(AgoraVox 27/12/2007)
Les attentats terroristes perpétrés à Alger le 11 décembre dernier, après ceux du 11 avril et du 11 juillet, démontrent clairement que l’Algérie a hélas renoué avec la période dramatique des années 93-94 même si les méthodes du GSPC ont complètement changé. En effet, tandis qu’à l’époque ces attentats consistaient en voitures piégées et divers guet-apens assassins, la période qui s’ouvre est jalonnée de jeunes kamikazes qui se font exploser au nom du Jihad. Il y a donc importation des méthodes d’Al-Qaida ayant leurs preuves en Irak. Attentats groupés et cibles choisies minutieusement sont également révélateurs du changement de paradigme d’un terrorisme dont la technique évolue par rapport aux années 93-94 où le pays était en guerre civile.
De plus, le rappel obsédant de ces dates symboles permet au GSPC d’avoir une résonance mondiale qu’il n’avait pas jusque-là. Toutefois, la date du 11 décembre est également une date importante dans la mémoire collective algérienne de l’histoire de la décolonisation : le 11 décembre 1960, les Algériens manifestaient en masse pour réclamer l’indépendance de leur pays, le jour même où le dossier algérien passait à l’étude aux Nations unies. Les deux attentats du 11 décembre dernier émettent de manière non équivoques deux signaux, l’un adressé au gouvernement algérien et l’autre adressé à la communauté internationale. Comme en avril dernier où un des sièges gouvernementaux avait été visé, Al-Qaida veut montrer qu’elle est capable de frapper le centre du pouvoir algérien. En attaquant l’ONU, elle réaffirme son rejet des instances multilatérales.
Le terrorisme en Algérie est passé par plusieurs stades : l’armée islamique du salut, branche militaire d’un parti politique ayant gagné des élections interrompues en cours de route, a évolué en Groupe islamique armé, lequel s’est par la suite transformé en plusieurs groupes salafistes de prédication et de combat, avant de muer définitivement en Al-Qaida Maghreb. Certes, cette mue ultime s’apparente à une opération « marketing » d’Al-Qaida, organisation profondément opportuniste pour laquelle toute terre sur laquelle elle peut sévir est bonne à prendre... Ayant hésité avant de se doter d’une branche particulière au Maghreb, cette organisation terroriste s’y est finalement résignée du fait de revers extrêmement sévères subis en Irak où elle est sur le déclin et en Arabie saoudite où plusieurs de ses réseaux viennent d’être démantelés.
Par ailleurs, elle entretient des relations chaotiques en Afghanistan avec la nouvelle génération des talibans qui se révèle moins dociles que par le passé. En perte de vitesse dans ces pays, elle saisit donc l’opportunité de porter un grand coup médiatique en manifestant sa présence en Algérie. Ainsi, ce pays paie-t-il le prix des échecs d’Al-Qaida dans les pays « traditionnels » du Jihad comme l’Arabie saoudite car l’objectif stratégique d’Al-Qaida est bien la prise du pouvoir à la Mecque et à Médine avec à la clé l’instauration du Khalifat. Par ces attentats en Algérie, Al-Qaida marque son territoire, affirme sa volonté d’exister même si les enjeux ciblés dans l’espace politique algérien ne lui sont pas majeurs.
De fait, plusieurs politiques contradictoires déroulent leurs effets en Algérie car le pouvoir est divisé entre une partie faisant de la réconciliation nationale son unique cheval de bataille pendant qu’une frange non négligeable de ce pouvoir - dont les militaires - prennent la mesure des risques associés à des pardons accordés tous azimuts. Cette division du pouvoir algérien et cette volonté de compromis et de négociation à tout prix avec les maquisards aboutit en un manque dramatique de vigilance vis-à-vis de groupements armés dont on espère qu’ils rendront les armes dès lors que la pression exercée à leur encontre se sera atténuée... Il semble toutefois que cette politique ait atteint ses limites car, si effectivement près de 6 000 terroristes se sont rendus ces dernières années, un certain nombre d’irréductibles - dont le nombre est estimé à 1 000 environ par les pouvoirs publics algériens - persévère dans ses exactions terroristes.
Ce chiffre, qui peut certes paraître dérisoire par rapport aux années 93-94 où l’on dénombrait près de 50 000 maquisards, constitue néanmoins un véritable casse-tête car ces jeunes « martyrs » sont inconnus des services de sécurité et ne figurent pas au répertoire des terroristes islamistes. Vivant en marge de la société, parfois victimes de conflits familiaux, ces jeunes - à qui l’on promet le Paradis - sont généralement recrutés par des imams intégristes ou par d’anciens du FIS car ils se retrouvent souvent en prison du fait de délits de droit commun.
Quant aux anciens du GIA et autres GSPC, généralement cachés en Kabylie, leur infiltration est d’autant plus ardue que leur combat n’est pas tant politique que religieux et civilisationnel. Pour ce Jihad, ils exploitent une matrice de jeunes délaissés par une société qui ne leur offre absolument rien et dans un contexte où rien n’est fait pour faire reculer l’islamisme dans les écoles et dans les mosquées. Bien au contraire, la recherche du compromis avec ces groupuscules décuple leurs énergies et rend réaliste leur objectif qui est d’établir le Khalifat en Algérie et au Maghreb...
Le pouvoir algérien s’est sabordé en mettant en place une politique consistant à pardonner aux pires criminels car, en soustrayant ces individus à la justice, il a encouragé d’autres criminels à la fouler aux pieds et, par la même occasion, a manqué de respect à une population endeuillée qui avait connu toutes les souffrances dans les années 90. Or, il ne peut y avoir de concorde nationale avant que tous les comptes ne soient soldés de manière démocratique, c’est-à-dire par la justice des hommes. Par l’entremise d’une opération de communication internationale, le pouvoir algérien a voulu faire croire que le problème était réglé et, ce faisant, a véhiculé un exemple particulièrement désastreux en direction d’une jeunesse déboussolée... La lutte anti-terroriste n’a ainsi jamais été réellement menée du fait de cette politique de « réconciliation nationale » ! Du reste, comment peut-on combattre le terrorisme islamiste quand un ministre des Anciens combattants tient un discours anti-sémite semblable à ceux que tiennent les chefs terroristes ? Le pouvoir algérien serait-il également aujourd’hui composé d’une frange intégriste ?
La modernisation de la vie politique et économique algérienne est pourtant la seule issue pour sortir le pays de cette spirale car l’islamisme extrémiste reste hélas le seul recours face à l’immobilisme et à la stagnation entretenus par un pouvoir corrompu. La gestion de la manne pétrolière est désastreuse, la population est totalement laissée pour compte avec un chômage qui s’accélère notamment chez les jeunes et une vie dans les quartiers populaires qui se fait de plus en plus pénible et miséreuse. On ne peut pas imaginer les ravages générés par ces sentiments de frustration et d’abandon d’une population qui se débat alors qu’elle sait pertinemment que le prix du baril de pétrole est passé de 20 à 100 dollars ! Pourtant, l’Algérie peut redémarrer si cet argent est utilisé à des fins sociales et si un vrai pouvoir civil s’y établit.
par Michel Santi (son site)
mercredi 26 décembre 2007
Les attentats terroristes perpétrés à Alger le 11 décembre dernier, après ceux du 11 avril et du 11 juillet, démontrent clairement que l’Algérie a hélas renoué avec la période dramatique des années 93-94 même si les méthodes du GSPC ont complètement changé. En effet, tandis qu’à l’époque ces attentats consistaient en voitures piégées et divers guet-apens assassins, la période qui s’ouvre est jalonnée de jeunes kamikazes qui se font exploser au nom du Jihad. Il y a donc importation des méthodes d’Al-Qaida ayant leurs preuves en Irak. Attentats groupés et cibles choisies minutieusement sont également révélateurs du changement de paradigme d’un terrorisme dont la technique évolue par rapport aux années 93-94 où le pays était en guerre civile.
De plus, le rappel obsédant de ces dates symboles permet au GSPC d’avoir une résonance mondiale qu’il n’avait pas jusque-là. Toutefois, la date du 11 décembre est également une date importante dans la mémoire collective algérienne de l’histoire de la décolonisation : le 11 décembre 1960, les Algériens manifestaient en masse pour réclamer l’indépendance de leur pays, le jour même où le dossier algérien passait à l’étude aux Nations unies. Les deux attentats du 11 décembre dernier émettent de manière non équivoques deux signaux, l’un adressé au gouvernement algérien et l’autre adressé à la communauté internationale. Comme en avril dernier où un des sièges gouvernementaux avait été visé, Al-Qaida veut montrer qu’elle est capable de frapper le centre du pouvoir algérien. En attaquant l’ONU, elle réaffirme son rejet des instances multilatérales.
Le terrorisme en Algérie est passé par plusieurs stades : l’armée islamique du salut, branche militaire d’un parti politique ayant gagné des élections interrompues en cours de route, a évolué en Groupe islamique armé, lequel s’est par la suite transformé en plusieurs groupes salafistes de prédication et de combat, avant de muer définitivement en Al-Qaida Maghreb. Certes, cette mue ultime s’apparente à une opération « marketing » d’Al-Qaida, organisation profondément opportuniste pour laquelle toute terre sur laquelle elle peut sévir est bonne à prendre... Ayant hésité avant de se doter d’une branche particulière au Maghreb, cette organisation terroriste s’y est finalement résignée du fait de revers extrêmement sévères subis en Irak où elle est sur le déclin et en Arabie saoudite où plusieurs de ses réseaux viennent d’être démantelés.
Par ailleurs, elle entretient des relations chaotiques en Afghanistan avec la nouvelle génération des talibans qui se révèle moins dociles que par le passé. En perte de vitesse dans ces pays, elle saisit donc l’opportunité de porter un grand coup médiatique en manifestant sa présence en Algérie. Ainsi, ce pays paie-t-il le prix des échecs d’Al-Qaida dans les pays « traditionnels » du Jihad comme l’Arabie saoudite car l’objectif stratégique d’Al-Qaida est bien la prise du pouvoir à la Mecque et à Médine avec à la clé l’instauration du Khalifat. Par ces attentats en Algérie, Al-Qaida marque son territoire, affirme sa volonté d’exister même si les enjeux ciblés dans l’espace politique algérien ne lui sont pas majeurs.
De fait, plusieurs politiques contradictoires déroulent leurs effets en Algérie car le pouvoir est divisé entre une partie faisant de la réconciliation nationale son unique cheval de bataille pendant qu’une frange non négligeable de ce pouvoir - dont les militaires - prennent la mesure des risques associés à des pardons accordés tous azimuts. Cette division du pouvoir algérien et cette volonté de compromis et de négociation à tout prix avec les maquisards aboutit en un manque dramatique de vigilance vis-à-vis de groupements armés dont on espère qu’ils rendront les armes dès lors que la pression exercée à leur encontre se sera atténuée... Il semble toutefois que cette politique ait atteint ses limites car, si effectivement près de 6 000 terroristes se sont rendus ces dernières années, un certain nombre d’irréductibles - dont le nombre est estimé à 1 000 environ par les pouvoirs publics algériens - persévère dans ses exactions terroristes.
Ce chiffre, qui peut certes paraître dérisoire par rapport aux années 93-94 où l’on dénombrait près de 50 000 maquisards, constitue néanmoins un véritable casse-tête car ces jeunes « martyrs » sont inconnus des services de sécurité et ne figurent pas au répertoire des terroristes islamistes. Vivant en marge de la société, parfois victimes de conflits familiaux, ces jeunes - à qui l’on promet le Paradis - sont généralement recrutés par des imams intégristes ou par d’anciens du FIS car ils se retrouvent souvent en prison du fait de délits de droit commun.
Quant aux anciens du GIA et autres GSPC, généralement cachés en Kabylie, leur infiltration est d’autant plus ardue que leur combat n’est pas tant politique que religieux et civilisationnel. Pour ce Jihad, ils exploitent une matrice de jeunes délaissés par une société qui ne leur offre absolument rien et dans un contexte où rien n’est fait pour faire reculer l’islamisme dans les écoles et dans les mosquées. Bien au contraire, la recherche du compromis avec ces groupuscules décuple leurs énergies et rend réaliste leur objectif qui est d’établir le Khalifat en Algérie et au Maghreb...
Le pouvoir algérien s’est sabordé en mettant en place une politique consistant à pardonner aux pires criminels car, en soustrayant ces individus à la justice, il a encouragé d’autres criminels à la fouler aux pieds et, par la même occasion, a manqué de respect à une population endeuillée qui avait connu toutes les souffrances dans les années 90. Or, il ne peut y avoir de concorde nationale avant que tous les comptes ne soient soldés de manière démocratique, c’est-à-dire par la justice des hommes. Par l’entremise d’une opération de communication internationale, le pouvoir algérien a voulu faire croire que le problème était réglé et, ce faisant, a véhiculé un exemple particulièrement désastreux en direction d’une jeunesse déboussolée... La lutte anti-terroriste n’a ainsi jamais été réellement menée du fait de cette politique de « réconciliation nationale » ! Du reste, comment peut-on combattre le terrorisme islamiste quand un ministre des Anciens combattants tient un discours anti-sémite semblable à ceux que tiennent les chefs terroristes ? Le pouvoir algérien serait-il également aujourd’hui composé d’une frange intégriste ?
La modernisation de la vie politique et économique algérienne est pourtant la seule issue pour sortir le pays de cette spirale car l’islamisme extrémiste reste hélas le seul recours face à l’immobilisme et à la stagnation entretenus par un pouvoir corrompu. La gestion de la manne pétrolière est désastreuse, la population est totalement laissée pour compte avec un chômage qui s’accélère notamment chez les jeunes et une vie dans les quartiers populaires qui se fait de plus en plus pénible et miséreuse. On ne peut pas imaginer les ravages générés par ces sentiments de frustration et d’abandon d’une population qui se débat alors qu’elle sait pertinemment que le prix du baril de pétrole est passé de 20 à 100 dollars ! Pourtant, l’Algérie peut redémarrer si cet argent est utilisé à des fins sociales et si un vrai pouvoir civil s’y établit.
par Michel Santi (son site)
mercredi 26 décembre 2007