LES ALGERIENS DU MAROC
b]Les gens qui l’ont vraiment connu ne sont plus de ce monde, mais toute la ville d’Oujda sait que votre raïs a fait ses études dans cette école. » Depuis le temps qu’il traîne ses guêtres dans la vieille médina d’Oujda, Laabidat connaît son quartier comme ses deux poches.
Oujda (Maroc). De notre envoyé spécial
Gardien de parking, il a l’oreille aux aguets et l’œil sur tout. Bien sûr, Laabidat est trop jeune pour prétendre tout connaître du passé de sa ville, mais il n’est pas moins informé de l’histoire des lieux. « Bouteflika est né ici, dit-il. Il a fait ses études dans cette école. Sa mère tenait un hammam non loin d’ici. La zaouïa qu’il fréquentait est située quelques mètres plus loin et la maison dans laquelle il a vécu est derrière ce pâté de maisons. Vous êtes à la recherche des traces de la famille Bouteflika ? Faites un tour dans la médina. Vous y trouverez quelques vestiges. » Je suis à Oujda, une ville située à deux battements d’ailes de mouche de la frontière algéro-marocaine, à la recherche des origines d’Abdelaziz Bouteflika. Bien que les biographes du président algérien aient bien voulu raccommoder l’histoire pour le faire naître quelques kilomètres plus loin, plus exactement à Tlemcen, dans le territoire algérien, les Marocains le tiennent pour une vérité absolue : Bouteflika est bel et bien un enfant d’Oujda. C’est ici qu’il a vu le jour, un certain 2 mars 1937, fruit d’une seconde noce contractée par son père Ahmed Bouteflika avec Mansouriah Ghezlaoui. Petit, l’aîné de la famille Bouteflika était inscrit à l’école Sidi Ziane. C’était au début des années 1940. Une fois sa scolarité achevée, il a poursuivi son apprentissage à l’école des scouts de Hassania, avant de parachever ses études au lycée Abdelmounen d’Oujda. Plus tard, il rejoindra les rangs de l’ALN, ici même à Oujda, avant de devenir ministre au lendemain de l’indépendance du pays en juillet 1962. Depuis, Abdelaziz Bouteflika n’a jamais remis les pieds dans sa ville natale. Si demain il devait y revenir, pourrait-il s’y reconnaître ? Première escale de ma visite, l’école Sidi Ziane, là où le jeune Abdelaziz a usé le fond de ses culottes. Sidi Ziane n’est plus la même, me dit-on. Depuis le temps que Bouteflika a déserté ses bancs, l’école a fait les frais de quelques transformations. Certes, le bâtiment central, avec ses deux dômes hérissés de deux croissants lunaires, est toujours là, mais l’établissement n’a plus grand-chose à voir avec cette école que les Français ont construite au lendemain de sa conquête par le général Lyautey en 1907. La petite forêt de grands arbres de l’époque a fait place nette à un jardin poussiéreux. En lieu et place, ce sont plutôt une trentaine d’eucalyptus et autres pins, aussi faméliques les uns que les autres, qui se dressent au milieu de la grande cour de l’école. A défaut d’une belle pelouse verte, comme on en voit beaucoup au Maroc, ce sont plutôt des touffes d’herbes folles qui envahissent le grand préau où le jeune Bouteflika et tant d’autres camarades de classe avaient coutume de gambader. Jadis ouverte au vent, sans barrière ni clôture, l’école est aujourd’hui entourée par un petit mur d’enceinte de couleur ocre. Au-dessus du portail en fer forgé, du reste passablement rongé par la rouille, on peut lire cette inscription gravée sur une plaque en marbre blanc « Ecole Sidi Ziane. Fondée en 1907 ». Une femme d’un certain âge, vraisemblablement la gardienne des lieux, sort sa tête dans l’entrebâillement d’une porte pour m’interpeller : « L’établissement est fermé durant les vacances d’été. Je ne connais pas Bouteflika, mais si vous revenez en septembre, le directeur pourrait satisfaire votre curiosité. » Deuxième escale, le hammam Jerda. Il me suffit de traverser à pied le trottoir qui longe l’école Sidi Ziane pour arriver en face de cet établissement qui fait encore aujourd’hui les délices des hommes et des femmes d’Oujda. Est-ce donc bien ce fameux hammam dont la gérante serait la mère de Bouteflika ? Mes interlocuteurs sont partagés. Farid, licencié en droit et gérant du hammam depuis une vingtaine d’années, est affirmatif. « Je n’ai jamais pu vérifier cette information. Depuis sa construction en 1907, ce hammam a toujours appartenu aux habbous. Dans les registres, il n’existe aucune trace de la mère de Bouteflika. Pas la moindre photo d’elle et nulles traces écrites de son passage ici. Il faut peut-être interroger les anciens », me dit-il. Tozi, le kiyass (le masseur) du hammam, la cinquantaine bien entamée, est lui plutôt catégorique : « Bien sûr que nous avions entendu parler de la mère de Bouteflika comme gérante, mais allez savoir qui vous dira la vérité. Les gens encore vivants qui ont connu cette époque ne résident plus dans le coin. Dans le quartier, on sait, en revanche, avec certitude que la famille Bouteflika était très liée avec les Boussif qui, eux, détenaient un hammam non loin d’ici. » Décidément, à Oujda comme à Alger, cet épisode de la vie de Bouteflika restera une énigme. Je poursuis mon voyage dans la médina. Je m’éloigne de hammam Jerda de quelques mètres avant d’arriver devant la porte de la zaouïa des Kadirinye. C’est ici, me confie-t-on, que le jeune Abdelaziz a été initié, dès son plus jeune âge, aux préceptes de la religion musulmane. Bien que ses anciens camarades de la zaouïa ne soient plus là pour témoigner de son passage, les gens du quartier sont formels : « Bouteflika fréquentait cette école durant sa jeunesse. » Les visites assidues du président aux zaouïas trouveraient-elles donc leurs explications à Oujda ? A voir.« Vous cherchez la maison de la sœur de Bouteflika ? Je vous y amène. » L’homme qui me sert de guide se dit oujdi de pure souche. Aussi sec qu’un roseau, la quarantaine bien révolue, Mehdi affirme connaître la casbah dans ses moindres coins. Quoique affable, Mehdi est suspicieux à mon égard. Il m’interroge sur les motifs de ma présence dans ces lieux. « Pourquoi un journaliste algérien s’intéresse-t-il à la ville natale de Bouteflika ? Aviez-vous obtenu une autorisation des autorités marocaines pour faire cette enquête ? Le consulat d’Algérie au Maroc est-il au courant de votre démarche ? » L’explication s’avère un tantinet ardue, mais quelques propos amènes et un billet de 10 dirhams discrètement glissé dans la main ont fini par venir à bout des réticences de Mehdi. Après avoir serpenté quelques venelles dans la vieille casbah, il m’emmène devant une maison située au bout d’une ruelle, à peine assez large pour laisser passer une brouette : la maison de l’une des sœurs de Bouteflika. L’endroit ressemble, à bien des égards, à Dar Sbitar, la fameuse Grande maison de Mohammed Dib. A l’entrée, on y trouve un patio qui donne sur quatre petites chambres. A gauche, au rez-de-chaussée, un escalier étroit vous fait accéder à une grande chambre qui, de son côté, donne libre accès à une large terrasse. Ce n’est pas un riyad, mais ça y ressemble. L’endroit est vétuste et quelque peu délabré. C’est que les lieux, d’après les voisins, sont passés entre les mains de plusieurs locataires. Aux dernières nouvelles, la maison aurait été rachetée par un industriel d’Oujda pour la transformer en petit atelier de confection. Rien, absolument rien n’indique que cette maison abritait autrefois la présence de la sœur de Bouteflika. Comme si le temps avait tout effacé de son passage. Trois Marocains, à peine sortis de l’adolescence, y vivent et y travaillent. Imad, le plus jeune d’entre eux, écarquille les yeux lorsque je lui pose la question. « Bouteflika ? Ah oui, le président de l’Algérie ! Wakha sidi ! Bien sûr qu’on a entendu parler de lui. Je ne sais pas s’il a vécu ici, mais les voisins racontent qu’il venait souvent dans cette maison. Pour de plus amples renseignements, Il vaudrait mieux demander au patron », répond-il en roulant un joint de haschich. « Le patron ? Il ne vient que très rarement », me dit-on. Où donc habitait Abdelaziz Bouteflika à l’époque où il vivait encore à Oujda avec sa mère, son père, ses frères et ses sœurs ? « Vous voulez visiter sa maison d’enfance ? me demande encore Mehdi. Elle est située non loin de la mosquée des N’darma (les gens originaires de la ville de Nedroma, ndlr). » Pour y arriver, il faut encore traverser quelques venelles, éviter une dizaine de taxis, autant de voitures et quelques vieilles charrettes. A l’angle de la rue Nedroma, plus exactement au n°6, je tombe sur une grande bâtisse peinte en beige. La maison ne revêt aucun aspect particulier. Elle est tellement banale qu’elle ressemble à ces maisons qu’on trouve un peu partout dans toutes les vieilles villes d’Algérie. L’unique porte d’entrée, peinte en marron, est doublement cadenassée et l’endroit ne comporte aucune indication. Est-ce bien la maison d’enfance de Bouteflika ? Samir, le voisin qui habite en face, est formel : « C’est ici que Bouteflika est né et a grandi, mais aujourd’hui la maison est abandonnée. Une année après l’élection de votre Président, ses locataires ont dû quitter les lieux. Pourquoi ? On ne l’a jamais su. De temps à autre, un gardien venait pour en prendre soin, mais depuis quelques années, il semble que personne n’a été chargé d’entretenir les lieux. » Trop jeune pour avoir connu ou même vu l’illustre propriétaire, Samir affirme connaître la maison dans ses moindres détails. « Enfant, j’y allais jouer très souvent. C’était une belle et spacieuse maison. On peut facilement dire qu’elle était répartie sur, au moins, 350 m2. Il y avait un patio, un petit jardin et un figuier au milieu de la cour. Les chambres étaient grandes », se rappelle-t-il. Au milieu de la description, le père de Samir arrive. L’homme affirme bien connaître les lieux autant que ses anciens occupants, mais il refuse d’en dire davantage. « Vous avez une autorisation pour faire votre enquête, demande-t-il d’une façon péremptoire. Tant que vous n’avez pas de papier dûment signé par les autorités, je ne peux rien vous dire de plus. » Même au Maroc, enquêter sur le passé du président algérien relèverait-il du secret d’Etat ?« Ne vous donnez pas plus de peine à chercher les anciens amis de Bouteflika. Ils ne vivent plus ici. Certains sont morts, d’autres ont élu domicile dans d’autres quartiers d’Oujda, tandis que le reste est parti vivre dans d’autres villes du Maroc. Hormis quelques rares vestiges, il ne reste plus de traces du passage des Bouteflika à Oujda. » L’homme qui me fait part de cette confidence s’appelle Mohamed Labiyed. A 82 ans, il manie encore avec une infinie dextérité la brosse et les ciseaux dans le vieux salon de coiffure qu’il avait ouvert à la fin des années 1930. Dans ce salon où les diplômes d’honneur sont accrochés au mur comme des reliques d’une époque révolue, Mohamed déroule ce qui lui reste comme souvenirs de Bouteflika. « Il était un garçon poli, bien éduqué et respectueux, raconte-t-il. Intelligent, il était l’un des meilleurs élèves au lycée. Bien que nous habitions le même quartier et bien que nos familles respectives se connaissaient parfaitement, nous n’avions pas pour habitude de traîner ensemble. Il faut dire que j’étais plus âgé que lui. Je me souviens d’un jeune homme élégant, toujours bien habillé , propre et charmeur. Tous ses amis marocains étaient engagés au sein du parti Istiqlal. » La pudeur et la retenue obligent le vieux Mohamed à ne pas s’épancher davantage. « Sachez que nous sommes fiers de ce qu’il a réalisé. Certes, il est aujourd’hui président de la République algérienne, mais il restera à jamais un enfant d’Oujda. »
Samy Ousi-Ali : [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]
Sallam à toi yaz et à tout le monde
_________________[/b]
b]Les gens qui l’ont vraiment connu ne sont plus de ce monde, mais toute la ville d’Oujda sait que votre raïs a fait ses études dans cette école. » Depuis le temps qu’il traîne ses guêtres dans la vieille médina d’Oujda, Laabidat connaît son quartier comme ses deux poches.
Oujda (Maroc). De notre envoyé spécial
Gardien de parking, il a l’oreille aux aguets et l’œil sur tout. Bien sûr, Laabidat est trop jeune pour prétendre tout connaître du passé de sa ville, mais il n’est pas moins informé de l’histoire des lieux. « Bouteflika est né ici, dit-il. Il a fait ses études dans cette école. Sa mère tenait un hammam non loin d’ici. La zaouïa qu’il fréquentait est située quelques mètres plus loin et la maison dans laquelle il a vécu est derrière ce pâté de maisons. Vous êtes à la recherche des traces de la famille Bouteflika ? Faites un tour dans la médina. Vous y trouverez quelques vestiges. » Je suis à Oujda, une ville située à deux battements d’ailes de mouche de la frontière algéro-marocaine, à la recherche des origines d’Abdelaziz Bouteflika. Bien que les biographes du président algérien aient bien voulu raccommoder l’histoire pour le faire naître quelques kilomètres plus loin, plus exactement à Tlemcen, dans le territoire algérien, les Marocains le tiennent pour une vérité absolue : Bouteflika est bel et bien un enfant d’Oujda. C’est ici qu’il a vu le jour, un certain 2 mars 1937, fruit d’une seconde noce contractée par son père Ahmed Bouteflika avec Mansouriah Ghezlaoui. Petit, l’aîné de la famille Bouteflika était inscrit à l’école Sidi Ziane. C’était au début des années 1940. Une fois sa scolarité achevée, il a poursuivi son apprentissage à l’école des scouts de Hassania, avant de parachever ses études au lycée Abdelmounen d’Oujda. Plus tard, il rejoindra les rangs de l’ALN, ici même à Oujda, avant de devenir ministre au lendemain de l’indépendance du pays en juillet 1962. Depuis, Abdelaziz Bouteflika n’a jamais remis les pieds dans sa ville natale. Si demain il devait y revenir, pourrait-il s’y reconnaître ? Première escale de ma visite, l’école Sidi Ziane, là où le jeune Abdelaziz a usé le fond de ses culottes. Sidi Ziane n’est plus la même, me dit-on. Depuis le temps que Bouteflika a déserté ses bancs, l’école a fait les frais de quelques transformations. Certes, le bâtiment central, avec ses deux dômes hérissés de deux croissants lunaires, est toujours là, mais l’établissement n’a plus grand-chose à voir avec cette école que les Français ont construite au lendemain de sa conquête par le général Lyautey en 1907. La petite forêt de grands arbres de l’époque a fait place nette à un jardin poussiéreux. En lieu et place, ce sont plutôt une trentaine d’eucalyptus et autres pins, aussi faméliques les uns que les autres, qui se dressent au milieu de la grande cour de l’école. A défaut d’une belle pelouse verte, comme on en voit beaucoup au Maroc, ce sont plutôt des touffes d’herbes folles qui envahissent le grand préau où le jeune Bouteflika et tant d’autres camarades de classe avaient coutume de gambader. Jadis ouverte au vent, sans barrière ni clôture, l’école est aujourd’hui entourée par un petit mur d’enceinte de couleur ocre. Au-dessus du portail en fer forgé, du reste passablement rongé par la rouille, on peut lire cette inscription gravée sur une plaque en marbre blanc « Ecole Sidi Ziane. Fondée en 1907 ». Une femme d’un certain âge, vraisemblablement la gardienne des lieux, sort sa tête dans l’entrebâillement d’une porte pour m’interpeller : « L’établissement est fermé durant les vacances d’été. Je ne connais pas Bouteflika, mais si vous revenez en septembre, le directeur pourrait satisfaire votre curiosité. » Deuxième escale, le hammam Jerda. Il me suffit de traverser à pied le trottoir qui longe l’école Sidi Ziane pour arriver en face de cet établissement qui fait encore aujourd’hui les délices des hommes et des femmes d’Oujda. Est-ce donc bien ce fameux hammam dont la gérante serait la mère de Bouteflika ? Mes interlocuteurs sont partagés. Farid, licencié en droit et gérant du hammam depuis une vingtaine d’années, est affirmatif. « Je n’ai jamais pu vérifier cette information. Depuis sa construction en 1907, ce hammam a toujours appartenu aux habbous. Dans les registres, il n’existe aucune trace de la mère de Bouteflika. Pas la moindre photo d’elle et nulles traces écrites de son passage ici. Il faut peut-être interroger les anciens », me dit-il. Tozi, le kiyass (le masseur) du hammam, la cinquantaine bien entamée, est lui plutôt catégorique : « Bien sûr que nous avions entendu parler de la mère de Bouteflika comme gérante, mais allez savoir qui vous dira la vérité. Les gens encore vivants qui ont connu cette époque ne résident plus dans le coin. Dans le quartier, on sait, en revanche, avec certitude que la famille Bouteflika était très liée avec les Boussif qui, eux, détenaient un hammam non loin d’ici. » Décidément, à Oujda comme à Alger, cet épisode de la vie de Bouteflika restera une énigme. Je poursuis mon voyage dans la médina. Je m’éloigne de hammam Jerda de quelques mètres avant d’arriver devant la porte de la zaouïa des Kadirinye. C’est ici, me confie-t-on, que le jeune Abdelaziz a été initié, dès son plus jeune âge, aux préceptes de la religion musulmane. Bien que ses anciens camarades de la zaouïa ne soient plus là pour témoigner de son passage, les gens du quartier sont formels : « Bouteflika fréquentait cette école durant sa jeunesse. » Les visites assidues du président aux zaouïas trouveraient-elles donc leurs explications à Oujda ? A voir.« Vous cherchez la maison de la sœur de Bouteflika ? Je vous y amène. » L’homme qui me sert de guide se dit oujdi de pure souche. Aussi sec qu’un roseau, la quarantaine bien révolue, Mehdi affirme connaître la casbah dans ses moindres coins. Quoique affable, Mehdi est suspicieux à mon égard. Il m’interroge sur les motifs de ma présence dans ces lieux. « Pourquoi un journaliste algérien s’intéresse-t-il à la ville natale de Bouteflika ? Aviez-vous obtenu une autorisation des autorités marocaines pour faire cette enquête ? Le consulat d’Algérie au Maroc est-il au courant de votre démarche ? » L’explication s’avère un tantinet ardue, mais quelques propos amènes et un billet de 10 dirhams discrètement glissé dans la main ont fini par venir à bout des réticences de Mehdi. Après avoir serpenté quelques venelles dans la vieille casbah, il m’emmène devant une maison située au bout d’une ruelle, à peine assez large pour laisser passer une brouette : la maison de l’une des sœurs de Bouteflika. L’endroit ressemble, à bien des égards, à Dar Sbitar, la fameuse Grande maison de Mohammed Dib. A l’entrée, on y trouve un patio qui donne sur quatre petites chambres. A gauche, au rez-de-chaussée, un escalier étroit vous fait accéder à une grande chambre qui, de son côté, donne libre accès à une large terrasse. Ce n’est pas un riyad, mais ça y ressemble. L’endroit est vétuste et quelque peu délabré. C’est que les lieux, d’après les voisins, sont passés entre les mains de plusieurs locataires. Aux dernières nouvelles, la maison aurait été rachetée par un industriel d’Oujda pour la transformer en petit atelier de confection. Rien, absolument rien n’indique que cette maison abritait autrefois la présence de la sœur de Bouteflika. Comme si le temps avait tout effacé de son passage. Trois Marocains, à peine sortis de l’adolescence, y vivent et y travaillent. Imad, le plus jeune d’entre eux, écarquille les yeux lorsque je lui pose la question. « Bouteflika ? Ah oui, le président de l’Algérie ! Wakha sidi ! Bien sûr qu’on a entendu parler de lui. Je ne sais pas s’il a vécu ici, mais les voisins racontent qu’il venait souvent dans cette maison. Pour de plus amples renseignements, Il vaudrait mieux demander au patron », répond-il en roulant un joint de haschich. « Le patron ? Il ne vient que très rarement », me dit-on. Où donc habitait Abdelaziz Bouteflika à l’époque où il vivait encore à Oujda avec sa mère, son père, ses frères et ses sœurs ? « Vous voulez visiter sa maison d’enfance ? me demande encore Mehdi. Elle est située non loin de la mosquée des N’darma (les gens originaires de la ville de Nedroma, ndlr). » Pour y arriver, il faut encore traverser quelques venelles, éviter une dizaine de taxis, autant de voitures et quelques vieilles charrettes. A l’angle de la rue Nedroma, plus exactement au n°6, je tombe sur une grande bâtisse peinte en beige. La maison ne revêt aucun aspect particulier. Elle est tellement banale qu’elle ressemble à ces maisons qu’on trouve un peu partout dans toutes les vieilles villes d’Algérie. L’unique porte d’entrée, peinte en marron, est doublement cadenassée et l’endroit ne comporte aucune indication. Est-ce bien la maison d’enfance de Bouteflika ? Samir, le voisin qui habite en face, est formel : « C’est ici que Bouteflika est né et a grandi, mais aujourd’hui la maison est abandonnée. Une année après l’élection de votre Président, ses locataires ont dû quitter les lieux. Pourquoi ? On ne l’a jamais su. De temps à autre, un gardien venait pour en prendre soin, mais depuis quelques années, il semble que personne n’a été chargé d’entretenir les lieux. » Trop jeune pour avoir connu ou même vu l’illustre propriétaire, Samir affirme connaître la maison dans ses moindres détails. « Enfant, j’y allais jouer très souvent. C’était une belle et spacieuse maison. On peut facilement dire qu’elle était répartie sur, au moins, 350 m2. Il y avait un patio, un petit jardin et un figuier au milieu de la cour. Les chambres étaient grandes », se rappelle-t-il. Au milieu de la description, le père de Samir arrive. L’homme affirme bien connaître les lieux autant que ses anciens occupants, mais il refuse d’en dire davantage. « Vous avez une autorisation pour faire votre enquête, demande-t-il d’une façon péremptoire. Tant que vous n’avez pas de papier dûment signé par les autorités, je ne peux rien vous dire de plus. » Même au Maroc, enquêter sur le passé du président algérien relèverait-il du secret d’Etat ?« Ne vous donnez pas plus de peine à chercher les anciens amis de Bouteflika. Ils ne vivent plus ici. Certains sont morts, d’autres ont élu domicile dans d’autres quartiers d’Oujda, tandis que le reste est parti vivre dans d’autres villes du Maroc. Hormis quelques rares vestiges, il ne reste plus de traces du passage des Bouteflika à Oujda. » L’homme qui me fait part de cette confidence s’appelle Mohamed Labiyed. A 82 ans, il manie encore avec une infinie dextérité la brosse et les ciseaux dans le vieux salon de coiffure qu’il avait ouvert à la fin des années 1930. Dans ce salon où les diplômes d’honneur sont accrochés au mur comme des reliques d’une époque révolue, Mohamed déroule ce qui lui reste comme souvenirs de Bouteflika. « Il était un garçon poli, bien éduqué et respectueux, raconte-t-il. Intelligent, il était l’un des meilleurs élèves au lycée. Bien que nous habitions le même quartier et bien que nos familles respectives se connaissaient parfaitement, nous n’avions pas pour habitude de traîner ensemble. Il faut dire que j’étais plus âgé que lui. Je me souviens d’un jeune homme élégant, toujours bien habillé , propre et charmeur. Tous ses amis marocains étaient engagés au sein du parti Istiqlal. » La pudeur et la retenue obligent le vieux Mohamed à ne pas s’épancher davantage. « Sachez que nous sommes fiers de ce qu’il a réalisé. Certes, il est aujourd’hui président de la République algérienne, mais il restera à jamais un enfant d’Oujda. »
Samy Ousi-Ali : [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]
Sallam à toi yaz et à tout le monde
_________________[/b]
Dernière édition par le Sam 8 Sep - 19:32, édité 1 fois