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date de publication : dimanche 6 août 2006
En septembre 2005, après plus de dix ans de guerre civile, le président Bouteflika décrète la réconciliation nationale. Approuvé par une large majorité, son projet ne fait cependant pas l’unanimité. L’Algérie fera-t-elle l’économie de son histoire ?
par Benjamin Stora [1]
[Article paru dans L’Histoire, N°311, juillet-août 2006, les Guerres civiles]
La guerre d’Algérie a pris fin en 1962. Deux référendums, l’un en France le 8 avril, l’autre en Algérie le 1er juillet, ont approuvé massivement l’indépendance. Restait à gérer la mémoire de ce conflit qui avait opposé aussi des Français à d’autres Français, des Algériens à d’autres Algériens.
En Algérie, la guerre d’indépendance avait opposé adversaires et partisans de la présence française. Elle avait été le moment d’un déchirement entre différents groupes d’Algériens musulmans, entre ceux qui combattaient aux côtés de l’armée française (comme les harkis, qui étaient un peu plus de 100 000) et ceux qui étaient prêts à tout pour mettre fin au système colonial, comme les membres du Front de libération nationale (FLN). Dans les rangs des indépendantistes eux-mêmes, la guerre intérieure avait été également terrible entre les militants restés fidèles à Messali Hadj, fondateur en 1954 du Mouvement national algérien, et les partisans de son concurrent, le FLN. Les « règlements de comptes », en 1955-1956, entre messalistes et frontistes avaient fait des milliers de morts algériens.
Il faut ajouter à ces guerres intestines les luttes pour le pouvoir à l’intérieur du FLN, en particulier entre les militants des maquis de l’« intérieur » et les membres de l’Armée de libération nationale (l’ALN), branche militaire du FLN, située aux « frontières » - qui l’emporteront finalement. Comment les autorités du nouvel État algérien indépendant sont-elles sorties de cette « guerre civile intérieure » ?
En fait, il n’a jamais été question, de la part du FLN victorieux, d’amnistie [2] ni de réconciliation nationale avec les anciens adversaires messalistes. Et encore moins avec ceux qui avaient combattu aux côtés de la France : les harkis. Le récit héroïque d’une guerre d’indépendance dans laquelle tous les Algériens auraient été unanimement dressés contre l’occupant français a servi à légitimer le nouvel État, à fabriquer du consensus national.
Tout le reste a été occulté. Les discussions autour de Messali Hadj, pourtant pionnier de l’idée de l’indépendance, de Ferhat Abbas, le républicain musulman jugé trop modéré à l’égard de la France, ou de Mohamed Boudiaf, écarté du pouvoir dès 1962 parce qu’il était opposé à l’idée de parti unique ; les débats sur les circonstances de l’assassinat des dirigeants - comme Abane Ramdane, le leader d’origine kabyle tué par ses pairs en décembre 1957 : tout cela était occulté car susceptible de menacer l’unité nationale. Dans l’Algérie indépendante, l’amnésie [2] s’est donc organisée sans amnistie. Trente ans plus tard, cette culture politique qui ignorait le pardon pour l’adversaire a eu de redoutables effets dans la société. Dans les années 1990, les islamistes, en particulier, ont su valoriser et porter jusqu’à son paroxysme cette conception idéologique.
En décembre 1991, l’État interrompait le processus électoral qui tournait à l’avantage des islamistes. Dès lors, la guerre a été sans merci entre l’État algérien et les Groupes islamiques armés (GIA). Elle a fait près de 150000 morts entre 1991 et 2001, selon des sources officielles, et a été ponctuée de grands massacres, enlèvements, affrontements armés dont on peut rappeler quelques-uns des faits marquants.
La rupture avait été précédée, en 1989-1990, par une série d’incidents provoqués par des militants islamistes. Mais c’est en 1991 que la violence a commencé à prendre forme. Dès le mois de mai, le Front islamique du salut (FIS) d’Abassi Madani et d’Ali Benhadj appelle à une grève générale pour protester contre la loi électorale qui devait régir les élections législatives du mois de juin. Opposés au vote comme moyen d’expression politique, les islamistes demandent l’application de la charia. Ils changeront cependant d’avis en juillet 1991 après un congrès tenu à Batna, qui se prononce pour la participation aux élections.
Dans le même temps, des groupes clandestins sont créés. Sceptiques quant à la possibilité de prendre le pouvoir par les urnes, ils préparent l’action armée tandis que les affrontements entre manifestants du FIS et police font officiellement 13 morts et 60 blessés. Le 26 décembre 1991, les résultats des élections tombent : le FIS remporte 188 sièges, le FFS (Front des forces socialistes) 25 et le FLN,l’ancien parti unique, 16. Le taux d’abstention atteint 41 % des inscrits, soit 5 435 929 votants ; 199 sièges sont en ballottage, dont 143 favorables au FIS. Le parti islamiste est vainqueur, à la grande surprise de nombre d’observateurs nationaux et internationaux. Avec ce score, il peut même prétendre à réformer la Constitution.
Le deuxième tour n’aura pas lieu. Le 11 janvier 1992, l’armée « démissionne » le président Chadli, qui était prêt à cohabiter avec le FIS. Un « haut comité d’État » se forme.Il fait appel à Mohamed Boudiaf, l’un des chefs historiques du FLN, exilé depuis vingt-huit ans au Maroc. Intègre et moderniste, Boudiaf obtient l’interdiction du FIS ; il entend ensuite s’attaquer au FLN. Boudiaf veut modeler une « société solidaire et juste » en réformant sérieusement le système. Il est assassiné le 29 juin 1992, à Annaba.
date de publication : dimanche 6 août 2006
En septembre 2005, après plus de dix ans de guerre civile, le président Bouteflika décrète la réconciliation nationale. Approuvé par une large majorité, son projet ne fait cependant pas l’unanimité. L’Algérie fera-t-elle l’économie de son histoire ?
par Benjamin Stora [1]
[Article paru dans L’Histoire, N°311, juillet-août 2006, les Guerres civiles]
La guerre d’Algérie a pris fin en 1962. Deux référendums, l’un en France le 8 avril, l’autre en Algérie le 1er juillet, ont approuvé massivement l’indépendance. Restait à gérer la mémoire de ce conflit qui avait opposé aussi des Français à d’autres Français, des Algériens à d’autres Algériens.
En Algérie, la guerre d’indépendance avait opposé adversaires et partisans de la présence française. Elle avait été le moment d’un déchirement entre différents groupes d’Algériens musulmans, entre ceux qui combattaient aux côtés de l’armée française (comme les harkis, qui étaient un peu plus de 100 000) et ceux qui étaient prêts à tout pour mettre fin au système colonial, comme les membres du Front de libération nationale (FLN). Dans les rangs des indépendantistes eux-mêmes, la guerre intérieure avait été également terrible entre les militants restés fidèles à Messali Hadj, fondateur en 1954 du Mouvement national algérien, et les partisans de son concurrent, le FLN. Les « règlements de comptes », en 1955-1956, entre messalistes et frontistes avaient fait des milliers de morts algériens.
Il faut ajouter à ces guerres intestines les luttes pour le pouvoir à l’intérieur du FLN, en particulier entre les militants des maquis de l’« intérieur » et les membres de l’Armée de libération nationale (l’ALN), branche militaire du FLN, située aux « frontières » - qui l’emporteront finalement. Comment les autorités du nouvel État algérien indépendant sont-elles sorties de cette « guerre civile intérieure » ?
En fait, il n’a jamais été question, de la part du FLN victorieux, d’amnistie [2] ni de réconciliation nationale avec les anciens adversaires messalistes. Et encore moins avec ceux qui avaient combattu aux côtés de la France : les harkis. Le récit héroïque d’une guerre d’indépendance dans laquelle tous les Algériens auraient été unanimement dressés contre l’occupant français a servi à légitimer le nouvel État, à fabriquer du consensus national.
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image] Messali Hadj - Pionnier de l’idée d’indépendance, il fonde en 1954 le mouvement national algérien. Les messalistes ont été éliminés par le FLN.
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image] Abane Ramdane - D’origine kabyle, ce leader charismatique du FLN, opposé à la mainmise des militaires sur le politique, fut tué par ses pairs en décembre 1957.
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image] Ferhat Abbas - Premier président du gouvernement provisoire établi au Caire (1958-1961). Jugé trop modéré envers la France, on l’exclut du pouvoir en 1963.
Tout le reste a été occulté. Les discussions autour de Messali Hadj, pourtant pionnier de l’idée de l’indépendance, de Ferhat Abbas, le républicain musulman jugé trop modéré à l’égard de la France, ou de Mohamed Boudiaf, écarté du pouvoir dès 1962 parce qu’il était opposé à l’idée de parti unique ; les débats sur les circonstances de l’assassinat des dirigeants - comme Abane Ramdane, le leader d’origine kabyle tué par ses pairs en décembre 1957 : tout cela était occulté car susceptible de menacer l’unité nationale. Dans l’Algérie indépendante, l’amnésie [2] s’est donc organisée sans amnistie. Trente ans plus tard, cette culture politique qui ignorait le pardon pour l’adversaire a eu de redoutables effets dans la société. Dans les années 1990, les islamistes, en particulier, ont su valoriser et porter jusqu’à son paroxysme cette conception idéologique.
En décembre 1991, l’État interrompait le processus électoral qui tournait à l’avantage des islamistes. Dès lors, la guerre a été sans merci entre l’État algérien et les Groupes islamiques armés (GIA). Elle a fait près de 150000 morts entre 1991 et 2001, selon des sources officielles, et a été ponctuée de grands massacres, enlèvements, affrontements armés dont on peut rappeler quelques-uns des faits marquants.
La rupture avait été précédée, en 1989-1990, par une série d’incidents provoqués par des militants islamistes. Mais c’est en 1991 que la violence a commencé à prendre forme. Dès le mois de mai, le Front islamique du salut (FIS) d’Abassi Madani et d’Ali Benhadj appelle à une grève générale pour protester contre la loi électorale qui devait régir les élections législatives du mois de juin. Opposés au vote comme moyen d’expression politique, les islamistes demandent l’application de la charia. Ils changeront cependant d’avis en juillet 1991 après un congrès tenu à Batna, qui se prononce pour la participation aux élections.
Dans le même temps, des groupes clandestins sont créés. Sceptiques quant à la possibilité de prendre le pouvoir par les urnes, ils préparent l’action armée tandis que les affrontements entre manifestants du FIS et police font officiellement 13 morts et 60 blessés. Le 26 décembre 1991, les résultats des élections tombent : le FIS remporte 188 sièges, le FFS (Front des forces socialistes) 25 et le FLN,l’ancien parti unique, 16. Le taux d’abstention atteint 41 % des inscrits, soit 5 435 929 votants ; 199 sièges sont en ballottage, dont 143 favorables au FIS. Le parti islamiste est vainqueur, à la grande surprise de nombre d’observateurs nationaux et internationaux. Avec ce score, il peut même prétendre à réformer la Constitution.
Le deuxième tour n’aura pas lieu. Le 11 janvier 1992, l’armée « démissionne » le président Chadli, qui était prêt à cohabiter avec le FIS. Un « haut comité d’État » se forme.Il fait appel à Mohamed Boudiaf, l’un des chefs historiques du FLN, exilé depuis vingt-huit ans au Maroc. Intègre et moderniste, Boudiaf obtient l’interdiction du FIS ; il entend ensuite s’attaquer au FLN. Boudiaf veut modeler une « société solidaire et juste » en réformant sérieusement le système. Il est assassiné le 29 juin 1992, à Annaba.
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image] Mohamed Boudiaf - Contre le parti unique, écarté du pouvoir en 1962, il est appelé à la tête de l’État en janvier 1992, après 28 ans d’exil. Et assassiné en juin.
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image] Lamine Zeroual - Président à partir de janvier 1994, il combat sans merci les islamistes. Opposé à toute négociation avec eux, il démissionne en septembre 1998.
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image] Abdelaziz Bouteflika - Élu président de la République algérienne le 16 avril 1999, il prône l’amnistie des islamistes et incarne la « concorde civile » et la réconciliation.