Qui est qui à la Mosquée de Paris
On a beaucoup écrit sur la mosquée de Paris. Son actuel recteur est très présent dans les médias, en France, mais aussi en Algérie où il a été l'invité du JT de 20 heures. En janvier 2006, Le Monde lui a consacré toute une page signée par une rédactrice spécialiste de politique générale. Elle a appris aux lecteurs que « le musulman idéal » Dalil Boubakeur évite de se rendre dans les pays arabes parce qu'il « ne maîtrise que l'arabe classique »(sic).
Le recteur a participé aussi à des émissions historiques télévisées où il a raconté ses souvenirs d'adolescence sur arrivée en France en 1957. Une de ses déclarations a été contestée par des associations de Rapatriés d'Algérie qui ont porté plainte contre lui.
Malgré l'inflation éditoriale sur la mosquée et sur son recteur, le sujet reste largement sous-étudié. Car dans la plupart des cas, les médias se contentent de reproduire ce que dit le recteur de lui-même, ou de paraphraser les articles d'une feuille que publiait un attaché de presse recruté avec l'accord de l'ambassade pour les besoins de la promotion médiatique de Dalil Boubakeur au prix d'une manipulation des chroniqueurs religieux. Cette feuille a cessé de paraître quand son rédacteur a perdu sa crédibilité auprès des journalistes qui avaient imprudemment ses informations sur l'implantation et l'influence attribuées à la mosquée. Les chroniqueurs religieux découvrirent la vanité de ses prétentions au moment de l'effondrement spectaculaire des listes de la « GMP »(Grande Mosquée de Paris dans le jargon du ministère de l'Intérieur) aux élections du CFCM d'avril 2003.
Who's who à la Mosquée de Paris.
On a donc affaire à une information digne des régimes à parti unique, avec ses spin doctor et ses relais parmi les bénéficiaires des nombreuses formes de faveurs de la mosquée.
Au moment où la presse indépendante algérienne atteint l'âge adulte, il n'est pas normal qu'elle continue de reproduire ce que dit Dalil Boubakeur de lui-même et de sa famille et qu'elle se contente des lieux communs inspirés par son entourage actuel ou ceux qui aspirent à en faire partie. Voilà pourquoi il est bon de faire connaître le vrai visage de cette institution prestigieuse surtout par son bâtiment afin de mieux comprendre sa paralysie. Nous avons essayé d'aller au-delà de ce que dit le guide pressé aux touristes et de ce que répète Dalil Boubakeur aux élèves-journalistes auxquels il lui arrive de consacrer des après-midi entières aux dépens des affaires internes de la mosquée, et « oubliant » des rendez-vous importants. Cette importance excessive accordée aux relations avec les journalistes et les hommes politiques, aux dépens des contacts avec les instances religieuses, en dit long sur le véritable culte qu'il voue à sa propre image.
C'est parce qu'un grand nombre de journalistes sont persuadés du caractère factice de cette image, qu'il devient impératif de s'intéresser à ce que le recteur et ses spin doctor s'efforcent de dissimuler. Les témoignages des anciens employés de la mosquée, dont certains furent licenciés parce qu'il leur était reproché d'en savoir plus sur « la face cachée », l'exploitation des archives(françaises, civiles et militaires, mais aussi séoudiennes et marocaines) par des historiens et les investigations des journalistes conscients d'avoir été manipulés permettent déjà de commencer à écrire la véritable histoire de la mosquée. Pour ce faire, il conviendrait d'esquisser le « Who's who à la mosquée de Paris ». Voici les éléments d'une première enquête qui sera complétée par des témoignages et des entretiens avec des chercheurs absolument dignes de foi, et infiniment plus crédibles que les tenants du journalisme d'attaché de presse.
La première démystification concerne Hamza Boubakeur qui a régné pendant 25 ans. Compte-tenu des références permanentes de Dalil à son père, après avoir renoncé à se faire un prénom, l'ancien recteur est souvent présenté comme un « théologien », auteur d'une « bonne traduction du Coran ».
Or, le recteur préféré de Robert Lacoste et Guy Mollet n'a signé cette traduction qu'en 1972. Il avait alors atteint la soixantaine. Ce travail avait été préparé par sept experts qui furent très mécontents quand le recteur a « oublié » de mentionner leurs noms. Parmi eux, il y avait le spécialiste des Oçoul al Fiqh(Fondements du Droit), Mohamed Alfy qui, à la suite de cette affaire a quitté la mosquée de Paris pour aller enseigner à la chaire de droit musulman de la Sorbonne, où il a eu le loisir de commenter les méthodes de Boubakeur à l'intention des arabisants français, dont Henri Laoust.
Quand G. Mollet a « agréé » H. Boubakeur directeur de l' « Institut musulman de la mosquée de Paris », sur proposition de Robert Lacoste(ministre-résidant en Algérie chargé de la "pacification" et de l'application des "pouvoirs spéciaux"), ce protégé de la gauche coloniale avait un profil politique très fortement marqué. Il s'efforçait en effet depuis une dizaine d'années de jouer un rôle dans la politique coloniale en essayant de faire partie des dignitaires de l'Islam maraboutique choyés par l'administration. Il n'a pas hésité à demander au Gouvernement Général de soutenir sa candidature aux élections de l'Assemblée Algérienne d'avril 1948. Le « soutien » administratif, qui, sous Naegelen, signifiait bourrage des urnes, lui a été refusé parce que son oncle le bachagha Si Larbi ben Eddine- qui présidait la confrérie des Ouled Sidi Cheikh- a refusé de cautionner sa candidature.
Pour venger ce refus, H. Boubakeur a essayé de prendre le contrôle de la confrérie en 1949. Mais un congrès de tous les représentants réunis par Abdelhaï al Kettani venu du Maroc a réélu démocratiquement Si Larbi et désavoué le putsch tenté par son neveu. Les rebondissements de la querelle entre Si Larbi et Si Hamza, qui avait pour principal enjeu le contrôle des ziaras(tournées pastorales justifiant des quêtes auprès de 40.000 adeptes), furent abondamment commentés entre 1949 et 1953 dans les bulletins du "Service des Liaisons Nord-Africaines" que dirigeait au Gouvernement Général le colonel Schoen.
En 1953, Si Hamza propose ses services au Gouvernement Général pour un recrutement para-militaire dans les Ouled Sidi Cheikh. Du fait de son alliance matrimoniale avec A. Kiouane, Boubakeur rencontrait des militants du MTLD et il était probablement au courant des préparatifs du 1° novembre 1954. En proposant ce que l'ethnographe Servier fera l'année suivante dans les Aurès, puis dans le Zaccar, H. Boubakeur semblait surtout intéressé par les à-côtés financiers du recrutement para-militaire.
En 1947, il avait déjà rendu de précieux services au SLNA en lui communiquant un abondant courrier envoyé par des sympathisants nationalistes qui réagissaient à la publication de la photo de Messali-Hadj sur la couverture du premier numéro de la revue "Salam Ifriqyia", qu'il publiait avec l'aide financière du Gouvernement Général.
En mars 1955, on retrouve Hamza Boubakeur conférencier et conseiller de l'Action Psychologique de l'armée qui cherchait à désavouer le nationalisme au nom de l'Islam.
En décembre 1956, il est mêlé à des négociations secrètes avec la wilaya 1 des Aurès à qui il voulait faire accepter un cessez-le-feu afin d'être un « interlocuteur valable" du gouvernement G. Mollet . Après l'échec de ces négociations menées pour le compte de L. Paye et du colonel Schoen(tous deux membres du cabinet civil de Lacoste), la crainte des représailles de l'ALN l'amène à s'installer à Paris où il demande à G. Mollet de le nommer recteur d'académie. C'est à cause du refus de cette candidature par l'Education Nationale qu'il s'auto-intitule « recteur » de la mosquée de Paris, qui avait jusque-là un directeur.
Son prédécesseur, Ahmed Benghabrit, qui avait quitté son poste après avoir dénoncé la torture en Algérie, a contesté le coup de force de G. Mollet. Le Conseil d'Etat lui donnera raison en condamnant en 1963 un interventionnisme dans les affaires du culte musulman que le président du Conseil socialiste croyait permis par les « pouvoirs spéciaux » de mars 1956. Moyennant quoi H. Boubakeur restera à la tête de la mosquée pendant 25 ans ! Cela montre que ce n'est pas le droit qui fonde les relations de l'Etat laïque français avec l'Islam.
Lorsqu'il était au service de l'Action Psychologique, H. Boubakeur rencontrait régulièrement le cadi de Tombouctou, le cheikh Mahmoud qui, à partir de 1955, faisait des tournées dans les mosquées d'Algérie pour y dénoncer le nationalisme anti-colonial comme une « Innovation Blâmable »(Bida'a), au nom de sa conception pro-coloniale de l'orthodoxie.
Le cadi mit fin à ses campagnes en 1960, juste après la reconnaissance de l'indépendance des Etats africains. Il se retira de la politique après l'échec du projet de création d'une République du Sud-Saharien, dont il voulait devenir le président, en promettant d'en faire un Etat associé à la France. Son ami Si Hamza nourrissait une ambition comparable lorsqu'il militait pour le détachement du Sahara algérien dont il voulait devenir le président(cf. un numéro du Moudjahid de février 1962, les mémoires du cheikh Bayyoud, "C'était De Gaulle » d'Alain Peyrefitte et le volume "Gouverner" des mémoires de Michel Debré). Mais l'abandon, après l'échec des négociations avec le GPRA à Lugrin en juillet 1961, par le général De Gaulle du projet de partition de l'Algérie défendu par M. Debré, ruina les espoirs de Boubakeur, qui se sentait à l'étroit à la mosquée de Paris, et à l'assemblée nationale où il était apparenté socialiste.