AVRIL
Comment s’acheter un peuple apprivoisé ?
Je retrouve dans la bouche d’un leader démocrate l’obsession de Massu, de Rastignac et de tous les intrigants de la planète. Et je regarde nos politiciens perplexes devant cette emplette impossible.
Enfermés dans des corporations du délire et de la vanité, ils se préparent à des élections qu’elles savent boudées, ignorées par le peuple occupé, lui, à de moins nobles soucis.
« Achetez-moi un peuple ! », semble dire chacun de nos postulants au strapontin. « Un peuple qui vote, cela va sans dire, et un peuple assez oublieux pour ne pas vous rappeler vos promesses trahies. »
Je pensais que ces caprices étaient la marque des politiciens impopulaires qui désespéraient de leur impopularité. Voilà qu’ils deviennent aussi le credo de démocrates du Territoire, c’est à dire de politiciens qui devraient être aux côtés du peuple, même quand il boude les urnes, plutôt que du côté de ceux qui se désolent que la populace ne s’associe à leurs farces électorales.
Je ne doute pas que parmi nos amis démocrates beaucoup font confiance à l’admirable avantage d’être politicien, c’est à dire, selon le bon mot de Claude Fournier, celui de toujours pouvoir se convaincre qu’en avançant soi-même on fait automatiquement progresser le peuple.
Belle chimère même si les chimères ne font pas une carrière politique.
N’est-ce pas déjà tard et vain ?
Dans le Soir, quelques jours plus tard, l’article d’un moudjahid historique, Mohamed Mechati, m’apprend qu’avec ces législatives de mai 2007, nous ferons un clin d’oeil à la grande insurrection de Novembre, l’époque où, selon Mechati « le peuple ne croyait plus à l’action politique. »
L’auteur nous rappelle qu’à la veille de l’insurrection « Le peuple se sentait frustré par certains de ses dirigeants préoccupés essentiellement par la course au pouvoir. »
Un demi-siècle plus tard, rien n’a vraiment changé. Pendant que le peuple se noie dans la solitude, les opposants républicains bavent déjà sur leur plat de lentilles : quelques sièges dans l’hémicycle du bourreau Il faut assurément avoir de l’estomac.
L’histoire a eu, comme ça, ses vrais décideurs et ses boute-en-train, ses puissants souverains et ses bouffons du Roi, le tout formant cette confrérie de politiciens amoraux, habiles dans le mensonge et désinvoltes devant le malheur, qu’il nous est donné loisir de voir et, hélas, aussi d’écouter. Il n’y a, après tout, aucune raison pour notre pays d’échapper à la règle de l’histoire : il a eu ses Saladin et ses Savonarole, il aura ses Raspoutine.
Mais revenons à l’article de Mechati pour déplorer qu’un autre historique, Rédha Malek, ne l’ait lu. Car enfin, que venait-il faire, lui qui compte parmi les derniers historiques encore en vie, que venait-il faire au milieu de cette communauté d’esprits cyniques et sans grande confession politique ? L’homme au riche parcours a-t-il mesuré le risque qu’il y avait à donner de nos démocrates l’image classique et haïssable de l’escobarderie politique ? On le pensait étranger à ce monastère de l’intrigue et de l’ambition, et voilà qu’il s’en désigne comme un des plus fervents cardinaux. Mesure-t-il ce qu’il lui faudra trahir de réputations pour faire partie de l’ordre des camelots ? Il lui faudra s’initier, au crépuscule de sa vie, aux techniques de l’immoralité, à l’art du mensonge, à l’impudeur du renoncement, aux inconvenances du pharisaïsme, bref à toutes ces vulgarités qui font le cynisme en politique et qu’on n’a jamais connues à Rédha Malek.
Pourquoi avait-t-il choisi de finir, lui le négociateur d’Évian, dans le flagrant délit de bricolage, annonçant une fausse alliance par ci, un faux ralliement par là ?
C’est que les collèges de l’esbroufe ont toujours besoin d’enseignes en trompe-l’oeil et Rédha Malek aurait dû le réaliser avant d’en être le proviseur.
L’auteur nous rappelle qu’à la veille de l’insurrection « Le peuple se sentait frustré par certains de ses dirigeants préoccupés essentiellement par la course au pouvoir. »
Un demi-siècle plus tard, rien n’a vraiment changé. Pendant que le peuple se noie dans la solitude, les opposants républicains bavent déjà sur leur plat de lentilles : quelques sièges dans l’hémicycle du bourreau Il faut assurément avoir de l’estomac.
L’histoire a eu, comme ça, ses vrais décideurs et ses boute-en-train, ses puissants souverains et ses bouffons du Roi, le tout formant cette confrérie de politiciens amoraux, habiles dans le mensonge et désinvoltes devant le malheur, qu’il nous est donné loisir de voir et, hélas, aussi d’écouter. Il n’y a, après tout, aucune raison pour notre pays d’échapper à la règle de l’histoire : il a eu ses Saladin et ses Savonarole, il aura ses Raspoutine.
Mais revenons à l’article de Mechati pour déplorer qu’un autre historique, Rédha Malek, ne l’ait lu. Car enfin, que venait-il faire, lui qui compte parmi les derniers historiques encore en vie, que venait-il faire au milieu de cette communauté d’esprits cyniques et sans grande confession politique ? L’homme au riche parcours a-t-il mesuré le risque qu’il y avait à donner de nos démocrates l’image classique et haïssable de l’escobarderie politique ? On le pensait étranger à ce monastère de l’intrigue et de l’ambition, et voilà qu’il s’en désigne comme un des plus fervents cardinaux. Mesure-t-il ce qu’il lui faudra trahir de réputations pour faire partie de l’ordre des camelots ? Il lui faudra s’initier, au crépuscule de sa vie, aux techniques de l’immoralité, à l’art du mensonge, à l’impudeur du renoncement, aux inconvenances du pharisaïsme, bref à toutes ces vulgarités qui font le cynisme en politique et qu’on n’a jamais connues à Rédha Malek.
Pourquoi avait-t-il choisi de finir, lui le négociateur d’Évian, dans le flagrant délit de bricolage, annonçant une fausse alliance par ci, un faux ralliement par là ?
C’est que les collèges de l’esbroufe ont toujours besoin d’enseignes en trompe-l’oeil et Rédha Malek aurait dû le réaliser avant d’en être le proviseur.
[b]PAGES 228-229
Ce fut un lundi après-midi, au Sénat, qu’Abdoul le Persan réalisa l’incommodité d’être à la fois le mauvais génie du Kaiser et son mauvais chef du gouvernement.
La tribu des Têtes-képi l’avait désigné aux tirailleurs professionnels : il n’en avait plus pour longtemps.
Agissait-elle pour le compte d’un clan, la sénatrice Zohra Drif lançant, ce jour-là, un premier projectile à la face d’Abdoul le Persan ?
« M. le chef du gouvernement, je suis navrée de vous dire que, hélas, le citoyen ne croit pas en vous, en vos institutions, en votre politique… En plus des difficultés de la vie quotidienne, les citoyens ressentent des signes de frustration, d’extrémisme et de dérive. Ils font face à la violence, au gaspillage flagrant des deniers publics, à l’absence de gestion, au vol et à la corruption, à l’immigration illégale (harragas), à la fraude aux examens, notamment au baccalauréat. Voilà la réalité aujourd’hui,M. le chef du gouvernement ».
Puis, regardant la salle accrochée à ses lèvres, elle s’autorise une deuxième bombe :
« Votre programme ne sera pas réalisé parce que la situation n’est pas bonne dans le pays et parce que le citoyen, qui est le premier concerné, se considère comme non concerné. Ce sont des réalités qu’il faut regarder en face ».
Puis une troisième : « Aux dernières élections législatives, le peuple par son boycott, nous a transmis un message clair : il ne se sent pas concerné. Ecoutons-le. » Epuisée, elle éclata en sanglots.
Qui pleurait, de la sénatrice aux cheveux blancs ou de l’insoumise guérillera ? La première, par simulation ? Je ne sais pas. Peut-être est-ce d’impuissance, au souvenir d’une jeunesse sacrifiée pour si peu de lumières. Peut-être était-ce la seconde, de dépit, la fellaga qui avait vu monter les cris de la population dépenaillée, ces cris qui, un demisiècle plus tôt, à l’époque du twist, lui avaient fait sécher les cours de la fac d’Alger et préférer la compagnie de Ali la Pointe à celle des damoi-seaux twisters… Allez savoir… Ou peut-être, après tout, n’étaient-ce que des larmes de joie, celle, indéfinissable, de la résistante qui venait de réussir son dernier attentat contre l’injustice et le mensonge.
Je préfère me ranger, pour ma part, à cette hypothèse là : la sénatrice Bitat pleurait du bonheur d’avoir redonné une seconde vie à la combattante Zohra Drif. A l’insurgée de 1956. La fille de Vialar, Zohra la rebelle, l’étudiante qui séchait les cours de la faculté de droit d’Alger pour les réunions clandestines du FLN, la tigresse de la bataille d’Alger, condamnée à mort à l’âge de vingt ans pour une bombe justement, placée avec audace au milieu d’un restaurant pied-noir…Oui, c’était bien l’insoumise de la Casbah qui, ce lundi après-midi au Sénat, semblait rejaillir d’un temps oublié, les bombes à la main, pour se venger des injustices faites à ce peuple damné. Le gouverneur avait changé de nom, de Lacoste en Abdoul le Persan. Mais l’injustice était restée la même : population dépenaillée, asservie, dépouillée de son avenir et de ses rêves…
Oui, contre les supputations politiciennes, je préfère finalement cette version. Elle confirme la cicatrice salutaire de Barberousse : on ne peut avoir séjourné dans ses geôles macabres, dans ses couloirs de la mort à attendre son tour pour la guillotine qui décapita Zabana et Yveton, on ne peut avoir compté les nuits de Barberousse sans se rappeler à jamais la cause pour laquelle on y était entré.
Oui, je préfère croire à un «seuil de l’allégeance » comme on parlerait d’un seuil d’incompétence, une limite au-delà de laquelle la raison finit par l’emporter, la raison ou l’histoire, la mémoire ou le regard de l’absent... Tout homme a droit à son aggiornamento moral. Même Mme Drif !
La sénatrice Bitat agissant pour le compte de Kaizer Moulay ou pour celui d’un clan opposé ? Non, je n’ai entendu que l’étudiante Zohra Drif interpeller le Palais pour avoir si atrocement mutilé les rêves d’indépendance.
La tribu des Têtes-képi l’avait désigné aux tirailleurs professionnels : il n’en avait plus pour longtemps.
Agissait-elle pour le compte d’un clan, la sénatrice Zohra Drif lançant, ce jour-là, un premier projectile à la face d’Abdoul le Persan ?
« M. le chef du gouvernement, je suis navrée de vous dire que, hélas, le citoyen ne croit pas en vous, en vos institutions, en votre politique… En plus des difficultés de la vie quotidienne, les citoyens ressentent des signes de frustration, d’extrémisme et de dérive. Ils font face à la violence, au gaspillage flagrant des deniers publics, à l’absence de gestion, au vol et à la corruption, à l’immigration illégale (harragas), à la fraude aux examens, notamment au baccalauréat. Voilà la réalité aujourd’hui,M. le chef du gouvernement ».
Puis, regardant la salle accrochée à ses lèvres, elle s’autorise une deuxième bombe :
« Votre programme ne sera pas réalisé parce que la situation n’est pas bonne dans le pays et parce que le citoyen, qui est le premier concerné, se considère comme non concerné. Ce sont des réalités qu’il faut regarder en face ».
Puis une troisième : « Aux dernières élections législatives, le peuple par son boycott, nous a transmis un message clair : il ne se sent pas concerné. Ecoutons-le. » Epuisée, elle éclata en sanglots.
Qui pleurait, de la sénatrice aux cheveux blancs ou de l’insoumise guérillera ? La première, par simulation ? Je ne sais pas. Peut-être est-ce d’impuissance, au souvenir d’une jeunesse sacrifiée pour si peu de lumières. Peut-être était-ce la seconde, de dépit, la fellaga qui avait vu monter les cris de la population dépenaillée, ces cris qui, un demisiècle plus tôt, à l’époque du twist, lui avaient fait sécher les cours de la fac d’Alger et préférer la compagnie de Ali la Pointe à celle des damoi-seaux twisters… Allez savoir… Ou peut-être, après tout, n’étaient-ce que des larmes de joie, celle, indéfinissable, de la résistante qui venait de réussir son dernier attentat contre l’injustice et le mensonge.
Je préfère me ranger, pour ma part, à cette hypothèse là : la sénatrice Bitat pleurait du bonheur d’avoir redonné une seconde vie à la combattante Zohra Drif. A l’insurgée de 1956. La fille de Vialar, Zohra la rebelle, l’étudiante qui séchait les cours de la faculté de droit d’Alger pour les réunions clandestines du FLN, la tigresse de la bataille d’Alger, condamnée à mort à l’âge de vingt ans pour une bombe justement, placée avec audace au milieu d’un restaurant pied-noir…Oui, c’était bien l’insoumise de la Casbah qui, ce lundi après-midi au Sénat, semblait rejaillir d’un temps oublié, les bombes à la main, pour se venger des injustices faites à ce peuple damné. Le gouverneur avait changé de nom, de Lacoste en Abdoul le Persan. Mais l’injustice était restée la même : population dépenaillée, asservie, dépouillée de son avenir et de ses rêves…
Oui, contre les supputations politiciennes, je préfère finalement cette version. Elle confirme la cicatrice salutaire de Barberousse : on ne peut avoir séjourné dans ses geôles macabres, dans ses couloirs de la mort à attendre son tour pour la guillotine qui décapita Zabana et Yveton, on ne peut avoir compté les nuits de Barberousse sans se rappeler à jamais la cause pour laquelle on y était entré.
Oui, je préfère croire à un «seuil de l’allégeance » comme on parlerait d’un seuil d’incompétence, une limite au-delà de laquelle la raison finit par l’emporter, la raison ou l’histoire, la mémoire ou le regard de l’absent... Tout homme a droit à son aggiornamento moral. Même Mme Drif !
La sénatrice Bitat agissant pour le compte de Kaizer Moulay ou pour celui d’un clan opposé ? Non, je n’ai entendu que l’étudiante Zohra Drif interpeller le Palais pour avoir si atrocement mutilé les rêves d’indépendance.
Dernière édition par Admin le Jeu 23 Oct - 0:58, édité 3 fois