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Il a été le premier président du GPRA en 1958 : Ferhat Abbas, une vie au service de la nation algérienne
Le cinquantième anniversaire de la création du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA), avec la nomination de Ferhat Abbas à sa présidence le 19 septembre 1958, rappelle à nous la grandeur de l’homme, ce qu’il représentait pour son peuple et ce qu’il a donné de lui-même pour que les Algériens puissent vivre libres dans leur propre pays.
Mais cet anniversaire nous rappelle aussi (et malheureusement) des propos qu’on lui a attribués sur la nation algérienne, selon lesquels cette dernière n’existerait pas, qu’il l’aurait cherchée jusque dans les cimetières sans jamais la trouver, véhiculés de 1936 à ce jour et qui entachent son honneur jusque dans la tombe. Ferhat Abbas les récusa dès 1962 dans son livre La nuit coloniale, puis vers la fin de sa vie dans L’indépendance confisquée (1984) accusant ses détracteurs d’avoir déformé ce qu’il a écrit dans l’un de ses articles, en vain. Car ses détracteurs non seulement ont fait la sourde oreille, mais ont redoublé de férocité, puisque voilà les propos attribués à l’homme politique algérien objet d’études jusque dans les universités.
Cet article aurait été écrit selon les historiens en 1936 dans l’hebdomadaire L’Entente, où Ferhat Abbas fut la plume de prestige et est cité régulièrement par les historiens dans leurs ouvrages, qui en rapportent quelques phrases, ponctuées de points de suspension, comme preuve immuable que Ferhat Abbas aurait écrit que « la nation algérienne n’existe pas », ou « que la patrie algérienne n’existe pas », en d’autres termes que Ferhat Abbas n’était pas nationaliste. Ces phrases hachées de points de suspension ont été reconnues par les historiens français Gilbert Meynier et Ahmed Koulakssis et aujourd’hui par Julien Fromage, comme sorties de leur contexte et déformées par rapport aux points de ponctuation. Ce qui n’a pas empêché les historiens de continuer à les véhiculer. Le cinquantième anniversaire de la nomination de Ferhat Abbas en tant que premier président du GPRA est l’opportunité à saisir pour mettre les historiens face à leurs contradictions et d’émettre des réserves que Ferhat Abbas ait écrit en 1936 que la nation algérienne n’existe pas ou que la patrie algérienne n’existe pas ou quoi que ce soit en ce sens.
Les contradictions des historiens
Dans Ferhat Abbas une utopie algérienne, paru en 1995 aux éditions Garnier (réédité en Algérie), l’historien français Benjamin Stora écrit : « Les historiens Gilbert Meynier et Ahmed Koulakssis signalent que cet éditorial fameux de L’Entente est également paru dans le journal La Défense du 28 février 1936. Ils ont mis en évidence la forme suivante de cette phrase : « Et cependant, je ne mourrai pas pour la patrie algérienne (en caractères gras dans le texte de La Défense) parce que cette patrie n’existe pas ? » Pour ces chercheurs, les caractères gras de « patrie algérienne » et surtout la ponctuation terminant la phrase en point d’interrogation, « changent du tout au tout le sens d’une formule qui fut à l’envi présentée comme une assertion définitive ». « Mais, précise Benjamin Stora, à l’époque, les formations politiques musulmanes ne s’attardent pas sur de telles nuances » De notre propre lecture de l’ouvrage de Gilbert Meynier et Ahmed Koulakssis L’Emir Khaled premier Zaïm (L’Harmattan 1987), il est important de préciser que les propos rapportés par Benjamin Stora ne sont pas tout à fait conformes à ceux des historiens cités. En effet, ces deniers écrivent : « Ferhat Abbas publie dans La Défense (en bas de page La Défense du 28 février 1936) son article, depuis, célèbre, « La France c’est moi ! » « Et cependant je ne mourrai pas pour la patrie algérienne (en gras dans le texte) parce que cette patrie n’existe pas ? »
Parfois pressés, les historiens n’ont guère relevé ni les caractères gras de « patrie algérienne » ni surtout, la ponctuation terminant la phrase - un point d’interrogation - alors qu’elle change du tout au tout le sens d’une formule qui fut à l’envi présentée, comme assertion affirmative. (p 6-7) Il est clair que selon les propos de Gilbert Meynier et Ahmed Koulakssis, Ferhat Abbas a publié son article sur la nation algérienne dans le journal La Défense du 28 février 1936 et non dans L’Entente. Nous précisons aux lecteurs qu’il est ici question du journal La Défense dirigé par Lamine Lamoudi, journal proche des oulémas. Une question découle de source : l’article originel attribué à Ferhat Abbas a-t-il été publié dans le journal L’Entente comme l’affirme Benjamin Stora ou dans La Défense, comme l’affirment Gilbert Meynier et Ahmed Koulakssis ? Lors de notre prospection, nous avons constaté que seul Amar Naroun rapporte l’article attribué à Ferhat Abbas dans son intégralité (sauf erreur de notre part), et cela dans la biographie Ferhat Abbas ou les chemins de la souveraineté (Denoël 1961. p 162-166). Amar Naroun (1906-1988), homme politique, journaliste et écrivain, a été député de Constantine du 13 juillet 1952 au 1er décembre 1955 en tant que républicain indépendant. On le dit adversaire de Ferhat Abbas aux élections. L’article attribué à Ferhat Abbas et qu’il rapporte dans son ouvrage est dactylographié, il a été selon lui publié dans L’Entente, et Amar Naroun en apporte la preuve, un bout de la photocopie de l’article tel que publié à la une de ce journal.
Et il donne la date de publication, qui est celle du 27 février 1936. Sur cette photocopie apparaît clairement le titre du journal, mais pas la date d’édition. Or, dans L’Entente la date de jour se trouve juste au-dessus du titre. Qu’est-ce qui a empêché Amar Naroun, qui dit vouloir rendre service à l’histoire, de faire une photocopie en bonne et due forme ? Et pourquoi Amar Naroun n’ a-t-il pas rapporté la photocopie complète de l’article en question ? Cet article est daté en sa fin « Sétif le 23 février 1936 ». Mais en introduction au sujet, Amar Naroun donne la date du 27 février 1936. Nous avons consulté minutieusement l’hebdomadaire L’Entente, et nous avons constaté que Ferhat Abbas ne donne jamais un lieu et une date à ses articles (sauf erreur de notre part) et pourquoi le ferait-il, puisque le journal est daté de son édition du jour ? L’homme politique algérien signe ses articles F. Abbas ou Ferhat Abbas.
Par ailleurs, pourquoi Amar Naroun ne rapporte qu’une partie du titre, alors que sur la photocopie il semble bien qu’il y ait un titre et un sous-titre ? Nous ne demandons qu’à croire Amar Naroun. Mais les points signalés ci-dessus, nous donnent le droit d’émettre certaines réserves, vis-à-vis de cet article, car une personne qui dit en introduction de son ouvrage être d’une rigoureuse objectivité, il nous semble qu’il a davantage brouillé les cartes. Quant à Gilbert Meynier et Ahmed Koulakssis, qui auraient pu résoudre le problème, ils n’ont fait que l’aggraver, du fait qu’ils disent que c’est dans le journal La Défense, que Ferhat Abbas a publié son article et selon eux le 28 février 1936. Par ailleurs, la phrase : « Et cependant je ne mourrai pas pour la patrie algérienne, parce que cette patrie n’existe pas ? » sur laquelle s’appuie leur démonstration, n’existe pas dans l’article rapporté dans son intégralité par Amar Naroun ni parmi les phrases rapportées par Benjamin Stora dans Ferhat Abbas une utopie algérienne.
De ce fait, cette question de points de ponctuation soulevée par Gilbert Meynier et Ahmed Koulakssis n’est pas en soi un problème. Ce qui pose problème, c’est le journal où cet article aurait été publié, La Défense ou L’Entente, ansi que sa date d’édition sur laquelle les historiens ne sont pas d’accord comme nous le verrons dans ce qui suit. Le lot de phrases de cet article en question rapportées par Benjamin Stora dans son ouvrage Ferhat Abbas une utopie algérienne (p73-74) sont celles qui nous ont le plus interpellés. D’une part, parce que cet historien spécialiste de l’Algérie contemporaine est très lu et apprécié des Algériens, d’autre part parce que son ouvrage Ferhat Abbas une utopie algérienne est une biographie de Ferhat Abbas, écrite d’ailleurs à deux mains, puisque Zakya Daoud, spécialiste du Maroc, y apporte sa contribution. Nous savons ce qu’est une biographie du fait que nous en avons lu beaucoup. Une biographie se doit, du moins en principe, se rapprocher le plus possible de la vérité. Mais comment approcher cette vérité si l’article attribué à Ferhat Abbas n’est pas rapporté dans son intégralité et les phrases rapportées ponctuées de points de suspension ? Est-ce que les phrases rapportées par Benjamin Stora sont tirées de l’article originel ? Il donne à la page 73 le titre de l’article « La France, c’est moi » Mais il donne d’autres références dans la notice « Ferhat Abbas, éditorial de L’Entente franco musulmane, n0 24, 27 février 1936 » : « En marge du nationalisme, la France c’est moi » (p101). Constater que Benjamin Stora en tant qu’historien et biographe n’a pas rapporté l’article en question dans son intégralité est des plus décevants.
Si cet article devait figurer quelque part, c’est bien dans une biographie de Ferhat Abbas, puisque c’est cet article même qui a porté « préjudice à l’honneur de l’homme et Benjamin Stora le signale lui-même ». Pourquoi Benjamin Stora rapporte-t-il un texte ponctué de points de suspension qui empêchent la compréhension du texte dans son ensemble, alors que c’est bien la ponctuation qui est mise à l’index par Gilbert Meynier et Ahmed Koulakssis ? Benjamin Stora cite l’ouvrage d’Amar Naroun dans la notice de son livre (pour d’autres raisons que l’article de Ferhat Abbas). S’il cite cet ouvrage, c’est qu’il aiguille le lecteur vers Amar Naroun. Le biographe ne savait-il pas qu’en consultant l’ouvrage d’Amar Naroun, le lecteur y trouverait l’article dans son intégralité ? Il le savait forcément. Deux fois de suite (dans le texte et dans les notices), Benjamin Stora dit aux lecteurs qu’Amar Naroun est ami de Ferhat Abbas. Mais lorsqu’on veut servir l’histoire, doit-on servir l’amitié ? Et à ce niveau, nous rappelons les propos de Lucien de Samosate : « Il (l’historien) mettra l’intérêt de la vérité au-dessus de la haine et il ne pardonnera pas une faute même à l’amitié ». (Lucien de Samosate. XXI. Comment il faut écrire l’histoire. [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien] Par ailleurs Benjamin Stora écrit : « Déclaration occultée dans sa totalité et dans son contexte » puis « Déclaration mal comprise qui poursuivra Ferhat Abbas toute sa vie et qui aujourd’hui encore, dans tous les écrits qui lui sont consacrés, lui colle à la mémoire ». (p 73) A partir de là, Benjamin Stora n’ignore pas ce que ces phrases tirées de leur contexte ont causé des dégâts à l’honneur de l’homme. Rapporter l’article de Ferhat Abbas dans son intégralité aurait permis aux lecteurs d’être éclairés, et d’être juges.
Mais Benjamin Stora ne l’a pas fait. Rapporter l’article dans son intégralité dans une biographie aurait levé une bonne fois pour toute tout malentendu, en faveur ou en défaveur de Ferhat Abbas (en faveur ou en défaveur de Amar Naroun), car ce qui compte, ce n’est pas de faire plaisir à l’homme, il n’est plus là. Ce qui compte, c’est la vérité. Car « la biographie pose la question de la vérité » ([Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien] Mais trop de citations dans l’ouvrage de Benjamin Stora relatives à Ferhat Abbas sont ponctuées de points de suspension et de surcroît ne comportent aucune référence. Mais fait étrange, une dizaine d’années plus tard, Benjamin Stora revient sur ses propos de la biographie. En effet, dans un article intitulé « Un pharmacien à Sétif » et publié dans l’édition du 7 juillet 2004 du quotidien français Le Monde, l’historien donne d’autres phrases de ce fameux article, attribuées à Ferhat Abbas et donne carrément une autre date.
Ce n’est plus le 27 février 1936, donné pourtant dans la biographie, mais désormais c’est L’Entente du 23 février 1936. Le contenu est différent et la phrase : « Et cependant je ne mourrai pas pour la patrie algérienne parce que cette patrie n’existe pas » qu’il rapporte en 2004 n’existe pas dans le lot de phrases rapportées dans la biographie. Nous constatons que Benjamin Stora ne tient pas compte du résultat de la recherche de Gilbert Meynier et Ahmed Koulakssis, pour lesquels « la patrie algérienne » a été écrite en majuscule, en gras et avec à sa fin un point d’interrogation. Si les historiens n’ont pas confiance eux-mêmes les uns aux autres, que devront faire les pauvres communs des mortels que nous sommes ? Charles-Robert Ageron est la référence en la matière en ce qui concerne l’histoire de l’Algérie. Dans son ouvrage L’Algérie de Napoléon III à de Gaulle (Sindbad 1980), l’historien écrit : « Abbas entendit donc se démarquer aux yeux des Français de ce pays de Métropole » et expliqua dans son célèbre article de L’Entente du 23 février 1936 : « La France c’est moi ! » « Nous, amis politiques du docteur Bendjelloul, nous serions des nationalistes.
Il a été le premier président du GPRA en 1958 : Ferhat Abbas, une vie au service de la nation algérienne
Le cinquantième anniversaire de la création du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA), avec la nomination de Ferhat Abbas à sa présidence le 19 septembre 1958, rappelle à nous la grandeur de l’homme, ce qu’il représentait pour son peuple et ce qu’il a donné de lui-même pour que les Algériens puissent vivre libres dans leur propre pays.
Mais cet anniversaire nous rappelle aussi (et malheureusement) des propos qu’on lui a attribués sur la nation algérienne, selon lesquels cette dernière n’existerait pas, qu’il l’aurait cherchée jusque dans les cimetières sans jamais la trouver, véhiculés de 1936 à ce jour et qui entachent son honneur jusque dans la tombe. Ferhat Abbas les récusa dès 1962 dans son livre La nuit coloniale, puis vers la fin de sa vie dans L’indépendance confisquée (1984) accusant ses détracteurs d’avoir déformé ce qu’il a écrit dans l’un de ses articles, en vain. Car ses détracteurs non seulement ont fait la sourde oreille, mais ont redoublé de férocité, puisque voilà les propos attribués à l’homme politique algérien objet d’études jusque dans les universités.
Cet article aurait été écrit selon les historiens en 1936 dans l’hebdomadaire L’Entente, où Ferhat Abbas fut la plume de prestige et est cité régulièrement par les historiens dans leurs ouvrages, qui en rapportent quelques phrases, ponctuées de points de suspension, comme preuve immuable que Ferhat Abbas aurait écrit que « la nation algérienne n’existe pas », ou « que la patrie algérienne n’existe pas », en d’autres termes que Ferhat Abbas n’était pas nationaliste. Ces phrases hachées de points de suspension ont été reconnues par les historiens français Gilbert Meynier et Ahmed Koulakssis et aujourd’hui par Julien Fromage, comme sorties de leur contexte et déformées par rapport aux points de ponctuation. Ce qui n’a pas empêché les historiens de continuer à les véhiculer. Le cinquantième anniversaire de la nomination de Ferhat Abbas en tant que premier président du GPRA est l’opportunité à saisir pour mettre les historiens face à leurs contradictions et d’émettre des réserves que Ferhat Abbas ait écrit en 1936 que la nation algérienne n’existe pas ou que la patrie algérienne n’existe pas ou quoi que ce soit en ce sens.
Les contradictions des historiens
Dans Ferhat Abbas une utopie algérienne, paru en 1995 aux éditions Garnier (réédité en Algérie), l’historien français Benjamin Stora écrit : « Les historiens Gilbert Meynier et Ahmed Koulakssis signalent que cet éditorial fameux de L’Entente est également paru dans le journal La Défense du 28 février 1936. Ils ont mis en évidence la forme suivante de cette phrase : « Et cependant, je ne mourrai pas pour la patrie algérienne (en caractères gras dans le texte de La Défense) parce que cette patrie n’existe pas ? » Pour ces chercheurs, les caractères gras de « patrie algérienne » et surtout la ponctuation terminant la phrase en point d’interrogation, « changent du tout au tout le sens d’une formule qui fut à l’envi présentée comme une assertion définitive ». « Mais, précise Benjamin Stora, à l’époque, les formations politiques musulmanes ne s’attardent pas sur de telles nuances » De notre propre lecture de l’ouvrage de Gilbert Meynier et Ahmed Koulakssis L’Emir Khaled premier Zaïm (L’Harmattan 1987), il est important de préciser que les propos rapportés par Benjamin Stora ne sont pas tout à fait conformes à ceux des historiens cités. En effet, ces deniers écrivent : « Ferhat Abbas publie dans La Défense (en bas de page La Défense du 28 février 1936) son article, depuis, célèbre, « La France c’est moi ! » « Et cependant je ne mourrai pas pour la patrie algérienne (en gras dans le texte) parce que cette patrie n’existe pas ? »
Parfois pressés, les historiens n’ont guère relevé ni les caractères gras de « patrie algérienne » ni surtout, la ponctuation terminant la phrase - un point d’interrogation - alors qu’elle change du tout au tout le sens d’une formule qui fut à l’envi présentée, comme assertion affirmative. (p 6-7) Il est clair que selon les propos de Gilbert Meynier et Ahmed Koulakssis, Ferhat Abbas a publié son article sur la nation algérienne dans le journal La Défense du 28 février 1936 et non dans L’Entente. Nous précisons aux lecteurs qu’il est ici question du journal La Défense dirigé par Lamine Lamoudi, journal proche des oulémas. Une question découle de source : l’article originel attribué à Ferhat Abbas a-t-il été publié dans le journal L’Entente comme l’affirme Benjamin Stora ou dans La Défense, comme l’affirment Gilbert Meynier et Ahmed Koulakssis ? Lors de notre prospection, nous avons constaté que seul Amar Naroun rapporte l’article attribué à Ferhat Abbas dans son intégralité (sauf erreur de notre part), et cela dans la biographie Ferhat Abbas ou les chemins de la souveraineté (Denoël 1961. p 162-166). Amar Naroun (1906-1988), homme politique, journaliste et écrivain, a été député de Constantine du 13 juillet 1952 au 1er décembre 1955 en tant que républicain indépendant. On le dit adversaire de Ferhat Abbas aux élections. L’article attribué à Ferhat Abbas et qu’il rapporte dans son ouvrage est dactylographié, il a été selon lui publié dans L’Entente, et Amar Naroun en apporte la preuve, un bout de la photocopie de l’article tel que publié à la une de ce journal.
Et il donne la date de publication, qui est celle du 27 février 1936. Sur cette photocopie apparaît clairement le titre du journal, mais pas la date d’édition. Or, dans L’Entente la date de jour se trouve juste au-dessus du titre. Qu’est-ce qui a empêché Amar Naroun, qui dit vouloir rendre service à l’histoire, de faire une photocopie en bonne et due forme ? Et pourquoi Amar Naroun n’ a-t-il pas rapporté la photocopie complète de l’article en question ? Cet article est daté en sa fin « Sétif le 23 février 1936 ». Mais en introduction au sujet, Amar Naroun donne la date du 27 février 1936. Nous avons consulté minutieusement l’hebdomadaire L’Entente, et nous avons constaté que Ferhat Abbas ne donne jamais un lieu et une date à ses articles (sauf erreur de notre part) et pourquoi le ferait-il, puisque le journal est daté de son édition du jour ? L’homme politique algérien signe ses articles F. Abbas ou Ferhat Abbas.
Par ailleurs, pourquoi Amar Naroun ne rapporte qu’une partie du titre, alors que sur la photocopie il semble bien qu’il y ait un titre et un sous-titre ? Nous ne demandons qu’à croire Amar Naroun. Mais les points signalés ci-dessus, nous donnent le droit d’émettre certaines réserves, vis-à-vis de cet article, car une personne qui dit en introduction de son ouvrage être d’une rigoureuse objectivité, il nous semble qu’il a davantage brouillé les cartes. Quant à Gilbert Meynier et Ahmed Koulakssis, qui auraient pu résoudre le problème, ils n’ont fait que l’aggraver, du fait qu’ils disent que c’est dans le journal La Défense, que Ferhat Abbas a publié son article et selon eux le 28 février 1936. Par ailleurs, la phrase : « Et cependant je ne mourrai pas pour la patrie algérienne, parce que cette patrie n’existe pas ? » sur laquelle s’appuie leur démonstration, n’existe pas dans l’article rapporté dans son intégralité par Amar Naroun ni parmi les phrases rapportées par Benjamin Stora dans Ferhat Abbas une utopie algérienne.
De ce fait, cette question de points de ponctuation soulevée par Gilbert Meynier et Ahmed Koulakssis n’est pas en soi un problème. Ce qui pose problème, c’est le journal où cet article aurait été publié, La Défense ou L’Entente, ansi que sa date d’édition sur laquelle les historiens ne sont pas d’accord comme nous le verrons dans ce qui suit. Le lot de phrases de cet article en question rapportées par Benjamin Stora dans son ouvrage Ferhat Abbas une utopie algérienne (p73-74) sont celles qui nous ont le plus interpellés. D’une part, parce que cet historien spécialiste de l’Algérie contemporaine est très lu et apprécié des Algériens, d’autre part parce que son ouvrage Ferhat Abbas une utopie algérienne est une biographie de Ferhat Abbas, écrite d’ailleurs à deux mains, puisque Zakya Daoud, spécialiste du Maroc, y apporte sa contribution. Nous savons ce qu’est une biographie du fait que nous en avons lu beaucoup. Une biographie se doit, du moins en principe, se rapprocher le plus possible de la vérité. Mais comment approcher cette vérité si l’article attribué à Ferhat Abbas n’est pas rapporté dans son intégralité et les phrases rapportées ponctuées de points de suspension ? Est-ce que les phrases rapportées par Benjamin Stora sont tirées de l’article originel ? Il donne à la page 73 le titre de l’article « La France, c’est moi » Mais il donne d’autres références dans la notice « Ferhat Abbas, éditorial de L’Entente franco musulmane, n0 24, 27 février 1936 » : « En marge du nationalisme, la France c’est moi » (p101). Constater que Benjamin Stora en tant qu’historien et biographe n’a pas rapporté l’article en question dans son intégralité est des plus décevants.
Si cet article devait figurer quelque part, c’est bien dans une biographie de Ferhat Abbas, puisque c’est cet article même qui a porté « préjudice à l’honneur de l’homme et Benjamin Stora le signale lui-même ». Pourquoi Benjamin Stora rapporte-t-il un texte ponctué de points de suspension qui empêchent la compréhension du texte dans son ensemble, alors que c’est bien la ponctuation qui est mise à l’index par Gilbert Meynier et Ahmed Koulakssis ? Benjamin Stora cite l’ouvrage d’Amar Naroun dans la notice de son livre (pour d’autres raisons que l’article de Ferhat Abbas). S’il cite cet ouvrage, c’est qu’il aiguille le lecteur vers Amar Naroun. Le biographe ne savait-il pas qu’en consultant l’ouvrage d’Amar Naroun, le lecteur y trouverait l’article dans son intégralité ? Il le savait forcément. Deux fois de suite (dans le texte et dans les notices), Benjamin Stora dit aux lecteurs qu’Amar Naroun est ami de Ferhat Abbas. Mais lorsqu’on veut servir l’histoire, doit-on servir l’amitié ? Et à ce niveau, nous rappelons les propos de Lucien de Samosate : « Il (l’historien) mettra l’intérêt de la vérité au-dessus de la haine et il ne pardonnera pas une faute même à l’amitié ». (Lucien de Samosate. XXI. Comment il faut écrire l’histoire. [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien] Par ailleurs Benjamin Stora écrit : « Déclaration occultée dans sa totalité et dans son contexte » puis « Déclaration mal comprise qui poursuivra Ferhat Abbas toute sa vie et qui aujourd’hui encore, dans tous les écrits qui lui sont consacrés, lui colle à la mémoire ». (p 73) A partir de là, Benjamin Stora n’ignore pas ce que ces phrases tirées de leur contexte ont causé des dégâts à l’honneur de l’homme. Rapporter l’article de Ferhat Abbas dans son intégralité aurait permis aux lecteurs d’être éclairés, et d’être juges.
Mais Benjamin Stora ne l’a pas fait. Rapporter l’article dans son intégralité dans une biographie aurait levé une bonne fois pour toute tout malentendu, en faveur ou en défaveur de Ferhat Abbas (en faveur ou en défaveur de Amar Naroun), car ce qui compte, ce n’est pas de faire plaisir à l’homme, il n’est plus là. Ce qui compte, c’est la vérité. Car « la biographie pose la question de la vérité » ([Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien] Mais trop de citations dans l’ouvrage de Benjamin Stora relatives à Ferhat Abbas sont ponctuées de points de suspension et de surcroît ne comportent aucune référence. Mais fait étrange, une dizaine d’années plus tard, Benjamin Stora revient sur ses propos de la biographie. En effet, dans un article intitulé « Un pharmacien à Sétif » et publié dans l’édition du 7 juillet 2004 du quotidien français Le Monde, l’historien donne d’autres phrases de ce fameux article, attribuées à Ferhat Abbas et donne carrément une autre date.
Ce n’est plus le 27 février 1936, donné pourtant dans la biographie, mais désormais c’est L’Entente du 23 février 1936. Le contenu est différent et la phrase : « Et cependant je ne mourrai pas pour la patrie algérienne parce que cette patrie n’existe pas » qu’il rapporte en 2004 n’existe pas dans le lot de phrases rapportées dans la biographie. Nous constatons que Benjamin Stora ne tient pas compte du résultat de la recherche de Gilbert Meynier et Ahmed Koulakssis, pour lesquels « la patrie algérienne » a été écrite en majuscule, en gras et avec à sa fin un point d’interrogation. Si les historiens n’ont pas confiance eux-mêmes les uns aux autres, que devront faire les pauvres communs des mortels que nous sommes ? Charles-Robert Ageron est la référence en la matière en ce qui concerne l’histoire de l’Algérie. Dans son ouvrage L’Algérie de Napoléon III à de Gaulle (Sindbad 1980), l’historien écrit : « Abbas entendit donc se démarquer aux yeux des Français de ce pays de Métropole » et expliqua dans son célèbre article de L’Entente du 23 février 1936 : « La France c’est moi ! » « Nous, amis politiques du docteur Bendjelloul, nous serions des nationalistes.