Le Maroc oriental dans l’attente d’une réponse des autorités algériennes
Ferveur inhabituelle de l’autre côté de la frontière
« La Libye exige de chaque Algérien désireux d’entrer sur son sol d’exhiber 1000 euros. Or nous, nous ne demandons que la réouverture des frontières entre l’Algérie et le Maroc. Sans l’ombre d’un dirham ! »
Oujda (Maroc). De notre envoyé spécial
Samedi, 22 mars. Midi, heure marocaine. Un vent léger souffle sur le boulevard Mohammed V. Oujda, d’habitude routinière, s’est réveillée sur une ferveur inaccoutumée. Le communiqué du ministère des Affaires étrangères, tendant la main à l’Algérie pour une éventuelle réouverture des frontières terrestres, génère, quarante-huit heures après sa publication, mille et un commentaires… optimistes. Quoique, dit, quelque peu sceptique, Abdallah, fonctionnaire, un jour de repos hebdomadaire, Marocains et Algériens n’ont pas d’autres choix que de revenir à de meilleurs sentiments, seulement vous, vous êtes lunatiques. Avec vous, on peut s’attendre au meilleur comme au pire. » Les propos sont émis avec un soupçon d’amertume, malgré une sorte de gaieté qui se lisait sur son visage. Les réminiscences resurgissent inexorablement. Avec fatalité. « Le prétexte avancé par vos autorités est cette triste année de 1994. C’était une erreur, un coup de tête de Driss Basri. Soit. Quatorze ans se sont écoulés depuis, les cœurs doivent oublier. Oublions la haine. » Notre interlocuteur omet volontairement de mettre en exergue le conflit du Sahara. Nous évoquons les moult litiges qui affaiblissent les relations entre les deux nations : des propriétaires algériens spoliés, des investisseurs escroqués… « Certes, de notre côté, on peut aussi citer l’épisode de 1975, entre autres, mais comment voulez-vous qu’on arrive à bout de toutes ces mésententes, si l’on ne s’assoit pas autour d’une table pour en discuter ? » Puis, se réajustant sur sa chaise : « Dites, afak (svp en dialecte chérifien) comment expliquez-vous qu’entre nous la voie des airs est libre, mais pas les frontières terrestres ? Convenez que cette situation est tragi-comique, je dirais même plus ubuesque ! » Au café de France, des lecteurs semblent chercher l’information qui va outre le communiqué du ministère marocain des Affaires étrangères et des commentaires qu’il a provoqués. Hormis les hypothèses et les conjectures, les Marocains gardent l’ouïe attentive quant à une déclaration officielle émanant des autorités algériennes. « Economiquement, nous devons former un bloc ensemble pour faire face aux défis de la mondialisation. Nous sommes une force régionale. L’Algérie baigne dans une embellie financière inégalable et il n’y a aucune honte à ce qu’on en profite dans un cadre réglementé par le biais d’investissements, par exemple. Les justifications de Abdallah n’ont d’égal que le désir fougueux des Marocains de renouer avec leurs frères et amis algériens. Tenez, la Libye, aujourd’hui, exige à chaque Algérien 1000 euros pour fouler son sol, nous trouvons que cela est méprisant, alors que nous, nous ne vous demandons rien, même pas l’ombre d’un dirham. » La réflexion est quasiment une prière dans la bouche de mon interlocuteur. Le souk Sidi Abdelouahab, jadis grouillant d’Algériens en mal d’exotisme, fonctionne aujourd’hui au ralenti. Sauf que l’événement d’envergure est aussi les frontières terrestres. Entre les dédales du marché, les commentaires vont bon train. Emportés par la passion, certains avancent même des dates pour la réouverture. « Je crois même qu’un sommet entre le roi et le président Bouteflika se tiendra prochainement. » Notre ami oujdi rejette le terme d’affabulation qu’on lui colle. « Cette initiative du Maroc n’est pas fortuite, ce sont les prémices d’un retour à la normale entre nos deux pays. » Et comme une boutade, un commerçant nous invite à visiter le souk el fellah algérien. Un marché où on vend que des produits de notre pays. On y trouve de tout : yaourt, semoule, boissons gazeuses, œufs, poulet… bien entendu le carburant algérien est plutôt exposé tout le long de la route qui mène à Zoudj Bghal et sur la route de Nador et Taza. « Voyez-vous, on ne peut se passer l’un de l’autre », dit-il presque euphorique, comme si nous étions en visite officielle avec, dans les poches, les clefs qui ouvriront les cadenas des barrières fermées. Au quartier Lazaré, un groupuscule à l’accent algérien nous accueille avec sincérité. Ce sont les Marocains d’Algérie, expulsés en 1975. « Nous, en tout cas, nous n’avons jamais coupé le cordon ombilical avec l’Algérie, notre pays. Nous y avons toujours nos biens et nos proches et nous ne ratons aucune occasion pour des pèlerinages. Fasse Dieu que les choses s’arrangent ! » Un des jeunes chuchota à l’oreille d’un de ses compagnons qu’à Casablanca des manifestations ont éclaté pour protester contre la cherté de la vie. « Ce n’est pas la première forme de rébellion exprimée au Maroc, la vie est devenue dure », se sentait obligé de nous expliquer le jeune. Curieusement, comme par pudeur ou prudence, les éditoriaux optent pour la sérénité en se gardant de trop remuer le couteau dans la plaie. L’hospitalité de Abdallah et de ses pairs ne souffre d’aucune hypocrisie. C’est presque les larmes aux yeux qu’il nous promet d’accueillir les Algériens avec bendir et gallal. Comme un certain été 1988. Ce qui s’en est suivi est la faute à Basri, dixit Abdallah, toujours… Un vent léger balaye le boulevard Mohammed V. Oujda, à l’heure de la sieste, continue d’avoir une oreille attentive du côté de l’Est… Une direction où les barrières, même ébranlées par le vent, ne sont pas encore levées…
C. Berriah