Algérie-Maroc : à quand la fin du gâchis ?
Interview de Belkacem Boutayeb, entrepreneur et présidant du groupe MENA à l’IMRI
Depuis 1975, les frontières entre l’Algérie et le Maroc n’ont été ouvertes que pendant sept petites années (1987 à 1994). Une situation que même le sérail politique des deux pays qualifie d’absurde et qui est due à des différends diplomatiques, cristallisés depuis plus de 30 ans par la question du Sahara occidental. Les entrepreneurs économiques ont bien essayé d’enclencher une dynamique positive, depuis quelques années, mais sans succès. Le salut viendra peut-être de partenaires extérieurs, Européens, dans le cadre d’une hypothétique Union pour la Méditerranée...
Belkacem Boutayeb est un entrepreneur marocain qui a grandi en Algérie. Il préside le groupe MENA ( Maghreb, Monde Arabe) à l’IMRI (Institut marocain des relations internationales), dont il est membre fondateur. Il nous donne son point de vu sur le gâchis algéro-marocain.
Afrik : De nombreuses rencontres – forums algéro-marocains en 2005 et 2006, journées commerciales de l’Algérie à Casablanca en 2007... – ont été mises sur pieds entre entrepreneurs algériens et marocains, depuis trois ans, pour dynamiser les relations entre leurs deux pays sans tenir compte des différends politiques. Avec quels résultats ?
Belkacem Boutayeb : Ces événements auraient pu et dû dynamiser davantage les échanges et créer de la richesse. D’autant que nos dirigeants ne lésinent pas sur l’émotivité, créant de belles attentes et mettant du baume au cœur des citoyens. Les témoignages de fraternité, de solidarité et même de grande complicité sont nombreux : suite aux inondations de Bab ElOued et au tremblement de terre d’Alger, aux inondations de Mohammedia et au tremblement de terre d’Al Hoceima ; je pense à la grande halte émue du Président Bouteflika au pavillon du Maroc à la Foire Internationale d’Alger, à la présidence de Lalla Selma et de Lalla Asma au dîner officiel des Journées commerciales de l’Algérie à Casablanca... La frontière terrestre a même été réouverte pour acheminer l’aide humanitaire algérienne aux sinistrés d’Al Hoceima et Mohammedia. Pourtant, tout est bloqué. L’Algérie ramène des Chinois dans la construction alors que les Marocains sont capables de réduire le déficit immobilier en Algérie au moindre coût et avec compétence. Des deux côtés de la frontière, il y a des entreprises qui souffrent et gagneraient à la réouverture des frontières. Deux pour cent d’échanges entre l’Algérie et le Maroc, c’est une insulte à la mémoire de ces peuples et à leur potentiel. Les deux pays pourraient constituer un nouveau géant qui rivaliserait de loin avec l’Egypte et l’Afrique du Sud.
Afrik : La chambre de commerce algéro-marocaine créée en 2006, lors de la visite d’une délégation d’opérateurs économiques marocains en Algérie, est-elle active ?
Belkacem Boutayeb : Si l’ intention était louable, le vœux est resté pieux. Le cadre juridique est là, il s’agit de lui donner une âme, de la raison et du sens. Seule l’implication active des opérateurs économiques, par le canal des organismes de promotion, des instances patronales, des fédérations professionnelles et des Chambres de commerce régionales, avec le concours franc du secteur bancaire, et la non diabolisation du bilatéral, pourra vraiment donner l’impulsion nécessaire à cette dynamique économique tant souhaitée.
Afrik : Comment comprendre que des secteurs non dépendants de la fermeture des frontières ne décollent pas, comme celui des finances par exemple ?
Belkacem Boutayeb : La fermeture n’est que la face visible de l’iceberg. L’économie marocaine, privée des flux d’échanges commerciaux, non seulement sur le marché algérien, mais également sur le reste du monde arabe, subit tout autant que l’économie algérienne les affres et les méfaits de la contrebande. Les nouvelles technologies de l’information, l’implantation de banques marocaines en Algérie et vice-versa, les projets intégrant, la coopération transfrontalière, l’investissement croisé, la formation professionnelle et tous les domaines de complémentarité et de solidarité sont compromis et bloqués. Ils sont otages de considérations politiques et de l’absence de mécanismes, de procédures et d’outils transparents et simplifiés pour le traitement fiable des échanges.
Afrik : Existe-t-il des estimations des pertes engendrées par la fermeture des frontières et les mauvaises relations diplomatiques algéro-marocaines ?
Belkacem Boutayeb : Il est difficile de répondre de manière scientifique et rationnelle... Néanmoins, il est établi, à partir d’études et d’analyses sérieuses de l’Organisation mondiale du commerce et de la Banque Mondiale, que le coût du non-maghreb est catastrophique à plusieurs titres : aggravation de la pauvreté et déficit de croissance de 2 à 3 % du PIB, manque à gagner de 4,5 milliards US $, par les investissements directs étrangers et la croissance des exportations, potentialités d’exportations hors hydrocarbures de 800 millions $/an, absence d’harmonisation des politiques économiques, absence d’harmonisation des systèmes éducatifs et culturels, absence de climat de confiance, déficit de l’implication financière et humaine de la diaspora...
Afrik : L’Union pour la méditerranée a-t-elle une chance de pousser Alger et Rabat à l’instauration de meilleures relations ?
Belkacem Boutayeb : L’idée de ce projet, lancée de manière solennelle à Tanger par le Président Sarkozy, a été clairement réadaptée par la rigueur de la chancelière allemande, la ramenant à une démarche fédératrice de « Partenariat méditerranéen par Projets ». Il va de soi que si le Maghreb reste grippé, faute de vaccin, l’adhésion des pays du Maghreb, et spécifiquement de l’Algérie et du Maroc, les fera souscrire à cette nouvelle dynamique de groupe qui a ses propres contraintes et termes de référence. Et si l’ Alliance consanguine entre nos deux pays n’arrive pas à donner le meilleur d’elle-même, donnons alors une chance au mariage mixte et au partenariat à plusieurs... Peut-être que c’est le rôle des pays anciennement présents, la France et l’Espagne, de pousser nos dirigeants à jouer la carte de l’économie pour tenter un rapprochement. Mon vœux d’humilité est que nous puissions, ensemble, dépasser les susceptibilités et les rancunes, laisser s’exprimer cette interdépendance des cœurs et prouver que le Maghreb algéro-marocain est capable de génie, d’intelligence, de pardon et de raison, sachant se tenir à l’essentiel , qui est l’intérêt suprême et sacré des peuples.
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Interview de Belkacem Boutayeb, entrepreneur et présidant du groupe MENA à l’IMRI
Depuis 1975, les frontières entre l’Algérie et le Maroc n’ont été ouvertes que pendant sept petites années (1987 à 1994). Une situation que même le sérail politique des deux pays qualifie d’absurde et qui est due à des différends diplomatiques, cristallisés depuis plus de 30 ans par la question du Sahara occidental. Les entrepreneurs économiques ont bien essayé d’enclencher une dynamique positive, depuis quelques années, mais sans succès. Le salut viendra peut-être de partenaires extérieurs, Européens, dans le cadre d’une hypothétique Union pour la Méditerranée...
Belkacem Boutayeb est un entrepreneur marocain qui a grandi en Algérie. Il préside le groupe MENA ( Maghreb, Monde Arabe) à l’IMRI (Institut marocain des relations internationales), dont il est membre fondateur. Il nous donne son point de vu sur le gâchis algéro-marocain.
Afrik : De nombreuses rencontres – forums algéro-marocains en 2005 et 2006, journées commerciales de l’Algérie à Casablanca en 2007... – ont été mises sur pieds entre entrepreneurs algériens et marocains, depuis trois ans, pour dynamiser les relations entre leurs deux pays sans tenir compte des différends politiques. Avec quels résultats ?
Belkacem Boutayeb : Ces événements auraient pu et dû dynamiser davantage les échanges et créer de la richesse. D’autant que nos dirigeants ne lésinent pas sur l’émotivité, créant de belles attentes et mettant du baume au cœur des citoyens. Les témoignages de fraternité, de solidarité et même de grande complicité sont nombreux : suite aux inondations de Bab ElOued et au tremblement de terre d’Alger, aux inondations de Mohammedia et au tremblement de terre d’Al Hoceima ; je pense à la grande halte émue du Président Bouteflika au pavillon du Maroc à la Foire Internationale d’Alger, à la présidence de Lalla Selma et de Lalla Asma au dîner officiel des Journées commerciales de l’Algérie à Casablanca... La frontière terrestre a même été réouverte pour acheminer l’aide humanitaire algérienne aux sinistrés d’Al Hoceima et Mohammedia. Pourtant, tout est bloqué. L’Algérie ramène des Chinois dans la construction alors que les Marocains sont capables de réduire le déficit immobilier en Algérie au moindre coût et avec compétence. Des deux côtés de la frontière, il y a des entreprises qui souffrent et gagneraient à la réouverture des frontières. Deux pour cent d’échanges entre l’Algérie et le Maroc, c’est une insulte à la mémoire de ces peuples et à leur potentiel. Les deux pays pourraient constituer un nouveau géant qui rivaliserait de loin avec l’Egypte et l’Afrique du Sud.
Afrik : La chambre de commerce algéro-marocaine créée en 2006, lors de la visite d’une délégation d’opérateurs économiques marocains en Algérie, est-elle active ?
Belkacem Boutayeb : Si l’ intention était louable, le vœux est resté pieux. Le cadre juridique est là, il s’agit de lui donner une âme, de la raison et du sens. Seule l’implication active des opérateurs économiques, par le canal des organismes de promotion, des instances patronales, des fédérations professionnelles et des Chambres de commerce régionales, avec le concours franc du secteur bancaire, et la non diabolisation du bilatéral, pourra vraiment donner l’impulsion nécessaire à cette dynamique économique tant souhaitée.
Afrik : Comment comprendre que des secteurs non dépendants de la fermeture des frontières ne décollent pas, comme celui des finances par exemple ?
Belkacem Boutayeb : La fermeture n’est que la face visible de l’iceberg. L’économie marocaine, privée des flux d’échanges commerciaux, non seulement sur le marché algérien, mais également sur le reste du monde arabe, subit tout autant que l’économie algérienne les affres et les méfaits de la contrebande. Les nouvelles technologies de l’information, l’implantation de banques marocaines en Algérie et vice-versa, les projets intégrant, la coopération transfrontalière, l’investissement croisé, la formation professionnelle et tous les domaines de complémentarité et de solidarité sont compromis et bloqués. Ils sont otages de considérations politiques et de l’absence de mécanismes, de procédures et d’outils transparents et simplifiés pour le traitement fiable des échanges.
Afrik : Existe-t-il des estimations des pertes engendrées par la fermeture des frontières et les mauvaises relations diplomatiques algéro-marocaines ?
Belkacem Boutayeb : Il est difficile de répondre de manière scientifique et rationnelle... Néanmoins, il est établi, à partir d’études et d’analyses sérieuses de l’Organisation mondiale du commerce et de la Banque Mondiale, que le coût du non-maghreb est catastrophique à plusieurs titres : aggravation de la pauvreté et déficit de croissance de 2 à 3 % du PIB, manque à gagner de 4,5 milliards US $, par les investissements directs étrangers et la croissance des exportations, potentialités d’exportations hors hydrocarbures de 800 millions $/an, absence d’harmonisation des politiques économiques, absence d’harmonisation des systèmes éducatifs et culturels, absence de climat de confiance, déficit de l’implication financière et humaine de la diaspora...
Afrik : L’Union pour la méditerranée a-t-elle une chance de pousser Alger et Rabat à l’instauration de meilleures relations ?
Belkacem Boutayeb : L’idée de ce projet, lancée de manière solennelle à Tanger par le Président Sarkozy, a été clairement réadaptée par la rigueur de la chancelière allemande, la ramenant à une démarche fédératrice de « Partenariat méditerranéen par Projets ». Il va de soi que si le Maghreb reste grippé, faute de vaccin, l’adhésion des pays du Maghreb, et spécifiquement de l’Algérie et du Maroc, les fera souscrire à cette nouvelle dynamique de groupe qui a ses propres contraintes et termes de référence. Et si l’ Alliance consanguine entre nos deux pays n’arrive pas à donner le meilleur d’elle-même, donnons alors une chance au mariage mixte et au partenariat à plusieurs... Peut-être que c’est le rôle des pays anciennement présents, la France et l’Espagne, de pousser nos dirigeants à jouer la carte de l’économie pour tenter un rapprochement. Mon vœux d’humilité est que nous puissions, ensemble, dépasser les susceptibilités et les rancunes, laisser s’exprimer cette interdépendance des cœurs et prouver que le Maghreb algéro-marocain est capable de génie, d’intelligence, de pardon et de raison, sachant se tenir à l’essentiel , qui est l’intérêt suprême et sacré des peuples.
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