Si la situation s'est calmée en Algérie après une fin de semaine marquée par des émeutes urbaines, des Algériens racontent leur pessimisme face à l'avenir et à la situation de leur pays.
Je vis en Algérie et j'espère que le pays va s'embraser et se soulever comme en 1988. Pourquoi ce désir alors que j'aime mon pays ? Parce que nous souffrons de nos conditions de vie : chômage, précarité sociale et économique, problèmes de logement, d'accès aux soins. Nous sommes une jeunesse désenchantée. Alors qu'on lit dans les journaux que l'Algérie est riche, où est la richesse ? 155 milliards de dollars de réserves de change grâce au pétrole ! Notre pays est aux mains d'une élite et de hauts responsables corrompus. Notre jeunesse est laissée sur le carreau car les richesses de notre pays ne sont pas redistribuées. Nous en avons ras-le-bol car à cela s'ajoute maintenant la cherté de la vie. C'est de la "hogra" [mépris vis-à-vis du peuple], nous n'avons rien à perdre et je souhaite de tout mon cœur que mon pays se soulève et cette fois pas pour un match de foot mais pour l'Algérie.
"J'habite Alger la sombre, j'ai 25 ans et la seule chose dont je rêve c'est bien d'assister à une renaissance de mon pays", par Ange
Comme tout le monde le sait, ces nouvelles manifestations sont dues aux problèmes sociaux que vivent les Algériens. Aucune organisation, parti politique, syndicat ou autre n'a appelé à une manifestation. Ce sont des jeunes, encore une fois, qui en ont marre de leur situation ; ils ne voient aucun avenir dans leur propre pays, l'un des plus riches au monde. J'habite Alger la sombre, j'ai 25 ans et la seule chose dont je rêve c'est bien d'assister à une renaissance de mon pays, une deuxième indépendance et une deuxième République. Mais en l'absence de vraies forces d'opposition, les extrémistes trouvent encore une fois le champ libre et appellent à une nouvelle "fitna" [guerre civile]. Jeudi vers 22 heures à Bab el-Oued, l'ex-chef du FIS [Front islamique du salut] appelait à la révolution, avec autour de lui des jeunes qui criaient "Allah akbar".
"Après de longue années d'études, je travaille pour un salaire de misère", par Abdelkrim K.
(...) Je peux comprendre cette réaction de jeunes comme moi, même si je ne cautionne pas leur méthode. Je suis diplômé et après de longue années d'études je travaille pour un salaire de misère. Et on me demande de plus de passer le service national obligatoire ! Quel service ? Pour quelle nation ? Celle des fils-à-papas-généraux et autres voleurs ? A 27 ans je ne vois en l'avenir qu'une image noire où aucune lumière n'existe. (...) De l'autre coté, il existe une couche sociale qui vit dans une démesure totale, digne des pétrodollars des pays du Golfe ! Il y'a trop d'injustice dans un pays suffisamment riche pour offrir à chacun le droit de vivre dans la dignité. C'est notre seul requête. On ne veut pas être riche, on veut vivre dignement et librement dans ce beau pays.
"Ce ne sont pas les prix de l'huile ou du sucre qui sont à l'origine de ces émeutes", par Med F.
Ce ne sont pas les prix de l'huile ou du sucre qui sont à l'origine de ces émeutes, mais bien la frustration de ces jeunes de ne pas pouvoir travailler, de ne pas trouver de loisirs pour se défouler... Car l'Etat ne se soucie pas de sa population mais bien de ses propres intérêts. Pour un pays si riche, c'est très frustrant. Quant aux émeutes, les jeunes ne savent pas ce qu'ils font ni quoi faire, simplement, ça les défoule, ça les change de leur quotidien... L'Etat devrait prendre ce problème au sérieux, sans quoi il comptera ses jours.
LEMONDE.FR
Vidéo: scène d'émeute filmée par un internaute vendredi 7 janvier à Béjaïa
"L'instauration d'une vraie démocratie plurielle est plus que jamais une nécessité absolue", par Amar B.
Prière, arrêtez de croire que les Algériens ne se sont révoltés qu'à cause de l'augmentation des prix ! L'Algérie était sur un volcan depuis le début des années 2000 et la fin du terrorisme islamiste à grande échelle. Une caste d'apparatchiks qui se sont enrichis pendant que le peuple algérien faisait face au terrorisme a commencé à étaler son aisance matérielle au grand jour, devant des jeunes désœuvrés, sans travail et à l'avenir incertain. Toutes les frustrations cumulées ont fait qu'aujourd'hui, et grâce aux nouvelles technologies d'informations, les Algériens savent qu'ils ont été bernés par le régime, l'état d'urgence n'a plus lieu d'être et l'instauration d'une vraie démocratie plurielle est plus que jamais une nécessité absolue.
L'augmentation des prix subie dernièrement n'est que la goutte qui a fait déborder le vase. Elle a fait suite à la nouvelle loi de finances, qui prévoit de formaliser les échanges commerciaux et l'instauration des factures (il faut savoir qu'auparavant toute les transactions se faisaient de manière informelle. En Algérie, pour acheter une voiture, tu prends l'équivalent de 12 000 euros dans un sachet et tu vas chez le concessionnaire...). Donc les grossistes n'ont fait que répercuter la décision du gouvernement, qui se trouve actuellement obligé de faire marche arrière et de (re)légaliser de ce fait l'informel.
"Il y a plusieurs Algéries", par y.k
Je suis à Alger depuis deux ans pour développer ma société. Ce que je constate, c'est qu'il n'y a pas une Algérie mais plusieurs Algéries. Celle des nantis et des intouchables : privilèges, passe-droits, corruption... Au vu et au su de tout le monde. Celle d'une classe moyenne : auto, boulot, logement, crédit, indifférents à ceux d'en haut et à ceux d'en bas. Celle des sous-prolos : difficile pour eux de joindre les deux bouts, quotidien morose avec comme seule évasion possible la parabole [de télévision]. Celle d'une jeunesse qui n'aspire plus à un avenir digne. Celle des laissés-pour-compte : soins précaires, enseignement quasi inexistant, logement exigu, aucun transport...
Alger le jour : tout ce monde se côtoie, les uns acteurs arrogants, les autres spectateurs impuissants. Alger la nuit : voitures rutilantes sur les routes, restaurants et hôtels de luxe pour les uns, prostitution affichée... Les autres restent chez eux, tandis que les jeunes au chômage regardent avec mépris ou taxent eux-mêmes les stationnements. Alors le riche paie en baissant la tête par peur pour sa voiture ou pour s'excuser de sa situation. Puis il y a le reste de l'Algérie : villes moyennes sans urbanisme, emplois précaires, les mêmes clivages, les disparités, le temps qui s'est figé. Alger ? Aucune chance pour eux de monter à la capitale si ce n'est pour la journée, car c'est inabordable pour eux.
Alors de la contestation, c'est sûr, il y en a ! Mais de façon désordonnée : pas de leader, pas de programme, seulement de la haine.
"La suite logique d'une série d'événements", par Yanis L.
Les émeutes actuelles en Algérie ne sont que la suite logique d'une série d'événements étalés sur plusieurs mois. De nombreuses émeutes ont déja eu lieu dans différents quartiers d'Alger à propos de la distribution des logements sociaux ou des mécontents (bénéficiaires déçus de la qualité des logements ou de leur localisation, exclus des listes, etc. On a aussi assisté a une importante augmentation de la violence urbaine à caractère criminel, où des bandes de jeunes organisés en meutes faisaient des descentes dans les rues de la ville pour casser les magasins, et ce devant le laxisme de la police, bridée par les politiciens par crainte d'une explosion sociale.
La prise en main de la rue par le pouvoir ainsi que les récentes opérations mains propres, la tentative d'assainissement des réseaux de distribution et la bancarisation des transactions commerciales auront fait réagir les réseaux mafieux, souvent apparentés à des cercles proches du pouvoir, qui ont, à coups d'infiltration, réussi à utiliser des jeunes mécontents de la situation socio-économique (le chômage a beaucoup baissé, mais au prix d'une précarisation de la situation des nouveaux employés, embauchés à coups de CDD, souvent de six mois). La hausse vertigineuse des prix n'est pas rattrapée même par les récentes et importantes hausses des salaires des fonctionnaires.