GENOCIDE AU RWANDA, 13 ans après, Témoignage du réscapé KIZITO MIHIGO: CROIRE EN DIEU APRES LE GENOCIDE
Kizito MIHIGO est un organiste et compositeur rwandais. A 25 ans, il est étudiant au Conservatoire de Musique de Paris
TEMOIGNAGE
Je suis né le 25 juillet 1981 à Kibeho, province de Gikongoro dans le Sud du Rwanda. Kibeho est une des régions les plus évangélisées de notre pays. Tous les habitants de la région étaient tous catholiques pratiquants. L'Eglise de Kibeho construite en 1934, faisait partie des principaux monuments de l'Eglise les mieux construits chez nous. Lors des massacres des tutsis de 1959, l'Eglise de Kibeho fut l'un des lieux surs et sauveurs, où les tutsis de toutes les régions environnantes pouvaient se cacher sans aucune crainte de l'assassin. Raison pour laquelle la plus part des tutsis, avaient choisi de s'y installer après ces massacres. En 1994, l'année du génocide, plus de 99% de la population de Kibeho étaient tutsis.
Mon Père BUGUZI Augustin, directeur de l'Ecole Primaire de Kibeho et ancien élève des premières écoles religieuses de Save, était quelqu'un de très appliqué dans l'Eglise. Il aurait d'ailleurs voulu devenir prêtre avant de rencontrer ma mère ILIBAGIZA Placidie, qui elle aussi était enseignante à l'école primaire de Kibeho. Mes parents m'ont donné le nom de MIHIGO grâce à mon grand père paternel qui s'appelait ainsi, et le prénom Kizito, grâce aux premiers martyrs ougandais.
En 1990, lors de la première attaque du FPR, Kibeho étant géographiquement mal placé, n'était pas parmi les régions les plus informées de ce qui se passait de l'autre coté, en l'occurrence en Ouganda. Le lendemain de l'attaque, je me réjouissais d'aller raconter à mon père comment notre pays venait d'être envahi par les petits animaux appelés Inyenzi Inyangarwanda. Et très convencu, je lui demandais de tout faire pour que ces animaux, comme nous disait la radio, n'arrive pas dans notre région.
Mon père qui apparemment était au courant de tout, et comprenait la situation beaucoup plus que moi, changea d'attitude depuis ces jours là. Il devint très calme, très pensif, beaucoup plus spirituel, lui qui alla à la messe chaque dimanche, commença désormais à y aller tous les jours, et nous les enfants, on se demandait pourquoi.
En avril 1994, avant même l'attentat de l'avion, les habitants de Kibeho étaient tous envahis de peur. Les écoles étaient fermées depuis quelques semaines, les étudiants hutus menaçaient leurs collègues tutsis, les voisins qui habituellement étaient nos amis, ont brusquement commencé à menacer mon père et ma mère en leur disant que leurs enfants allaient être tués à leurs yeux, et que nos vaches aller bientôt être mangées. Nous les enfants, on y croyait pas. Tous les gens qui venaient chez nous pour demander à manger et à boire, et qui tous partaient contents et rassasiés voire ivres, n'allaient pas, disions-nous, tout oublier d'un seul coup. On pensait au contraire qu'ils allaient nous protéger de cette guerre qui se murmurait depuis quelques mois.
Le 7 Avril 1994 le matin, j'ai croisé mon père dans le couloir de notre maison, et il ne semblait pas avoir dormi. Il avait les yeux rouges, comme quand il était fâché. Il est allé faire un tour derrière la maison, et il est revenu en nous disant : « Venez voir ce qui se passe sur la colline en face » Toutes les maisons de nos voisins en face, brûlaient en même temps, et on se demandait qui étaient capables de brûler ces maisons en même temps car elles étaient quand même nombreuses. …….. Arrivés à l'Eglise, nous avons été traumatisés par des milliers et des milliers de personnes, hommes, femmes et enfants venant de toutes les régions voisines.
L'Eglise était pleine, l'Ecole primaire aussi, et les gens commençaient à s'installer dans une école secondaire voisine.
Mon père était parmi les tutsis les plus recherchés de la région et il avait très peur, moi je l'ai vu. Il est venu nous trouver à la maison et il nous a demandé de partir, et d'aller dans une famille amie à Runyinya, une des communes de Butare. Mon père est resté avec sa mère qui était très âgée et qui ne savait plus marcher. Il nous disait que si la situation devenait trop grave, il allait prendre son vélo, et nous joindre à Butare. On devait partir à pied, et de préférence pas par les routes principales. Nous avons pris le chemin de la foret et nous avons allongé la rivière appelé Uwarunyerera. Après quelques kilomètres avec mes sœurs, ma mère et mon petit frère dans son dos, quelques hutus nous ont vu en train de traverser la vallée. Parmi eux il y avait les enseignants collègues de mes parents, l'inspecteur d'arrondissement, il y avait aussi l'agronome de la commune. Ils étaient assis sur les collines autour de nous, je crois qu'ils attendaient un signal pour aller tuer les gens dans l'Eglise. Ils nous ont vu et ils sont descendus des collines en criant : « Ce sont les riches, ce sont les riches, ils ne doivent pas nous échapper », et nous, nous avons couru dans différentes directions. Ma maman avait mon petit frère dans le dos, elle ne savait pas courir. Elle s'est cachée dans un trou à coté de la rivière, et j'ai rencontré mes soeurs une à une après quelques kilomètres dans la foret. A un certain moment nous avons cru que ma mère avait été tuée.
Ma mère a passé en effet le reste de la journée dans ce trou, et la nuit aussi. Le lendemain, elle nous a rejoint à Butare, et nous avons pleuré ensemble.Elle nous dit que les personnes qui nous poursuivaient ont traîné tout prêt de ce trou en fouillant partout. Quelques heures après son arrivée, nous avons vu l'Eglise de Kibeho en train de brûler, et nous entendions de loin les coups de feu. C'était la première fois que nous avons entendu le bruit d'un fusil, et nous nous demandions ce que devenait papa au milieu de tout cela.
Il nous avait dit que si la situation s'aggravait, il allait prendre son vélo et nous joindre à Butare. Nous avons passée toute la nuit tout yeux tout oreilles. On attendait papa avec son vélo.
Vers les 10h du matin, nous avons entendu « induru » les cris dans le quartier où on logeait. Après quelques minutes, c'était les coups de feu. Le bruit des fusils était tellement proche de la maison qu'on croyait l'entendre dans nos cœurs. Tout le monde tremblait. Maman nous demandait tous de prier, mais on n'y arrivait pas. Personne ne pouvait se concentrer. On prenait les chapelains en main, mais on en faisait rien. On a décidé de quitter la maison en courant. Moi j'ai pris la radio, mes sœurs ont pris les habits, les autres ont pris la vaisselle, et tout ce qui pouvait être portable, mais je vous jure que personne n'a couru plus de 500 mètres avec. Il y avait un très long fil des hutus qui nous demandaient l'argent, tout ce que nous avions, ou alors, nous tuer. Il y avait aussi quelques twa avec eux. Quelques dizaine de tutsi de ce village, sont morts en ce moment là.
Après avoir donné tout ce que nous avions, ils nous ont conduit au centre de Karama, toujours en province de Butare, et ils nous ont dit que les massacres étaient finis. Nous avons failli y croire car on a passé plus de deux semaines dans ce centre, on était beaucoup de milliers dans ce centre et on attendait qu'ils viennent nous tuer, mais je crois qu'ils avaient peur parce qu'on était très nombreux. Pendant la nuit, on était attaqués par des petits groupes des hutus armés mais à chaque fois on les combattait, et on les chassait. Moi et ma famille nous dormions dans une salle paroissiale, entre l'Eglise et l'Ecole. On était tellement nombreux dans cette salle, que quelques fois je préférais aller dormir dehors malgré le danger.
Les gens dormaient au dessus des autres, on dirait les sacs de charbons … Quand on voulait sortir pendant la nuit, on marchait au dessus des gens. Un enfant a voulu aller faire pipi, on lui a dit de marcher sur les gens, et d'aller faire pipi à travers la fenêtre, et il est revenu en morceau. On lui a lancé une grenade à travers la fenêtre. Les gens qui dormaient à coté de la fenêtre, ont été tous blessés. Moi je n'ai rien su, parce que j'étais en dessous. J'étais étouffé, je ne pouvais pas respirer, mais, au moins j'ai été sauvé de ce danger. Nous avons passé une dizaine de jour à ce centre paroissiale de Karama, et le 19 Avril, c'était le jour qu'on attendait.
Toute l'armée de la province de Butare je crois, toute la police, toute la gendarmerie, sont tous venus nous bombarder. Ils lançaient les bombes et les grenades dans les sales, et pendant qu'on criait en essayant de prendre les blessés et en regardant si quelqu'un de la famille avait été touché, les interahamwes entraient dans les sales pour couper les têtes des gens. Chaque personne qui sortait était directement fusillée par les soldats qui étaient dehors. Un homme très courageux appelé Ildefonse, ordonna tous les hommes qui étaient dans notre salle de sortir et de mourir en combattant. Seuls les femmes et les enfants devions rester dans la salle. Ildefonse est sorti premier et sa tête a explosé juste devant la porte, et le sang nous a rejoint en l'intérieur de la salle. Les Interahamwe sont entrés dans notre salle, ils ont coupé les gens, ils ont coupé tout le monde, mais pas moi, ni ma mère, ni mes sœurs. On était très salle, tout le monde était très salle, imbibé dans le sang, je pense qu'ils n'arrivaient plus à distinguer les vivant des morts et des blessés. Dans la salle j'étais avec mes quatre sœurs, ma mère et mon petit frère. Personne n'a été coupé pendant les trois heures de massacres, de midi à 15h. Nous considérons cela comme un véritable miracle de Dieu. A 15h, ils ont dit qu'ils n'avaient plus de balles. Tous les soldats sont partis, et seuls les miliciens sont restés avec leurs machettes et gourdins. Nous nous sommes décidé de sortir, on se disait qu'ils allaient nous couper avec les machettes et nous frapper avec leurs gourdins, mais qu'à un certain moment, ils allaient être fatigués. C'est comme ça que ça s'est passé. On est sorti au milieu de machettes. Le sang partout, on coupait celui qu'on voulait, moi je courait en marchant au dessus des morts et des blessés, où est ma mère je n'en sait rien, où sont mes sœurs ? A savoir plus tard, seule ma vie comptait. J'ai marché au dessus de quelqu'un qui n'avait plus de jambes. Il avait la hanche, les bras et la tête, mais pas les jambes. Il m'a dit : Stp ne marche pas au dessus de moi. Je l'ai regardé et j'ai continué à courir mais cette fois ci en pleurant.
Je ne savais pas quoi faire, je ne savais pas où aller, je ne comprenais pas bien ce qui se passerait dans le monde. Je croyais que c'était le monde entier qui vivait la même situation. J'ignorais que cela était possible, et surtout aussi brusquement.
Je me suis donc séparé de ma famille, et j'ai suivi un groupe des tutsis qui couraient. On a couru, ils disaient qu'on allait au Burundi, mais personne d'entre nous ne connaissait le chemin. On a traversé les vallées, on courait, on arrivait dans une vallée où les hutus nous attendaient avec leurs armes, ils tuaient, et si tu avais quelque chose à leur donner, ils pouvaient te laisser partir en te disant que tu allais te faire avoir devant. C'était juste, à chaque cent mètres on trouvait un groupe qui nous attendait. On a quitté Karama on était un groupe de 500 personnes environs, on est arrivé à Nyakizu, la commune voisine, on était plus qu'une dizaine. Dans la vallée de Nyakizu, c'était le matin du jour suivant, j'ai rencontré les gens que je connaissais. J'étais enfant de chœur dans l'église de Kibeho, je servais les prêtres pendant la messe tous les matins. Dans la vallée de Nyakizu, très tôt le matin, j'ai rencontré un groupe des hutus parmi eux, il y avait un prêtre que je servais tous les jours à Kibeho. Il a dit : Ce garçon je le connais, il est de Kibeho, on a déjà tué son père, il est le plus beau qui nous reste. Un soldat qui était avec lui a dit : « Il faudra le tuer comme dessert alors ». On m'a ordonné de m'asseoir là à coté d'une rivière, en attendant qu'ils finissent le groupe avec lequel j'étais, pour enfin me tuer comme dessert. J'étais assis avec une vieille femme, elle aussi devait être tué comme dessert. Ils ont tué tout le groupe avec lequel j'étais, sauf deux filles qui devaient rentrer avec eux, disaient-ils.
@yahoo.fr
Kizito MIHIGO est un organiste et compositeur rwandais. A 25 ans, il est étudiant au Conservatoire de Musique de Paris
TEMOIGNAGE
Je suis né le 25 juillet 1981 à Kibeho, province de Gikongoro dans le Sud du Rwanda. Kibeho est une des régions les plus évangélisées de notre pays. Tous les habitants de la région étaient tous catholiques pratiquants. L'Eglise de Kibeho construite en 1934, faisait partie des principaux monuments de l'Eglise les mieux construits chez nous. Lors des massacres des tutsis de 1959, l'Eglise de Kibeho fut l'un des lieux surs et sauveurs, où les tutsis de toutes les régions environnantes pouvaient se cacher sans aucune crainte de l'assassin. Raison pour laquelle la plus part des tutsis, avaient choisi de s'y installer après ces massacres. En 1994, l'année du génocide, plus de 99% de la population de Kibeho étaient tutsis.
Mon Père BUGUZI Augustin, directeur de l'Ecole Primaire de Kibeho et ancien élève des premières écoles religieuses de Save, était quelqu'un de très appliqué dans l'Eglise. Il aurait d'ailleurs voulu devenir prêtre avant de rencontrer ma mère ILIBAGIZA Placidie, qui elle aussi était enseignante à l'école primaire de Kibeho. Mes parents m'ont donné le nom de MIHIGO grâce à mon grand père paternel qui s'appelait ainsi, et le prénom Kizito, grâce aux premiers martyrs ougandais.
En 1990, lors de la première attaque du FPR, Kibeho étant géographiquement mal placé, n'était pas parmi les régions les plus informées de ce qui se passait de l'autre coté, en l'occurrence en Ouganda. Le lendemain de l'attaque, je me réjouissais d'aller raconter à mon père comment notre pays venait d'être envahi par les petits animaux appelés Inyenzi Inyangarwanda. Et très convencu, je lui demandais de tout faire pour que ces animaux, comme nous disait la radio, n'arrive pas dans notre région.
Mon père qui apparemment était au courant de tout, et comprenait la situation beaucoup plus que moi, changea d'attitude depuis ces jours là. Il devint très calme, très pensif, beaucoup plus spirituel, lui qui alla à la messe chaque dimanche, commença désormais à y aller tous les jours, et nous les enfants, on se demandait pourquoi.
En avril 1994, avant même l'attentat de l'avion, les habitants de Kibeho étaient tous envahis de peur. Les écoles étaient fermées depuis quelques semaines, les étudiants hutus menaçaient leurs collègues tutsis, les voisins qui habituellement étaient nos amis, ont brusquement commencé à menacer mon père et ma mère en leur disant que leurs enfants allaient être tués à leurs yeux, et que nos vaches aller bientôt être mangées. Nous les enfants, on y croyait pas. Tous les gens qui venaient chez nous pour demander à manger et à boire, et qui tous partaient contents et rassasiés voire ivres, n'allaient pas, disions-nous, tout oublier d'un seul coup. On pensait au contraire qu'ils allaient nous protéger de cette guerre qui se murmurait depuis quelques mois.
Le 7 Avril 1994 le matin, j'ai croisé mon père dans le couloir de notre maison, et il ne semblait pas avoir dormi. Il avait les yeux rouges, comme quand il était fâché. Il est allé faire un tour derrière la maison, et il est revenu en nous disant : « Venez voir ce qui se passe sur la colline en face » Toutes les maisons de nos voisins en face, brûlaient en même temps, et on se demandait qui étaient capables de brûler ces maisons en même temps car elles étaient quand même nombreuses. …….. Arrivés à l'Eglise, nous avons été traumatisés par des milliers et des milliers de personnes, hommes, femmes et enfants venant de toutes les régions voisines.
L'Eglise était pleine, l'Ecole primaire aussi, et les gens commençaient à s'installer dans une école secondaire voisine.
Mon père était parmi les tutsis les plus recherchés de la région et il avait très peur, moi je l'ai vu. Il est venu nous trouver à la maison et il nous a demandé de partir, et d'aller dans une famille amie à Runyinya, une des communes de Butare. Mon père est resté avec sa mère qui était très âgée et qui ne savait plus marcher. Il nous disait que si la situation devenait trop grave, il allait prendre son vélo, et nous joindre à Butare. On devait partir à pied, et de préférence pas par les routes principales. Nous avons pris le chemin de la foret et nous avons allongé la rivière appelé Uwarunyerera. Après quelques kilomètres avec mes sœurs, ma mère et mon petit frère dans son dos, quelques hutus nous ont vu en train de traverser la vallée. Parmi eux il y avait les enseignants collègues de mes parents, l'inspecteur d'arrondissement, il y avait aussi l'agronome de la commune. Ils étaient assis sur les collines autour de nous, je crois qu'ils attendaient un signal pour aller tuer les gens dans l'Eglise. Ils nous ont vu et ils sont descendus des collines en criant : « Ce sont les riches, ce sont les riches, ils ne doivent pas nous échapper », et nous, nous avons couru dans différentes directions. Ma maman avait mon petit frère dans le dos, elle ne savait pas courir. Elle s'est cachée dans un trou à coté de la rivière, et j'ai rencontré mes soeurs une à une après quelques kilomètres dans la foret. A un certain moment nous avons cru que ma mère avait été tuée.
Ma mère a passé en effet le reste de la journée dans ce trou, et la nuit aussi. Le lendemain, elle nous a rejoint à Butare, et nous avons pleuré ensemble.Elle nous dit que les personnes qui nous poursuivaient ont traîné tout prêt de ce trou en fouillant partout. Quelques heures après son arrivée, nous avons vu l'Eglise de Kibeho en train de brûler, et nous entendions de loin les coups de feu. C'était la première fois que nous avons entendu le bruit d'un fusil, et nous nous demandions ce que devenait papa au milieu de tout cela.
Il nous avait dit que si la situation s'aggravait, il allait prendre son vélo et nous joindre à Butare. Nous avons passée toute la nuit tout yeux tout oreilles. On attendait papa avec son vélo.
Vers les 10h du matin, nous avons entendu « induru » les cris dans le quartier où on logeait. Après quelques minutes, c'était les coups de feu. Le bruit des fusils était tellement proche de la maison qu'on croyait l'entendre dans nos cœurs. Tout le monde tremblait. Maman nous demandait tous de prier, mais on n'y arrivait pas. Personne ne pouvait se concentrer. On prenait les chapelains en main, mais on en faisait rien. On a décidé de quitter la maison en courant. Moi j'ai pris la radio, mes sœurs ont pris les habits, les autres ont pris la vaisselle, et tout ce qui pouvait être portable, mais je vous jure que personne n'a couru plus de 500 mètres avec. Il y avait un très long fil des hutus qui nous demandaient l'argent, tout ce que nous avions, ou alors, nous tuer. Il y avait aussi quelques twa avec eux. Quelques dizaine de tutsi de ce village, sont morts en ce moment là.
Après avoir donné tout ce que nous avions, ils nous ont conduit au centre de Karama, toujours en province de Butare, et ils nous ont dit que les massacres étaient finis. Nous avons failli y croire car on a passé plus de deux semaines dans ce centre, on était beaucoup de milliers dans ce centre et on attendait qu'ils viennent nous tuer, mais je crois qu'ils avaient peur parce qu'on était très nombreux. Pendant la nuit, on était attaqués par des petits groupes des hutus armés mais à chaque fois on les combattait, et on les chassait. Moi et ma famille nous dormions dans une salle paroissiale, entre l'Eglise et l'Ecole. On était tellement nombreux dans cette salle, que quelques fois je préférais aller dormir dehors malgré le danger.
Les gens dormaient au dessus des autres, on dirait les sacs de charbons … Quand on voulait sortir pendant la nuit, on marchait au dessus des gens. Un enfant a voulu aller faire pipi, on lui a dit de marcher sur les gens, et d'aller faire pipi à travers la fenêtre, et il est revenu en morceau. On lui a lancé une grenade à travers la fenêtre. Les gens qui dormaient à coté de la fenêtre, ont été tous blessés. Moi je n'ai rien su, parce que j'étais en dessous. J'étais étouffé, je ne pouvais pas respirer, mais, au moins j'ai été sauvé de ce danger. Nous avons passé une dizaine de jour à ce centre paroissiale de Karama, et le 19 Avril, c'était le jour qu'on attendait.
Toute l'armée de la province de Butare je crois, toute la police, toute la gendarmerie, sont tous venus nous bombarder. Ils lançaient les bombes et les grenades dans les sales, et pendant qu'on criait en essayant de prendre les blessés et en regardant si quelqu'un de la famille avait été touché, les interahamwes entraient dans les sales pour couper les têtes des gens. Chaque personne qui sortait était directement fusillée par les soldats qui étaient dehors. Un homme très courageux appelé Ildefonse, ordonna tous les hommes qui étaient dans notre salle de sortir et de mourir en combattant. Seuls les femmes et les enfants devions rester dans la salle. Ildefonse est sorti premier et sa tête a explosé juste devant la porte, et le sang nous a rejoint en l'intérieur de la salle. Les Interahamwe sont entrés dans notre salle, ils ont coupé les gens, ils ont coupé tout le monde, mais pas moi, ni ma mère, ni mes sœurs. On était très salle, tout le monde était très salle, imbibé dans le sang, je pense qu'ils n'arrivaient plus à distinguer les vivant des morts et des blessés. Dans la salle j'étais avec mes quatre sœurs, ma mère et mon petit frère. Personne n'a été coupé pendant les trois heures de massacres, de midi à 15h. Nous considérons cela comme un véritable miracle de Dieu. A 15h, ils ont dit qu'ils n'avaient plus de balles. Tous les soldats sont partis, et seuls les miliciens sont restés avec leurs machettes et gourdins. Nous nous sommes décidé de sortir, on se disait qu'ils allaient nous couper avec les machettes et nous frapper avec leurs gourdins, mais qu'à un certain moment, ils allaient être fatigués. C'est comme ça que ça s'est passé. On est sorti au milieu de machettes. Le sang partout, on coupait celui qu'on voulait, moi je courait en marchant au dessus des morts et des blessés, où est ma mère je n'en sait rien, où sont mes sœurs ? A savoir plus tard, seule ma vie comptait. J'ai marché au dessus de quelqu'un qui n'avait plus de jambes. Il avait la hanche, les bras et la tête, mais pas les jambes. Il m'a dit : Stp ne marche pas au dessus de moi. Je l'ai regardé et j'ai continué à courir mais cette fois ci en pleurant.
Je ne savais pas quoi faire, je ne savais pas où aller, je ne comprenais pas bien ce qui se passerait dans le monde. Je croyais que c'était le monde entier qui vivait la même situation. J'ignorais que cela était possible, et surtout aussi brusquement.
Je me suis donc séparé de ma famille, et j'ai suivi un groupe des tutsis qui couraient. On a couru, ils disaient qu'on allait au Burundi, mais personne d'entre nous ne connaissait le chemin. On a traversé les vallées, on courait, on arrivait dans une vallée où les hutus nous attendaient avec leurs armes, ils tuaient, et si tu avais quelque chose à leur donner, ils pouvaient te laisser partir en te disant que tu allais te faire avoir devant. C'était juste, à chaque cent mètres on trouvait un groupe qui nous attendait. On a quitté Karama on était un groupe de 500 personnes environs, on est arrivé à Nyakizu, la commune voisine, on était plus qu'une dizaine. Dans la vallée de Nyakizu, c'était le matin du jour suivant, j'ai rencontré les gens que je connaissais. J'étais enfant de chœur dans l'église de Kibeho, je servais les prêtres pendant la messe tous les matins. Dans la vallée de Nyakizu, très tôt le matin, j'ai rencontré un groupe des hutus parmi eux, il y avait un prêtre que je servais tous les jours à Kibeho. Il a dit : Ce garçon je le connais, il est de Kibeho, on a déjà tué son père, il est le plus beau qui nous reste. Un soldat qui était avec lui a dit : « Il faudra le tuer comme dessert alors ». On m'a ordonné de m'asseoir là à coté d'une rivière, en attendant qu'ils finissent le groupe avec lequel j'étais, pour enfin me tuer comme dessert. J'étais assis avec une vieille femme, elle aussi devait être tué comme dessert. Ils ont tué tout le groupe avec lequel j'étais, sauf deux filles qui devaient rentrer avec eux, disaient-ils.
@yahoo.fr