L’économie algérienne otage des hydrocarbures
par Ammar Koroghli *
2eme partie
Les importations, quant à elles, étaient plafonnées à 10,5 milliards de dollars, soit plus de 50% des exportations. Ainsi, la dette et son service engloutissent la partie la plus importante des revenus pétroliers, à telle enseigne que les « pétrodollars » algériens couvrent parfois juste la facture alimentaire. Triste réalité économique. Chiffres implacables qui annonçaient, en partie, les déboires de l’Algérie. Il faut dire que, pour faire avaler la pilule, le pouvoir décréta dans ses documents et discours ¬ce qu’il a appelé l’« après-pétrole » devenu ainsi la pierre angulaire de la stratégie économique algérienne. Revenant sur ses déclarations, le régime préféra cette formule : « L’après-pétrole, c’est le pétrole ! ». Calcul économique machiavélique - inconscient? - ou suprême tour de prestidigitation du pouvoir ?
Aujourd’hui, la dette épongée pour l’essentiel devrait constituer un atout pour la relance économique. Certes, il est loin le temps où la presse pouvait dire : « Le débat actuel est l’occasion de sortir de la pratique du double langage et d’énoncer tout haut ce qui préoccupe les Algériens au quotidien ». (Algérie Actualité); celui-ci se fit tancer par Révolution africaine qui l’accusa d’être pour « les thèses de la bourgeoisie et de la réaction », « les égéries du multipartisme », « les ennemis de la révolution » Révolution et Travail pouvait encore écrire : « Les masses refusent le libéralisme et réaffirment l’option socialiste ». Pourquoi tout ce tapage médiatique ? Au début, fut le fameux congrès du FLN destiné à désigner le candidat unique à la succession de Houari Boumediène, où les 640 représentants de l’Armée ont eu à arbitrer entre les différentes tendances qui se sont affrontées pour l’accession au pouvoir où l’une aurait symbolisé le « libéralisme » (Abdelaziz Bouteflika) et l’autre les « acquis du socialisme » (Mohamed Salah Yahiaoui). Depuis, à la suite de Chadli Bendjedid (primo inter pares), le régime n’a pas réussi à surmonter les contradictions qui le minaient depuis sa naissance. En matière économique, de « nouvelles orientations » sont venues étayer l’opacité jetée par le gouvernement du secret. Mais pour quels objectifs ? Et quelles sont ces orientations ? Au plan économique, elles furent, selon ses promoteurs, les suivantes : mieux rentabiliser l’appareil industriel, restructurer le dispositif industriel, réduire les disparités régionales, mieux satisfaire les besoins sociaux, réactiver l’agriculture. La rentabilité et la productivité devinrent les nouveaux dieux de la cité économique promise par le régime qui, pour être en accord avec cette idéologie, fit du tout privé son cheval de bataille et sa coqueluche.
En fait, cette restructuration du secteur public en unités plus petites, présumées plus faciles à rentabiliser, devait s’inscrire dans la rationalisation de l’appareil de production, à savoir les sociétés nationales et les grands domaines autogérés. Cette opération s’est tout naturellement accompagnée d’une remise en cause des alliances, tant à l’intérieur (intégration politique progressive dans les rangs du FLN des couches privilégiées) qu’à l’extérieur (achats d’armements américains, suite au voyage à Washington de Chadli Bendjedid). L’exemple type de cette « restructuration » a concerné la Sonatrach qui exerçait, grâce à quelque 100 000 agents, diverses activités : exploration, raffinage, commercialisation, transport. Elle a été divisée, dès 1980, en plusieurs unités « autonomes » pour assumer les différentes opérations dans le secteur des hydrocarbures. Résultat ? Dans la pratique, cette opération a été un coup d’épée dans l’eau, du fait notamment des corrections sérieuses apportées à la politique d’investissement : projets suspendus alors qu’ils étaient inscrits dans le plan quinquennal d’alors. Cette restructuration de l’appareil productif s’est révélée donc inopérante.
Désormais, après le démantèlement du secteur public (sociétés nationales, domaines autogérés et coopératives) - qui avait certainement besoin d’être revitalisé -, le pouvoir va adopter un discours résolument économiste et tailler une place de choix aux capitaux non étatiques en préconisant « la collaboration du capital étranger ». Ainsi, s’institutionnalise un capitalisme désigné par l’euphémisme « économie libérale » qui sera remplacé plus tard par « économie de marché ». Ainsi, lors de la 3e Foire de la production nationale, Chadli Bendjedid pouvait s’extasier, en déclarant : « Une petite entreprise privée exposait des produits de qualité alors que ceux de l’entreprise nationale faisaient piètre figure ». En réalité, le régime de l’époque ne voulait pas encore comprendre que tout développement économique conséquent et cohérent devait s’accompagner d’un développement politique de nature à favoriser des institutions multiformes, débarrassées du carcan de l’unanimisme stérilisant, donc la fin du monopole de la vie politique et de la gérontocratie.
La NEP algérienne : un libéralisme débridé
Après le décès de Boumediène, l’intérim fut assuré de fait par le Conseil de la révolution. Officiellement, en conformité avec la Constitution de 1976, le Président de l’Assemblée nationale de l’époque, le défunt Rabah Bitat, fut formellement chef d’Etat pour une durée de 45 jours en vue de préparer l’élection du futur Président de la République au suffrage universel. Après l’élection présidentielle, en la personne de Chadli Bendjedid, ancien chef de Région militaire et candidat unique, l’heure fut à l’autocritique et à la réflexion pour la consolidation de l’édifice constitutionnel et « la mise au net d’un bilan sans complaisance ». L’élection d’un secrétaire général du FLN et la mise en place d’un bureau politique, d’un comité central et de commissions permanentes, les amendements de certaines dispositions constitutionnelles (la réduction du mandat présidentiel, la nomination d’un Premier ministre et le règlement du cas d’empêchement du président de la République) n’ont pu camoufler la pratique politique suivie depuis. De même, le renouvellement des assemblées locales - communes et wilayas - ne pouvait faire illusion, ne fut-ce qu’au regard de la procédure et des critères utilisés pour la désignation des candidats.
Sur un autre plan, la presse acquise alors au pouvoir tenta d’accréditer l’idée selon laquelle l’appareil de production était à l’heure de l’inventaire, au plan de la gestion financière notamment. En fait, les pleins pouvoirs - valant dispositions constitutionnelles instituant les circonstances exceptionnelles - ont été octroyés au nouveau Président par une résolution organique du FLN en mai 1981. L’objectif déclaré d’une telle opération était de mettre sur pied une nouvelle politique économique au vu du constat de l’échec de la stratégie développementiste entamée depuis 1967. La triple dépendance technologique, alimentaire et culturelle plane comme une épée de Damoclès, aiguisée dans le brasier des contradictions socio-économiques où pataugeait l’Algérie avec des retombées draconiennes pour les citoyens sous-représentés au niveau des institutions politiques (Assemblée nationale et assemblées locales) et des structures économiques sous contrôle permanent du pouvoir, alors que les paysans, les travailleurs, les employés et les instituteurs étaient présentés par les textes - Charte nationale et Constitution - comme les bénéficiaires et du « socialisme spécifique » et des « nouvelles orientations ». En effet, la Charte d’Alger (1964) intégrait cette dimension dans la mesure où elle peut être considérée comme la première approche qui proposait une stratégie de développement global à travers l’autogestion et le rejet des sociétés nationales génératrices de capitalisme d’Etat. Le régime issu du 19 juin 1965 opta, quant à lui, pour ce dernier modèle, assignant à l’Etat un rôle des plus exorbitants. L’industrialisation était considérée comme la clé de l’intégration et de l’indépendance économique, d’où le pré-plan (1967-1969) et les deux plans quadriennaux (1970-1973) et (1974-1977). Le « tissu industriel » devait être sous-tendu par un « modèle institutionnel » qui se résuma, en fait, en une négation de la participation populaire et en une extension démesurée des instances de l’Etat techno-bureaucratisé.
Au début de son mandat, Chadli Bendjedid se présenta d’ailleurs comme le continuateur de la politique de son prédécesseur. En réalité, il attendait la fin du conflit suscité par la succession présidentielle à son profit exclusif et à celui du clan qui l’a porté au pouvoir afin de faire valoir ses « nouvelles orientations » que l’on ne saurait qualifier, le recul du temps aidant, que de libéralisme débridé. Ces nouvelles orientations évacuèrent l’« option socialiste irréversible ». L’heure était au discours libéral. Au demeurant, sur le terrain purement économique, le secteur dit privé assurait, en 1977, 74 % de la production agricole, 78 % du commerce et des services (hors transports et communications), 32 % du bâtiment et des travaux publics. Depuis, son rôle dans les secteurs vitaux ne cessa de s’élargir sans que pour autant le secteur économique étatique fut réaménagé comme suggéré dans ces fameuses « orientations nouvelles », de sorte que le pays soit assuré à terme d’accéder à une certaine indépendance économique. A cet égard, au plan de la planification, le pouvoir en place fit état de réformes des structures, l’accent ayant été mis sur l’amélioration de la gestion de l’appareil de production. Telle fut la nouvelle économie politique algérienne dont M. Brahimi, alors Premier ministre, se trouva être le promoteur. Dans cette optique, le premier plan quinquennal (1980-1984) a entendu « corriger les erreurs et les déviations passées qui ont été rendues possibles par l’illusion d’une fausse aisance financière et par la non-maîtrise de l’appareil national de production, due pour une partie au recours excessif à l’assistance technique étrangère par le biais de bureaux d’études appartenant aux firmes multinationales ». N’empêche, le régime continua de se baser, tout comme son prédécesseur, sur les hydrocarbures, le principal secteur bénéficiaire des investissements avec l’industrie.
En effet, quoi qu’on ait pu dire ou écrire, le secteur de l’agriculture ¬- y compris celui de l’hydraulique - demeurait un parent pauvre, nonobstant la structure socio-économique algérienne où les paysans occupaient encore une place importante - en termes sociologiques - et le dépeuplement progressif des campagnes, alors que le pays s’enlisait davantage chaque année dans la dépendance alimentaire.
Pourtant, la Charte nationale ne manqua pas de nous présenter l’agriculture comme « un facteur de progrès et de promotion sociale, culturelle et technologique ». De la même manière, le premier plan quinquennal devait inaugurer un « cours nouveau » de l’économie algérienne. En vain. Déception proche de la déboire lorsqu’on sait que le taux de couverture alimentaire passa de 90 % en 1965 à 55 % en 1973 et à 41 % en 1977, voire à 30 % actuellement. Théoriquement, un accroissement massif des investissements dans l’agriculture et l’hydraulique a été enregistré dans le plan quinquennal. En fait, les faibles réalisations bousculèrent les prévisions des planificateurs. Ainsi, la libéralisation de la commercialisation pour le secteur agricole d’Etat profita aux intermédiaires privés. Par ailleurs, la restructuration des exploitations agricoles, dans la mesure où elle se révélerait être la panacée aux mille vertus, n’a pratiquement pas fait intervenir les collectivités de travailleurs concernés par l’opération. En revanche, depuis la fin du deuxième plan quinquennal, les crédits mis à la disposition du secteur privé n’ont pas cessé d’augmenter : de 29,7 millions de dinars en 1977, ils sont passés à 101,7 millions de dinars en 1980. En outre, les disparités entre salaires agricoles et salaires non agricoles ont subsisté et les conditions de vie demeurent encore très difficiles.
La situation économique algérienne ne pouvait ainsi que soulever de vives inquiétudes, surtout lorsqu’on ne cessait de constater que la rente pétrolière demeurait la pierre angulaire de la survie du pays et ce, malgré la remise en question du plan Valhyd (suspension des projets d’usines de liquéfaction GL3Z à Arzew, GL2K à Skikda et GLIG aux Issers). L’inquiétude gagne en intensité lorsqu’on sait que l’Algérie reste plus tributaire que jamais des hydrocarbures, aux fins d’assurer son alimentation et son équipement à l’égard du marché international. Autre point cardinal : le plan de restructuration qui donna, semble-t-il, la priorité aux secteurs de l’énergie et des industries pétrochimiques, de l’habitat et du commerce. Cette restructuration s’articula autour de la séparation des fonctions de production, de commercialisation, de réalisation et de service, la spécialisation et la simplification des missions, le transfert d’activités et celui des sièges des entreprises. Qu’en était-il en réalité ? Prenons le cas de l’habitat, point crucial s’il en faut, notamment au regard de l’« explosion démographique » (la population algérienne s’est accrue de 50 % en 12 ans). Les bidonvilles se font désormais indiscrets et les campagnes se sont progressivement dépeuplées de leur sève humaine qui est venue s’adjoindre aux citadins, pour composer cette unité nouvelle que feu Mostafa Lacheraf a qualifié de « rurbains ». On sait malheureusement, que la stratégie de développement algérienne n’a pas cru bon d’intégrer ce paramètre dans ses objectifs, ou peu. Ainsi, ce qu’il a été convenu d’appeler crise de logement étalait au grand jour l’incapacité de l’Etat à résorber ce problème (le million de logements promis se réalisera-t-il ?). Cette situation s’accompagna d’une négligence délibérée du secteur locatif public ; situation à laquelle s’ajouta la braderie des biens de l’Etat. Comment s’étonner, dans ces conditions, des différenciations sociales qui s’aiguisaient au quotidien ? A cela s’ajoutaient l’inefficacité de la politique de l’Etat en la matière et la spéculation immobilière : vente de terrains et de logements. Voilà donc quelques éléments de la NEP algérienne concoctée par l’oligarchie au pouvoir appelée, tour à tour, « camarilla » et « mafia politico-financière ».
A suivre
Quotidien
par Ammar Koroghli *
2eme partie
Les importations, quant à elles, étaient plafonnées à 10,5 milliards de dollars, soit plus de 50% des exportations. Ainsi, la dette et son service engloutissent la partie la plus importante des revenus pétroliers, à telle enseigne que les « pétrodollars » algériens couvrent parfois juste la facture alimentaire. Triste réalité économique. Chiffres implacables qui annonçaient, en partie, les déboires de l’Algérie. Il faut dire que, pour faire avaler la pilule, le pouvoir décréta dans ses documents et discours ¬ce qu’il a appelé l’« après-pétrole » devenu ainsi la pierre angulaire de la stratégie économique algérienne. Revenant sur ses déclarations, le régime préféra cette formule : « L’après-pétrole, c’est le pétrole ! ». Calcul économique machiavélique - inconscient? - ou suprême tour de prestidigitation du pouvoir ?
Aujourd’hui, la dette épongée pour l’essentiel devrait constituer un atout pour la relance économique. Certes, il est loin le temps où la presse pouvait dire : « Le débat actuel est l’occasion de sortir de la pratique du double langage et d’énoncer tout haut ce qui préoccupe les Algériens au quotidien ». (Algérie Actualité); celui-ci se fit tancer par Révolution africaine qui l’accusa d’être pour « les thèses de la bourgeoisie et de la réaction », « les égéries du multipartisme », « les ennemis de la révolution » Révolution et Travail pouvait encore écrire : « Les masses refusent le libéralisme et réaffirment l’option socialiste ». Pourquoi tout ce tapage médiatique ? Au début, fut le fameux congrès du FLN destiné à désigner le candidat unique à la succession de Houari Boumediène, où les 640 représentants de l’Armée ont eu à arbitrer entre les différentes tendances qui se sont affrontées pour l’accession au pouvoir où l’une aurait symbolisé le « libéralisme » (Abdelaziz Bouteflika) et l’autre les « acquis du socialisme » (Mohamed Salah Yahiaoui). Depuis, à la suite de Chadli Bendjedid (primo inter pares), le régime n’a pas réussi à surmonter les contradictions qui le minaient depuis sa naissance. En matière économique, de « nouvelles orientations » sont venues étayer l’opacité jetée par le gouvernement du secret. Mais pour quels objectifs ? Et quelles sont ces orientations ? Au plan économique, elles furent, selon ses promoteurs, les suivantes : mieux rentabiliser l’appareil industriel, restructurer le dispositif industriel, réduire les disparités régionales, mieux satisfaire les besoins sociaux, réactiver l’agriculture. La rentabilité et la productivité devinrent les nouveaux dieux de la cité économique promise par le régime qui, pour être en accord avec cette idéologie, fit du tout privé son cheval de bataille et sa coqueluche.
En fait, cette restructuration du secteur public en unités plus petites, présumées plus faciles à rentabiliser, devait s’inscrire dans la rationalisation de l’appareil de production, à savoir les sociétés nationales et les grands domaines autogérés. Cette opération s’est tout naturellement accompagnée d’une remise en cause des alliances, tant à l’intérieur (intégration politique progressive dans les rangs du FLN des couches privilégiées) qu’à l’extérieur (achats d’armements américains, suite au voyage à Washington de Chadli Bendjedid). L’exemple type de cette « restructuration » a concerné la Sonatrach qui exerçait, grâce à quelque 100 000 agents, diverses activités : exploration, raffinage, commercialisation, transport. Elle a été divisée, dès 1980, en plusieurs unités « autonomes » pour assumer les différentes opérations dans le secteur des hydrocarbures. Résultat ? Dans la pratique, cette opération a été un coup d’épée dans l’eau, du fait notamment des corrections sérieuses apportées à la politique d’investissement : projets suspendus alors qu’ils étaient inscrits dans le plan quinquennal d’alors. Cette restructuration de l’appareil productif s’est révélée donc inopérante.
Désormais, après le démantèlement du secteur public (sociétés nationales, domaines autogérés et coopératives) - qui avait certainement besoin d’être revitalisé -, le pouvoir va adopter un discours résolument économiste et tailler une place de choix aux capitaux non étatiques en préconisant « la collaboration du capital étranger ». Ainsi, s’institutionnalise un capitalisme désigné par l’euphémisme « économie libérale » qui sera remplacé plus tard par « économie de marché ». Ainsi, lors de la 3e Foire de la production nationale, Chadli Bendjedid pouvait s’extasier, en déclarant : « Une petite entreprise privée exposait des produits de qualité alors que ceux de l’entreprise nationale faisaient piètre figure ». En réalité, le régime de l’époque ne voulait pas encore comprendre que tout développement économique conséquent et cohérent devait s’accompagner d’un développement politique de nature à favoriser des institutions multiformes, débarrassées du carcan de l’unanimisme stérilisant, donc la fin du monopole de la vie politique et de la gérontocratie.
La NEP algérienne : un libéralisme débridé
Après le décès de Boumediène, l’intérim fut assuré de fait par le Conseil de la révolution. Officiellement, en conformité avec la Constitution de 1976, le Président de l’Assemblée nationale de l’époque, le défunt Rabah Bitat, fut formellement chef d’Etat pour une durée de 45 jours en vue de préparer l’élection du futur Président de la République au suffrage universel. Après l’élection présidentielle, en la personne de Chadli Bendjedid, ancien chef de Région militaire et candidat unique, l’heure fut à l’autocritique et à la réflexion pour la consolidation de l’édifice constitutionnel et « la mise au net d’un bilan sans complaisance ». L’élection d’un secrétaire général du FLN et la mise en place d’un bureau politique, d’un comité central et de commissions permanentes, les amendements de certaines dispositions constitutionnelles (la réduction du mandat présidentiel, la nomination d’un Premier ministre et le règlement du cas d’empêchement du président de la République) n’ont pu camoufler la pratique politique suivie depuis. De même, le renouvellement des assemblées locales - communes et wilayas - ne pouvait faire illusion, ne fut-ce qu’au regard de la procédure et des critères utilisés pour la désignation des candidats.
Sur un autre plan, la presse acquise alors au pouvoir tenta d’accréditer l’idée selon laquelle l’appareil de production était à l’heure de l’inventaire, au plan de la gestion financière notamment. En fait, les pleins pouvoirs - valant dispositions constitutionnelles instituant les circonstances exceptionnelles - ont été octroyés au nouveau Président par une résolution organique du FLN en mai 1981. L’objectif déclaré d’une telle opération était de mettre sur pied une nouvelle politique économique au vu du constat de l’échec de la stratégie développementiste entamée depuis 1967. La triple dépendance technologique, alimentaire et culturelle plane comme une épée de Damoclès, aiguisée dans le brasier des contradictions socio-économiques où pataugeait l’Algérie avec des retombées draconiennes pour les citoyens sous-représentés au niveau des institutions politiques (Assemblée nationale et assemblées locales) et des structures économiques sous contrôle permanent du pouvoir, alors que les paysans, les travailleurs, les employés et les instituteurs étaient présentés par les textes - Charte nationale et Constitution - comme les bénéficiaires et du « socialisme spécifique » et des « nouvelles orientations ». En effet, la Charte d’Alger (1964) intégrait cette dimension dans la mesure où elle peut être considérée comme la première approche qui proposait une stratégie de développement global à travers l’autogestion et le rejet des sociétés nationales génératrices de capitalisme d’Etat. Le régime issu du 19 juin 1965 opta, quant à lui, pour ce dernier modèle, assignant à l’Etat un rôle des plus exorbitants. L’industrialisation était considérée comme la clé de l’intégration et de l’indépendance économique, d’où le pré-plan (1967-1969) et les deux plans quadriennaux (1970-1973) et (1974-1977). Le « tissu industriel » devait être sous-tendu par un « modèle institutionnel » qui se résuma, en fait, en une négation de la participation populaire et en une extension démesurée des instances de l’Etat techno-bureaucratisé.
Au début de son mandat, Chadli Bendjedid se présenta d’ailleurs comme le continuateur de la politique de son prédécesseur. En réalité, il attendait la fin du conflit suscité par la succession présidentielle à son profit exclusif et à celui du clan qui l’a porté au pouvoir afin de faire valoir ses « nouvelles orientations » que l’on ne saurait qualifier, le recul du temps aidant, que de libéralisme débridé. Ces nouvelles orientations évacuèrent l’« option socialiste irréversible ». L’heure était au discours libéral. Au demeurant, sur le terrain purement économique, le secteur dit privé assurait, en 1977, 74 % de la production agricole, 78 % du commerce et des services (hors transports et communications), 32 % du bâtiment et des travaux publics. Depuis, son rôle dans les secteurs vitaux ne cessa de s’élargir sans que pour autant le secteur économique étatique fut réaménagé comme suggéré dans ces fameuses « orientations nouvelles », de sorte que le pays soit assuré à terme d’accéder à une certaine indépendance économique. A cet égard, au plan de la planification, le pouvoir en place fit état de réformes des structures, l’accent ayant été mis sur l’amélioration de la gestion de l’appareil de production. Telle fut la nouvelle économie politique algérienne dont M. Brahimi, alors Premier ministre, se trouva être le promoteur. Dans cette optique, le premier plan quinquennal (1980-1984) a entendu « corriger les erreurs et les déviations passées qui ont été rendues possibles par l’illusion d’une fausse aisance financière et par la non-maîtrise de l’appareil national de production, due pour une partie au recours excessif à l’assistance technique étrangère par le biais de bureaux d’études appartenant aux firmes multinationales ». N’empêche, le régime continua de se baser, tout comme son prédécesseur, sur les hydrocarbures, le principal secteur bénéficiaire des investissements avec l’industrie.
En effet, quoi qu’on ait pu dire ou écrire, le secteur de l’agriculture ¬- y compris celui de l’hydraulique - demeurait un parent pauvre, nonobstant la structure socio-économique algérienne où les paysans occupaient encore une place importante - en termes sociologiques - et le dépeuplement progressif des campagnes, alors que le pays s’enlisait davantage chaque année dans la dépendance alimentaire.
Pourtant, la Charte nationale ne manqua pas de nous présenter l’agriculture comme « un facteur de progrès et de promotion sociale, culturelle et technologique ». De la même manière, le premier plan quinquennal devait inaugurer un « cours nouveau » de l’économie algérienne. En vain. Déception proche de la déboire lorsqu’on sait que le taux de couverture alimentaire passa de 90 % en 1965 à 55 % en 1973 et à 41 % en 1977, voire à 30 % actuellement. Théoriquement, un accroissement massif des investissements dans l’agriculture et l’hydraulique a été enregistré dans le plan quinquennal. En fait, les faibles réalisations bousculèrent les prévisions des planificateurs. Ainsi, la libéralisation de la commercialisation pour le secteur agricole d’Etat profita aux intermédiaires privés. Par ailleurs, la restructuration des exploitations agricoles, dans la mesure où elle se révélerait être la panacée aux mille vertus, n’a pratiquement pas fait intervenir les collectivités de travailleurs concernés par l’opération. En revanche, depuis la fin du deuxième plan quinquennal, les crédits mis à la disposition du secteur privé n’ont pas cessé d’augmenter : de 29,7 millions de dinars en 1977, ils sont passés à 101,7 millions de dinars en 1980. En outre, les disparités entre salaires agricoles et salaires non agricoles ont subsisté et les conditions de vie demeurent encore très difficiles.
La situation économique algérienne ne pouvait ainsi que soulever de vives inquiétudes, surtout lorsqu’on ne cessait de constater que la rente pétrolière demeurait la pierre angulaire de la survie du pays et ce, malgré la remise en question du plan Valhyd (suspension des projets d’usines de liquéfaction GL3Z à Arzew, GL2K à Skikda et GLIG aux Issers). L’inquiétude gagne en intensité lorsqu’on sait que l’Algérie reste plus tributaire que jamais des hydrocarbures, aux fins d’assurer son alimentation et son équipement à l’égard du marché international. Autre point cardinal : le plan de restructuration qui donna, semble-t-il, la priorité aux secteurs de l’énergie et des industries pétrochimiques, de l’habitat et du commerce. Cette restructuration s’articula autour de la séparation des fonctions de production, de commercialisation, de réalisation et de service, la spécialisation et la simplification des missions, le transfert d’activités et celui des sièges des entreprises. Qu’en était-il en réalité ? Prenons le cas de l’habitat, point crucial s’il en faut, notamment au regard de l’« explosion démographique » (la population algérienne s’est accrue de 50 % en 12 ans). Les bidonvilles se font désormais indiscrets et les campagnes se sont progressivement dépeuplées de leur sève humaine qui est venue s’adjoindre aux citadins, pour composer cette unité nouvelle que feu Mostafa Lacheraf a qualifié de « rurbains ». On sait malheureusement, que la stratégie de développement algérienne n’a pas cru bon d’intégrer ce paramètre dans ses objectifs, ou peu. Ainsi, ce qu’il a été convenu d’appeler crise de logement étalait au grand jour l’incapacité de l’Etat à résorber ce problème (le million de logements promis se réalisera-t-il ?). Cette situation s’accompagna d’une négligence délibérée du secteur locatif public ; situation à laquelle s’ajouta la braderie des biens de l’Etat. Comment s’étonner, dans ces conditions, des différenciations sociales qui s’aiguisaient au quotidien ? A cela s’ajoutaient l’inefficacité de la politique de l’Etat en la matière et la spéculation immobilière : vente de terrains et de logements. Voilà donc quelques éléments de la NEP algérienne concoctée par l’oligarchie au pouvoir appelée, tour à tour, « camarilla » et « mafia politico-financière ».
A suivre
Quotidien