Le ministre de la Défense de la RASD au Jeune Indépendant |
«Nous nous acheminons vers une guerre et le Maroc sera le grand perdant» |
Entretien réalisé par notre envoyé spécial au Sahara occidental Yassine Mohellebi |
Le ministre de la Défense de la République arabe sahraouie démocratique, Mohamed Lamine Bouhali, semble peu convaincu ou carrément sceptique quant à une solution politique au conflit du Sahara occidental. Il préconise une guerre ouverte du moment que le cessez-le-feu conclu entre le Front Polisario et le royaume du Maroc n'a plus raison d'être aujourd'hui avec l'incapacité de l'ONU à mettre en œuvre ses engagements. Il a évoqué aussi avec franchise les relations sahraouies et la position de l'Espagne, de la France et des pays arabes sur la question. Le Jeune Indépendant : Quelle approche faites-vous entre le 20 mai 1973 et le 20 mai 2008. Y-a-t-il lieu de dégager une situation de comparaison ? M. L. Bouhali : Une approche totalement distincte. Le 20 mai 1973 nous étions dans une situation inédite : nous étions faibles, avec des armes traditionnelles, à savoir quelques fusils de chasse, et nous n'avions pas de bases solides. La situation était donc très difficile pour nous car ce n'était que le début. Aujourd'hui, les choses ont changé et nous possédons désormais une armée. Comme vous l'avez constaté lors du défilé militaire, notre armée s'est rajeunie. La majorité écrasante de nos troupes est composée de jeunes de moins de vingt-cinq ans. Cela pour démontrer à ceux qui sèment la désinformation et la propagande en affirmant que nos jeunes sont partis vivre en Europe. Nous avons donc des bataillons spécialisés. Nous sommes doublement satisfaits car nous avons aussi une base de soutien populaire consistante. Allez-vous aborder le 5e round des négociations sous la houlette du facilitateur onusien Peter Van Walsum ? Non ! Nous avons respecté Van Walsum au moment de sa nomination par le secrétaire général de l'ONU. Nous avons appréhendé dès le début son incapacité à gérer le conflit, contrairement à son ancien homologue James Becker. Malgré cela, nous l'avons adopté car nous n'avons jamais rejeté quelqu'un et nous essayons de collaborer avec tous les médiateurs. Mais depuis son parti pris flagrant en faveur de l'agresseur, il nous est impossible de lui renouveler notre confiance avec lui. Vous avez déclaré qu'il faut revenir au plan de règlement initial. Faites-vous allusion aux dernières résolutions, le plan de Becker ou le plan de paix de 1991 ? Becker est venu pour résoudre un problème, à savoir le reniement du Maroc de ses engagements depuis décembre 1999. Il a tenté de trouver un compromis, en dehors du plan de règlement original, basé sur une autonomie de cinq ans qui sera suivi par un référendum d'autodétermination, une sorte de promiscuité avec la situation que nous avons d'ailleurs acceptée. Le plan initial est le retour sur la base de l'accord de 1991 tributaire du cessez-le-feu, qui est tout simplement l'organisation d'un référendum d'autodétermination. Maintenant, si les Nations unies nous signifie l'incompatibilité du plan et qu'elle ne peut organiser un référendum, cela veut dire que le cessez-le-feu n'a plus raison d'être. Alors, que fait l'ONU si elle est incapable d'organiser un référendum d'autodétermination ? Vous avez déclaré que les quatre derniers rounds n'ont rien apporté et que vous ne vous attendez pas à une quelconque évolution dans le futur. Pourquoi donc y prendre part ? En vérité, ce n'est que pour démontrer à la communauté internationale que nous ne refusons pas la voie pacifique mais que c'est l'ONU qui n'arrive pas à mettre en œuvre le plan de règlement. Donc, il s'agit de se désengager de toute accusation de radicalisation de notre position. Je vous fais savoir aussi que nous n'avons pas encore décidé de prendre part au 5e round même s'il existe quelques prévisions. Que reste-t-il du plan de paix onusien. Pensez-vous vraiment que la solution pacifique est toujours possible ? Cette approche est erronée. Nous ne croyons plus à la solution politique. Je pense que nous allons vers une guerre car le cessez-le-feu n'a plus raison d'être vu de l'incapacité de l'ONU d'organiser un référendum d'autodétermination. Vous avez déclaré au Jeune Indépendant en marge de la tenue du 12e congrès du Front Polisario en décembre 2007 que, faute d'une solution politique après négociations, les Sahraouis reprendront les armes. Qu'en est-il au juste ? Nous avons dit que dans le cas où l'ONU reste incapable de trouver une solution politique et que tant que le Maroc persiste dans son fait colonial, nous irons vers une guerre ouverte contre le Maroc colonial. Le congrès jouit d'un mandat de quatre ans et, d'ici là, si une solution ne pointe pas à l'horizon, alors nous irons vers la guerre. Qu'en est-il de la Minurso ? Je vous rappelle que nous n'avons jamais violé le cessez-le-feu, et le prolongement du mandat de la Minurso jusqu'à avril 2009 pour une année est une décision étrange. Si guerre il y a, comment appréhendez-vous un conflit entre une armée sahraouie composée de quelques 20 000 hommes avec les forces armées royales qui possèdent toute une technologie avec un effectif 250 000 hommes et le même nombre de réservistes ? (Rires) En vérité l'équation est fausse car il faut prendre en considération notre expérience acquise en seize ans de guerre. Il était impensable, à l'époque, que les Sahraouis puissent affronter une armée marocaine durant l'invasion de 1975. C'était ce qui se disait dans le monde arabe. Est-ce que le Maroc a vaincu l'armée sahraouie ? Non, car la problématique des forces des deux armées ne peut être vue sous cet angle. Il ne s'agit pas de deux armées classiques qui s'affrontent avec des tactiques de guerre académiques bien connues. Depuis quand une résistance armée est soumise à ce genre d'équation ? Peut-être qu'une grande armée peut prématurément vaincre une résistance comme c'était le cas du Maroc qui avait occupé la région de Tifariti et plusieurs autres régions avec du matériel militaire très avancé. Mais, après quelques années de guérilla et d'embuscades, les troupes marocaines ont été prises au piège. Nous avons même réussi à libérer la ville de Smara en faisant plus de 200 prisonniers et en récupérant du matériel de guerre. Pour nous, si guerre il y a, le Maroc sera le grand perdant. Que pensez-vous des manœuvres militaires effectuées par les forces marocaines dernièrement ? D'un coté c'est pour mobiliser les troupes et maîtriser les moyens de combat et, de l'autre, c'était essentiellement pour nous faire une démonstration de force. Pour nous, c'est un non-événement car nous n'avons pas peur. Entretenez-vous une coopération militaire avec des pays tiers ? Effectivement, nous avons nos alliés avec lesquels nous échangeons des expériences comme l'Algérie, l'Afrique du Sud, l'Angola ou le Nigeria et des pays de l'Amérique latine. Cela dit, notre coopération s'arrête à nos besoins en matière de préparation militaire et de logistique car nous avons notre propre philosophie dans les combats qui est basée essentiellement sur la guérilla. Quels soubassements, selon vous, a le soutien de l'Espagne mais surtout de la France au Maroc dans le dossier du Sahara occidental ? Le gouvernement socialiste espagnol est traditionnellement allié de la monarchie alaouite pour des raisons d'intérêts. La France, quant à elle, voit ce conflit sous deux angles. D'un côté, elle le voit d'un œil de colonisateur car les responsables français demeurent ceux de la France coloniale et ils ont de tout temps protégé la monarchie du Maroc. L'autre élément est la haine qu'éprouvent les anciens colonisateurs contre le peuple algérien et sa glorieuse révolution. Ils considèrent que la révolution sahraouie est le prolongement de la révolution algérienne. Pour eux, donc, il s'agirait d'une probable confirmation de la glorieuse révolution algérienne et que les deux voisins seront des alliés stratégiques dans les domaines politique et économique. Ce qui, d'après eux, menacerait l'existence même de la monarchie marocaine, source de grands intérêts pour les Français. Je vous rappelle que la France a combattu aux côtés des Mauritaniens de Mokhtar Ould Dada et des Marocains contre le Front Polisario. Pourquoi, selon vous, la question sahraouie ne bénéficie pas d'un intérêt particulier au sein de la Ligue arabe comparativement avec d'autres questions comme la question palestinienne ou celle libanaise ? Il faut dire une vérité : les Arabes ont été colonisés par Israël qui n'était pas si puissante que cela. Ils n'ont pas réussi à mettre les sionistes dans les eaux de la Méditerranée. Alors, ils se sont dits, pourquoi ne pas essayer avec les Sahraouis (rires) ? Durant la marche verte de Hassan II sur le Sahara occidental, les Arabes d'Egypte, du Golfe comme l'Arabie Saoudite et même le Soudan ont soutenu le Maroc. Ils nous accusaient d'être des communistes. Franchement, le problème des Arabes est étrange ! Pourquoi cette hostilité ? Pourquoi cette haine ? Pourquoi cet argent destinée à l'extermination des Sahraouis ? Des milliards de dollars ont été attribués au Maroc pour se doter d'avions de combat, de chars et j'en passe. Je n'arrive pas à expliquer cette frénésie. Comment analysez-vous la venue d'une délégation officielle de la République islamique d'Iran aux festivités commémoratives ? Pour nous, l'Iran a été toujours un partenaire. Je vous rappelle que, dans le passé, nous entretenions des relations diplomatiques jusqu'à la crise algéro-iranienne durant la décennie du terrorisme qu'a vécue l'Algérie. Et vous savez que l'Algérie et la République sahraouie sont des alliés naturels. Donc, chaque incident se répercute systématiquement sur nous. Aujourd'hui les choses se sont épanouies et les relations entre l'Algérie et l'Iran semblent au beau fixe. Etes-vous optimiste ? Nous sommes très optimistes car les Arabes et le monde n'ont plus d'arguments à faire valoir contre nous. Nous sommes aussi des musulmans mais pas des extrémistes. Y. M. |
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