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[Algérie] Benjamin Stora au Quotidien d’Oran

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admin"SNP1975"

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Cela se passait lors d'une cérémonie de commémoration, comme l'Algérie en organise des centaines chaque année.

Un ministre, portant un costume trop étroit pour lui, et un wali, emmitouflé dans un ridicule burnous de circonstance, entourés de leurs gardes du corps, s'agitaient pour se placer face à la caméra lors du dépôt de la gerbe de fleurs. La tâche serait rude, car plusieurs centaines de personnes assistaient à la cérémonie qui se déroulait sous la pluie, créant une belle pagaille.

Un peu en retrait, un homme âgé, mais l'oeil encore alerte, soulignant une carrure impressionnante, devisait tranquillement avec quelques amis. Il parlait lentement, d'un ton monocorde. Il n'avait pas l'air de trop se prendre au sérieux.

Pour on ne sait quelle raison, la cérémonie prit plus de temps que prévu. La pluie continuait de tomber. Le wali s'impatientait et le ministre essayait de faire bonne figure, pour ne pas trop salir ses chaussures. Un peu plus loin, au milieu de la cohue, les gens s'apostrophaient joyeusement, allaient de groupe en groupe, sans se soucier du protocole. Ils se rapprochaient dangereusement de la stèle, menaçant de bousculer le wali et le ministre.

Mais peu à peu, un mouvement inverse commença à se dessiner. Les gens s'éloignaient de la stèle pour se rapprocher du vieil homme, qui continuait de parler de sa voie monocorde. Au bout de quelques minutes, le silence se fit. Un grand cercle s'était formé, une immense « halka » entourait le vieil homme. Le ministre et le wali se retrouvèrent tout seuls, près de la stèle, entourés de leurs seuls gardes du corps et de leur cour, à attendre le moment où ils seraient filmés, pendant que l'homme racontait une de ces histoires qu'on entend à chaque commémoration.

C'est que Novembre est une valeur qui a encore de la force. Il a encore ses adeptes, et il peut se révéler plus fort que le pouvoir du moment. Ecouter un vieil homme raconter une histoire mille fois entendue, plutôt que de saluer le ministre ou de se rapprocher du wali, est un fait rare. Pourtant, plusieurs dizaines de personnes l'ont fait ce jour-là, naturellement, sans se concerter, sans même vouloir blesser les deux représentants officiels du pouvoir. Ils se laissaient seulement emporter par des mots, par une attitude qui leur rappelait que la vie peut être régie par l'argent, le pouvoir, la politique, mais que certaines valeurs restent au-dessus de tout. Il suffit simplement d'y prêter attention.

Bien sûr, il y a des mots qui apparaissent aujourd' hui désuets. Servir son pays, se sacrifier, travailler honnêtement, sont des concepts ringards, en tous les cas passés de mode depuis longtemps.

C'est, du moins, ce qui semble le plus évident quand on fréquente les administrations et le monde de la bureaucratie, quand on assiste aux marchandages électoraux et quand on essaie de comprendre le fonctionnement du Parlement algérien.

C'est encore plus flagrant quand on se retrouve dans le monde de l'argent et des affaires, chez ceux qui transfèrent des fortunes vers l'Europe entre deux discours nationalistes, ou encore ceux qui s'approprient des biens publics entre deux pèlerinages à La Mecque.

Ce monde de l'argent et du pouvoir a acquis du pouvoir, conquis de nouveaux espaces, mais Novembre reste visiblement au-dessus.

Même ceux qui y croient le moins sont contraints de s'y soumettre. Quels que soient leurs objectifs et leurs idées, et même s'ils le font entre un pot-de-vin et une partie de plaisir, ils font au moins semblant de vénérer ce symbole. D'autres n'hésitent pas à faire du zèle, à se référer à Novembre et aux chouhada à tout bout de champ, comme si leur vie en dépendait. Ce sont d'ailleurs eux qui portent la plus grande part de responsabilité dans la disqualification de certains concepts, comme l'honneur, la fidélité, l'honnêteté, la probité et le sens du bien public.

Le conflit est permanent entre, d'une part, ces valeurs éternelles, celles qui font l'Histoire, qui façonnent les hommes et les Nations, qui tracent les destins et font la grandeur, et, d'autre part, des valeurs plus conjoncturelles, qui permettent d'accéder au pouvoir, à la fortune ou aux honneurs. Dans les moments creux, ceux de la régression ou de la stagnation, les valeurs conjoncturelles prennent le dessus. On assiste alors à la course à l'argent et au pouvoir, au détriment du patriotisme et du savoir. Le courtisan réussit alors à éliminer l'homme à principes, et le protocole officiel donne au brigand une préséance sur le savant. Ne voit-on pas des hommes dont la place naturelle est en prison siéger dans d'augustes assemblées ou diriger de grandes organisations, alors que des militants d'une intégrité absolue sont réduits au silence qu'impose leur honneur, alors qu'ils ont façonné l'histoire du pays ?

Mais lorsqu'il faudra revenir aux choses sérieuses pour reconstruire l'Algérie, avec ses institutions, son économie, son école, ses partis, il faudra bien se rendre à l'évidence. Il faudra admettre qu'un fonctionnaire ne peut remplacer un homme politique, et un courtisan ne peut supplanter le militant. Novembre a révélé cette évidence à l'Algérie. Le temps l'a quelque peu occultée. Jusqu'à quand ?

Quotidien d'Oran


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admin"SNP1975"

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Benjamin Stora au Quotidien d’Oran :

«Il y a des tentations coloniales qui subsistent dans la société française, mais ce n’est pas une société coloniale.»

par Propos Recueillis Par Akram Belkaïd
[Algérie] Benjamin Stora au Quotidien d’Oran Spacer
L’historien français, grand spécialiste de la guerre d’indépendance algérienne et de l’immigration maghrébine en France, vient de publier « Les guerres sans fin : un historien, la France et l’Algérie » aux éditions Stock. Un livre qui retrace « son entrée en histoire » et qui éclaire aussi ses choix en matière de recherche historique. Entretien en ce lendemain de 1er Novembre.


Le Quotidien d’Oran: Votre dernier ouvrage privilégie une approche mémorielle très personnelle et, en cela, il s’inscrit dans la droite ligne des deux livres qui l’ont précédé. Comment justifiez-vous cette évolution dans votre production ?

Benjamin Stora: D’une certaine manière, j’ai essayé avec ces livres de me rapprocher de ce que l’on appelle l’ego-histoire. J’ai toujours aimé faire des expérimentations d’écriture dans le domaine de l’histoire, tout en étant attiré par les aspects qui n’étaient pas conformes aux thèmes dominants et qui se situaient même à contre-courant. Il y a trente ans, je m’étais, par exemple, penché sur l’histoire du nationalisme algérien dans sa version messaliste, alors que personne ne s’y intéressait. J’ai aussi abordé la question des pionniers du nationalisme, y compris ceux qui avaient été éliminés dans le cours de la révolution algérienne. J’ai aussi travaillé sur la mémoire au début des années 1990, à une époque où elle était considérée comme non historique, ce qui m’a valu nombre de critiques, y compris en Algérie. En terme de support de production, je ne me suis pas contenté de l’écrit classique, puisque je me suis intéressé aux images et que j’ai fabriqué des films et des documentaires. Avec mes derniers livres, je me suis dit pourquoi ne pas me rapprocher de l’ego-histoire, quitte ensuite à revenir à un travail plus classique, à des récits plus traditionnels. Pour moi, dans l’écriture de l’histoire, aucun support n’est tabou.



Q.O.: Vous reproche-t-on toujours de considérer que la mémoire fait partie de l’histoire ?

B.S.: Quand j’ai présenté mon documentaire « Les Années algériennes » en 1991, j’ai été très attaqué. On m’a reproché les mises en scène, notamment la séquence du retour de ma mère à Constantine. Des historiens français y ont vu une implication personnelle et subjective qui nuisait à la qualité d’un travail scientifique. Des historiens algériens ne m’ont pas ménagé non plus. C’était il y a vingt ans. Et depuis, les choses ont beaucoup changé et nombre de mes détracteurs de l’époque se sont aperçus qu’il fallait restituer les mémoires et les considérer comme des instruments, des outils possibles de l’écriture de l’histoire. Dans le même temps, les mémoires ont connu un réveil brutal, elles sont entrées en compétition et cherchent à s’affirmer dans l’espace public comme en témoigne, entre autre, la polémique autour du rôle de la colonisation.

On ne peut donc plus ignorer le phénomène mémoriel et se contenter d’imposer une séparation étanche entre l’histoire savante, académique, scientifique et la mémoire subjective et partiale. Il faut rentrer dans ce mouvement mémoriel pour en démonter le mécanisme, trouver des sens historiques, débusquer les fantasmes et les constructions imaginaires. Les historiens ne peuvent pas se laver les mains du phénomène mémoriel, sinon ils prendraient le risque d’être en dehors du mouvement réel des sociétés qui exigent plus d’histoire à travers leurs mémoires blessées.



«En France, la mémoire algérienne n’est pas un psychisme abstrait».



Q.O.: Dans votre livre, vous évoquez la nécessité de l’oubli pour les sociétés, ces dernières ne pouvant vivre dans l’exaltation. Dans le cas algérien, on a tout de même vécu dans l’exaltation durant une longue période. Est-ce l’une des raisons qui ont conduit aux tourments des années 1990 ?

B.S.: Il y a deux sortes d’oubli : il y a celui qui est nécessaire pour vivre et il y a celui organisé par l’Etat, que je qualifierai d’oubli pervers. Dans le cas de l’Algérie, on a beaucoup exhumé et glorifié le passé qui a servi aussi à se légitimer. En France, à l’inverse, on a eu un oubli d’Etat. Dans le cas algérien, l’oubli pour vivre n’a pas existé. A l’indépendance, il n’y a pas eu d’amnistie ni de réconciliation entre les groupes porteurs de différentes mémoires indépendantistes. Cette absence permanente de réconciliation et de passerelles, ce déni de la qualité de l’autre et de son combat, sont autant de facteurs qui, oui, ont pu déboucher sur des conflits ouverts. Lorsqu’il n’y a jamais d’apaisement, il y a un risque de revanche susceptible de déborder dans l’espace public.



Q.O.: Mais l’oubli n’est pas toujours facilement accepté...

B.S.: C’est effectivement une question très difficile. D’un côté, il y a des secteurs entiers de la société qui exigent réparation, vengeance, justice et condamnation, et, de l’autre, il y a la nécessité de maintenir une cohésion sociale et du lien national. Comment trouver le juste équilibre ? C’est aux hommes politiques d’y arriver. Dans le fond, l’Algérie a commencé à se poser ce problème au sortir de la tragédie des années 1990. La réconciliation nationale a été certes critiquée, condamnée, dénoncée mais elle a eu le mérite de poser les questions liées au pardon. Près de cinquante ans après l’indépendance, l’Algérie pourrait essayer aussi de jeter un autre regard sur sa révolution et commencer à jeter des passerelles vers ceux dont on a nié le combat.



Q.O.: Comment expliquez-vous la persistance d’une problématique algérienne dans la société française ?

B.S.: En France, la mémoire algérienne n’est pas une sorte de psychisme abstrait ou une idée désincarnée, voire d’un conflit de personnes confiné dans un périmètre très restreint. Il s’agit d’une question très large qui touche à l’identité française puisque l’Algérie c’était la France ! Le nationalisme algérien a provoqué une crise très profonde du nationalisme français en lui reprochant de ne pas respecter ses propres valeurs, celles des Lumières et de la Révolution française. C’est une crise dont les effets subsistent à ce jour. Ensuite, il y a, bien sûr, le fait que des millions de personnes en France se sont trouvées confrontées directement à la Guerre d’Algérie.

Il y a d’abord les soldats, dont on estime le nombre à 1,5 million. Dans leur grande majorité, ils sont nés entre 1932 et 1942, ce qui signifie qu’ils sont pour nombre d’entre eux à la retraite et qu’ils ont donc beaucoup de temps pour interroger leur propre histoire et celle de cette guerre. Il y aussi le million de pieds-noirs et leurs enfants, sans oublier les harkis et leurs familles qui ont pu se réfugier en France.



Q.O.: Est-ce que cela explique les polémiques récurrentes sur cette histoire ?

B.S.: Cette question de la mémoire algérienne est très physique. C’est un traumatisme réel. Ce sont des choses qui se sont transmises dans la société française et souvent la transmission s’est faite d’une mauvaise manière en raison de la stratégie d’oubli décidée par l’Etat français. La connaissance de cette histoire a été fantasmée, falsifiée, parce que l’Etat français n’a pas rempli sa fonction. La décolonisation s’est effectuée au niveau de l’Etat par l’indépendance de l’Algérie, mais pas par la pratique des esprits. Rien n’a permis à ces derniers de prendre la mesure de la décolonisation politique. Il n’y a pas eu de passerelles, qu’il s’agisse du cinéma, des manuels scolaires ou des médias. C’est ce qui explique pourquoi la question algérienne est toujours là, près d’un demi-siècle après l’indépendance.



«Les fils de harkis sont dans une recherche en algérianité.»



Q.O.: On dit toujours que les nouvelles générations modifieront la donne mais il semble que ces dernières endossent la position des pères...

B.S.: Ce n’est pas tout à fait exact. Prenez le cas intéressant des harkis. Jusqu’à présent, le mouvement harki était très confisqué politiquement par le mouvement pied-noir. Or, aujourd’hui, de manière incontestable, on assiste à une sorte de dissociation. Les enfants de harkis veulent rester fidèles à la mémoire de leurs pères mais refusent toute stratégie d’adhésion aux partisans de l’Algérie française. C’est une autre dynamique qui est en train de s’installer. On trouve le même phénomène chez les enfants de pieds-noirs. Il y a la volonté de ne pas renier les pères mais aussi la prise de conscience des causes qui ont conduit les pieds-noirs à quitter l’Algérie comme le fonctionnement inégalitaire de la société coloniale. Je ne nie pas qu’il existe encore des modes de transmission négative de la question algérienne, avec son lot de ruminations et d’envies de revanche, mais j’insiste sur l’évolution positive des mentalités avec la volonté d’opérer une critique sur soi et des récits familiaux. Les deux aspects cohabitent et ce n’est pas une bataille qui est finie.



Q.O.: Justement, il y a dix-sept ans, dans un entretien que vous m’aviez accordé, vous releviez la persistance d’un inconscient français rêvant encore de revanche sur les Algériens (1). Est-ce toujours le cas aujourd’hui ?

B. S.: C’est délicat à dire mais ce sentiment s’atténue du fait de la disparition physique d’un certain nombre d’acteurs de cette période.

Il y a vingt ans, cette envie de revanche était beaucoup plus forte qu’aujourd’hui. Ce qui est compliqué aujourd’hui en France, c’est que les partisans d’un système colonial considéré comme positif ont quitté les rivages de l’extrême droite traditionnelle pour aller vers une droite très classique. Le gaullisme avait tout de même entretenu une frontière entre droite et extrême droite. Le général De Gaulle était une figure de la décolonisation et il était difficile aux partisans de l’extrême droite d’aller vers lui. Aujourd’hui, la frontière tend à s’effacer. Dans les nouvelles générations politiques sur l’échiquier de droite, la défense du système colonial est encore présente. A mon avis, c’est là où réside le problème.



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Suite
Q.O.: Revenons aux harkis. Leurs enfants prennent de plus en plus la parole en France...

B.S.: Je n’y vois pas qu’une simple revendication formulée à destination de la France. Cette prise de parole, qui est effectivement de plus en plus fréquente, est à mon sens une recherche en algérianité.

Ces enfants ont été éduqués dans un milieu culturel musulman mais ils ont le sentiment d’être exclus de la sphère algérienne, y compris quand cette dernière se situe à l’extérieur de l’Algérie, en exil ou dans l’immigration.

Ces enfants de harkis ont la volonté de se réapproprier leur algérianité. On trouve le même phénomène chez les enfants de juifs d’Algérie, comme j’ai pu m’en apercevoir à la sortie de mon livre sur les trois exils (2). J’ai alors été invité par plusieurs associations de juifs d’Algérie, où des jeunes voulaient savoir quelle était l’histoire de leurs grands-parents, ces indigènes qui ne sont devenus français qu’après le décret Crémieux. Cette quête, ces interrogations font partie du même processus de recherche en algérianité.



«La France d’aujourd’hui n’est pas une société coloniale,
même s’il y persiste des tentations en ce sens.»




Q.O.: Dans votre livre, vous dites encore que vous êtes entré dans la société française en la bousculant. N’est-ce pas ce que font tous ces jeunes issus de l’immigration dont les revendications sont souvent jugées véhémentes ?

B.S.: Il y a effectivement des points communs. L’affirmation de soi est une question centrale. Elle exige que l’on soit reconnu comme tel et cela ne passe pas forcément par des stratégies de dilution de la personnalité comme le voudrait l’assimilation. On entre dans une société de manière conflictuelle et non dans l’harmonie consensuelle. Il faut batailler pour s’imposer et c’est un combat difficile et compliqué. En ce sens, l’intégration harmonieuse est un pur fantasme.

Mais la différence entre aujourd’hui et les années 1960, c’est que nous voulions bousculer la société française par l’intermédiaire d’idéaux universalistes qui étaient ceux des Révolutions - française, algérienne, cubaine ou palestinienne. Il y avait en nous une volonté de socialisme et d’égalité et c’est par ce biais-là que nous bousculions la société française. Aujourd’hui, je ne sens plus cela.

On bouscule la société française au nom de la religion, c’est la grande différence avec les années 1960 et 1970. Du coup, il est beaucoup plus facile de discréditer ces revendications.



Q.O.: La bataille est moins facile à mener...

B.S.: C’est bien cela. La France est une société laïque, ou du moins qui se pense comme telle. Là où elle ne pouvait guère opposer d’arguments aux exigences d’universalisme, elle peut se braquer quand les revendications ont une connotation, réelle ou supposée, religieuse. De plus, et contrairement à aujourd’hui, le souffle des révolutions était très présent dans les années 1960. C’est pour cela que je suis entré dans l’étude de l’histoire algérienne. Il ne s’agissait pas de rechercher mes origines mais de comprendre les mécanismes de la révolution algérienne.



Q.O.: Pourtant, les problèmes que rencontre l’islam en France sont souvent présentés comme étant la continuation de l’ordre colonial !

B.S.: Je conviens aisément sur le fait qu’il n’y a pas eu de décolonisation des esprits en France, mais pour autant, je suis catégorique : la France d’aujourd’hui n’est pas une société coloniale. Elle ne fonctionne pas selon une codification juridique inégalitaire. Il faut tout de même savoir ce qu’était la société algérienne au temps de la colonisation ! Les Algériens n’avaient aucun droit, ils n’étaient pas considérés comme membres de l’humanité et ils n’ont obtenu le droit de vote qu’en 1944, plus d’un siècle après l’arrivée des Français. Aujourd’hui, on ne vit pas dans une société coloniale en France. C’est une société où il y a des traits coloniaux qui subsistent, des représentations qu’il faut combattre mais il ne faut pas se laisser aller à prétendre que l’histoire est toujours la même et qu’elle se répète en permanence. On ne peut pas mener le combat politique pour une meilleure intégration en tenant ce genre de raisonnement.



Q.O.: Mais les problèmes d’intégration sont bel et bien réels !

B.S.: Je le redis : il y a des tentations coloniales qui subsistent dans la société française. Elles s’exercent dans la vie quotidienne, à travers la discrimination au travail ou dans le logement par exemple. Mais encore une fois, il n’y a pas de codification juridique. On n’est pas dans une société d’apartheid ou de ségrégation territoriale décidée par le haut. Il faut sortir de cette paresse intellectuelle et, à mon sens, tout le travail de recherche est d’examiner les convergences et les différences entre la période coloniale et aujourd’hui.



«Camus est un thème que l’Algérie indépendante
a intérêt à se réapproprier.»




Q.O.: L’un des thèmes qui divise souvent Algériens et Français est celui des archives. Où en est-on dans ce dossier ?

B.S.: Il faut d’abord rappeler que les Algériens ont mené une guerre clandestine. D’un côté, il y avait l’Etat français et, de l’autre, les révolutionnaires algériens.

Cela signifie concrètement une disproportion en matière d’archives. Comparer les deux est stupide et je le dis parce que j’entends souvent en France la phrase suivante : « Qu’ils [les Algériens] ouvrent leurs archives, on ouvrira les nôtres !». Mais quelles archives ? Celle d’un mouvement clandestin qui fonctionnait aux trois quarts par consignes orales ?



Q.O.: L’Algérie a tout même conservé des archives de cette période !

B.S.: Bien sûr. De nombreux documents existent. Il y a les archives des wilayas, du GPRA, de l’armée des frontières... Tout cela existe et peut encore nous éclairer, même si ces documents ne vont pas forcément nous révéler des choses extraordinaires. Il y a aussi les archives privées.

Je précise au passage que je n’ai pas attendu l’ouverture des archives algériennes pour rédiger mon dictionnaire des militants algériens : j’y serais encore. J’ai pu le faire en passant par les entretiens individuels. Tout cela pour dire que l’écriture de l’histoire ne dépend pas des seules archives de l’Etat.



Q.O.: Il n’y a donc rien de « brûlant » à attendre de l’ouverture de ces archives ?

B.S.: Il est possible qu’il y ait des choses gênantes. Les complots dans les maquis, les règlements de comptes, les purges, les interrogatoires musclés des maquisards soupçonnés de collusion avec la France, la torture, les exécutions sommaires, tous ces événements sont des choses connues, mais il n’y a pas de documents qui abondent en ce sens.

Il faut noter aussi qu’une grande partie des archives algériennes ont été révélées.



Q.O.: Y a-t-il côté français des zones noires en matière d’archives ?

B.S.: L’un des grands points difficiles concerne des archives à propos des exactions commises par l’armée. Il s’agit d’archives très difficiles d’accès, même si des chercheurs ont réussi à entrouvrir la porte. Mais attention, il ne faut pas s’attendre à trouver des ordres écrits. Ceux qui espèrent que l’on trouvera un jour un document autorisant la « corvée de bois » risquent d’être déçus. L’Etat a couvert ce genre de pratiques mais il n’écrivait rien. L’oralité a fonctionné aussi pour l’Etat. Un autre dossier épineux en matière d’archives est celui des expériences atomiques dans le Sud algérien.



Q.O.: De nombreux Algériens sont pourtant persuadés que les archives individuelles recèlent des secrets explosifs...

B.S.: En France, il n’y a pas d’exception algérienne pour ce qui concerne l’inaccessibilité des dossiers individuels. Tous les dossiers sont fermés et il faut attendre 120 ans pour y accéder. Cela relève du respect de la vie privée. On ne ferme pas parce que cela concerne la Guerre d’Algérie.

C’est important à comprendre avant d’exiger l’ouverture immédiate des archives individuelles et leur divulgation.

Il y a un minimum d’éthique et de responsabilité dans la divulgation des documents qui peuvent porter atteinte à la vie privée, à l’identité des familles et à la mémoire des survivants. Le traitement de l’archive est une responsabilité de l’historien. On ne peut pas prendre un document, le photocopier et le rendre public sans prendre de précautions. Il faut d’abord le mettre en contexte, le travailler, le confronter à d’autres sources. C’est un fantasme de croire que l’on va tout savoir si toutes les archives sont ouvertes.



Q.O.: Vous terminez votre livre par une annexe consacrée à Albert Camus. Pourquoi ce choix ?

B.S.: J’estime que Camus est représentatif d’un débat qui dure encore. Il est l’emblème de la pluralité des sens de l’histoire, des bifurcations possibles d’une Algérie plurielle. Pour moi, Camus a fini par devenir proche de la communauté européenne d’Algérie. Ma thèse est qu’il a basculé politiquement vers les partisans de l’Algérie française à la fin de la Bataille d’Alger, en 1957, c’est-à-dire au moment où il reçoit son prix Nobel. Je rappelle qu’en 1956 il était pour une trêve civile, mais il a changé d’avis à la fin de la Bataille d’Alger. Il voyait bien que ce n’était plus possible. Cela n’enlève rien aux qualités d’écrivain de Camus que de dire cela.



Q.O.: Les Algériens qui critiquent aujourd’hui encore Camus n’ont donc pas tort ?

B.S.: Ce n’est pas ainsi que je poserai le problème. Dans le cours de la révolution algérienne, fallait-il écarter la manière de penser de Camus ? Le débat est ouvert.

C’est pour cela que j’ai tenu à terminer le livre par cette partie qui lui est consacrée. Il fait partie des questions à régler par l’Algérie d’aujourd’hui. Il est un thème que l’Algérie indépendante a intérêt à se réapproprier, tout comme elle a intérêt à se réapproprier toute sa richesse intérieure à travers les courants divers du nationalisme algérien. Mais on ne peut ouvrir ce débat que si l’on reconnaît la nécessité de l’indépendance.

Cette dernière est là, elle n’est plus à discuter. Ce dont on doit parler, c’est du passage à cette indépendance, des conditions de cette révolution. Le but est d’aboutir à un enrichissement historique mais cela ne peut se faire avec ceux qui se complaisent dans une mise en cause univoque du nationalisme algérien.



1) Le Quotidien d’Algérie, 17 décembre 1991.
2) Les trois exils, Juifs d’Algérie, Stock.

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quoi rêvait Ben M'hidi ?
par Boukherissa Kheiredine *

Il est des moments asphyxiants, crucifiants, pétrifiants, glaçants même en temps de canicule. Quand ils vous agrippent, chargeant comme une armée en furie vos émotions incommensurables, ils vous plongent sans y être autorisés dans une profonde méditation, où se côtoient, à la limite de l'entendement, la folie et la sagesse, l'absurdité et l'intelligence, l'abject et le respect.

Des espaces obscurs certes, forts bien désavantageux pour les uns, stoïquement accueillis par les autres, cependant pleins d'enseignement et de valeurs. Dieu est témoin de nos ingratitudes et faiblesses d'ici bas. Il l'est également de la luxure qui nous envahit et engraisse notre mémoire d'oubli et d'amnésie.

Des hommes aux suprêmes idéaux ont sacrifié leurs vies, mesurées malheureusement, en ces temps qui courent, à de simples commémorations insignifiantes, des manifestations festives, ou les deux à la fois, des «comfeste» (1).

Dans le mémorable panel des hommes que la révolution a révélés et élevés au rang d'immortels, ceux dont l'histoire a gravé les noms dans les annales de notre mémoire collective, sont, du point de vue historiographique, acteurs mais également concepteurs de notre glorieuse révolution. Il y a ceux qui se sont distingués par la qualité et la probité de leur combat, d'autres par l'acuité de leur analyse politique du moment, leurs engagements irréversibles et leur acharnement à mener à bout cette légitime révolte. De toutes ces figures emblématiques, le martyr Larbi Ben M'hidi porte en lui non seulement toutes ces qualités, mais incontestablement le germe de l'intelligentsia.

Cet homme atypique, destiné à figurer parmi l'élite de l'élite révolutionnaire, est né en 1923 dans un petit douar, El-Kouhani, situé à Aïn M'lila, assis au coeur d'une plaine à la terre fertile qui sera, comme nombre de villages, exproprié par les colons. Un parcours des plus révélateurs d'un militant exemplaire qui s'est abreuvé directement des sources versant dans la formation du mouvement national. Il fera ses premiers pas en politique aux côtés des Amis du manifeste et de la liberté (AML), avant de rallier à l'âge de 22 ans le Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD). Il se nourrira d'abord de la verve de Ferhat Abbas, avant de s'adonner lui-même à l'écriture et à la culture à travers le théâtre.

Cette maturité précoce dont il s'est illustré, de l'avis de ses proches et amis, il l'acquiert graduellement le long de ses périples sur des sentiers abrupts et féconds du militantisme. A l'issue des manifestations de Mai 45, il sera emprisonné. Libéré, il s'engagera dans le combat de la plume dans le milieu de la presse où il aiguisera progressivement son acuité politique, sa curiosité et son total dévouement au service de son peuple. Les biographes, et Dieu sait qu'ils sont particulièrement légion chez nous, le qualifient de fin théoricien et d'homme d'action. Une dualité rarissime aux confins de l'acculturation imposée au peuple sous l'occupation coloniale. A méditer sur le sort de cet homme d'exception, à la stature d'un « Jean Moulin algérien », et comparativement à d'autres, notamment ceux qui vécurent des temporalités différentes et similaires à la fois dans le combat pour la liberté et la paix, antérieures ou postérieures à la guerre d'Algérie. A-t-il été comptable de son abnégation ? Avait-il gagné quelque chose dans cette affaire ? Comment aurait-il perçu sa disparition au milieu du chemin vers la liberté ? Avait-il mesuré le poids de son engagement face à la légèreté déconcertante de l'après-révolution ? Rêvait-il d'une Algérie des paradoxes, où le cancre déclasse l'intelligent par voie de larbinisme et de servitude ? Où le mensonge, la corruption, la rapine et bien d'autres maux qui progressivement et gangrènent notre quotidien remplacent l'honnêteté, la fidélité et l'amitié ?

Est-il en mesure d'accepter, même sous sa tombe, le sort de cette jeunesse qui vagabonde, brûle les frontières pour quémander un lopin de terre, une chaumière, pour fonder un foyer et se laisser vieillir sous le soleil de la casbah ou de l'Ahaggar? Souhaitait-il qu'un des présidents de la France des libertés, cette France qui nous vampirise et qui continue de sucer nos richesses comme elle l'avait si bien fait autrefois sous l'étendard du mercantilisme colonial, puisse penser un jour de mai ou de novembre déposer une gerbe de fleurs sur sa tombe et faire acte d'excuses et de regrets ?

A ce que je sache, Larbi Ben M'hidi est mort sans fortune, sans aucune jouissance de la vie, et encore moins des plaisirs que celle-ci procure allégrement à certains, sans qu'ils consentent un iota de sacrifice, si rudimentaire soit-il, ou matériel. On ne se prive pas de gaspiller les deniers de l'Etat, du peuple pour si peu et s'enorgueillir en racontant de faux exploits. Où sont passées les valeurs dont ont été porteurs Ben M'hidi, Boudiaf, Benboulaïd, Amirouche et tant d'autres hommes qui façonnèrent par le sang de leurs veines cette modeste nation ? Rêvait-il d'une vie meilleure, pour lui et pour sa famille ? Avait-il cherché à s'enrichir au détriment de souffrances de son peuple ? N'avait-il pas été l'un des hommes dont les répliques faites à ses tortionnaires avaient bouleversé le monde et forcé leur admiration ? ««Donnez-nous vos avions et on vous donnera nos couffins ». Et aussi : «Mettez la révolution dans la rue et vous la verrez reprise et portée par douze millions d'Algériens ». D'intangibles vérités restées légendes, qu'entonnent nos démunis le plus souvent pour glorifier la révolution et nous faire rappeler que quelque part nous avons failli au devoir de mémoire.

Rêvait-il d'une Algérie prospère, opulente et généreuse pour ses enfants et son peuple ? Sûrement, oui. Rêvait-il d'une équitable répartition des richesses entre les hommes et les femmes de son pays ? Bien entendu. Pensait-il apercevoir un jour dans nos rues et ruelles le retour des injustices refoulés pour lesquelles il s'est battu, et accepter la mort pour les bannir à jamais de son quotidien, et revenir avec leurs lots de nouveaux mendiants, des SDF parqués à même le sol, non loin du tribunal de la capitale, symbole de la justice, aux alentours de nos institutions parlementaires ? Des laveurs de véhicules aux arrêts des feux rouges, des squatteurs d'aires de stationnement, des vieux et des jeunes qui vous tendent la main de jour comme de nuit. Où est passée cette solidarité de pacotille ? Je ne pense pas qu'il aurait accepté ce revirement de circonstance.

Au-delà de cette autopsie spirituelle en quête d'une esquisse probante aux rêves inachevés de notre héros, celle du corps entrouvre incontestablement des plaies encore béantes. Elle se plaint des atrocités inhumaines de leurs artisans. Les Massu, les Bigeard, les Schmitt et les Aussaresses qui, jusqu'à aujourd'hui, et particulièrement ce dernier qui continue, au vue et au su de la mémoire, sans retenue aucune ni le moindre respect pour les morts, à vanter ses exploits de tortionnaire et à s'entêter de reconnaître ses exactitudes et celles de ses coreligionnaires, face à une France qui accueille sans brancher cette ignominie. La preuve de son arrogance est affichée ouvertement, sans se soucier des sensibilités des uns et des autres, ni s'inquiéter outre mesure des conséquences néfastes de cette attitude indigne. Il déballe dans ses propos indécents: «Je me suis résolu à la torture, avait-il écrit (2). J'ai moi-même procédé à des exécutions sommaires... Si c'était à refaire, je le referais».

Celles de Ben M'hidi et de son ami Boumendjel ne doivent pas rester impunies. Elles devront faire l'objet d'un procès, au même titre que celui de Papon, quels que soient les moyens et les conditions que cela pourrait nous coûter pour obtenir réparation et apaiser les coeurs. Les rêves de Larbi Ben M'hidi ne sont pas chimères, elles devraient nous ouvrir des voies de combats vers de nouvelles perspectives.




Ben M'hidi face à ses assassins




L'idée de visiter l'Algérie taraudait, paraît-il, depuis quelque temps l'esprit de Bigeard. Il semblerait qu'il souhaite venir déposer une gerbe de fleurs sur la tombe de Ben M'hidi. Ce souhait s'est vu rehaussé par la rencontre qu'il a eue avec la soeur du défunt à Paris. Est-ce le début d'une réelle réconciliation, prometteuse, reflet d'une démarche tendant à progresser jusqu'au sommet de l'édifice étatique français ? Ou est-ce tout simplement une ruse militaire, une esquive intelligemment concoctée, qui prend appui sur les fondements de la culture du pardon dont se caractérise notre religion, qui le pousse à tenter une approche d'éclaireur, pour se blanchir de toutes les affres de la mort qu'il a fait subir aux « indigènes »?

Même si la soeur de Ben M'hidi avait l'idée d'accepter ce compromis, la mémoire de Larbi, patrimoine populaire, devrait être interrogée. Que pense Ben M'hidi même sous sa tombe de ce deal en perspective ? Et s'il était encore vivant, accepterait-il une telle démarche qui risquerait fort bien de laver totalement l'affront et d'innocenter le tortionnaire de ses crimes ?

Un accord qui permettrait à son tour d'ouvrir la voie à un autre tortionnaire, Assurasses, de bénéficier du même traitement, sans être jugé ni condamné pour les crimes qu'il s'évertue à apologiser.

Les révélations écrites dans son ouvrage intitulé « Crier ma vérité », par l'entremise desquelles Bigeard se présente comme un modéré, un homme de coeur qui avait tenté de modifier les circonstances, demeurent la synthèse d'une ruse implacable aux fins trompeuses et mensongères. Il ne cherche qu'à se refaire une virginité d'une guerre dont il était l'un des exécutants, farouche et zélé. Ceci nous renseigne à plus d'un titre sur la grandeur de notre légendaire révolutionnaire, Larbi. C'est dans l'adversité et la douleur que cet homme s'apprêtait à subir les pires atrocités préparées minutieusement par ses tortionnaires, héritées de leurs aïeux, Lamoricière, Changarnier, Cavaignac, Bedeau et Bugeaud, qu'il s'est forgé une résistance morale digne d'un Bilal aux prémices de la naissance de l'Islam. Suite à son arrestation par les parachutistes vers la mi-février 1957, Bigeard tentera d'abord de le rallier à la cause française. Blasphème et peine perdue. Agacé par sa ténacité, il le lâche et fermera les yeux, le laissant à la merci du « Commandant O », Aussaresses, pour s'en occuper à sa manière. Dès le premier contact, Bigeard l'amadoue, croyant tirer de lui un soupçon de collaboration : «Je vous fais enlever vos menottes et vos liens aux chevilles, si vous me donnez votre parole d'honneur de ne pas chercher à vous enfuir». Et Ben M'hidi de répliquer sans attendre : «N'en faites rien, dit-il. Si vous me détachez, je sauterais par la fenêtre pour aller reprendre le combat». Accusé de soutenir un terrorisme urbain ?, Ben M'hidi rétorque : «C'est vous qui en êtes responsable». Au moment de son arrestation : «Il est temps que la minorité européenne reconnaisse notre droit à la liberté. Que la France quitte l'Algérie et tout cela s'arrêtera». Et les attentats en ville ? «Une bombe vaut mieux que cent discours (...). La lutte armée n'est pas une fin ; c'est simplement un moyen de parvenir à nos buts».

Devant cette obstination et ce courage de Ben M'hidi, écrit Bigeard, en rappelant son sentiment de l'époque, «c'est l'âme de la résistance» du peuple algérien. «Il ne vit que pour l'indépendance de son pays [...]. J'ai en face de moi un véritable fauve», un homme qui «a du charisme, une détermination à toute épreuve». «Il est illuminé par sa mission [...]. Sa logique implacable (ndlr : celle de l'Indépendance) le met à l'abri de la peur [...]. Quand on aborde le problème de la mort, il dit ne pas la craindre». Il est «impressionnant de calme, de sérénité et de conviction». «Droit, sincère, épris d'idéal jusqu'à être un illuminé [...], c'est un visionnaire, un homme de valeur, d'une grande dimension. Avec mes hommes, on se dit même que c'est un «seigneur». L'opinion de Bigeard, la BB des paras, comme aimaient si bien le qualifier ses compères, sur Ben M'hidi ne date pas d'aujourd'hui. Yves Courrière en parle dans son monumental travail sur la guerre d'Algérie (3) dès 1968. « Ben M'hidi avait vécu parmi les maquisards du djebel, puis au coeur du maquis urbain, la Casbah. Bigeard lui-même vivait la même vie monacale que Ben M'hidi, toujours parmi ses troupes. Il savait qu'un chef révolutionnaire « ne peut tirer son autorité que par les vertus qu'il incarne et qui sont justement celles que l'on désire voir triompher », comme il l'écrira plus tard. »

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Suite et fin
Où culmine notre attentisme face
à l'arrogance de l'Etat français ?




Est-il juridiquement lié à la sensibilité des relations politiques bilatérales ? Ou est-ce le respect mutuel des conventions et des règles régissant la coopération entre Etats qui nous impose une conduite pareille. Qui, d'ailleurs, n'exonère nullement la France d'avoir un traitement injuste envers nos ressortissants et nos citoyens : le cas Mecili, à titre indicatif, devenu une affaire, en témoigne.

« Aux Algériens, aux Marocains, aux Tunisiens, à tous les ressortissants de nos anciennes colonies qui, espérant dans la France, sont venus y vivre, je veux dire que la France leur tend la main, qu'elle les accueille fraternellement, qu'elle ne leur offre pas la repentance mais la compréhension et le respect», tel s'exprimait N. Sarkozy le 19 avril 2007 sur le sujet. C'est le respect aux morts que nous aussi cherchons à faire valoir.

Nous savons que la France a ratifié le 9 juin 2000 le traité instaurant la Cour pénale internationale, au même titre que l'Allemagne et bien d'autres pays, à l'exception des Etats-Unis, Israël, la Russie et la Chine, comme il est d'usage. Une reconnaissance qui ne l'exempt nullement de ses crimes.

Au contraire, cela signifie que la loi du 31 juillet 1969 portant amnistie de l'ensemble des crimes commis pendant la guerre d'Algérie est irrecevable.

Il est important de rappeler à ce titre que cette loi de 1968 n'avait fait que confirmer deux décrets datant du 22 mars 1962, dont l'un est relatif aux infractions commises au titre de l'»insurrection algérienne» et l'autre sur l'»amnistie de faits commis dans le cadre des opérations de maintien de l'ordre dirigés contre l'insurrection algérienne».

A souligner par ailleurs le fait que la France a reconnu que les «événements d'Algérie» n'étaient autres qu'une guerre. Ceci l'entraîne automatiquement vers la chute des boucliers juridiques qu'elle consolidait constamment pour s'abstenir de verser dans les excuses et repentance et s'occuper, comme l'avait si bien exprimé Sarkozy, des relations économiques qui bénéficieraient aux deux pays : «passant aux actes». Le hic est que les juristes avérés peuvent nous aider à découdre ce noeud. La loi de 68 prescrit les crimes sur une durée de dix ans à partir de leur exécution.

Ni le traité d'amitié avorté, ni l'élan trompeur de Sarkozy, ni la lutte finale des socialistes et encore moins l'humanisme de la droite n'arriveront à bout de ce contentieux. Seule la volonté de nos concitoyens permettra de regarder en face et faire le point. Avons-nous besoin des bienfaits d'une France qui nous tourne le dos ?

«Oui, des crimes terribles ont été commis tout au long d'une guerre d'indépendance qui a fait d'innombrables victimes des deux côtés. Et aujourd'hui, moi qui avais sept ans en 1962, c'est toutes les victimes que je veux honorer». «Notre histoire est faite d'ombre et de lumière, de sang et de passion. Le moment est venu de confier à des historiens algériens et français la tâche d'écrire ensemble cette page d'histoire tourmentée pour que les générations à venir puissent, de chaque côté de la Méditerranée, jeter le même regard sur notre passé, et bâtir sur cette base un avenir d'entente et de coopération ». Ainsi c'est exprimé Sarkozy dans son discours à Alger à l'occasion de sa visite d'Etat le 3 décembre 2007. Des propos qui maintiennent en l'état la situation au plan historique.

Il est important de ponctuer cette petite contribution en méditant pour qui se soucie de la mémoire de ce peuple, par une des plus significatives des révélations faite récemment par le tortionnaire Aussaresses, dans son nouvel ouvrage «Je n'ai pas tout dit» () commentée par Le Monde. A un âge avancé, 90 ans, point de remords et point de regrets. Fidèle à ses principes de militaire invétéré, exécutant allégrement les ordres de la hiérarchie, il porte à nu les mensonges de l'Etat et déclare dans cette livraison apologique : « L'ordre est venu de Paris », a-t-il répondu à Jean-Charles Deniau. Et à celui-ci de poursuivre : « De Paris, vous voulez dire du ministère de la Justice ? ». « Oui », répond le général Aussaresses. L'ordre est donc venu de Mitterrand.

Dans le détail, il raconte comment Ben M'hidi avait été exécuté par pendaison. «Vers minuit, Ben M'hidi est entré dans la pièce.

Il a repoussé le parachutiste qui voulait lui mettre un bandeau sur les yeux en disant qu'il était un soldat. Le para lui a répondu que c'était un ordre. La voix ferme, Ben M'hidi a répliqué : «Je sais ce qu'est un ordre. Je suis moi-même colonel de l'ALN». Ce sont ses dernières paroles. Je suis né le 4 mars, à la même date où les assassins de Larbi Ben M'hidi mettaient fin à sa vie.

C'est une date qui restera gravée dans ma mémoire, comme dans celle de milliers de jeunes de ma génération. C'est une douleur permanente dans nos coeurs jusqu'au jour où la réparation sera faite. Ben M'hidi est pour nous un symbole, une idole. Que Dieu l'accueille dans son vaste paradis auprès des meilleurs, nos martyrs.



* Président de la fondation du 8 Mai 1945

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