Les pouvoirs algérien et marocain sont discrets sur la chute de Ben Ali
À Alger, la presse se félicite de la chute du dictateur tunisien et à Casablanca, on se congratule discrètement, à l’abri des oreilles indiscrètes, tout en prenant soin de peser ses mots
Les autorités algériennes sont sans voix, l’opinion se réjouit sans retenue
La chute du président Ben Ali en Tunisie a laissé le pouvoir algérien sans voix. Dimanche 16 janvier, les rédactions algéroises tentaient encore de savoir ce que pensent leurs dirigeants de la « Révolution de Jasmin ». Le quotidien francophone El Watan suggérait une explication : « Bouteflika perd son ami Ben Ali ». Le président algérien n’a jamais caché sa sympathie pour le « miracle » tunisien conduit de main de fer par son « frère », Zaïm, de la « république sœur ».
« L’onde de choc de cette déconfiture d’un système réputé tout contrôler a été fortement ressenti à Alger, explique Saïd Lahmy, de la Ligue des droits de l’homme, le pouvoir ici étant encore ébranlé par la vague d’émeutes du début du mois – quatre morts, 800 blessés. En haut, ils sont tétanisés. »
Pour un chroniqueur sarcastique de la presse arabophone, « le président Bouteflika serait bien tenté de dire comme le colonel Kadhafi que Ben Ali est toujours le président légitime de la Tunisie ». Il était personnellement engagé dans la solidarité « policière » entre les deux pays, interdisant la venue en Algérie de l’écrivain tunisien Taoufik Ben Brik.
À l’inverse, l’opinion algérienne se réjouit sans retenue du « grand air de liberté qui vient de l’est ». Plus de 700 000 Algériens vont en vacances en Tunisie et connaissent bien son carcan policier. Les railleries sur « l’obéissance sans limite » des Tunisiens ont disparu pour laisser place à une admiration sans bornes. « Je suis jaloux d’eux, affirme Merzak un jeune chômeur de la banlieue ouest d’Alger qui a participé aux émeutes de début janvier. Ils ont été jusqu’au bout. C’est ce qu’on fera la prochaine fois, c’est juré. »
Mohamed Bouazizi, le « héros tunisien » qui s’est immolé par le feu à Sidi Bouzid, le 17 décembre dernier, fait des émules en Algérie. Trois jeunes, dont un à Tébessa non loin de la frontière tunisienne, ont voulu se transformer en torche humaine samedi. L’un d’eux est décédé dimanche. Leurs vies ne sont pas menacées. « Avec la magnifique victoire tunisienne, c’est tout autre chose qui commence chez nous », promet Lakhdar Draou, universitaire.
Le RCD, parti d’opposition laïque du docteur Sadi, a décidé de passer outre une interdiction de marcher, samedi prochain, dans les rues d’Alger par la wilaya (préfecture) d’Alger. Et le front des forces socialistes (FFS, opposition démocratique) « espère que l’expérience tunisienne sera méditée ».
Pour autant, personne à Alger ne pense encore sérieusement que le régime est capable aujourd’hui d’engager un virage préventif vers « l’auto-réforme démocratique ». Pour Saïd Lahmy, « le logiciel de l’ouverture, les décideurs l’ont jeté depuis que Bouteflika est arrivé. Il faudra beaucoup plus pour qu’ils se mettent à le rechercher. Si un jour ils comprennent qu’il faut bien ouvrir ou partir. »
Des médias marocains très mesurés
Au Maroc, il aura fallu attendre quasiment la moitié du journal télévisé de 2M, chaîne publique marocaine, pour que la présentatrice revienne, samedi soir, sur les événements en Tunisie, relégués loin derrière les activités royales, le potentiel touristique de Dakhla ou encore les manifestations de Marocains en Espagne pour l’intégrité territoriale. Des événements évoqués sous l’angle des violences et du désordre.
Le traitement de la chute du président Ben Ali par les médias officiels, est resté incroyablement mesuré. Rares ont été les nouvelles sur la Tunisie relayées par l’agence de presse marocaine officielle (MAP). Les émeutes ont été passées sous silence.
Les manifestations de rues en Algérie ont en revanche été davantage relayées. Devant sa télévision, Aïcha, employée de maison, peine à comprendre le cours des événements. Alors qu’on vient d’annoncer la chute du président Ben Ali, inquiète, elle écoute les informations, ne sachant trop si elle doit se réjouir ou se taire. « Je ne savais pas ce qui se passait en Tunisie », confie-t-elle.
Vendredi soir, Casablanca est restée calme. Pas d’explosions de joie visibles. Personne n’est sorti dans la rue manifester sa solidarité avec les Tunisiens. On se congratule discrètement, à l’abri des oreilles indiscrètes, tout en prenant soin de peser ses mots. Dans un bar enfumé de Casablanca, l’un des rares endroits « alternatifs », tendance rock, la jeunesse marocaine est venue « fêter la chute de Ben Ali ».
Pour l’occasion, Mouna a mis une robe rouge, « aux couleurs de la Tunisie », plaisante-t-elle. « On est content. Les Tunisiens ne pouvaient pas s’exprimer, ils n’étaient pas libres. Nous, au Maroc, on peut quand même dire certaines choses ». « C’est un grand jour pour la Tunisie et nos frères tunisiens. Je suis sorti pour fêter cela », indique Réda, musicien.
Rares sont ceux qui se risquent à faire un parallèle avec le Maroc. Du reste, la situation n’est guère comparable. « J’ai quarante ans. J’ai connu Hassan II. Les gens le détestaient. Avec M6, les choses ont changé, on sait ce qu’on lui doit. Il n’y a pas de rejet de la monarchie au Maroc. Ce sont ces politicards véreux qui se sucrent qu’on ne supporte plus », explique Mohamed, figure de la société civile. « Au Maroc, on ne dit pas ce qu’on pense, les gens ont peur de parler », estime de son côté, Hind, journaliste.
Sur Facebook, premier réseau social au Maroc, avec 2,6 millions d’utilisateurs (dont 66 % ont moins de 26 ans), les internautes n’hésitent pas à appeler à la construction d’une véritable démocratie au Maghreb. Les plaisanteries fusent sur les régimes arabes et maghrébins. Le système marocain n’est pas épargné. La sphère des bloggers est également en ébullition. « La Tunisie donne au Maroc la bonne leçon », titre ainsi l’article d’un blogger militant et reconnu.
Amin KADI, à Alger, et Christelle MAROT, à Casablanca
http://www.la-croix.com/Les-pouvoirs-algerien-et-marocain-sont-discrets-sur-la-chute/article/2452269/55351
À Alger, la presse se félicite de la chute du dictateur tunisien et à Casablanca, on se congratule discrètement, à l’abri des oreilles indiscrètes, tout en prenant soin de peser ses mots
Les autorités algériennes sont sans voix, l’opinion se réjouit sans retenue
La chute du président Ben Ali en Tunisie a laissé le pouvoir algérien sans voix. Dimanche 16 janvier, les rédactions algéroises tentaient encore de savoir ce que pensent leurs dirigeants de la « Révolution de Jasmin ». Le quotidien francophone El Watan suggérait une explication : « Bouteflika perd son ami Ben Ali ». Le président algérien n’a jamais caché sa sympathie pour le « miracle » tunisien conduit de main de fer par son « frère », Zaïm, de la « république sœur ».
« L’onde de choc de cette déconfiture d’un système réputé tout contrôler a été fortement ressenti à Alger, explique Saïd Lahmy, de la Ligue des droits de l’homme, le pouvoir ici étant encore ébranlé par la vague d’émeutes du début du mois – quatre morts, 800 blessés. En haut, ils sont tétanisés. »
Pour un chroniqueur sarcastique de la presse arabophone, « le président Bouteflika serait bien tenté de dire comme le colonel Kadhafi que Ben Ali est toujours le président légitime de la Tunisie ». Il était personnellement engagé dans la solidarité « policière » entre les deux pays, interdisant la venue en Algérie de l’écrivain tunisien Taoufik Ben Brik.
À l’inverse, l’opinion algérienne se réjouit sans retenue du « grand air de liberté qui vient de l’est ». Plus de 700 000 Algériens vont en vacances en Tunisie et connaissent bien son carcan policier. Les railleries sur « l’obéissance sans limite » des Tunisiens ont disparu pour laisser place à une admiration sans bornes. « Je suis jaloux d’eux, affirme Merzak un jeune chômeur de la banlieue ouest d’Alger qui a participé aux émeutes de début janvier. Ils ont été jusqu’au bout. C’est ce qu’on fera la prochaine fois, c’est juré. »
Mohamed Bouazizi, le « héros tunisien » qui s’est immolé par le feu à Sidi Bouzid, le 17 décembre dernier, fait des émules en Algérie. Trois jeunes, dont un à Tébessa non loin de la frontière tunisienne, ont voulu se transformer en torche humaine samedi. L’un d’eux est décédé dimanche. Leurs vies ne sont pas menacées. « Avec la magnifique victoire tunisienne, c’est tout autre chose qui commence chez nous », promet Lakhdar Draou, universitaire.
Le RCD, parti d’opposition laïque du docteur Sadi, a décidé de passer outre une interdiction de marcher, samedi prochain, dans les rues d’Alger par la wilaya (préfecture) d’Alger. Et le front des forces socialistes (FFS, opposition démocratique) « espère que l’expérience tunisienne sera méditée ».
Pour autant, personne à Alger ne pense encore sérieusement que le régime est capable aujourd’hui d’engager un virage préventif vers « l’auto-réforme démocratique ». Pour Saïd Lahmy, « le logiciel de l’ouverture, les décideurs l’ont jeté depuis que Bouteflika est arrivé. Il faudra beaucoup plus pour qu’ils se mettent à le rechercher. Si un jour ils comprennent qu’il faut bien ouvrir ou partir. »
Des médias marocains très mesurés
Au Maroc, il aura fallu attendre quasiment la moitié du journal télévisé de 2M, chaîne publique marocaine, pour que la présentatrice revienne, samedi soir, sur les événements en Tunisie, relégués loin derrière les activités royales, le potentiel touristique de Dakhla ou encore les manifestations de Marocains en Espagne pour l’intégrité territoriale. Des événements évoqués sous l’angle des violences et du désordre.
Le traitement de la chute du président Ben Ali par les médias officiels, est resté incroyablement mesuré. Rares ont été les nouvelles sur la Tunisie relayées par l’agence de presse marocaine officielle (MAP). Les émeutes ont été passées sous silence.
Les manifestations de rues en Algérie ont en revanche été davantage relayées. Devant sa télévision, Aïcha, employée de maison, peine à comprendre le cours des événements. Alors qu’on vient d’annoncer la chute du président Ben Ali, inquiète, elle écoute les informations, ne sachant trop si elle doit se réjouir ou se taire. « Je ne savais pas ce qui se passait en Tunisie », confie-t-elle.
Vendredi soir, Casablanca est restée calme. Pas d’explosions de joie visibles. Personne n’est sorti dans la rue manifester sa solidarité avec les Tunisiens. On se congratule discrètement, à l’abri des oreilles indiscrètes, tout en prenant soin de peser ses mots. Dans un bar enfumé de Casablanca, l’un des rares endroits « alternatifs », tendance rock, la jeunesse marocaine est venue « fêter la chute de Ben Ali ».
Pour l’occasion, Mouna a mis une robe rouge, « aux couleurs de la Tunisie », plaisante-t-elle. « On est content. Les Tunisiens ne pouvaient pas s’exprimer, ils n’étaient pas libres. Nous, au Maroc, on peut quand même dire certaines choses ». « C’est un grand jour pour la Tunisie et nos frères tunisiens. Je suis sorti pour fêter cela », indique Réda, musicien.
Rares sont ceux qui se risquent à faire un parallèle avec le Maroc. Du reste, la situation n’est guère comparable. « J’ai quarante ans. J’ai connu Hassan II. Les gens le détestaient. Avec M6, les choses ont changé, on sait ce qu’on lui doit. Il n’y a pas de rejet de la monarchie au Maroc. Ce sont ces politicards véreux qui se sucrent qu’on ne supporte plus », explique Mohamed, figure de la société civile. « Au Maroc, on ne dit pas ce qu’on pense, les gens ont peur de parler », estime de son côté, Hind, journaliste.
Sur Facebook, premier réseau social au Maroc, avec 2,6 millions d’utilisateurs (dont 66 % ont moins de 26 ans), les internautes n’hésitent pas à appeler à la construction d’une véritable démocratie au Maghreb. Les plaisanteries fusent sur les régimes arabes et maghrébins. Le système marocain n’est pas épargné. La sphère des bloggers est également en ébullition. « La Tunisie donne au Maroc la bonne leçon », titre ainsi l’article d’un blogger militant et reconnu.
Amin KADI, à Alger, et Christelle MAROT, à Casablanca
http://www.la-croix.com/Les-pouvoirs-algerien-et-marocain-sont-discrets-sur-la-chute/article/2452269/55351