posait en arbitre incontournable d'un litige opposant deux de ses obligés. Or, à mon sens, Algériens et Marocains ne devraient avoir besoin de personne pour se parler et, surtout, enfin s'entendre. Nous sommes un même peuple. Notre histoire, nos langues et notre religion sont communes. Comment accepter le gâchis actuel ?
Il y a quelques vérités qu'il faut rappeler. Contrairement à ce que pensent les agents provocateurs qui s'agitent des deux côtés de la frontière, et nombre d'entre eux activent résolument dans la presse, ni le Maroc ni l'Algérie ne s'en sortiront seuls. Pour être fort, le Maroc a besoin de l'Algérie. Pour être forte, l'Algérie a besoin du Maroc. Bien sûr, c'est ce que feignent de croire nos dirigeants. Pas une seule rencontre officielle ou sommet sans que l'on déplore l'absence d'un Maghreb uni, sans que l'on détaille avec gravité le coût du non-Maghreb ou sans que l'on s'épanche sur ce que serait le dynamisme de notre région si, d'aventure, les politiques venaient enfin à se mettre d'accord. Mais en réalité, chacun se croit plus malin et plus fort que l'autre. Le Maroc pense que le partenariat privilégié qui le lie à l'Union européenne sera suffisant pour le faire définitivement entrer dans le club des pays émergents. Quant à l'Algérie, nous n'avons pas renoncé à notre vision prussienne de la région, estimant que la force que nous offrent les hydrocarbures durera ad vitam aeternam. Pourtant, il suffit d'écouter le premier économiste venu pour comprendre que ce qui est en jeu actuellement n'est ni plus ni moins que l'avenir du Maghreb et sa capacité à figurer sur la carte mondiale du XXIe siècle.
Il y a des moments où je me demande si nos dirigeants respectifs sont conscients des défis induits par la globalisation. Des forces tectoniques d'une incroyable force sont en train de redessiner la planète et l'organisation de son économie. Ce qui est en jeu, ce sont des millions d'emplois et donc autant de vies. Qui peut croire que c'est par goût du tourisme que Barack Obama et d'autres responsables américains multiplient les voyages en Asie, continent qui s'organise jour après jour au-delà des frontières malgré les rivalités et les chicaneries nationalistes ?
Union européenne, Mercosur, Conseil de coopération du Golfe, Forum Asie-Pacifique, Zone de libre-échange des Amériques, partout dans le monde les initiatives régionales se multiplient. Il ne s'agit pas d'en faire l'apologie, car certaines sont bâties sur des idéologies ultralibérales critiquables, mais elles ont le mérite d'exister et donc de proposer des perspectives aux populations concernées.
Une question évidente se pose donc : que propose-t-on aux Maghrébins ? Au-delà des discours de matamores, des tirades chauvines et des promesses floues, la réalité est que le Maghreb de demain risque d'être une zone peu prospère et instable sur le plan sécuritaire, ne serait-ce que parce qu'elle est à la fois la frontière sud de l'Europe et la bordure du Sahel.
Alors, bien sûr, il y aura toujours des voix, en Algérie comme au Maroc, pour dire et répéter que c'est le voisin qui a commencé. Que c'est lui qui ment, manipule et ne veut pas d'une solution. Insupportable tchaqlala… Cela fait trente-cinq ans que ça dure. Trente-cinq ans que l'on est incapable d'avoir une discussion rationnelle sur cette question. Trente-cinq ans d'insultes et de médisances scabreuses entre élites – car c'est bien d'elles que vient le problème et non des populations. Faut-il se résigner et admettre qu'il s'agit d'un problème sans solution ? Et au bénéfice de qui ? Des vendeurs d'armes, sûrement…
Il est temps de cesser de répéter que le Sahara est un préalable et que c'est la résolution de cette question qui ouvrira la route à un rapprochement entre l'Algérie et le Maroc. Je n'y crois pas un seul instant et je suis même prêt à parier qu'on trouvera immédiatement un autre objet de litige et de fâcherie. A mon sens – et je ne cesserai de le répéter –, la solution est de passer par le haut et de dessiner un projet politique entre les deux pays. Appelons cela régionalisation, union transitoire, partenariat, qu'importe ! Mais, de grâce, qu'on nous propose enfin une initiative politique entre nos deux pays qui aurait le mérite de voir loin et de dépasser les rivalités induites par un excès de testostérone. Une initiative dont l'avenir du Sahara ne serait qu'une conséquence et non un préalable.
Mais il faudrait pour cela que les hommes politiques sortent de leurs abris douillets et qu'ils signifient à nous autres, journalistes et commentateurs divers et variés, qu'ils prennent les choses en main. Leurs aînés ont couru bien plus de risques en osant réclamer l'indépendance et en s'attaquant à la machinerie coloniale. Le minimum que l'on puisse attendre d'eux, c'est qu'ils sortent de ce mutisme assourdissant pour nous dire de quelle manière ils comptent éviter au Maghreb de s'enfoncer dans l'isolement et le déclin qui l'ont pénalisé il y a déjà plusieurs siècles. Et, eu égard aux enjeux, tout silence ou tout attentisme vaudrait aveu d'incompétence et d'irresponsabilité.
par Akram Belkaid: Paris
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Il y a, pour l'Algérien qui vit en France, des analogies ou des comparaisons qui ne sont ni raison ni supportables. L'une d'elles consiste à s'entendre dire que l'Algérie et le Maroc doivent être aussi sages que le furent la France et l'Allemagne, en oubliant le passé et en s'unissant pour bâtir un avenir commun au Maghreb. Certes, tout n'a pas été rose entre nos deux pays, surtout depuis l'indépendance, mais de là à faire le parallèle avec la trame franco-allemande qui n'a longtemps été que sang et souffrances…
J'ai d'ailleurs toujours été réticent vis-à-vis des débats organisés de ce côté-ci de la Méditerranée à propos du conflit du Sahara et de ce qu'il coûte comme blocages et inerties à l'Union du Maghreb. C'est un peu comme si l'ancienne puissance coloniale se posait en arbitre incontournable d'un litige opposant deux de ses obligés. Or, à mon sens, Algériens et Marocains ne devraient avoir besoin de personne pour se parler et, surtout, enfin s'entendre. Nous sommes un même peuple. Notre histoire, nos langues et notre religion sont communes. Comment accepter le gâchis actuel ?
Il y a quelques vérités qu'il faut rappeler. Contrairement à ce que pensent les agents provocateurs qui s'agitent des deux côtés de la frontière, et nombre d'entre eux activent résolument dans la presse, ni le Maroc ni l'Algérie ne s'en sortiront seuls. Pour être fort, le Maroc a besoin de l'Algérie. Pour être forte, l'Algérie a besoin du Maroc. Bien sûr, c'est ce que feignent de croire nos dirigeants. Pas une seule rencontre officielle ou sommet sans que l'on déplore l'absence d'un Maghreb uni, sans que l'on détaille avec gravité le coût du non-Maghreb ou sans que l'on s'épanche sur ce que serait le dynamisme de notre région si, d'aventure, les politiques venaient enfin à se mettre d'accord. Mais en réalité, chacun se croit plus malin et plus fort que l'autre. Le Maroc pense que le partenariat privilégié qui le lie à l'Union européenne sera suffisant pour le faire définitivement entrer dans le club des pays émergents. Quant à l'Algérie, nous n'avons pas renoncé à notre vision prussienne de la région, estimant que la force que nous offrent les hydrocarbures durera ad vitam aeternam. Pourtant, il suffit d'écouter le premier économiste venu pour comprendre que ce qui est en jeu actuellement n'est ni plus ni moins que l'avenir du Maghreb et sa capacité à figurer sur la carte mondiale du XXIe siècle.
Il y a des moments où je me demande si nos dirigeants respectifs sont conscients des défis induits par la globalisation. Des forces tectoniques d'une incroyable force sont en train de redessiner la planète et l'organisation de son économie. Ce qui est en jeu, ce sont des millions d'emplois et donc autant de vies. Qui peut croire que c'est par goût du tourisme que Barack Obama et d'autres responsables américains multiplient les voyages en Asie, continent qui s'organise jour après jour au-delà des frontières malgré les rivalités et les chicaneries nationalistes ?
Union européenne, Mercosur, Conseil de coopération du Golfe, Forum Asie-Pacifique, Zone de libre-échange des Amériques, partout dans le monde les initiatives régionales se multiplient. Il ne s'agit pas d'en faire l'apologie, car certaines sont bâties sur des idéologies ultralibérales critiquables, mais elles ont le mérite d'exister et donc de proposer des perspectives aux populations concernées.
Une question évidente se pose donc : que propose-t-on aux Maghrébins ? Au-delà des discours de matamores, des tirades chauvines et des promesses floues, la réalité est que le Maghreb de demain risque d'être une zone peu prospère et instable sur le plan sécuritaire, ne serait-ce que parce qu'elle est à la fois la frontière sud de l'Europe et la bordure du Sahel.
Alors, bien sûr, il y aura toujours des voix, en Algérie comme au Maroc, pour dire et répéter que c'est le voisin qui a commencé. Que c'est lui qui ment, manipule et ne veut pas d'une solution. Insupportable tchaqlala… Cela fait trente-cinq ans que ça dure. Trente-cinq ans que l'on est incapable d'avoir une discussion rationnelle sur cette question. Trente-cinq ans d'insultes et de médisances scabreuses entre élites – car c'est bien d'elles que vient le problème et non des populations. Faut-il se résigner et admettre qu'il s'agit d'un problème sans solution ? Et au bénéfice de qui ? Des vendeurs d'armes, sûrement…
Il est temps de cesser de répéter que le Sahara est un préalable et que c'est la résolution de cette question qui ouvrira la route à un rapprochement entre l'Algérie et le Maroc. Je n'y crois pas un seul instant et je suis même prêt à parier qu'on trouvera immédiatement un autre objet de litige et de fâcherie. A mon sens – et je ne cesserai de le répéter –, la solution est de passer par le haut et de dessiner un projet politique entre les deux pays. Appelons cela régionalisation, union transitoire, partenariat, qu'importe ! Mais, de grâce, qu'on nous propose enfin une initiative politique entre nos deux pays qui aurait le mérite de voir loin et de dépasser les rivalités induites par un excès de testostérone. Une initiative dont l'avenir du Sahara ne serait qu'une conséquence et non un préalable.
Mais il faudrait pour cela que les hommes politiques sortent de leurs abris douillets et qu'ils signifient à nous autres, journalistes et commentateurs divers et variés, qu'ils prennent les choses en main. Leurs aînés ont couru bien plus de risques en osant réclamer l'indépendance et en s'attaquant à la machinerie coloniale. Le minimum que l'on puisse attendre d'eux, c'est qu'ils sortent de ce mutisme assourdissant pour nous dire de quelle manière ils comptent éviter au Maghreb de s'enfoncer dans l'isolement et le déclin qui l'ont pénalisé il y a déjà plusieurs siècles. Et, eu égard aux enjeux, tout silence ou tout attentisme vaudrait aveu d'incompétence et d'irresponsabilité.