Plus des trois-quarts des pays membres de l’ONU vivent sous l’emprise d’Etats fraîchement constitués. Le Maroc s’est doté d’un Etat central dûment représenté dans les quatre coins de son territoire. Cela ne s’est pas accompli durant la période des indépendances, dans les années soixante du siècle dernier. Cela s’est fait…il y a douze siècles. Cette année, le Royaume fêtera donc en apothéose le 1.200ème anniversaire du premier coup de pioche -Fès en arabe signifie pioche- destiné à bâtir la première capitale du nouvel Etat, c’est-à-dire l’émergence de ce dernier.
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Bien sûr que la vie sur cette terre marocaine en société organisée n’a pas commencé à l’avènement de Idriss 1er. Phéniciens, Berbères, Carthaginois, Romains, Vandales, Byzantins et tant d’autres communautés ont traversé, occupé, habité le territoire marocain. Mais l’immigration dans cet extrême occident arabe, en 788, de Driss Ibn Abdallah, échappant à une tentative abbasside d’assassinat, fait figure d’acte de naissance de ce qui deviendra l’Etat (ad-daoula, al Iyala, al Qotr…etc) dans cette partie du Nord-Ouest africain.
L’«Etat-Maroc» est ainsi né de la rencontre du destin d’un homme persécuté avec une terre avenante. N’aurait-il pas subi d’humiliations au sein de la cour abbasside et sa famille n’aurait-elle pas été massacrée à Fakh en 786, Idriss 1er Ibn Abdallah n’aurait sûrement pas regagné Zarhoun deux ans plus tard et son fils n’aurait pas parachevé l’invention de l’Etat marocain, fondamentalement basé sur la baïa (allégeance) mutuelle, sous lequel nous continuons à vivre à ce jour. Il est, en effet, des concordances qui sont enceintes d’enseignements. L’émergence d’un Etat peut ainsi se faire grâce à la rencontre de deux ou trois hommes. Ce fut le cas pour le Maroc : Idriss 1er bénéficia de l’amitié d’un autochtone et de la fidélité d’un compagnon. Un puissant berbère de la tribu des Awraba, Abdelhamid Al-Awrbi, l’adopta assez rapidement et ne tarda point à lui donner en mariage sa propre fille Kenza. En témoignage d’estime et d’attachement aux descendants du Prophète, il lui céda le pouvoir politique et militaire. Son frère de lait Rachid Ben Morchid El Koreichi lui témoigna une fidélité sans faille qui se prolongera pour bénéficier également à son fils Idriss II. Empoisonné en 793, c’est, en effet, le fidèle Rachid Ben Morchid qui rattrapa et tua à Oujda (appelée alors El Hira) l’assassin de Idriss 1er, un agent abbasside dénommé Souleyman Ben Djaber-en-Nabdi-el-Zindi. Idriss II mourra à trente-six ans. Mais il gouverna durant un quart de siècle. En bâtissant Fès, il bâtit, en vérité, l’Etat national qui servira de récipient à six grandes dynasties dont le rayonnement fera des percées dans les cinq continents sur une période de douze siècles. La dynastie Idrisside durera ainsi jusqu’en 1055. Elle sera remplacée par celle des Almoravides (1055-1144) qui bâtirent Marrakech, puis par celle des Almohades (1147-1269), celle des Mérinides (1269-1529), celle des Saâdiens (1529-1654) et, enfin, par les Alaouites.
Destin transculturel
Idriss II restera une figure unique dans le palmarès des souverains qui se sont succédés sur le trône marocain depuis 1200 ans. Il est, à notre connaissance, l’unique souverain marocain à avoir bénéficié de la Baïa (allégeance) à cinq reprises, tant il était attendu par les populations : à sa naissance, à son sevrage, à la récitation du Coran par cœur, à la fin de son premier sermon d’imam et, enfin, à son intronisation. Le choix du thème « 12 siècles de la vie d’un Royaume » met tout naturellement Fès au centre de cette manifestation. Fès est née simultanément avec la création de l’Etat. Ainsi, en fêtant les 1.200 ans de Fès, on fête, en réalité, la naissance du pacte qui scelle à ce jour le destin transculturel du peuple marocain à la pérennité de la monarchie dans notre pays. La baïa marocaine est une allégeance mutuelle. Elle ne saurait être à sens unique. Cette conception de la monarchie marocaine l’a faite qualifier de « citoyenne » par le Roi Mohammed VI qui s’est autoproclamé lui-même « Roi-citoyen ». Dans son premier sermon politico-religieux, Idriss II affirma : « Ce n’est point l’ambition ou quelque désir irraisonné pour la grandeur qui me motive pour vous servir. Je n’aspire qu’à servir l’équité parmi vous. Et cela constitue le fondement de ma mission parmi vous ». Dans le message qu’il adressa à l’occasion du lancement des cérémonies marquant la fondation de la ville de Fès, le Roi Mohammed VI a traduit ce même esprit en soulignant l’importance de cet anniversaire. Aussi, le Souverain a-t-il noté que la création de la ville de Fès a été assurément « un événement majeur qui a marqué une étape décisive dans le long processus de gestation et d’émergence d’un Etat-Nation marocain, libre de toute sujétion ». La configuration monarchique inventée par les deux Moulay Idriss est ensuite rappelée avec force : « C’est un Etat uni par l’islam sunnite qui prône le juste milieu, et par la monarchie fondée sur les liens mutuels de la Baïa légitime, scellés entre le Trône et le peuple, un Etat issu du brassage fécond et harmonieux de ses composantes amazighe et arabo-islamique ». Une phrase dont l’authenticité historique, la pertinence juridique et la clairvoyance politique sont parlantes. L’authenticité historique réside dans le fait tangible que le combat premier de Idriss 1er fut celui du sunnisme opposé au kharijisme. Idriss 1er combattît ce dernier avec force et son fils amplifia ce combat. La pertinence juridique tient de la définition de la monarchie telle qu’elle nous est livrée par Mohammed VI. C’est une «monarchie fondée sur les liens mutuels de la baïa légitime scellés entre le Trône et le Peuple ». Le vocable « mutuels » prend tout son sens dans ce contexte.
Brassage fécond
et harmonieux
Quant à la clairvoyance politique, elle transperce fortement à travers la définition de l’Etat transculturel, « un Etat issu du brassage fécond et harmonieux de ses composantes amazighe et arabo-islamique ». Les différentes manifestations programmées pour fêter les 1.200 ans de Fès et, in fine, la création de l’Etat marocain ne constituent nullement un luxe. L’Etat-nation marocain est un acquis précieux qui a été arraché à l’histoire au prix de mille souffrances collectives. La gestation de l’Etat-nation chez les écorchés vifs que sont nos voisins algériens, doit pouvoir constituer un objet de méditation pour ceux qui ne savent pas apprécier les acquis historiques. Ici même, il y a déjà douze siècles, nous avons décidé de vivre en commun, en s’acceptant les uns les autres. Cela dure encore. Cette chance-là, au bas mot, les trois-quarts des membres de l’ONU ne l’ont pas encore !
La Gazette