Cela se passait lors d'une cérémonie de commémoration, comme l'Algérie en organise des centaines chaque année.
Un ministre, portant un costume trop étroit pour lui, et un wali, emmitouflé dans un ridicule burnous de circonstance, entourés de leurs gardes du corps, s'agitaient pour se placer face à la caméra lors du dépôt de la gerbe de fleurs. La tâche serait rude, car plusieurs centaines de personnes assistaient à la cérémonie qui se déroulait sous la pluie, créant une belle pagaille.
Un peu en retrait, un homme âgé, mais l'oeil encore alerte, soulignant une carrure impressionnante, devisait tranquillement avec quelques amis. Il parlait lentement, d'un ton monocorde. Il n'avait pas l'air de trop se prendre au sérieux.
Pour on ne sait quelle raison, la cérémonie prit plus de temps que prévu. La pluie continuait de tomber. Le wali s'impatientait et le ministre essayait de faire bonne figure, pour ne pas trop salir ses chaussures. Un peu plus loin, au milieu de la cohue, les gens s'apostrophaient joyeusement, allaient de groupe en groupe, sans se soucier du protocole. Ils se rapprochaient dangereusement de la stèle, menaçant de bousculer le wali et le ministre.
Mais peu à peu, un mouvement inverse commença à se dessiner. Les gens s'éloignaient de la stèle pour se rapprocher du vieil homme, qui continuait de parler de sa voie monocorde. Au bout de quelques minutes, le silence se fit. Un grand cercle s'était formé, une immense « halka » entourait le vieil homme. Le ministre et le wali se retrouvèrent tout seuls, près de la stèle, entourés de leurs seuls gardes du corps et de leur cour, à attendre le moment où ils seraient filmés, pendant que l'homme racontait une de ces histoires qu'on entend à chaque commémoration.
C'est que Novembre est une valeur qui a encore de la force. Il a encore ses adeptes, et il peut se révéler plus fort que le pouvoir du moment. Ecouter un vieil homme raconter une histoire mille fois entendue, plutôt que de saluer le ministre ou de se rapprocher du wali, est un fait rare. Pourtant, plusieurs dizaines de personnes l'ont fait ce jour-là, naturellement, sans se concerter, sans même vouloir blesser les deux représentants officiels du pouvoir. Ils se laissaient seulement emporter par des mots, par une attitude qui leur rappelait que la vie peut être régie par l'argent, le pouvoir, la politique, mais que certaines valeurs restent au-dessus de tout. Il suffit simplement d'y prêter attention.
Bien sûr, il y a des mots qui apparaissent aujourd' hui désuets. Servir son pays, se sacrifier, travailler honnêtement, sont des concepts ringards, en tous les cas passés de mode depuis longtemps.
C'est, du moins, ce qui semble le plus évident quand on fréquente les administrations et le monde de la bureaucratie, quand on assiste aux marchandages électoraux et quand on essaie de comprendre le fonctionnement du Parlement algérien.
C'est encore plus flagrant quand on se retrouve dans le monde de l'argent et des affaires, chez ceux qui transfèrent des fortunes vers l'Europe entre deux discours nationalistes, ou encore ceux qui s'approprient des biens publics entre deux pèlerinages à La Mecque.
Ce monde de l'argent et du pouvoir a acquis du pouvoir, conquis de nouveaux espaces, mais Novembre reste visiblement au-dessus.
Même ceux qui y croient le moins sont contraints de s'y soumettre. Quels que soient leurs objectifs et leurs idées, et même s'ils le font entre un pot-de-vin et une partie de plaisir, ils font au moins semblant de vénérer ce symbole. D'autres n'hésitent pas à faire du zèle, à se référer à Novembre et aux chouhada à tout bout de champ, comme si leur vie en dépendait. Ce sont d'ailleurs eux qui portent la plus grande part de responsabilité dans la disqualification de certains concepts, comme l'honneur, la fidélité, l'honnêteté, la probité et le sens du bien public.
Le conflit est permanent entre, d'une part, ces valeurs éternelles, celles qui font l'Histoire, qui façonnent les hommes et les Nations, qui tracent les destins et font la grandeur, et, d'autre part, des valeurs plus conjoncturelles, qui permettent d'accéder au pouvoir, à la fortune ou aux honneurs. Dans les moments creux, ceux de la régression ou de la stagnation, les valeurs conjoncturelles prennent le dessus. On assiste alors à la course à l'argent et au pouvoir, au détriment du patriotisme et du savoir. Le courtisan réussit alors à éliminer l'homme à principes, et le protocole officiel donne au brigand une préséance sur le savant. Ne voit-on pas des hommes dont la place naturelle est en prison siéger dans d'augustes assemblées ou diriger de grandes organisations, alors que des militants d'une intégrité absolue sont réduits au silence qu'impose leur honneur, alors qu'ils ont façonné l'histoire du pays ?
Mais lorsqu'il faudra revenir aux choses sérieuses pour reconstruire l'Algérie, avec ses institutions, son économie, son école, ses partis, il faudra bien se rendre à l'évidence. Il faudra admettre qu'un fonctionnaire ne peut remplacer un homme politique, et un courtisan ne peut supplanter le militant. Novembre a révélé cette évidence à l'Algérie. Le temps l'a quelque peu occultée. Jusqu'à quand ?
Quotidien d'Oran
Un ministre, portant un costume trop étroit pour lui, et un wali, emmitouflé dans un ridicule burnous de circonstance, entourés de leurs gardes du corps, s'agitaient pour se placer face à la caméra lors du dépôt de la gerbe de fleurs. La tâche serait rude, car plusieurs centaines de personnes assistaient à la cérémonie qui se déroulait sous la pluie, créant une belle pagaille.
Un peu en retrait, un homme âgé, mais l'oeil encore alerte, soulignant une carrure impressionnante, devisait tranquillement avec quelques amis. Il parlait lentement, d'un ton monocorde. Il n'avait pas l'air de trop se prendre au sérieux.
Pour on ne sait quelle raison, la cérémonie prit plus de temps que prévu. La pluie continuait de tomber. Le wali s'impatientait et le ministre essayait de faire bonne figure, pour ne pas trop salir ses chaussures. Un peu plus loin, au milieu de la cohue, les gens s'apostrophaient joyeusement, allaient de groupe en groupe, sans se soucier du protocole. Ils se rapprochaient dangereusement de la stèle, menaçant de bousculer le wali et le ministre.
Mais peu à peu, un mouvement inverse commença à se dessiner. Les gens s'éloignaient de la stèle pour se rapprocher du vieil homme, qui continuait de parler de sa voie monocorde. Au bout de quelques minutes, le silence se fit. Un grand cercle s'était formé, une immense « halka » entourait le vieil homme. Le ministre et le wali se retrouvèrent tout seuls, près de la stèle, entourés de leurs seuls gardes du corps et de leur cour, à attendre le moment où ils seraient filmés, pendant que l'homme racontait une de ces histoires qu'on entend à chaque commémoration.
C'est que Novembre est une valeur qui a encore de la force. Il a encore ses adeptes, et il peut se révéler plus fort que le pouvoir du moment. Ecouter un vieil homme raconter une histoire mille fois entendue, plutôt que de saluer le ministre ou de se rapprocher du wali, est un fait rare. Pourtant, plusieurs dizaines de personnes l'ont fait ce jour-là, naturellement, sans se concerter, sans même vouloir blesser les deux représentants officiels du pouvoir. Ils se laissaient seulement emporter par des mots, par une attitude qui leur rappelait que la vie peut être régie par l'argent, le pouvoir, la politique, mais que certaines valeurs restent au-dessus de tout. Il suffit simplement d'y prêter attention.
Bien sûr, il y a des mots qui apparaissent aujourd' hui désuets. Servir son pays, se sacrifier, travailler honnêtement, sont des concepts ringards, en tous les cas passés de mode depuis longtemps.
C'est, du moins, ce qui semble le plus évident quand on fréquente les administrations et le monde de la bureaucratie, quand on assiste aux marchandages électoraux et quand on essaie de comprendre le fonctionnement du Parlement algérien.
C'est encore plus flagrant quand on se retrouve dans le monde de l'argent et des affaires, chez ceux qui transfèrent des fortunes vers l'Europe entre deux discours nationalistes, ou encore ceux qui s'approprient des biens publics entre deux pèlerinages à La Mecque.
Ce monde de l'argent et du pouvoir a acquis du pouvoir, conquis de nouveaux espaces, mais Novembre reste visiblement au-dessus.
Même ceux qui y croient le moins sont contraints de s'y soumettre. Quels que soient leurs objectifs et leurs idées, et même s'ils le font entre un pot-de-vin et une partie de plaisir, ils font au moins semblant de vénérer ce symbole. D'autres n'hésitent pas à faire du zèle, à se référer à Novembre et aux chouhada à tout bout de champ, comme si leur vie en dépendait. Ce sont d'ailleurs eux qui portent la plus grande part de responsabilité dans la disqualification de certains concepts, comme l'honneur, la fidélité, l'honnêteté, la probité et le sens du bien public.
Le conflit est permanent entre, d'une part, ces valeurs éternelles, celles qui font l'Histoire, qui façonnent les hommes et les Nations, qui tracent les destins et font la grandeur, et, d'autre part, des valeurs plus conjoncturelles, qui permettent d'accéder au pouvoir, à la fortune ou aux honneurs. Dans les moments creux, ceux de la régression ou de la stagnation, les valeurs conjoncturelles prennent le dessus. On assiste alors à la course à l'argent et au pouvoir, au détriment du patriotisme et du savoir. Le courtisan réussit alors à éliminer l'homme à principes, et le protocole officiel donne au brigand une préséance sur le savant. Ne voit-on pas des hommes dont la place naturelle est en prison siéger dans d'augustes assemblées ou diriger de grandes organisations, alors que des militants d'une intégrité absolue sont réduits au silence qu'impose leur honneur, alors qu'ils ont façonné l'histoire du pays ?
Mais lorsqu'il faudra revenir aux choses sérieuses pour reconstruire l'Algérie, avec ses institutions, son économie, son école, ses partis, il faudra bien se rendre à l'évidence. Il faudra admettre qu'un fonctionnaire ne peut remplacer un homme politique, et un courtisan ne peut supplanter le militant. Novembre a révélé cette évidence à l'Algérie. Le temps l'a quelque peu occultée. Jusqu'à quand ?
Quotidien d'Oran