Du petit au grand pardon
par Ali Brahimi *
par Ali Brahimi *
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La visite effectuée cette semaine par le Président français en Algérie, fut précédée de préparatifs intenses dans les deux rives de la mer azuréenne. Elle a aussi fait l'objet de commentaires divers, au niveau médiatique, à la suite des déclarations d'un membre du gouvernement algérien. Ces allégations ont été considérées, de part et d'autre, comme inappropriées et inconvenantes au caractère particulier de cette visite qui ne désespère pas, pour autant, de conforter des liens d'amitié déjà existants mais surtout d'établir, d'après les intentions affichées par les deux raisons d'Etat, une nouvelle vision de coopération économique multiforme et mutuellement profitable. Les perspectives sont effectivement nombreuses et prometteuses. Elles se chiffrent à plusieurs dizaines de milliards d'euros, sans compter l'aisance financière de l'Algérie, qui pourrait assurer un partenariat d'excellence, qualifie-t-on. La volonté du gouvernement français de se saisir d'une bonne partie de ces opportunités, a été plus ou moins assortie.
Par contre, le champ mémoriel d'une période douloureuse de notre histoire commune est laissé en friche et interpelle, plus que les autres « créneaux », des investissements d'ordre moral et de valeurs humaines. Bien évidemment, cela nécessiterait d'autres itinéraires, intérêts, protocoles. Certains prédisent que ce temps de semailles des symboles apaisants adviendrait en temps voulu. Pour le moment, on fait les préparés, affirme-t-on. En d'autres termes, d'exhorter la jeunesse algérienne de regarder plus vers l'avenir que le passé. Le président français n'y manquerait pas de le répéter à l'occasion de sa visite de Constantine - décidément ville symbole des « discours » suspendus - et même de condamner les crimes qui ont été commis au nom de la République française.
Dans le même sillage et avec le temps laissé au temps, les représentations nationales du peuple français reconnaîtraient-elles clairement un jour - ce serait vraiment celui d'un autre 1830 en termes de miracles de l'histoire et d'un avenir commun radieux - les méfaits abjects de cette période à ses débuts et jusqu'à la fin, comme l'ont fait bon nombre de ses soldats, officiers, certains hommes politiques, de culture, historiens...? Des faits et des témoins potentiels, irréfutables pour un jugement et un arrêt. Et pourquoi pas ne pas demander le grand pardon et d'éviter ainsi le cumul des égratignures et des gênes continues, de part et d'autre. Le tout, dans un sacrement digne d'être écrit en lettres d'or sur les frontons des deux rives, une fois pour toutes ?
Dans l'autre sens, les élites algériennes d'hier et d'aujourd'hui, en présence, avec leurs différences socio-éducatives et politico-culturelles, sont-elles vraiment disponibles et surtout déterminées, à engager des réflexions profondes et sereines sur les conséquences négatives mais aussi - malgré que cela puisse paraître incongru aux yeux de certains - positives en termes de comportements liés aux bonnes volontés et altruismes de certaines personnes, de ce système, dépourvues de visées aliénantes ? Et d'évacuer, intelligemment, toutes les amertumes et traumatismes causés par un système colonial dominateur et exploiteur, pur produit d'arrogances, d'une France elle-même humiliée par ses voisins après son déclin impérial européen et ragaillardie par une révolution des déçus de l'Histoire ? (1).
130 ans après, leurs descendants vont revivre dans un autre contexte d'autres déceptions, complexes, qu'ils ont inculquées à d'autres Algériens que l'on désigne aujourd'hui de harkis et pour les autres dépités et errants de l'ex-empire colonial français des qualificatifs saugrenus, réducteurs, discriminatoires, malgré tous les petits pardons octroyés par des cérémonials en médailles... et pensions. Que des « barricades » dressées jusqu'à ce jour, notamment en rive nord...
Des questions posées depuis des décennies, en attente à des réponses limpides. A chaque occasion, on ne convoque que les vieux démons grimaçants des deux rives. Cette fois-ci, l'on a invité les plus pernicieux, tout juste avant un rendez-vous au plus haut niveau des Etats, préparé depuis plusieurs semaines et tout d'un coup, une mouche pique précipitamment un membre influent de la famille dite révolutionnaire et le pousse à faire des déclarations « fracassantes » comme s'il s'agissait d'un scoop d'alerte, mais à la gouverne de qui ? Pourquoi ne pas l'avoir fait bien avant, en d'autres occasions similaires ? Et pourquoi l'avoir fait à quelques jours seulement de cette visite ?? Cela nous rappelle, dans un autre sens, l'histoire de la « paix des braves » décidée entre deux ou trois hommes, dans un bureau de l'Elysée, avec le général De Gaulle avec tous ses en dessous diminuants; alors que le combat libérateur engagé est celui de tout un peuple qui avait bravement fait fi à toutes les mauvaises « senteurs » qui l'envahissaient...
En effet, les débats mémoriels pour éclairer les états d'esprit des générations actuelles et futures, se font au gré des circonstances et ne s'inscrivent pas dans la durée, d'autant plus qu'il n'existe pas une volonté de les agencer dans un cadre de partenariat autonome, dont le travail nécessiterait des années, pour enfin aboutir à un condensé mémoriel ne lésant que les actes et mensonges des individus, et ne glorifiant que la mémoire des seuls peuples. Par conséquent, ces controverses n'intéressent pas - malgré leurs bonnes volontés et pertinences - uniquement les historiens, encore moins les politiques et autres moralistes de chapelles, pour des considérations de convenances conjoncturelles et intérêts étroits, car c'est bel et bien une « affaire » entre deux peuples traumatisés différemment mais obligés, malgré tous les écarts mémoriels et les égards ratés, de cultiver durablement le champ d'honneur des mémoires apaisées par de vrais pardons, des petits aux grands, sans échappatoire aucune. Concrètement, c'est d'arriver à mêler patiemment, dans un creuset alimenté par des réflexions intelligentes et de haute portée culturelle, permettant de fusionner les passions, les douleurs, les intérêts moraux et matériels des deux mémoires en une seule : celle de l'Humanisme (2). Un métal précieux impérissable. Une oeuvre gigantesque inédite de longue haleine, utopique même, mais qui serait concluante un jour ou l'autre d'autant plus que depuis 45 ans, un éventail d'autres événements liés sont survenus, se succèdent et évoluent vélocement dans les deux pays. Ils ont aussi leurs poids sur ce processus mémoriel. Ce ne serait, en fin de compte, qu'une question d'assises mémorielles pertinentes et de verdicts d'une histoire mouvementée partagée. Comme en 1830, 1945, 1954, 1962... !
Le système colonial, de par son essence, ne tenait pas compte du temps ni des gens qu'ils l'agacent et le confondent, par daltonisme conquérant, avec le paysage. Seul l'espace l'intéressait, l'obnubilait et de ce fait, il s'est figé dans ses chimères jusqu'à sa fin tragique. Aveuglément. Ainsi, du « royaume arabe » de Napoléon III - une idée généreuse mais étouffée dans l'oeuf - à l'Algérie française puis.. algérienne - jusqu'au chaos - des ténors de la quatrième et cinquième république française, l'on ressent cette volonté de justifier une aventure ne menant nulle part, en terme de société humaine juste et durable. De nature, le système colonial est ségrégationniste qui, avec le temps justement, s'est sabordé dramatiquement avec toutes ses convictions, passions et souvenirs. Un déchirement inouï dans le... temps et l'espace et surtout entre les communautés terriblement divisées, outragées. Certaines d'entre elles ne comprenaient pas cet aboutissement et n'admettaient nullement un tel sort, cruel certes mais qui, en vérité, est une inspiration de l'Histoire et une exigence de la majorité de la population algérienne.
Celle-ci, reprenant tant bien que mal son destin en main, aborde corps et âme une autre orbite pour dépasser le syndrome traumato post-colonial (3). Entre-temps, la France coloniale s'est empaquetée sur elle-même dans une Europe aux opinions publiques indifférentes, aux « détails » des méfaits du colonialisme et de ses déboires. Ainsi, chacun s'était déterminé à se reconstruire, malgré tout, sur les ruines d'un passé douloureusement partagé, qu'on le veuille ou non. Comme ça été fait sur les ruines romaines de Tipaza.
Aujourd'hui, par la force des choses, les deux rives ont des préoccupations qui les attirent irrésistiblement vers l'avenir. On compte sur le temps - décidément - (4) pour atténuer les rancoeurs et méfiances des uns et des autres et contempler en un seul regard d'autres horizons. L'idée d'une Union méditerranéenne est certes osée, mais pleine de générosités dans ce sens (5). Les pays maghrébins vont discuter prochainement de sa portée. Ces derniers constituent un pré carré déterminant pour l'UM. Sont-ils tous disposés pour le former ? L'Unité maghrébine - une autre UM - illustre, on ne peut mieux, les volontés respectives. Chacun a son propre dada, en terme de maîtrise des situations internes respectives liées au pouvoir et au développement des contentements des gens gravitant tout autour d'une part et les tentatives d'étouffements des nombreuses « défectuosités » liées et de toutes sortes, d'autre part.
Les pays de la rive nord l'ont bien compris et donc surfent à outrance dans cette ambiance arrangeante. En outre, les derniers éclaircissements formulés par le Président français laissent entendre que le « machin » - c'est-à-dire le projet de l'UM - ne se substituerait nullement aux anciens mécanismes euro-méditerranéens et qu'au contraire les conforterait. Alors, il ne s'agirait que d'un leurre, un gri-gri bleuté ? Ce serait vraiment le comble. Une union de contrats d'affaires animés par un facilitateur ? Un gâchis. Pourtant, que la mer Méditerranée est belle ! Et mérite mieux.
En attendant, il existe d'autres ambiances qui ont dépassé les enjeux de mare nostrum : le premier est un grand défi de coexistence entre deux peuples - israélien et palestinien - séparés par un petit rien mais pour un tas de raisons sur une petite terre mais aux grandes légendes humaines qui ont préfiguré le monde d'aujourd'hui; le second est celui de nouveaux enjeux économiques, dont l'énergétique, sous toutes ses formes, notamment huileux et gaziers, qui constitue incontestablement le centre d'intérêts, aussi bien de la finance internationale, de plus en plus « crassant », que du géopolitique.
L'un convoque toutes les énergies historiques, morales et culturelles. L'autre est le moteur, entre autres, d'un mouvement d'ensemble visant le développement du bien-être socioéconomique de la rive sud, que celui de sécurité énergétique de celle du nord, de mare nostrum. Cette sécurité et ce bien-être sont désormais soumis à d'autres enjeux, intercontinentaux, allant crescendo. Le nucléaire, bien évidemment, y aidant.
Enfin cette visite, pour 5 milliards d'euros en plus des autres en fructification mutuelle, accompagnée de bonnes intentions affichées par des personnalités de divers horizons, n'aurait, bien évidemment, ni la prétention encore moins les moyens d'escamoter le débat mémoriel aussi bien au niveau des esprits que celui comprimé dans les institutions, comme ce fut le cas pour une certaine loi du 23 février 2005, qui est un legs - cadeau - empoisonné et empoisonneur non seulement pour le présent, mais surtout pour l'avenir des générations émergentes des deux pays.
En effet, à l'Hexagone des idées et des édits, on a bel et bien raté une occasion de taille qui aurait permis de glorifier, dans les règles de l'art, aussi bien son passé colonial et donc son présent, que de préserver son humanisme consacré par une certaine Histoire de France. Celle des « colons » qui ont fait la révolution de 1789 et non de ceux qui l'ont prolongée, à tort, dans la négation des droits humains, dont l'esclavage, frère siamois du colonialisme, qu'on a condamné dans la forme et le « détail » par une loi portant le nom d'une personne et non d'une date. Que des paradoxes !
En 1966 à Médéa, j'avais eu l'occasion de débattre presque chaque soir dans une ambiance chaleureuse, à bâtons rompus, sur le phénomène colonial, avec un coopérant technique français dans le domaine vitivinicole. A chaque fois, on butait sur cette histoire du pardon. Lors d'une soirée, après une discussion animée, je lui ai fait savoir qu'en fin de compte : « nous pardonnons à ceux qui ont fait du mal, sinon à qui nous donnerions le pardon ? »... Et d'ajouter : « Et qu'on demande pardon si on ressent le moindre regret, sinon à quoi sert de regretter ? ».
Regretter, c'est déjà une certaine manière de demander un « petit » pardon. Les deux rives - c'est-à-dire les deux peuples algérien et français, notamment leurs jeunesses - attendent toujours le grand. Il suffirait d'un grandiose débat sensé, rationnel et d'une abrogation d'une loi scélérate par une autre. Difficile ? Alors, à un de ces grands jours... peut-être !!!
Notes
(1) Une allusion locale laisse entendre que si : « On m'outrage, alors en contrepartie je cogne sur ma petite soeur Fatma ». Avec plus de cruautés raffinées. Un défoulement de rancoeurs dû à ses propres déboires. Un terrible complexe d'infériorité, chargé de mépris et de délires. Une pathologie typiquement coloniale qui s'est manifestée, entre autres, après les désillusions napoléoniennes en 1830 et le 8 mai 1945 par celles des vichystes, à découvert et en camouflé... Enfin, en 1962, ce fut le temps de sa dernière fièvre. Une agonie dans la terreur généralisée tous azimuts.
(2) Voir notre article « 20 Août 1956, vu d'une jumelle de l'esprit ».
(3) Voir notre article « Inspirations et exigences d'une révolution » paru au Quotidien d'Oran du 01/11/2007.
(4) Le Khalife Omar Ibn el Khattab a laissé un dicton qu'on traduit ainsi : « Le temps, c'est comme une épée, si tu ne le tranches pas c'est lui qui le ferait ». A tes dépens ! On dit aussi, couramment, que le temps c'est de l 'argent ! Beaucoup de temps a été perdu par certains enracinés endurcis à leur terre natale qui auraient aimé assouvir leur chagrin, leur amour pour le pays aux odeurs des oranges douces et amères, leur nostalgie de jeunesse... Hélas !
(5) Nos articles parus au Quotidien d'Oran du 06/09/2007 et du 08/11/2007.
Pardonner est un acte de grandeur.
Demander pardon c'est plus, c'est de l'élévation.
La grande « affaire » entre l'Algérie et la France,
ça doit être un peu ça.
Demander pardon c'est plus, c'est de l'élévation.
La grande « affaire » entre l'Algérie et la France,
ça doit être un peu ça.
La visite effectuée cette semaine par le Président français en Algérie, fut précédée de préparatifs intenses dans les deux rives de la mer azuréenne. Elle a aussi fait l'objet de commentaires divers, au niveau médiatique, à la suite des déclarations d'un membre du gouvernement algérien. Ces allégations ont été considérées, de part et d'autre, comme inappropriées et inconvenantes au caractère particulier de cette visite qui ne désespère pas, pour autant, de conforter des liens d'amitié déjà existants mais surtout d'établir, d'après les intentions affichées par les deux raisons d'Etat, une nouvelle vision de coopération économique multiforme et mutuellement profitable. Les perspectives sont effectivement nombreuses et prometteuses. Elles se chiffrent à plusieurs dizaines de milliards d'euros, sans compter l'aisance financière de l'Algérie, qui pourrait assurer un partenariat d'excellence, qualifie-t-on. La volonté du gouvernement français de se saisir d'une bonne partie de ces opportunités, a été plus ou moins assortie.
Par contre, le champ mémoriel d'une période douloureuse de notre histoire commune est laissé en friche et interpelle, plus que les autres « créneaux », des investissements d'ordre moral et de valeurs humaines. Bien évidemment, cela nécessiterait d'autres itinéraires, intérêts, protocoles. Certains prédisent que ce temps de semailles des symboles apaisants adviendrait en temps voulu. Pour le moment, on fait les préparés, affirme-t-on. En d'autres termes, d'exhorter la jeunesse algérienne de regarder plus vers l'avenir que le passé. Le président français n'y manquerait pas de le répéter à l'occasion de sa visite de Constantine - décidément ville symbole des « discours » suspendus - et même de condamner les crimes qui ont été commis au nom de la République française.
Dans le même sillage et avec le temps laissé au temps, les représentations nationales du peuple français reconnaîtraient-elles clairement un jour - ce serait vraiment celui d'un autre 1830 en termes de miracles de l'histoire et d'un avenir commun radieux - les méfaits abjects de cette période à ses débuts et jusqu'à la fin, comme l'ont fait bon nombre de ses soldats, officiers, certains hommes politiques, de culture, historiens...? Des faits et des témoins potentiels, irréfutables pour un jugement et un arrêt. Et pourquoi pas ne pas demander le grand pardon et d'éviter ainsi le cumul des égratignures et des gênes continues, de part et d'autre. Le tout, dans un sacrement digne d'être écrit en lettres d'or sur les frontons des deux rives, une fois pour toutes ?
Dans l'autre sens, les élites algériennes d'hier et d'aujourd'hui, en présence, avec leurs différences socio-éducatives et politico-culturelles, sont-elles vraiment disponibles et surtout déterminées, à engager des réflexions profondes et sereines sur les conséquences négatives mais aussi - malgré que cela puisse paraître incongru aux yeux de certains - positives en termes de comportements liés aux bonnes volontés et altruismes de certaines personnes, de ce système, dépourvues de visées aliénantes ? Et d'évacuer, intelligemment, toutes les amertumes et traumatismes causés par un système colonial dominateur et exploiteur, pur produit d'arrogances, d'une France elle-même humiliée par ses voisins après son déclin impérial européen et ragaillardie par une révolution des déçus de l'Histoire ? (1).
130 ans après, leurs descendants vont revivre dans un autre contexte d'autres déceptions, complexes, qu'ils ont inculquées à d'autres Algériens que l'on désigne aujourd'hui de harkis et pour les autres dépités et errants de l'ex-empire colonial français des qualificatifs saugrenus, réducteurs, discriminatoires, malgré tous les petits pardons octroyés par des cérémonials en médailles... et pensions. Que des « barricades » dressées jusqu'à ce jour, notamment en rive nord...
Des questions posées depuis des décennies, en attente à des réponses limpides. A chaque occasion, on ne convoque que les vieux démons grimaçants des deux rives. Cette fois-ci, l'on a invité les plus pernicieux, tout juste avant un rendez-vous au plus haut niveau des Etats, préparé depuis plusieurs semaines et tout d'un coup, une mouche pique précipitamment un membre influent de la famille dite révolutionnaire et le pousse à faire des déclarations « fracassantes » comme s'il s'agissait d'un scoop d'alerte, mais à la gouverne de qui ? Pourquoi ne pas l'avoir fait bien avant, en d'autres occasions similaires ? Et pourquoi l'avoir fait à quelques jours seulement de cette visite ?? Cela nous rappelle, dans un autre sens, l'histoire de la « paix des braves » décidée entre deux ou trois hommes, dans un bureau de l'Elysée, avec le général De Gaulle avec tous ses en dessous diminuants; alors que le combat libérateur engagé est celui de tout un peuple qui avait bravement fait fi à toutes les mauvaises « senteurs » qui l'envahissaient...
En effet, les débats mémoriels pour éclairer les états d'esprit des générations actuelles et futures, se font au gré des circonstances et ne s'inscrivent pas dans la durée, d'autant plus qu'il n'existe pas une volonté de les agencer dans un cadre de partenariat autonome, dont le travail nécessiterait des années, pour enfin aboutir à un condensé mémoriel ne lésant que les actes et mensonges des individus, et ne glorifiant que la mémoire des seuls peuples. Par conséquent, ces controverses n'intéressent pas - malgré leurs bonnes volontés et pertinences - uniquement les historiens, encore moins les politiques et autres moralistes de chapelles, pour des considérations de convenances conjoncturelles et intérêts étroits, car c'est bel et bien une « affaire » entre deux peuples traumatisés différemment mais obligés, malgré tous les écarts mémoriels et les égards ratés, de cultiver durablement le champ d'honneur des mémoires apaisées par de vrais pardons, des petits aux grands, sans échappatoire aucune. Concrètement, c'est d'arriver à mêler patiemment, dans un creuset alimenté par des réflexions intelligentes et de haute portée culturelle, permettant de fusionner les passions, les douleurs, les intérêts moraux et matériels des deux mémoires en une seule : celle de l'Humanisme (2). Un métal précieux impérissable. Une oeuvre gigantesque inédite de longue haleine, utopique même, mais qui serait concluante un jour ou l'autre d'autant plus que depuis 45 ans, un éventail d'autres événements liés sont survenus, se succèdent et évoluent vélocement dans les deux pays. Ils ont aussi leurs poids sur ce processus mémoriel. Ce ne serait, en fin de compte, qu'une question d'assises mémorielles pertinentes et de verdicts d'une histoire mouvementée partagée. Comme en 1830, 1945, 1954, 1962... !
Le système colonial, de par son essence, ne tenait pas compte du temps ni des gens qu'ils l'agacent et le confondent, par daltonisme conquérant, avec le paysage. Seul l'espace l'intéressait, l'obnubilait et de ce fait, il s'est figé dans ses chimères jusqu'à sa fin tragique. Aveuglément. Ainsi, du « royaume arabe » de Napoléon III - une idée généreuse mais étouffée dans l'oeuf - à l'Algérie française puis.. algérienne - jusqu'au chaos - des ténors de la quatrième et cinquième république française, l'on ressent cette volonté de justifier une aventure ne menant nulle part, en terme de société humaine juste et durable. De nature, le système colonial est ségrégationniste qui, avec le temps justement, s'est sabordé dramatiquement avec toutes ses convictions, passions et souvenirs. Un déchirement inouï dans le... temps et l'espace et surtout entre les communautés terriblement divisées, outragées. Certaines d'entre elles ne comprenaient pas cet aboutissement et n'admettaient nullement un tel sort, cruel certes mais qui, en vérité, est une inspiration de l'Histoire et une exigence de la majorité de la population algérienne.
Celle-ci, reprenant tant bien que mal son destin en main, aborde corps et âme une autre orbite pour dépasser le syndrome traumato post-colonial (3). Entre-temps, la France coloniale s'est empaquetée sur elle-même dans une Europe aux opinions publiques indifférentes, aux « détails » des méfaits du colonialisme et de ses déboires. Ainsi, chacun s'était déterminé à se reconstruire, malgré tout, sur les ruines d'un passé douloureusement partagé, qu'on le veuille ou non. Comme ça été fait sur les ruines romaines de Tipaza.
Aujourd'hui, par la force des choses, les deux rives ont des préoccupations qui les attirent irrésistiblement vers l'avenir. On compte sur le temps - décidément - (4) pour atténuer les rancoeurs et méfiances des uns et des autres et contempler en un seul regard d'autres horizons. L'idée d'une Union méditerranéenne est certes osée, mais pleine de générosités dans ce sens (5). Les pays maghrébins vont discuter prochainement de sa portée. Ces derniers constituent un pré carré déterminant pour l'UM. Sont-ils tous disposés pour le former ? L'Unité maghrébine - une autre UM - illustre, on ne peut mieux, les volontés respectives. Chacun a son propre dada, en terme de maîtrise des situations internes respectives liées au pouvoir et au développement des contentements des gens gravitant tout autour d'une part et les tentatives d'étouffements des nombreuses « défectuosités » liées et de toutes sortes, d'autre part.
Les pays de la rive nord l'ont bien compris et donc surfent à outrance dans cette ambiance arrangeante. En outre, les derniers éclaircissements formulés par le Président français laissent entendre que le « machin » - c'est-à-dire le projet de l'UM - ne se substituerait nullement aux anciens mécanismes euro-méditerranéens et qu'au contraire les conforterait. Alors, il ne s'agirait que d'un leurre, un gri-gri bleuté ? Ce serait vraiment le comble. Une union de contrats d'affaires animés par un facilitateur ? Un gâchis. Pourtant, que la mer Méditerranée est belle ! Et mérite mieux.
En attendant, il existe d'autres ambiances qui ont dépassé les enjeux de mare nostrum : le premier est un grand défi de coexistence entre deux peuples - israélien et palestinien - séparés par un petit rien mais pour un tas de raisons sur une petite terre mais aux grandes légendes humaines qui ont préfiguré le monde d'aujourd'hui; le second est celui de nouveaux enjeux économiques, dont l'énergétique, sous toutes ses formes, notamment huileux et gaziers, qui constitue incontestablement le centre d'intérêts, aussi bien de la finance internationale, de plus en plus « crassant », que du géopolitique.
L'un convoque toutes les énergies historiques, morales et culturelles. L'autre est le moteur, entre autres, d'un mouvement d'ensemble visant le développement du bien-être socioéconomique de la rive sud, que celui de sécurité énergétique de celle du nord, de mare nostrum. Cette sécurité et ce bien-être sont désormais soumis à d'autres enjeux, intercontinentaux, allant crescendo. Le nucléaire, bien évidemment, y aidant.
Enfin cette visite, pour 5 milliards d'euros en plus des autres en fructification mutuelle, accompagnée de bonnes intentions affichées par des personnalités de divers horizons, n'aurait, bien évidemment, ni la prétention encore moins les moyens d'escamoter le débat mémoriel aussi bien au niveau des esprits que celui comprimé dans les institutions, comme ce fut le cas pour une certaine loi du 23 février 2005, qui est un legs - cadeau - empoisonné et empoisonneur non seulement pour le présent, mais surtout pour l'avenir des générations émergentes des deux pays.
En effet, à l'Hexagone des idées et des édits, on a bel et bien raté une occasion de taille qui aurait permis de glorifier, dans les règles de l'art, aussi bien son passé colonial et donc son présent, que de préserver son humanisme consacré par une certaine Histoire de France. Celle des « colons » qui ont fait la révolution de 1789 et non de ceux qui l'ont prolongée, à tort, dans la négation des droits humains, dont l'esclavage, frère siamois du colonialisme, qu'on a condamné dans la forme et le « détail » par une loi portant le nom d'une personne et non d'une date. Que des paradoxes !
En 1966 à Médéa, j'avais eu l'occasion de débattre presque chaque soir dans une ambiance chaleureuse, à bâtons rompus, sur le phénomène colonial, avec un coopérant technique français dans le domaine vitivinicole. A chaque fois, on butait sur cette histoire du pardon. Lors d'une soirée, après une discussion animée, je lui ai fait savoir qu'en fin de compte : « nous pardonnons à ceux qui ont fait du mal, sinon à qui nous donnerions le pardon ? »... Et d'ajouter : « Et qu'on demande pardon si on ressent le moindre regret, sinon à quoi sert de regretter ? ».
Regretter, c'est déjà une certaine manière de demander un « petit » pardon. Les deux rives - c'est-à-dire les deux peuples algérien et français, notamment leurs jeunesses - attendent toujours le grand. Il suffirait d'un grandiose débat sensé, rationnel et d'une abrogation d'une loi scélérate par une autre. Difficile ? Alors, à un de ces grands jours... peut-être !!!
* Ingénieur agronome, retraité
Notes
(1) Une allusion locale laisse entendre que si : « On m'outrage, alors en contrepartie je cogne sur ma petite soeur Fatma ». Avec plus de cruautés raffinées. Un défoulement de rancoeurs dû à ses propres déboires. Un terrible complexe d'infériorité, chargé de mépris et de délires. Une pathologie typiquement coloniale qui s'est manifestée, entre autres, après les désillusions napoléoniennes en 1830 et le 8 mai 1945 par celles des vichystes, à découvert et en camouflé... Enfin, en 1962, ce fut le temps de sa dernière fièvre. Une agonie dans la terreur généralisée tous azimuts.
(2) Voir notre article « 20 Août 1956, vu d'une jumelle de l'esprit ».
(3) Voir notre article « Inspirations et exigences d'une révolution » paru au Quotidien d'Oran du 01/11/2007.
(4) Le Khalife Omar Ibn el Khattab a laissé un dicton qu'on traduit ainsi : « Le temps, c'est comme une épée, si tu ne le tranches pas c'est lui qui le ferait ». A tes dépens ! On dit aussi, couramment, que le temps c'est de l 'argent ! Beaucoup de temps a été perdu par certains enracinés endurcis à leur terre natale qui auraient aimé assouvir leur chagrin, leur amour pour le pays aux odeurs des oranges douces et amères, leur nostalgie de jeunesse... Hélas !
(5) Nos articles parus au Quotidien d'Oran du 06/09/2007 et du 08/11/2007.