Les Musulmans sont-ils fous ?
Par Jean-Michel Cros
mercredi 22 novembre 2006
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Mais rien n’arrête Anne-Marie DELCAMBRE. Le meilleur est, à mes yeux, le passage qu’elle consacre aux « convertis européens ». Dès les premières lignes du chapitre, il est difficile de s’y reconnaître : la première phrase nous dit en effet qu’il « existe désormais dans les pays européens un islam autochtone, résultat d’une conversion récente »[40] alors que le paragraphe suivant nous apprend que « les pouvoirs publics désirent normaliser leurs rapports avec cette collectivité musulmane issue de l’immigration. »[41] On n’y comprend goutte : la « communauté » musulmane est-elle composée de convertis ou de populations d’origine immigrée ?
Il est impossible de le savoir ici. La suite va-t-elle nous éclairer ? Que l’on en juge… Après affirmer que « les convertis sont appelés à jouer un rôle croissant dans un islam français »[42], Anne-MarieDELCAMBRE nous dit page suivante qu’il « n’est pas question pour ces convertis prestigieux d’intervenir dans les questions interne à l’islam. »[43] Comment jouer un rôle dans une situation si l’on n’y intervient pas ? Je l’ignore… Ces convertis, sans doute traîtres, collaborateurs ou « idiots utiles », présentent des aspects inquiétants. Les convertis belges ? Certains d’entre eux auraient justifié l’assassinat des moines de Tibéhirine par le G.I.A..[44]
Les convertis espagnols ? ils « sont aussi attirés par l’islam radical. »[45] Non seulement ces convertis européens sont donc des fanatiques, mais ce sont en plus des lâches : dans les prisons « les convertis européens osent demander, pour se faire bien voir des détenus musulmans, l’aménagement d’une salle de prière, des repas halal ou une aumônerie. »[46] Toutes demandes qui semblent effectivement extravagantes…En France, « certains adolescents français des cités embrassent collectivement l’islam par solidarité avec les jeunes musulmans qu’ils estiment victimes de racisme. »[47]
Ici je désirerais connaître les sources de l’auteur, car, depuis des années que j’observe l’islam, que je visite des mosquées, je n’ai jamais vu ni entendu parler de conversions de masse issues des quartiers de banlieues. Est-ce là encore un phantasme ? Sans doute, car nous ne sommes plus, dans ce chapitre, dans une démonstration rationnelle – pour autant que l’on y ait jamais été dans ce livre – mais en pleine fantasmagorie !
Après avoir pris la précaution de parler de « fausses rumeurs » - l’expression est curieuse - sur la conversion de « certaines personnalités », Anne-Marie DELCAMBRE cite - si je me mettais moi aussi à oser, j’écrirais : « jette en pâture » - plusieurs noms, qui, par conséquent, sont des faits avérés puisqu’ils sont exclus de la catégorie des « fausses rumeurs » : outre le fait que j’apprends à cette occasion qu’Eric GEOFFROY est « professeur d’islamologie » à l’université – une matière qui n’existe pas ! – je me découvre dans cette liste, en excellente compagnie : outre mon ami Eric GEOFFROY, donc, l’on y trouve en effet Maurice BEJART que j’admire – et chez qui la foi est une affaire purement privée, Cat STEVENS dont j’aime par ailleurs les chansons, Cassius CLAY, Neil AMSTRONG, Maurice GLOTTON et Didier-Ali BOURG, qui aurait découvert l’islam grâce au soufisme, ce qui est pour autant que je le sache inexact.
Comment ai-je pu me retrouver en aussi brillante compagnie ? Parce que je porte la barbe ? L’auteur ne m’ayant jamais rencontré ne peut le savoir. Ma religion, si d’ailleurs j’en ai une, fait en outre partie de ma vie privée : c’est pour cela que je n’en parle généralement pas en public. Est-elle bien celle que croit Anne-Marie DELCAMBRE ? La réponse ne regarde que moi et je n’ai pas pu la lui faire à elle, car elle ne m’a jamais posé personnellement la question.
Pourquoi a-t-elle donc écrit cela ? Je vois deux possibilités : soit elle a pris des renseignements à Strasbourg, où je réside, et où certains essaient effectivement d’expliquer mon intérêt pour l’islam non seulement par une conversion personnelle (car comment s’intéresser à l’islam si l’on n’est pas soi-même converti ?) mais en répandant la rumeur que je serais en fait proche de mouvements islamistes. Cette rumeur est d’autant plus malintentionnée que je ne travaille même pas sur la mouvance islamiste !
Mais peu importe qu’une chose soit fausse, dès l’instant qu’elle peut faire du tort… L’autre possibilité, qui n’est pas exclusive de la première, est que Mme DELCAMBRE a eu connaissance des articles que j’ai publiés sur Oumma.com. Essayons d’imaginer son raisonnement : voici un bon Français, qui écrit sur l’islam, qui n’en dit pas de mal, qui critique les islamophobes… Il est donc musulman ! C’est un converti !
J’ignore par quelles voies Mme DELCAMBRE a pu arriver à écrire ce qu’elle écrit. Néanmoins elle pose un problème grave, dont elle n’a apparemment pas conscience : il semble en effet de plus en plus difficile à certains d’imaginer que l’on puisse trouver des aspects positifs à l’islam, que l’on puisse trouver inadmissible l’islamophobie au même titre que l’antisémitisme et le racisme, sans être soi même musulman.
Cette attitude, de la part de personnes – et je ne parle pas ici de Mme DELCAMBRE – qui prétendent en même temps se réclamer de la conception universelle de l’homme issue des Lumières et disent vouloir lutter contre le communautarisme, montre de façon remarquable et redoutable qu’est en train de se construire dans le discours social une communauté imaginaire, la « communauté musulmane », porteuse de toutes les tares de notre société, bouc émissaire idéal.
Elle est non seulement composée de délinquants, de fanatiques, d’obscurantistes de tout poil (de barbe surtout), mais encore, et c’est relativement nouveau, de fous, de schizophrènes. Faut-il s’adresser aux hôpitaux psychiatriques pour y enfermer les musulmans que l’on n’aura pas pu mettre en prison ? L’islam est-il une déviance ?
A ces errements s’ajoute une invraisemblable myopie, qui conjugue stigmatisation d’un phénomène et absence de propositions pour y remédier : l’auteur dénonce, dans sa dernière partie le phénomène des fatwas rendues sur internet. Pourquoi pas. Mais à qui veut-elle que les musulmans vivant en Europe, en France, s’adressent, quand ils ont une question à poser ? Vers quelle autorité musulmane se tourner ?
La conclusion qui me semble logique, serait de dire que nous souffrons, ici, d’un manque de formation des cadres religieux, et qu’il est donc nécessaire d’avoir une faculté de théologie musulmane sur le modèle des facultés de théologie protestante et catholique. Cette hypothèse n’a semble-t-il même pas effleuré notre auteur. Elle n’en parle pas en tout cas. Il est vrai que cela pourrait être dangereux, l’islam étant « par nature » schizoïde[48].
Une fois de plus, je me demande qui délire le plus : les gens dont on parle ou ceux qui en parlent ? « Quand le psychisme de l’internaute refuse de dissocier le virtuel et la réalité et passe à l’acte criminel, mettant en application les directives données sur le net, de façon brutale, directe et autiste, c’est là où l’on peut voir un lien entre islam radical et terrorisme. […] Toutes les distorsions seront utilisées pour protéger la foi, y compris les idées les plus folles, empruntées à la modernité. Le résultat est une schizophrénie aggravée, rendu parfois explosive où se mêlent à la fois la rage de survivre et le désir de détruire ce monde réel qui fait obstacle au paradis perdu. »[49]
C’est exactement ce que l’on pourrait dire de la vision de l’islam qui sous tend ce livre : une vision a historique, érigeant en orthodoxie le discours islamiste radical et en orthopraxie le modèle de cet islam qui n’est celui que d’une minorité de l’islam français. Ici aussi, toutes les distorsions sont permises pour faire entrer cette altérité épouvantable dans son rôle de repoussoir et déplorer la sortie de la matrice originelle d’une France chrétienne et rurale, aux journées ensoleillées s’écoulant paisiblement, scandées par les sonneries des cloches, des journées rêveuses au goût de madeleine…
Il est si agréable, d’oublier les galériens pour la foi au XVII° siècle, les massacres des marais à Aigues-Mortes à la fin du XIX°, véritable chasse à l’homme à l’encontre des immigrés italiens, qui ne mangeaient ni ne priaient comme nous, l’antisémitisme virulent de l’entre-deux guerres…
Ce que nous avons perdu, ce n’était pas le paradis ; mais ce que nous risquons de retrouver, si nous n’y prenons garde, c’est bien l’enfer.
C’est la question que l’on peut se poser à la lecture du dernier ouvrage d’Anne-Marie DELCAMBRE : La schizophrénie de l’islam[1], dont je dois avouer qu’il serait passé inaperçu s’il ne m’avait été récemment signalé pour une raison que j’indiquerai plus tard. Il semble à ce propos qu’il soit passé inaperçu de beaucoup puisque, par exemple, la FNAC de Strasbourg n’en a vendu, à l’heure où j’écris, que deux exemplaires depuis sa parution.
Selon elle, les musulmans seraient victimes de « dissociation » et de « perte de contact avec la réalité »[2], depuis « la sortie des Arabes d’Arabie et leur pénétration dans des contrées ayant une autre culture. C’est là le premier choc, le premier traumatisme dont l’islam ne guérira pas. »[3], l’islam étant devenu « trop tôt »[4]une « religion de convertis ». Ayant fait de nombreux emprunts à différentes cultures, les musulmans, sous toutes les latitudes, sont convaincus de pratiquer « le même islam »[5] et refusent donc de voir la réalité sociologique.
Cette hypothèse de départ pourrait a priori être intéressante, pour toutes les religions, au demeurant. Que va en faire l’auteur ? Bien qu’elle précise dans l’introduction que « ce court essai n’est pas un pamphlet »[6], après une citation de Camus, « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde », la lecture de ce qui est plus un recueil d’articles qu’un essai à proprement parler, vérifie hélas cette citation : la méthodologie hasardeuse, le style relâché, les notions d’histoire incertaines, les concepts sociologiques et religieux abordés dans la confusion… tout ou presque, sur cette copie bâclée, nécessite du rouge dans les marges.
Eliminons tout d’abord l’un des poncifs contemporains dès qu’il s’agit de parler de l’islam : « il faut oser » le faire paraît-il. Anne-Marie DELCAMBRE ne manque pas de sacrifier au rituel : elle « ose » se pencher sur la structure du Coran pour « reconnaître que ce livre sacré est à l’origine de la schizoïdie de l’islam comme il est à la base du délire antijuif, véritable paranoïa qui frappe les musulmans intégristes, pas seulement ceux qui se qualifient de « fous d’Allah ». »[7] Elle « ose à peine énoncer » ensuite que « les Arabes omeyyades d’Espagne étaient au fond peu croyants, dignes héritiers de la famille des Banû Omayya (Omeyyades) de La Mecque qui préféraient le commerce à la religion. »[8]
Lorsque l’on voit la production contemporaine sur l’islam, que ce soit à travers l’édition, la presse écrite ou télévisuelle, ou bien à travers les sites Internet ouvertement racistes, on se demande bien de quelle audace il s’agit ici. L’audace de hurler avec les loups ? Sans doute. Celle de se conformer au moule actuellement dominant de l’islamophobie ? Sans doute aussi. Celle de se prendre, au moment où l’on tient la plume, pour un Salman Rushdie en puissance et sentir le long de son dos le frisson de la célébrité ? Peut-être encore…
A la différence d’Anne-Marie DELCAMBRE, qui diagnostique la schizophrénie allègrement, je ne ferai pas de psychanalyse sauvage.
La question que je me pose et de savoir pourquoi l’on a cru bon de publier un ouvrage aussi bâclé : la méthodologie, le style, les conclusions faussées probablement par ce défaut de méthode.
Quel sérieux accorder à un ouvrage qui met sur le même plan, pour étayer ses démonstrations, des références tirées de romans et des ouvrages « scientifiques » ?
Cros
Par Jean-Michel Cros
mercredi 22 novembre 2006
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Mais rien n’arrête Anne-Marie DELCAMBRE. Le meilleur est, à mes yeux, le passage qu’elle consacre aux « convertis européens ». Dès les premières lignes du chapitre, il est difficile de s’y reconnaître : la première phrase nous dit en effet qu’il « existe désormais dans les pays européens un islam autochtone, résultat d’une conversion récente »[40] alors que le paragraphe suivant nous apprend que « les pouvoirs publics désirent normaliser leurs rapports avec cette collectivité musulmane issue de l’immigration. »[41] On n’y comprend goutte : la « communauté » musulmane est-elle composée de convertis ou de populations d’origine immigrée ?
Il est impossible de le savoir ici. La suite va-t-elle nous éclairer ? Que l’on en juge… Après affirmer que « les convertis sont appelés à jouer un rôle croissant dans un islam français »[42], Anne-MarieDELCAMBRE nous dit page suivante qu’il « n’est pas question pour ces convertis prestigieux d’intervenir dans les questions interne à l’islam. »[43] Comment jouer un rôle dans une situation si l’on n’y intervient pas ? Je l’ignore… Ces convertis, sans doute traîtres, collaborateurs ou « idiots utiles », présentent des aspects inquiétants. Les convertis belges ? Certains d’entre eux auraient justifié l’assassinat des moines de Tibéhirine par le G.I.A..[44]
Les convertis espagnols ? ils « sont aussi attirés par l’islam radical. »[45] Non seulement ces convertis européens sont donc des fanatiques, mais ce sont en plus des lâches : dans les prisons « les convertis européens osent demander, pour se faire bien voir des détenus musulmans, l’aménagement d’une salle de prière, des repas halal ou une aumônerie. »[46] Toutes demandes qui semblent effectivement extravagantes…En France, « certains adolescents français des cités embrassent collectivement l’islam par solidarité avec les jeunes musulmans qu’ils estiment victimes de racisme. »[47]
Ici je désirerais connaître les sources de l’auteur, car, depuis des années que j’observe l’islam, que je visite des mosquées, je n’ai jamais vu ni entendu parler de conversions de masse issues des quartiers de banlieues. Est-ce là encore un phantasme ? Sans doute, car nous ne sommes plus, dans ce chapitre, dans une démonstration rationnelle – pour autant que l’on y ait jamais été dans ce livre – mais en pleine fantasmagorie !
Après avoir pris la précaution de parler de « fausses rumeurs » - l’expression est curieuse - sur la conversion de « certaines personnalités », Anne-Marie DELCAMBRE cite - si je me mettais moi aussi à oser, j’écrirais : « jette en pâture » - plusieurs noms, qui, par conséquent, sont des faits avérés puisqu’ils sont exclus de la catégorie des « fausses rumeurs » : outre le fait que j’apprends à cette occasion qu’Eric GEOFFROY est « professeur d’islamologie » à l’université – une matière qui n’existe pas ! – je me découvre dans cette liste, en excellente compagnie : outre mon ami Eric GEOFFROY, donc, l’on y trouve en effet Maurice BEJART que j’admire – et chez qui la foi est une affaire purement privée, Cat STEVENS dont j’aime par ailleurs les chansons, Cassius CLAY, Neil AMSTRONG, Maurice GLOTTON et Didier-Ali BOURG, qui aurait découvert l’islam grâce au soufisme, ce qui est pour autant que je le sache inexact.
Comment ai-je pu me retrouver en aussi brillante compagnie ? Parce que je porte la barbe ? L’auteur ne m’ayant jamais rencontré ne peut le savoir. Ma religion, si d’ailleurs j’en ai une, fait en outre partie de ma vie privée : c’est pour cela que je n’en parle généralement pas en public. Est-elle bien celle que croit Anne-Marie DELCAMBRE ? La réponse ne regarde que moi et je n’ai pas pu la lui faire à elle, car elle ne m’a jamais posé personnellement la question.
Pourquoi a-t-elle donc écrit cela ? Je vois deux possibilités : soit elle a pris des renseignements à Strasbourg, où je réside, et où certains essaient effectivement d’expliquer mon intérêt pour l’islam non seulement par une conversion personnelle (car comment s’intéresser à l’islam si l’on n’est pas soi-même converti ?) mais en répandant la rumeur que je serais en fait proche de mouvements islamistes. Cette rumeur est d’autant plus malintentionnée que je ne travaille même pas sur la mouvance islamiste !
Mais peu importe qu’une chose soit fausse, dès l’instant qu’elle peut faire du tort… L’autre possibilité, qui n’est pas exclusive de la première, est que Mme DELCAMBRE a eu connaissance des articles que j’ai publiés sur Oumma.com. Essayons d’imaginer son raisonnement : voici un bon Français, qui écrit sur l’islam, qui n’en dit pas de mal, qui critique les islamophobes… Il est donc musulman ! C’est un converti !
J’ignore par quelles voies Mme DELCAMBRE a pu arriver à écrire ce qu’elle écrit. Néanmoins elle pose un problème grave, dont elle n’a apparemment pas conscience : il semble en effet de plus en plus difficile à certains d’imaginer que l’on puisse trouver des aspects positifs à l’islam, que l’on puisse trouver inadmissible l’islamophobie au même titre que l’antisémitisme et le racisme, sans être soi même musulman.
Cette attitude, de la part de personnes – et je ne parle pas ici de Mme DELCAMBRE – qui prétendent en même temps se réclamer de la conception universelle de l’homme issue des Lumières et disent vouloir lutter contre le communautarisme, montre de façon remarquable et redoutable qu’est en train de se construire dans le discours social une communauté imaginaire, la « communauté musulmane », porteuse de toutes les tares de notre société, bouc émissaire idéal.
Elle est non seulement composée de délinquants, de fanatiques, d’obscurantistes de tout poil (de barbe surtout), mais encore, et c’est relativement nouveau, de fous, de schizophrènes. Faut-il s’adresser aux hôpitaux psychiatriques pour y enfermer les musulmans que l’on n’aura pas pu mettre en prison ? L’islam est-il une déviance ?
A ces errements s’ajoute une invraisemblable myopie, qui conjugue stigmatisation d’un phénomène et absence de propositions pour y remédier : l’auteur dénonce, dans sa dernière partie le phénomène des fatwas rendues sur internet. Pourquoi pas. Mais à qui veut-elle que les musulmans vivant en Europe, en France, s’adressent, quand ils ont une question à poser ? Vers quelle autorité musulmane se tourner ?
La conclusion qui me semble logique, serait de dire que nous souffrons, ici, d’un manque de formation des cadres religieux, et qu’il est donc nécessaire d’avoir une faculté de théologie musulmane sur le modèle des facultés de théologie protestante et catholique. Cette hypothèse n’a semble-t-il même pas effleuré notre auteur. Elle n’en parle pas en tout cas. Il est vrai que cela pourrait être dangereux, l’islam étant « par nature » schizoïde[48].
Une fois de plus, je me demande qui délire le plus : les gens dont on parle ou ceux qui en parlent ? « Quand le psychisme de l’internaute refuse de dissocier le virtuel et la réalité et passe à l’acte criminel, mettant en application les directives données sur le net, de façon brutale, directe et autiste, c’est là où l’on peut voir un lien entre islam radical et terrorisme. […] Toutes les distorsions seront utilisées pour protéger la foi, y compris les idées les plus folles, empruntées à la modernité. Le résultat est une schizophrénie aggravée, rendu parfois explosive où se mêlent à la fois la rage de survivre et le désir de détruire ce monde réel qui fait obstacle au paradis perdu. »[49]
C’est exactement ce que l’on pourrait dire de la vision de l’islam qui sous tend ce livre : une vision a historique, érigeant en orthodoxie le discours islamiste radical et en orthopraxie le modèle de cet islam qui n’est celui que d’une minorité de l’islam français. Ici aussi, toutes les distorsions sont permises pour faire entrer cette altérité épouvantable dans son rôle de repoussoir et déplorer la sortie de la matrice originelle d’une France chrétienne et rurale, aux journées ensoleillées s’écoulant paisiblement, scandées par les sonneries des cloches, des journées rêveuses au goût de madeleine…
Il est si agréable, d’oublier les galériens pour la foi au XVII° siècle, les massacres des marais à Aigues-Mortes à la fin du XIX°, véritable chasse à l’homme à l’encontre des immigrés italiens, qui ne mangeaient ni ne priaient comme nous, l’antisémitisme virulent de l’entre-deux guerres…
Ce que nous avons perdu, ce n’était pas le paradis ; mais ce que nous risquons de retrouver, si nous n’y prenons garde, c’est bien l’enfer.
C’est la question que l’on peut se poser à la lecture du dernier ouvrage d’Anne-Marie DELCAMBRE : La schizophrénie de l’islam[1], dont je dois avouer qu’il serait passé inaperçu s’il ne m’avait été récemment signalé pour une raison que j’indiquerai plus tard. Il semble à ce propos qu’il soit passé inaperçu de beaucoup puisque, par exemple, la FNAC de Strasbourg n’en a vendu, à l’heure où j’écris, que deux exemplaires depuis sa parution.
Selon elle, les musulmans seraient victimes de « dissociation » et de « perte de contact avec la réalité »[2], depuis « la sortie des Arabes d’Arabie et leur pénétration dans des contrées ayant une autre culture. C’est là le premier choc, le premier traumatisme dont l’islam ne guérira pas. »[3], l’islam étant devenu « trop tôt »[4]une « religion de convertis ». Ayant fait de nombreux emprunts à différentes cultures, les musulmans, sous toutes les latitudes, sont convaincus de pratiquer « le même islam »[5] et refusent donc de voir la réalité sociologique.
Cette hypothèse de départ pourrait a priori être intéressante, pour toutes les religions, au demeurant. Que va en faire l’auteur ? Bien qu’elle précise dans l’introduction que « ce court essai n’est pas un pamphlet »[6], après une citation de Camus, « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde », la lecture de ce qui est plus un recueil d’articles qu’un essai à proprement parler, vérifie hélas cette citation : la méthodologie hasardeuse, le style relâché, les notions d’histoire incertaines, les concepts sociologiques et religieux abordés dans la confusion… tout ou presque, sur cette copie bâclée, nécessite du rouge dans les marges.
Eliminons tout d’abord l’un des poncifs contemporains dès qu’il s’agit de parler de l’islam : « il faut oser » le faire paraît-il. Anne-Marie DELCAMBRE ne manque pas de sacrifier au rituel : elle « ose » se pencher sur la structure du Coran pour « reconnaître que ce livre sacré est à l’origine de la schizoïdie de l’islam comme il est à la base du délire antijuif, véritable paranoïa qui frappe les musulmans intégristes, pas seulement ceux qui se qualifient de « fous d’Allah ». »[7] Elle « ose à peine énoncer » ensuite que « les Arabes omeyyades d’Espagne étaient au fond peu croyants, dignes héritiers de la famille des Banû Omayya (Omeyyades) de La Mecque qui préféraient le commerce à la religion. »[8]
Lorsque l’on voit la production contemporaine sur l’islam, que ce soit à travers l’édition, la presse écrite ou télévisuelle, ou bien à travers les sites Internet ouvertement racistes, on se demande bien de quelle audace il s’agit ici. L’audace de hurler avec les loups ? Sans doute. Celle de se conformer au moule actuellement dominant de l’islamophobie ? Sans doute aussi. Celle de se prendre, au moment où l’on tient la plume, pour un Salman Rushdie en puissance et sentir le long de son dos le frisson de la célébrité ? Peut-être encore…
A la différence d’Anne-Marie DELCAMBRE, qui diagnostique la schizophrénie allègrement, je ne ferai pas de psychanalyse sauvage.
La question que je me pose et de savoir pourquoi l’on a cru bon de publier un ouvrage aussi bâclé : la méthodologie, le style, les conclusions faussées probablement par ce défaut de méthode.
Quel sérieux accorder à un ouvrage qui met sur le même plan, pour étayer ses démonstrations, des références tirées de romans et des ouvrages « scientifiques » ?
Cros