LA PARTICIPATION DES « DESERTEURS » DE L'ARMEE FRANÇAISE AUX COUPS D'ETAT DE 1962 ET DE 1965 LEUR CONFERE LA LEGITIMITE
1962 : L'armée des frontières s'achemine au pouvoir
La prise de pouvoir par l'armée des frontières dirigée par Boumediène est passée par plusieurs phases dont nous allons rappeler brièvement les faits saillants. Mais, au cours de cette phase, l'armée des frontières s'abrite derrière la direction politique du FLN conduite par Ben Bella et Khider.
Mars-juin 1962
Après le cessez-le-feu et la libération des chefs historiques Ait Ahmed, Ben Bella, Bitat, Boudiaf et Khider, le GPRA se réunit le 22 mars à Rabat et examine le conflit qui l'oppose à l'EMG. La proposition de Ben Bella de convoquer le CNRA pour trouver une solution à la crise est rejetée.
L'EMG invite les cinq chefs historiques libérés, membres du GPRA, à se rendre à Oudjda pour y rencontrer les cadres de l'ALN. Par cette visite, Boumediène veut donner l'occasion à Ben Bella de s'exprimer publiquement et développer des idées défendues jusque là par le seul EMG. A Oudjda, Ben Bella est très chaleureusement accueilli. Ce qui déplait à ses compagnons.
Alors inquiet du rapprochement de Ben Bella et de l'EMG, le GPRA décide de suspendre toute forme d'approvisionnement de l'ALN. De retour d'Egypte où il est invité par le Président Gamal Abdel Nasser, Ben Bella déclare à son arrivée à Tunis le 14 avril 1962, où il est accueilli par le Président Bourguiba, certains ministres du GPRA et par des officiers de l'ALN représentant l'EMG : « Nous sommes des Arabes, nous sommes des Arabes, nous sommes des Arabes ». Cette fameuse déclaration, transmise par la radio tunisienne est favorablement accueillie par l'ALN stationnée aux frontières tandis qu'elle exaspère le GPRA.
A l'invitation de l'EMG, Ben Bella et ses quatre compagnons se rendent aux frontières algéro-tunisiennes où ils reçoivent un accueil très chaleureux. Au cours d'une réunion avec les officiers de l'ALN, Ben Bella et Boudiaf prennent successivement la parole. Ben Bella est très applaudi mais Boudiaf beaucoup moins.
A la fin du mois d'avril, la tension monte entre le GPRA et l'EMG. A la suite d'un incident provoqué par l'armée française à l'encontre d'unités de l'ALN dans le djebel Beni Salah, l'EMG accuse l'armée française de ne pas respecter les accords d'Evian et menace de riposter s'il n'est pas mis fin à de telles provocations. Le calme et le respect du cessez-le-feu arrangent l'EMG pour poursuivre l'envoi d'officiers et de maquisards (déguisés en civils) à l'intérieur avec les réfugiés qui regagnent massivement le pays dans un cadre organisé.
Agacé par les déclarations fracassantes de l'EMG et par son comportement tendant à améliorer ses positions sur le terrain, le GPRA décide de geler le budget de l'EMG pour le paralyser. De ce fait, l'ALN des frontières se trouve en quelques semaines privée de ressources financières et matérielles régulièrement allouées par le GPRA. Mais prévoyant de telles mesures de représailles, l'EMG avait pris au préalable le soin de gonfler ses stocks et de mettre de côté d'importantes sommes d'argent pour précisément faire face à toute éventualité.
Devant le pourrissement de la situation, Ben Bella, Bitat et Khider relancent le GPRA pour convoquer le CNRA et finissent par obtenir la majorité en dépit de l'opposition du triumvirat Krim, Boussouf et Bentobbal, jusque là maîtres du jeu. Le CNRA est en-fin convoqué. Il se réunit le 27 mai 1962 à Tripoli (Libye). Il adopte le programme du FLN. Préparé par une commission créée à cet effet, ce programme est désormais appelé « programme de Tripoli »57.
Si le programme est adopté sans difficulté, par contre les discussions sur le choix des membres du Bureau Politique sont houleuses et mettent au grand jour les divisions profondes du CNRA. Deux courants politiques s'affrontent. L'un de tendance occidentale dirigé par le GPRA (à l'exception de Ben Bella, Bitat, Khider et Mohammedi Said) s'appuie sur la wilaya III et une partie du commandement de la wilaya II (Salah Boubnider, Tahar Bouderbala et Abdelmadjid Kahlaras) ainsi que sur la Fédération de France. L'autre, de tendance arabo-musulmane est dirigée par Ben Bella, viceprésident du GPRA. Il dispose du soutien de l'EMG, des wilayate I, V et VI et celui de deux commandants de la wilaya II, à savoir Larbi Berredjem et Rabah Belloucif. Bien que d'obédience occidentale, Ferhat Abbas, Ahmed Francis et leurs amis de l'ex-UDMA rallie ce groupe pour tirer vengeance des manœuvres du triumvirat et de Ben Khedda qui les ont éliminés du GPRA l'année précédente. La wilaya IV reste, quant à elle, neutre.
57 Mohamed Harbi donne des détails très intéressants sur les conditions de préparation du programme auquel il a participé et sur la réunion du CNRA. Pour plus de précisions, voir son ouvrage, Le FLN, mirage et réalité, op. cit., pp. 330-346.
Comme le groupe de Ben Bella et de l'EMG ne dispose que de la majorité simple et non des deux tiers comme l'exigent les statuts, le CNRA se trouve dans l'impasse. Ben Khedda décide de quitter la réunion du CNRA de Tripoli et part pour Tunis le 6 juin au soir pour éviter que ne soient débloqués les travaux du CNRA et que ne soient arrêtées des décisions qui seraient défavorables au groupe du GPRA. Il est rejoint par plusieurs membres du CNRA. Il ne reste plus alors que l'épreuve de force pour s'imposer.
C'est dans ce contexte que les membres de l'EMG décident de concentrer leurs efforts sur les wilayate encore réticentes à leur égard et laissent à Ben Bella le soin de mener l'activité politique. L'EMG veut s'occuper tour à tour des wilayate II et IV pour les convaincre et les ramener dans son giron.
C'est dans ce cadre que, juste après les travaux du CNRA, l'EMG envoie comme émissaires à la wilaya II les capitaines Chadli Bendjedid (membre de la zone opérationnelle Nord), El Hachemi Hadjerès (responsable du commissariat politique au siège de l'EMG et ancien chef de la zone IV de la wilaya II), Mohammed Atailia ( chef de bataillon et ancien chef de Région, zone IV, wilaya II) et Mohamed Salah Bechichi (chef de bataillon). Mais ils sont tous arrêtés dans la plaine de Annaba sur ordre du colonel Salah Boubnider, chef de la wilaya II et allié du GPRA.
Après leur arrestation, le commandant Larbi Berredjem (membre du commandement de la wilaya II et allié de l'EMG), moi
même, capitaine (chef de bataillon) et le lieutenant Abderrahmane Bendjaber avons été aussitôt dépêchés en mission à l'intérieur. Nous sommes parvenus à nous rendre au quartier général de la wilaya II (dans les montagnes qui surplombent El-Milia) et à discuter avec de nombreux officiers en présence du capitaine Belkacem Fantazi, chargé de l'intérim de la wilaya en l'absence du colonel Boubnider. Notre mission consistait à expliquer aux cadres de la wilaya II la gravité de la crise et à dialoguer avec eux en les prévenant des dangers qui guettent la Révolution et qui découlent de la mise en œuvre des accords d'Evian et des positions erronées du GPRA. Les discussions se passent dans un climat serein et courtois. Mais, les cadres de la wilaya II, coupés des informations sur le GPRA, l'EMG et le CNRA, demeurent sceptiques devant les explications fournies par les trois émissaires. Il ressort de ces discussions que les cadres de la wilaya II suivent leur chef Salah Boubnider et le GPRA par discipline.
Nous avons essayé, le commandant Larbi Berredjem, moimême, alors capitaine et le lieutenant Abderrahmane Bendjaber d'aller plus loin en établissant des contacts directs avec les officiers des différentes zones de la wilaya, notamment dans les zones I et II où nous avons contacté de nombreux officiers dont certains semblaient partager notre point de vue sur la crise. Mais concrètement, rien ne put être entrepris sur le terrain car en dernier ressort les dissidents potentiels se ressaisissent et refusent d'aller plus loin par discipline.
Au cours de notre visite dans la zone I que nous avons sillonné pendant quelques jours, L. Berredjem, A. Bendjaber et moi-même avons été empêchés de continuer notre tournée à bord de notre véhicule arrêté par un groupe de djounouds armés. Ceux-ci nous ont supplié en pleurant de quitter le territoire de la wilaya. Car, disaient-ils, ils ont reçu l'ordre de procéder à notre arrestation. Ils ajoutaient : « Nous avons confiance en vous. Nous savons que vous êtes sincères. Nous refusons de vous arrêter. Nous refusons de voir les moudjahidine s'entre-tuer. Les différends entre chefs doivent être réglés au sommet ». Ils nous ont salué et nous ont laissé partir.
L. Berredjem nous suggéra de nous installer à El-Milia ou à Mila où nous comptions beaucoup de supporters. Mais, à Mila où nous avons passé la nuit, j'ai proposé à L. Berredjem d'éviter la confrontation et l'effusion de sang et insisté pour que nous quittions Mila pour une autre destination en wilaya I, pas trop loin de la wilaya II.
Nous avons alors décidé de nous installer à Ain M'lila. Nous en avons aussitôt informé l'EMG et le colonel Tahar Zebiri, chef de la wilaya I.
Le choix de Ain M'lila s'expliquait par sa proximité de Constantine (une cinquantaine de kilomètres) où Salah Boubnider, chef de la wilaya II, avait installé son quartier général. Ainsi, c'est à partir de Ain M'lila que L. Berredjem, A. Bendjaber et moi-même opérions. Nous avons établi des contacts avec des officiers de la wilaya II par personnes interposées, par courrier, par téléphone et par tracts.
Au même moment, le commandant Kaid Ahmed, membre de l'EMG, se rendit à Médéa pour rencontrer les cadres de la wilaya
IV. Mais le conseil de la wilaya, non convaincu des thèses développées par Kaid Ahmed, l'ont prié de quitter la wilaya. Il quitta Médéa pour Constantine. Là, il s'est fait arrêter par le conseil de la wilaya II.
Le 10 juin, Krim Belkacem et Mohamed Boudiaf rentrent à Alger puis se rendent à Tizi Ouzou et à Constantine où ils s'assurent du soutien actif des wilayate II et III.
Au total, à la fin du mois de juin et à la veille du référendum sur l'autodétermination, le rapport de force sur le terrain est incontestablement favorable à l'EMG. Celui-ci dispose, en effet, d'une armée bien entraînée et disciplinée forte de 24 000 hommes aux frontières, de l'appui des wilayate I, V et VI et de celui de deux commandants, membres du conseil de la wilaya II. De plus, l'alliance avec Ben Bella et Khider donne à l'EMG une dimension politique d'envergure capable de drainer des ralliements et des appuis nécessaires au règlement politique de la crise à leur profit.
Quant au GPRA, il bénéficie du soutien de la wilaya II (dont le commandement est divisé), de la wilaya III et de la Fédération de France. La wilaya IV restant neutre.
Après la défection de Ben Bella, Bitat, Khider et Mohammedi Said, alliés de l'EMG, le GPRA ne compte plus que de 8 ministres. Après le retour en Algérie de Krim et Boudiaf, malgré l'interdiction qui leur est imposée par les accords passés avec la France, il ne reste à Tunis que 6 membres du GPRA. « Le 26 juin marque la fin du gouvernement »58. Le dernier acte du GPRA pris le 30 juin à l'instigation de Krim et de Boudiaf concerne la destitution de l'état major général. Ce jour là, « le FLN, en tant que large rassemblement national, a vécu »59.
Le Mouvement Algérien des Officiers Libres
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1962 : L'armée des frontières s'achemine au pouvoir
La prise de pouvoir par l'armée des frontières dirigée par Boumediène est passée par plusieurs phases dont nous allons rappeler brièvement les faits saillants. Mais, au cours de cette phase, l'armée des frontières s'abrite derrière la direction politique du FLN conduite par Ben Bella et Khider.
Mars-juin 1962
Après le cessez-le-feu et la libération des chefs historiques Ait Ahmed, Ben Bella, Bitat, Boudiaf et Khider, le GPRA se réunit le 22 mars à Rabat et examine le conflit qui l'oppose à l'EMG. La proposition de Ben Bella de convoquer le CNRA pour trouver une solution à la crise est rejetée.
L'EMG invite les cinq chefs historiques libérés, membres du GPRA, à se rendre à Oudjda pour y rencontrer les cadres de l'ALN. Par cette visite, Boumediène veut donner l'occasion à Ben Bella de s'exprimer publiquement et développer des idées défendues jusque là par le seul EMG. A Oudjda, Ben Bella est très chaleureusement accueilli. Ce qui déplait à ses compagnons.
Alors inquiet du rapprochement de Ben Bella et de l'EMG, le GPRA décide de suspendre toute forme d'approvisionnement de l'ALN. De retour d'Egypte où il est invité par le Président Gamal Abdel Nasser, Ben Bella déclare à son arrivée à Tunis le 14 avril 1962, où il est accueilli par le Président Bourguiba, certains ministres du GPRA et par des officiers de l'ALN représentant l'EMG : « Nous sommes des Arabes, nous sommes des Arabes, nous sommes des Arabes ». Cette fameuse déclaration, transmise par la radio tunisienne est favorablement accueillie par l'ALN stationnée aux frontières tandis qu'elle exaspère le GPRA.
A l'invitation de l'EMG, Ben Bella et ses quatre compagnons se rendent aux frontières algéro-tunisiennes où ils reçoivent un accueil très chaleureux. Au cours d'une réunion avec les officiers de l'ALN, Ben Bella et Boudiaf prennent successivement la parole. Ben Bella est très applaudi mais Boudiaf beaucoup moins.
A la fin du mois d'avril, la tension monte entre le GPRA et l'EMG. A la suite d'un incident provoqué par l'armée française à l'encontre d'unités de l'ALN dans le djebel Beni Salah, l'EMG accuse l'armée française de ne pas respecter les accords d'Evian et menace de riposter s'il n'est pas mis fin à de telles provocations. Le calme et le respect du cessez-le-feu arrangent l'EMG pour poursuivre l'envoi d'officiers et de maquisards (déguisés en civils) à l'intérieur avec les réfugiés qui regagnent massivement le pays dans un cadre organisé.
Agacé par les déclarations fracassantes de l'EMG et par son comportement tendant à améliorer ses positions sur le terrain, le GPRA décide de geler le budget de l'EMG pour le paralyser. De ce fait, l'ALN des frontières se trouve en quelques semaines privée de ressources financières et matérielles régulièrement allouées par le GPRA. Mais prévoyant de telles mesures de représailles, l'EMG avait pris au préalable le soin de gonfler ses stocks et de mettre de côté d'importantes sommes d'argent pour précisément faire face à toute éventualité.
Devant le pourrissement de la situation, Ben Bella, Bitat et Khider relancent le GPRA pour convoquer le CNRA et finissent par obtenir la majorité en dépit de l'opposition du triumvirat Krim, Boussouf et Bentobbal, jusque là maîtres du jeu. Le CNRA est en-fin convoqué. Il se réunit le 27 mai 1962 à Tripoli (Libye). Il adopte le programme du FLN. Préparé par une commission créée à cet effet, ce programme est désormais appelé « programme de Tripoli »57.
Si le programme est adopté sans difficulté, par contre les discussions sur le choix des membres du Bureau Politique sont houleuses et mettent au grand jour les divisions profondes du CNRA. Deux courants politiques s'affrontent. L'un de tendance occidentale dirigé par le GPRA (à l'exception de Ben Bella, Bitat, Khider et Mohammedi Said) s'appuie sur la wilaya III et une partie du commandement de la wilaya II (Salah Boubnider, Tahar Bouderbala et Abdelmadjid Kahlaras) ainsi que sur la Fédération de France. L'autre, de tendance arabo-musulmane est dirigée par Ben Bella, viceprésident du GPRA. Il dispose du soutien de l'EMG, des wilayate I, V et VI et celui de deux commandants de la wilaya II, à savoir Larbi Berredjem et Rabah Belloucif. Bien que d'obédience occidentale, Ferhat Abbas, Ahmed Francis et leurs amis de l'ex-UDMA rallie ce groupe pour tirer vengeance des manœuvres du triumvirat et de Ben Khedda qui les ont éliminés du GPRA l'année précédente. La wilaya IV reste, quant à elle, neutre.
57 Mohamed Harbi donne des détails très intéressants sur les conditions de préparation du programme auquel il a participé et sur la réunion du CNRA. Pour plus de précisions, voir son ouvrage, Le FLN, mirage et réalité, op. cit., pp. 330-346.
Comme le groupe de Ben Bella et de l'EMG ne dispose que de la majorité simple et non des deux tiers comme l'exigent les statuts, le CNRA se trouve dans l'impasse. Ben Khedda décide de quitter la réunion du CNRA de Tripoli et part pour Tunis le 6 juin au soir pour éviter que ne soient débloqués les travaux du CNRA et que ne soient arrêtées des décisions qui seraient défavorables au groupe du GPRA. Il est rejoint par plusieurs membres du CNRA. Il ne reste plus alors que l'épreuve de force pour s'imposer.
C'est dans ce contexte que les membres de l'EMG décident de concentrer leurs efforts sur les wilayate encore réticentes à leur égard et laissent à Ben Bella le soin de mener l'activité politique. L'EMG veut s'occuper tour à tour des wilayate II et IV pour les convaincre et les ramener dans son giron.
C'est dans ce cadre que, juste après les travaux du CNRA, l'EMG envoie comme émissaires à la wilaya II les capitaines Chadli Bendjedid (membre de la zone opérationnelle Nord), El Hachemi Hadjerès (responsable du commissariat politique au siège de l'EMG et ancien chef de la zone IV de la wilaya II), Mohammed Atailia ( chef de bataillon et ancien chef de Région, zone IV, wilaya II) et Mohamed Salah Bechichi (chef de bataillon). Mais ils sont tous arrêtés dans la plaine de Annaba sur ordre du colonel Salah Boubnider, chef de la wilaya II et allié du GPRA.
Après leur arrestation, le commandant Larbi Berredjem (membre du commandement de la wilaya II et allié de l'EMG), moi
même, capitaine (chef de bataillon) et le lieutenant Abderrahmane Bendjaber avons été aussitôt dépêchés en mission à l'intérieur. Nous sommes parvenus à nous rendre au quartier général de la wilaya II (dans les montagnes qui surplombent El-Milia) et à discuter avec de nombreux officiers en présence du capitaine Belkacem Fantazi, chargé de l'intérim de la wilaya en l'absence du colonel Boubnider. Notre mission consistait à expliquer aux cadres de la wilaya II la gravité de la crise et à dialoguer avec eux en les prévenant des dangers qui guettent la Révolution et qui découlent de la mise en œuvre des accords d'Evian et des positions erronées du GPRA. Les discussions se passent dans un climat serein et courtois. Mais, les cadres de la wilaya II, coupés des informations sur le GPRA, l'EMG et le CNRA, demeurent sceptiques devant les explications fournies par les trois émissaires. Il ressort de ces discussions que les cadres de la wilaya II suivent leur chef Salah Boubnider et le GPRA par discipline.
Nous avons essayé, le commandant Larbi Berredjem, moimême, alors capitaine et le lieutenant Abderrahmane Bendjaber d'aller plus loin en établissant des contacts directs avec les officiers des différentes zones de la wilaya, notamment dans les zones I et II où nous avons contacté de nombreux officiers dont certains semblaient partager notre point de vue sur la crise. Mais concrètement, rien ne put être entrepris sur le terrain car en dernier ressort les dissidents potentiels se ressaisissent et refusent d'aller plus loin par discipline.
Au cours de notre visite dans la zone I que nous avons sillonné pendant quelques jours, L. Berredjem, A. Bendjaber et moi-même avons été empêchés de continuer notre tournée à bord de notre véhicule arrêté par un groupe de djounouds armés. Ceux-ci nous ont supplié en pleurant de quitter le territoire de la wilaya. Car, disaient-ils, ils ont reçu l'ordre de procéder à notre arrestation. Ils ajoutaient : « Nous avons confiance en vous. Nous savons que vous êtes sincères. Nous refusons de vous arrêter. Nous refusons de voir les moudjahidine s'entre-tuer. Les différends entre chefs doivent être réglés au sommet ». Ils nous ont salué et nous ont laissé partir.
L. Berredjem nous suggéra de nous installer à El-Milia ou à Mila où nous comptions beaucoup de supporters. Mais, à Mila où nous avons passé la nuit, j'ai proposé à L. Berredjem d'éviter la confrontation et l'effusion de sang et insisté pour que nous quittions Mila pour une autre destination en wilaya I, pas trop loin de la wilaya II.
Nous avons alors décidé de nous installer à Ain M'lila. Nous en avons aussitôt informé l'EMG et le colonel Tahar Zebiri, chef de la wilaya I.
Le choix de Ain M'lila s'expliquait par sa proximité de Constantine (une cinquantaine de kilomètres) où Salah Boubnider, chef de la wilaya II, avait installé son quartier général. Ainsi, c'est à partir de Ain M'lila que L. Berredjem, A. Bendjaber et moi-même opérions. Nous avons établi des contacts avec des officiers de la wilaya II par personnes interposées, par courrier, par téléphone et par tracts.
Au même moment, le commandant Kaid Ahmed, membre de l'EMG, se rendit à Médéa pour rencontrer les cadres de la wilaya
IV. Mais le conseil de la wilaya, non convaincu des thèses développées par Kaid Ahmed, l'ont prié de quitter la wilaya. Il quitta Médéa pour Constantine. Là, il s'est fait arrêter par le conseil de la wilaya II.
Le 10 juin, Krim Belkacem et Mohamed Boudiaf rentrent à Alger puis se rendent à Tizi Ouzou et à Constantine où ils s'assurent du soutien actif des wilayate II et III.
Au total, à la fin du mois de juin et à la veille du référendum sur l'autodétermination, le rapport de force sur le terrain est incontestablement favorable à l'EMG. Celui-ci dispose, en effet, d'une armée bien entraînée et disciplinée forte de 24 000 hommes aux frontières, de l'appui des wilayate I, V et VI et de celui de deux commandants, membres du conseil de la wilaya II. De plus, l'alliance avec Ben Bella et Khider donne à l'EMG une dimension politique d'envergure capable de drainer des ralliements et des appuis nécessaires au règlement politique de la crise à leur profit.
Quant au GPRA, il bénéficie du soutien de la wilaya II (dont le commandement est divisé), de la wilaya III et de la Fédération de France. La wilaya IV restant neutre.
Après la défection de Ben Bella, Bitat, Khider et Mohammedi Said, alliés de l'EMG, le GPRA ne compte plus que de 8 ministres. Après le retour en Algérie de Krim et Boudiaf, malgré l'interdiction qui leur est imposée par les accords passés avec la France, il ne reste à Tunis que 6 membres du GPRA. « Le 26 juin marque la fin du gouvernement »58. Le dernier acte du GPRA pris le 30 juin à l'instigation de Krim et de Boudiaf concerne la destitution de l'état major général. Ce jour là, « le FLN, en tant que large rassemblement national, a vécu »59.
Le Mouvement Algérien des Officiers Libres
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