L’Algérie et son pétrole
To be or not to be
24 février 1971-24 février 2006 : 35 années se sont déjà écoulées depuis la nationalisation du pétrole et du gaz en Algérie ! 1956-2006 : cela fait aussi 50 ans depuis que les premiers barils de pétrole sont sortis des entrailles de la terre à Edjeleh !
C’est généralement à l’occasion de ces dates anniversaires mythiques, qui se terminent par des zéros ou des cinq, que l’on établit des bilans. Est-ce le bon moment pour faire celui de l’industrie pétrolière algérienne ? La réponse est oui. Il aurait été certainement bon que toute personne ayant eu des responsabilités éminentes dans le secteur, durant cette période, apportât sa contribution à l’établissement d’un tel bilan. Pour ce qui me concerne, c’est une autre question qui me turlupine et à laquelle je voudrais tenter de répondre dans les lignes qui suivent. Au Moyen-Orient, on a coutume de se demander si le pétrole est un bienfait (ni’âma) ou un malheur (niqma) pour les pays qui en possèdent. Comment ce dilemme shakespearien s’applique-t-il à l’Algérie ? Plus exactement, comment les différentes équipes qui se sont succédé au pouvoir ont-elles géré cette manne céleste ? En ont-elles fait profiter le peuple ou l’ont-elles utilisée à des fins de pouvoir ? Suivant le cas, le pétrole est un bienfait ou un malheur.
Un départ réussi
A Evian, les Algériens avaient obtenu l’essentiel : l’indépendance avait été arrachée et l’intégrité du territoire garantie. Dans d’autres domaines, dont celui du pétrole et du gaz, ils avaient dû concéder pas mal de choses. Le texte des accords prévoyait, entre autres, que « ... l’Algérie confirme l’intégralité des droits attachés aux titres miniers et de transport accordés par la République française, en application du Code pétrolier saharien... » Un peu plus loin, il y était dit qu’elle s’engageait également « ... à respecter le droit pour le détenteur de titres miniers et ses associés de transporter ou faire transporter sa production d’hydrocarbures liquides ou gazeux... et le droit du concessionnaire et de ses associés de vendre et de disposer librement de sa production ». En clair, le nouvel Etat algérien s’engageait, avant même sa naissance, à ne rien modifier à l’édifice juridique préétabli du Code pétrolier saharien, lequel accordait des droits et privilèges absolument exorbitants aux compagnies pétrolières au détriment de l’administration. Dans un domaine aussi vital, l’Etat français pouvait se permettre d’accorder une vaste délégation de pouvoirs au bénéfice des compagnies pétrolières, à partir du moment où celles-ci étaient, dans leur très grande majorité, des sociétés françaises. Afin de garantir l’indépendance énergétique de l’Hexagone, le gouvernement français avait adopté, dès la découverte du pétrole au Sahara, une politique très protectionniste dans ce secteur, au point qu’en 1962 seules trois petites compagnies étrangères - une allemande et deux américaines - étaient présentes en Algérie et y avaient des intérêts minoritaires sur des champs pétroliers au potentiel extrêmement limité. Afin de verrouiller totalement le dispositif mis au point à Evian, la partie française avait imposé la création d’un organisme mixte algéro-français de gestion et de contrôle de l’industrie pétrolière algérienne, dénommé Organisme saharien et au sein duquel les deux pays étaient représentés par un nombre égal d’administrateurs. C’est donc à une structure administrative échappant complètement à la souveraineté nationale qu’était dévolue la tutelle du secteur pétrolier. La seconde grosse difficulté, à laquelle allait se trouver confronté le jeune Etat, était celle du mode de représentation paritaire retenue, qui imposait l’accord des deux parties pour l’adoption de toute décision. Lé gouvernement avait donc les mains bel et bien liées pour ce qui est de l’exploitation des richesses pétrolières du pays, alors même que les caisses du Trésor public étaient vides et, qu’une fois les lampions de la fête de l’indépendance éteints, il fallait trouver les ressources nécessaires pour donner à manger aux neuf millions d’Algériens de l’époque. Rajoutons à cela que les compagnies pétrolières n’étaient tenues de payer qu’un impôt calculé sur la base d’un prix officiel affiché, dit prix posté, inférieur au prix réel du baril de pétrole sur le marché et que cet impôt était grevé d’énormes investissements d’exploration encore loin d’être amortis. Où trouver l’argent pour faire démarrer la machine Algérie, si ce n’est en tirant profit au maximum de l’exploitation du pétrole et du gaz ? Pour cela, il fallait d’abord briser le carcan du Code pétrolier saharien, il fallait remettre en question les accords d’Evian, dont l’encre n’avait pas encore séché. Le gouvernement de l’époque, sous la houlette du président Ahmed Ben Bella, allait s’engouffrer dans la brèche créée par l’affaire de la Trapal et déclencher une renégociation du chapitre hydrocarbures de ces accords. De quoi s’agit-il ? Dès la mise en exploitation du champ de Hassi Messaoud, les entreprises concessionnaires avaient construit le premier pipeline algérien destiné à transporter le pétrole extrait jusqu’au port de Belata. Mais très vite, cet oléoduc avait été saturé, d’autant que de nouveaux gisements avaient été découverts et devaient être mis en production. Les compagnies pétrolières concernées avaient alors créé une nouvelle entité dénommée la Trapal, à laquelle elles ont confié la tâche de construire un nouveau pipeline dont le terminal serait Arzew. Pour réaliser leur projet, l’accord du gouvernement algérien leur était nécessaire. Or, ne voilà-t-il pas que ce dernier avait rejeté leur demande. Qui plus est, malgré la jeunesse et l’inexpérience des responsables politiques et des cadres de l’époque, malgré le manque cruel de spécialistes en matière pétrolière, Ahmed Ben Bella et son équipe décidaient de se lancer dans l’aventure industrielle et de prendre en charge la construction de l’ouvrage. Le prestige de l’Algérie dans le monde était tel que le financement n’a posé aucun problème. L’Etat du Koweït avait fourni les fonds nécessaires et une entreprise britannique, probablement ravie de faire la nique au coq gaulois, était chargée de la réalisation. Faisant jouer les dispositions des accords d’Evian, la Trapal faisait porter l’affaire devant un tribunal international ; c’était l’occasion rêvée, celle que le pouvoir algérien attendait, pour tout remettre à plat. Après maintes tergiversations, de nouvelles négociations algéro-françaises étaient engagées et aboutissaient aux « Accords d’Alger », signés dans la capitale algérienne le 29 juillet 1965. Petit détail d’histoire à signaler, cette signature aurait pu intervenir plus tôt, n’eût été le coup d’Etat du 19 juin de cette même année. Les relations entre les deux pays dans le domaine du pétrole et du gaz étaient revues de fond en comble. La France et l’Algérie avaient innové et lancé une initiative, unique et très avant-gardiste pour l’époque, de coopération en matière pétrolière. Elles décidaient de créer une association dite « Association coopérative » à laquelle était attribuée une énorme superficie à travers le Sahara, sur laquelle les compagnies pétrolières nationales des deux pays, Sonatrach d’un côté et l’ERAP de l’autre (l’ancêtre de Total Elf Fina), se lançaient avec des pourcentages égaux de 50/50 dans l’exploration et la production. La grande innovation du système mis en place est que les deux entreprises se répartissaient, à parts égales aussi, le rôle d’opérateur pour les opérations de recherche et pour l’exploitation des champs découverts. C’était la première fois qu’une compagnie pétrolière du Tiers Monde se lançait dans des opérations sur le terrain, non seulement pour elle-même, mais aussi pour le compte d’une grande société internationale. C’est ainsi que Sonatrach allait subir, quelques années plus tard, son baptême du feu en mettant en exploitation le champ d’EI Borma, à la frontière algéro-tunisienne. Dans le domaine du gaz, les accords d’Alger en attribuaient le monopole du transport, de la distribution et de la commercialisation à l’Algérie. A partir de cette date, toute compagnie qui venait à découvrir du gaz était tenue de le céder à la seule Sonatrach qui se chargeait de le transporter et de le commercialiser, aussi bien sur le marché intérieur que sur le marché international. Ceci était valable aussi pour les gisements déjà existants, notamment celui de Hassi R’mel. Le prix de cession du mètre cube était lui-même figé dans une formule de calcul annexée aux accords. Toujours dans le domaine du gaz, Sonatrach se lançait dans l’aventure industrielle, au travers d’une compagnie mixte algéro-française créée pour l’occasion, chargée de la réalisation et de l’exploitation de l’usiné de liquéfaction de Skikda. Pour ce qui est du transport des hydrocarbures, l’affaire Trapal était complètement oubliée. L’Algérie avait eu gain de cause, Sonatrach avait terminé la construction de l’oléoduc d’Arzew et avait pris en main son exploitation. Elle se lançait même dans la réalisation d’un nouveau gazoduc reliant Hassi R’mel à Skikda. Enfin, s’agissant de la pétrochimie, la partie française s’était engagée à assister les Algériens dans la création d’un nouveau pôle d’activités, autre innovation de l’époque, grâce à la réalisation d’une usine de production d’ammoniac à Arzew. Pour mener à bien toutes ces tâches, le gouvernement algérien avait décidé la création de sa propre compagnie pétrolière nationale, qui allait voir le jour, sur le papier tout au moins, le 31 décembre 1963. Cette compagnie, prévue à l’origine pour faire face à l’urgence du moment, à savoir la réalisation et l’exploitation du pipeline d’Arzew, allait prendre le nom de Sonatrach pour Société nationale de transport et de commercialisation des hydrocarbures. Pour juger de la masse des actes accomplis en un laps de temps aussi bref il faut se replacer dans la situation et l’ambiance du moment. L’Algérie était un pays qui venait de renaître après 132 années de sommeil colonial, un pays qui comptait au total à peine quelque 800 cadres diplômés d’université, dont moins d’une dizaine d’ingénieurs pétroliers, un pays dont l’âgé moyen de ses leaders politiques était de l’ordre de la trentaine, un pays dont l’armée constituée de moudjahidine, tout juste descendus des maquis et dotés de moyens rudimentaires, un pays en bonne partie détruit par la guerre dont les populations rurales avaient été chassées de leurs terres et de leurs gourbis, bref un pays fier de son nouveau drapeau, mais sans infrastructures, aux moyens matériels et humains parcimonieux, les rares cadres étant cependant animés d’une foi inébranlable en l’avenir, une foi qui pouvait transporter des montagnes. Il fallait avoir un sacré courage, une réelle volonté politique, une profonde confiance en soi et des convictions inébranlables pour oser remettre en question une disposition fondamentale d’un accord international, telle que celle de refuser à une entreprise pétrolière le droit de « transporter par canalisations sa production d’hydrocarbures » comme cela avait été prévu à Evian. Il ne faut surtout pas voir une flagornerie quelconque dans ce propos, car il ne se rapporte pas à une personne déterminée ; il s’agit simplement de reconnaître combien tous ceux qui ont participé de près ou de loin à cet épisode de l’histoire contemporaine de l’Algérie étaient sincères dans leurs accomplissements et animés d’un grand amour pour leur pays. La nouvelle loi sur les hydrocarbures, adoptée au début de l’année écoulée, contient des dispositions similaires à celles des accords d’Evian. Quel est ce pouvoir algérien, l’actuel ou à venir, qui aurait demain le courage de s’opposer au droit au transport de sa production de l’une de ces grandes compagnies pétrolières américaines qui viendront, nous dit-on, remplir les caisses de l’Etat et rendre l’Algérie plus compétitive au plan international ? Certains parmi ceux qui ont participé, voire présidé à la création de l’industrie pétrolière algérienne nous disent aujourd’hui qu’il n’y a pas de tabou en économie, que la loi sur les hydrocarbures n’est pas le Coran et que l’on peut faire marche arrière si l’on se rend compte que l’on a fait fausse route. Ces gens-là sont encore sur leurs nuages des années soixante. Ils oublient que les évènements, auxquels ils ont participé à cette époque, se sont déroulés à un moment où les Tito, Nasser ou Nehru dominaient de leurs statures de géants la scène internationale, à un moment où les voix des damnés de la terre portaient loin et faisaient trembler la planète. Pensent-ils pouvoir remettre en question un engagement que prendrait l’Algérie vis-à-vis d’Exxon Mobil par exemple, à un moment où l’OMC gouverne le monde, où le FMI gère les finances du pays, où la Banque mondiale rédige la loi sur les hydrocarbures et où le président des Etats-Unis se sent investi d’un pouvoir divin qui l’autorise à dire qui fait partie de l’axe du Bien et balance des bombes sur la tête de quiconque ne lui plaît pas ? Fadaises que tout cela ! Alors, le pétrole sous Ben Bella, bienfait ou malheur ?
L’épanouissement
Puis vint Boumediene. Les accords du 29 juillet 1965 avaient permis à l’Algérie de cesser d’être un simple percepteur d’impôts, de remettre en cause le système de concessions et de se lancer dans l’aventure industrielle en prenant directement en main, sur le terrain, les opérations d’exploration et de production. Cette dernière mesure était de loin la plus importante puisque c’est grâce à ce rôle d’opérateur que le pays finira par exercer une souveraineté totale sur les richesses de son sous-sol. Les buts assignés à Sonatrach, en tant qu’outil de l’Etat dans le domaine des hydrocarbures, au lendemain de l’entrée en vigueur des accords d’Alger, étaient extrêmement ambitieux. Il s’agissait « d’assurer la présence effective de Sonatrach à tous les stades de l’industrie pétrolière, de mettre en place le schéma organique de fonctionnement de la société, d’augmenter le potentiel national des réserves de pétrole et de gaz, en maintenant un rythme soutenu de travaux d’exploitation et de développement des gisements découverts, de développer les exportations de pétrole et de gaz, dans les conditions les plus favorables au pays, tout en assurant en priorité les besoins du marché intérieur ». Il fallait aussi « opérer le transfert de technologie nécessaire et partant, la formation des cadres algériens, grâce à la création de sociétés mixtes contrôlées par Sonatrach, assurer la fourniture des services demandés par l’industrie pétrolière par l’intermédiaire de ces mêmes filiales, contribuer au développement de l’économie nationale au travers des effets induits par l’activité pétrolière, développer au maximum l’industrie du gaz, qui était jusque-là le parent pauvre, alors que l’Algérie est avant tout un pays gazier, et au plan international, intégrer l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) et l’Organisation des pays arabes exportateurs de pétrole (OPAEP), afin de faire entendre la voix de l’Algérie au travers de ces deux forums ». Six mois à peine après avoir revêtu les habits d’opérateur, Sonatrach effectuait sa première découverte. C’était le tout début de l’année 1966 quand elle obtenait, en test, un débit de 20 mètres cubes/heure de pétrole sur le premier forage d’exploration, réalisé de A à Z par es moyens humains et matériels nationaux, sur le champ de Oued Noumer dans la région de Ghardaïa. La guerre du Moyen-Orient de juin 1967 fournissait au régime du président Houari Boumediene l’occasion de créer la première brèche dans le front des compagnies concessionnaires, ur internet