Une flambée de patriotisme BCBG d’apparat connaît depuis peu, à l’occasion du cinquantenaire de la fin de la guerre d’Algérie, un rutilant regain de faveur. Pourquoi cinquante ans ? Pourquoi pas tous les dix ans, tous les cinq mois ou toutes les quarante-huit heures, ne serait-ce que pour entretenir auprès des nouvelles générations algériennes, le feu sacré de la guerre d’indépendance, héroïquement conquise sur la France version XX° siècle ?
L’Histoire algérienne se distille au compte-goutte. Sauf que l’Histoire comme les affaires, ne repose pas sur des sentiments, mais sur les faits et les évènements dussent-ils déplaire aux oligarchies régnantes. L’histoire officielle, simulatrice et fourbe, s’apprend généralement à l’école primaire, on apprend aux petits enfants dans les livres des historiettes concoctées par les «stars» politiques du moment, parfois elle est restituée au compte-goutte, furtivement. En Algérie la génération qui a participé à la guerre d’indépendance sait les véritables causes des petits évènements, elle vivait dans le momentané et l’éphémère, dans l’instant révolutionnaire, mais l’histoire çà ne fonctionne qu’en grand. Aussi il appartient aux historiens de ne pas mêler les bons grains et l’ivraie.
L’histoire qui s’écrit avec un grand H, ignore les groupes de choc de la bataille d’Alger et les maquisards à l'affût des half-tracks de l’armée coloniale sur les routes isolées à l’aube, les vieilles paysannes qui sciaient de nuit les poteaux télégraphiques, les petits enfants surchargés de couffins pleins d’armes qui s’engouffraient dans les impasses de la Casbah d’Alger. Elle est réservée aux héros autoproclamés qui la font et la défont comme Esdras réécrivant la bible. Cependant que l’un après l’autre, les titans de la révolution s’en vont solitaires et en silence.
On ne peut pas compter sur les apologues du mensonge pour écrire ou dire des vérités historiques. Par crainte des jugements et des damnations, jamais personne ne vous dira : Hélas, j’ai parlé sous la torture, j’ai vendu la mèche, j’ai trahi mes compagnons de lutte. La chape de plomb enjolivée est faite de censure et d’autocensure. Ces choses-là on les stocke à part dans les méandres de la mémoire, on ne les confierait pas même à Dieu. Ces choses-là, c’est pire que silence et bouche-cousue.
Cinq décennies après la libération, l’Histoire algérienne fait toujours l’objet de maniements et de détournement déshonorants de la part de castes et de coteries. Elle est mise sous le boisseau au service d’une problématique complaisante qui lui est étrangère, sans jamais faire l’objet de critique ou d’analyse interne et externe méthodiques. On attend avec impatience de feuilleter les dépôts et les cartons d’Aix-en-Provence pour reproduire l’histoire de l’Algérie en imitant les annales françaises.
Au musée du Louvre, plutôt qu’à AlgerLa famille de l’émir Abdelkader a proposé au Musée du Louvre par l’intermédiaire d’un marchand de bric et de broc installé à Damas, des objets personnels ayant appartenu à l’émir. La copie de cette lettre dort dans nos archives depuis des années. Une indiscrétion du Musée du Louvre a voulu que nous soyons l’heureux destinataire de ce pli sournois, perfide et si peu indélicat envers l’Algérie et les Algériens, qui continuent de porter une grande estime à l’émir Abdelkader.
L’émir, à travers l’Algérie qui n’a jamais cessé d’honorer le personnage et ses descendants, ces princes et princesses de pacotilles, ne méritait pas cet affront posthume. Les musées ne manquent pourtant pas en Algérie, pour qu’on s’adresse au Musée du Louvre. Comme on vendrait des Houmous. L’Algérie s’est montrée plus que généreuse, voire même prodige, avec cette famille qui s’est copieusement désintéressée de la patrie de ses aïeuls. C’est dans les moments difficiles que l’on reconnait ses amis. Et les largesses faites à cette famille par le Trésor public algérien, sont phénoménales.
Mohamed El-Fatih, descendant de l’émir Abdelkader, cherchait à vendre il y a quelques années, un patrimoine immobilier inestimable offert à son père Saïd par le président Boumediene, en 1966. Il s’agit de Dar Al-Baraka, un palais des mille et une nuits, un manoir sis à Alger, rue des Moussabilin (ex Fontaines), prés du boulevard Mohammed V. Les Algériens sont prodiges des richesses patrimoniales chèrement acquises après la guerre que l’on sait.
Ahmed Taleb IbrahimiC’est ainsi qu’Ahmed Taleb Ibrahimi qui était alors ministre de la Culture, céda dans les années 1960, la fameuse pierre de l’oued Djerat à Henri Lhote, en guise de cadeau comme s’il s’était agi de son bien familial particulier. Des années plus tard, une délégation de Touaregs était venue au Musée de l'Homme à Paris demander la restitution de cette pierre considérée comme taboue et sacrée pour ces groupes. La délégation de Touaregs fut menacée d'expulsion par Pierre Colombelli, le collaborateur de Henri Lhote. Ces mêmes Touaregs lui préparaient le thé dans le cadre de l’hospitalité saharienne légendaire. J’ai adressé un courrier à Colombelli il ne m’a jamais répondu.
En 1987, Henri Lhote sollicité une nouvelle fois, déclara "avoir" oublié où se trouvait cette pierre. Beaucoup de personnes jurent avoir vu cette pierre au Musée de l'Homme à Paris. Elle y est toujours. Ainsi va l’Algérie postcoloniale. Peu pressée de recouvrer ses richesses patrimoniales qui sont le fondement de son identité, l’Algérie dilapide ses biens matériels en demandant réparation à la France pour d’anciennes souffrances, enchaînées dans les méandres de la mémoire collective.
L’Émir, ami de la FranceL’émir ami de la France, lorsque les Algériens mourraient de guerre, de famines et de maladies par milliers. De quoi la famille de l’émir Abdelkader a-t-elle souffert depuis 1861 à Damas ? De rien, de ne pas avoir tiré suffisamment de marrons du feu. Refusant de vivre sous la domination française, des milliers d’Algériens ont fui l’Algérie à feu et à sang pour rejoindre en Syrie, le grand étrillé du mouvement national national, l’Emir Abdelkader. Celui qui deviendra le grand ami des bourreaux des Algériens ne se souciera guère du pays qui le fit sultan, de Mascara. Ces Algériens formeront la cour du sultan de Mascara, qui mena une vie de pacha syrien dans un palais bâti avec une pension française surprenante.
Pendant ce temps les insurrections se succédaient en Algérie, d’est en ouest et du nord au sud. "Je viens vous donner une parole sacrée, et qui après elle ne doit laisser aucun doute dans votre esprit, savoir : que je ne m'occuperai plus de fomenter des troubles contre les Français, ni par moi-même en personne, ni par mes paroles, ni par mes écrits, ni par aucun des miens, et cela pendant toute ma vie. Je fais ce serment devant Dieu, par Mohammed, Abraham, Moïse et Jésus-Christ ; par la Thora, l'Évangile, les Zoubour, le Coran ; par la Mecque et Médine, par la Terre Sainte. Je le jure par le Bokhari et le Moslim et par ce que nous avons de plus sacré. Je le jure par le cœur et par la langue. Je renonce entièrement à m’occuper des affaires des Français. Tous nos compagnons font le même serment, ceux qui signent la présente déclaration et ceux qui ne la signent point, ne sachant pas écrire ; tous, au nombre de cent."
Pétain version algérienne, signant l’armistice avec les occupants de son pays. Il aurait fallu que l’émir renonce aussi aux biens de ce monde -lui qui cite le Coran, Bokhari et Muslim- comme il renonça à l’Algérie. L’émir qui prêchait le djihad pur et dur, n’est pas mort en martyr. Les martyrs c’est toujours les autres. L’émir Abdelkader, sultan de Mascara, fut un autre Maréchal Pétain. Leurs destins morcelés, se recoupent et s’assemblent. Pétain brilla au cours de la Première Guerre mondiale, durant la première partie de sa vie, occultée de nos jours en France, au point d’être présenté comme un héros national, il fut entre autres, le «vainqueur de la bataille de Verdun» et l'artisan du redressement du moral des troupes françaises en déroute. Rappelé le 17 mai 1940 lors de l'invasion allemande Pétain abandonna la lutte, en signant l’armistice avec les allemands.
L’émir, conjecturant de la force de résistance des Algériens, s’opposa à la poursuite d'une guerre de libération qu'il considérait comme perdue et dont il imputa bientôt la responsabilité aux tribus qui refusaient son autorité despotique. Il arrête les combats, signe la suspension définitive des hostilités avec les français, après avoir remis ses armes et offert son cheval au roi de France. Le pays était à feu et à sang.
Les Français ne le transporteront pas en Orient, ils l’emprisonneront en France. Il se retire du conflit au plus fort de la lutte, contre une pension de 150.000 francs par an, qui fait de lui un kaiser doublé d’un césar syrien. L’un des plus riches bourgeois de Damas, à l’époque de la misère arabe. Les descendants des algériens, toutes ethnies et régions confondues, qui s’établirent en Syrie avec lui, n’ont pas eu la chance de se voir attribuer des palais à Alger, ni d’être nommés ambassadeurs, à l’image de ces princes et princesses de pacotille qui tentent de raturer subrepticement les livres d’histoire à leur profit.
L’émir brisé, fatigué par la lutte armée s’est rendu. Comme Boumaza le fit avant d’aller vivre à Paris une passion amoureuse avec sa belle princesse italienne, du côté de la Chaussée d’Antin, la princesse Belgiojoso, de son vrai nom : Cristina Trivulzio Belgiojoso, (Princesse Maria Cristina Beatrice Teresa Barbara Léopolda Margherita Laura Trivulzio).
L’Émir se considérait comme FrançaisA l’avant-veille du jour où devait avoir lieu le plébiscite sur l’empire de Napoléon III, à l’époque où le chérif Boubaghla luttait férocement contre les colonnes barbares de l’armée française, l’émir écrivait (20 novembre 1852), au Maire d’Amboise pour lui demander la permission de voter : "Nous devons nous considérer aujourd’hui comme français, en raison de l’amitié et de l’affection qu’on nous témoigne". Boubaghla et Lalla Fatma N soumeur, le cherif Moulay Brahim, les Al-Titraoui, Mokhtar et Si Kouider le père, luttaient comme des lions dans les montagnes de Kabylie. Le cheikh Bouziane, son fils H’sen et Moussa Al-Darkaoui avaient été décapités depuis quelques années.
L’émir en bon patriote français s’était quand même occupé des affaires de la France à Damas, en venant à l’aide des Français que les Druzes voulaient occire. L’émir n’avait plus bougé ne serait-ce que le petit doigt pour son pays. Les écrits généraux de l’émir perpétrés durant ces années-là sont d’une banalité accablante. Il n’est pas intervenu lorsque 3 millions d’ha sur les 9 millions d’ha de terres algériennes cultivables, les meilleurs qualitativement, furent confisqués aux algériens par la France, pour cause d’utilité publique ou tout simplement saisies à leurs propriétaires pour des dettes exorbitantes non payées. Les agriculteurs appauvris par la répression, mettaient leurs terres en gage pour échapper au dénuement imposé par les français. A Alger, la mosquée Ketchaoua était transformée en cathédrale. L’émir menait une vie de châtelain en Syrie. Il inaugurait le canal de Suez, il visitait les francs-maçons à Paris en attendant sa pension mensuelle.
Notre héros national s’est fait construire à la périphérie de Damas un palais, ainsi qu’une résidence secondaire en ville, grâce au traitement qu’il recevait des français, 150.000 francs de l’époque. Des voyageurs étrangers vinrent un jour le visiter dans son palais, pour lui faire part des désastres de la France, sa nouvelle patrie, en 1870/1871. Lors de l’insurrection attribuée à Al-Mokrani. Abdelkader sans mot dire quitta ses invités pour revenir quelques instants plus tard drapé de son plus beau burnous, arborant son grand cordon de la légion d’honneur française.
On parlait à un FrançaisAprès la chute de Napoléon III, les Français se soucièrent peu de l’émir et de sa famille qui usait de la belle prestance algérienne pour séduire les nababs orientaux. C’est un placement qui rapporte. Le doyen de la faculté de médecine de Lyon en mission en Syrie dans ces années-là, rapporte : "L’influence de l’émir Abdelkader sur les musulmans diminue de jour en jour ; ses fils n’ont plus aucun crédit, et la population de Syrie voit avec stupéfaction l’argent de la France enrichir une famille digne de si peu d’intérêt". Il mourut en laissant dix fils et six filles. L’un de ceux-là donna naissance à Razzak Abdelkader, un prince coparticipant à la dynastie.
Razak AbdelkaderL’histoire du prince d’opérette Razak Abdelkader est connue. Cet arrière-petit-fils de l’émir, s’est fait marxiste-léniniste, en feuilletant prestement quelques pages duCapital et en faisant mine d’oublier un autre livre écrit par le même K. Marx concernant la question juive. Razak Abdelkader tournant le dos à la cause juste des Palestiniens, deviendra sioniste en épousant la cause des juifs extrémistes. Il a publié deux livres aux éditions Maspero dans les années 1960. Dans une interview parue dans le journal arabe, Razak Abdelkader s’étend longuement sur les raisons qui l’ont amené dès 1948, à militer pour l’idéologie sioniste, en intégrant la milice juive-sioniste Palmakh de Igal Alon, aux côtés de Yitzhak Sadeh, à l’époque de Moshe Dayan et Levi Eshkol qui se battaient pour la création d’un État israélien. Les purs et les durs du sionisme actif.
A la libération algérienne, on retrouve Razak Abdelkader en Algérie en 1962, où il tentera de créer un maquis opposé au président Ben Bella. Rétrospectivement il faut rendre hommage à la vigilance des services algériens, qui appréhenderont ce folklorique contra en 1963, avant de l’expulser manu-militari du territoire national. Était-il téléguidé par Israël pour déstabiliser le nouvel état algérien ? Sachant en particulier que l’état sioniste participa aux barouds ultras de l’OAS contre la population civile algérienne.
L’arrière-petit-fils du sultan de Mascara, retourna en Israël où il tentera vainement de s’établir dans un kibboutz. Il s’installera dans le village goyim de Majdel, en brûlant la mèche sioniste par les deux bouts. Il épousa une Polonaise d’origine juive. Ses enfants nés juifs, combattront dans les rangs de Tsahal. On ne compte pas ses articles paru dans la presse juive à la gloire du sionisme ; toute sa vie il sera opposé au processus de paix. Il meurt en 1978, seul un kibboutz acceptera tout de même d’accueillir sa dépouille mortelle. Son dernier souhait fut de ne pas être enterré en direction de La Mecque. Sur sa tombe sont gravés les mots Dove Golan, "l’ours du Golan". Un arrière petit-fils qui avait mal tourné en somme, dont plus personne ne parle par pudeur, qui ne s’embarrassait pas de détails, il avait appris à hurler avec les loups. Quelle faute inavouable avait donc commis l’émir Abdelkader pour qu’elle retombe, selon l’adage, aussi curieusement sur ses petits-enfants ?
Les effets de l'Emir proposés au Musée du LouvreMais venons-en aux effets vestimentaires ayant appartenu à l’émir Abdelkader qui furent proposés au Musée du Louvre par des descendants influents de l’émir. Nous n’avons pas pu identifier ce personnage mercantile de la famille de l’émir. Ce personnage, homme ou femme, ne mérite pas de l’Algérie qui le fit prince par procuration. De même, nous ignorons si la vente du palais algérois Dar Al-Baraka offert par Boumediene à cette famille, a eu lieu. Nous ignorons aussi si les effets de l’émir proposée au Musée du Louvre ont trouvé un acquéreur.
Dar Al-Baraka ce patrimoine des algériens aurait du être affecté en usufruit aux descendants de l’émir. De même que les objets proposés au Musée du Louvre, qui devraient être incessibles, invendables, et revenir obligatoirement à l’Algérie, la patrie oubliée de l’émir. Afin que nos enfants n’oublient pas la lutte de libération nationale, depuis 1830 et se souviennent. Ces marchandages honteux, font partie des pages de l’histoire dissimulée aux évaluations du public, le peuple comme toujours n’est au courant de rien.
Voici la translitération de la lettre écrite en anglais par le marchand de Damas, qui propose au Musée du Louvre d’acheter les effets de l’émir Abdelkader. Ce marchand n’est que le représentant de la famille de l’émir. La lettre dont on trouvera la copie ci-joint, dit en substance
"Messieurs,
Avec nos meilleures salutations, nous vous adressons cette lettre à laquelle nous joignons des photographies de certains objets personnels ayant appartenus au prince Abdul Kader l’Algérien (le leader de la révolution des algériens contre l'occupation française en Algérie, qui fut emprisonné en France avant d’être libéré par Napoléon III. Le prince passa le reste de sa vie à Damas-Syrie). Ces objets appartiennent à sa famille, nous espérons que qu’ils retiendront votre intérêt et que vous aurez la chance de les acquérir.
Ces objets se présentent comme suit :
- Deux pièces de textiles comme indiqué dans des images (12) et (13) (...) Dans l'image (13) est représenté son sceau.
- Certains des tissus privés du prince, sont présentés ici par une série d'images.
Une collection des médailles (...) représentant Aniseh Khanom, la soeur de Izzat Basha ...
Nous attestons que cette collection a une importante valeur historique, espérons qu'elle suscitera votre intérêt.
Etc...
23/01 /1992 (la représentante du M. Z.. T... (directeur général)".
On aurait aimé que ces mots de Jean Jaurès citant Clemenceau (Chambre des députés, 27 mars 1908), aient été prononcés par notre émir national et ex-sultan de Mascara. "On a tué, massacré, violé, pillé tout à l’aise dans un pays sans défense, l’histoire de cette frénésie de meurtres et de rapines ne sera jamais connue, les Européens ayant trop de motifs pour faire le silence (...). Rien n’est plus contraire aux intérêts français que cette politique de barbarie."
On aurait plus particulièrement apprécié que les effets vestimentaires proposés par la famille de l’émir au Musée du Louvre reviennent charitablement à l’Algérie glorieuse.
Ali Farid BelkadiHistoire/Anthropologie
TIGER (1)