Les classes moyennes se précarisent
Malgré les nombreuses difficultés qu’a connues l’Algérie, les classes moyennes ont toujours représenté le maillon le plus solide de la société. De tout temps, ces couches ont représenté un indicateur majeur de développement.
« Avant, on disait que l’Algérie se différenciait du Maroc par sa couche intermédiaire. Aujourd’hui, c’est quelque chose qu’on perd progressivement », regrette Zinedine, 32 ans, médecin. Si de l’extérieur, l’image de sa vie de jeune médecin talentueux, nouveau marié et futur papa, paraît irréprochable, la réalité, dit-il, est plus complexe. « Avec un salaire d’à peine 24 000 DA, il est quasiment impossible de vivre. Ma femme, assistante administrative, touche près de 18 000 DA. » Anos deux salaires suffisent à peine à payer le loyer qui a atteint des sommes astronomiques », explique-t-il. Et d’enchaîner : « Les récentes augmentations de salaires nous ont permis de respirer. Mais ça reste insuffisant. On vit au jour le jour. Nos salaires ne suffisent pas à faire des économies. Avec ce qu’on a, on n’ose même pas espérer s’offrir, un jour, un petit appartement. » Le couple donne l’impression de vivre au-dessus de ses moyens.
Réussite de façade
La location (20 000 DA/mois) grignote, à elle seule, 48% de leur budget mensuel. Le crédit automobile prend lui aussi une part non négligeable de leur revenu (20%). Il y aurait ainsi une sorte de réussite sociale « de façade ». Les ménages algériens qui ne peuvent pas s’offrir un appartement se saignent pour payer leur loyer. Ils n’ont pas les moyens d’acheter un véhicule mais se sacrifient pour décrocher un crédit bancaire. L’Algérien qui aime le faste et le clinquant utilise tous les subterfuges pour arriver à ses fins. « Dans les fêtes, les femmes aiment à s’exhiber avec de grosses chaînes en or. Aujourd’hui, elles le font toujours mais c’est, le plus souvent, du toc. Le marché des bijoux fantaisie explose. Le nombre de magasins qui proposent du toc augmente, notamment à Alger », fait remarquer une enseignante à la retraite. Et puis, il y a cette angoisse permanente de glisser. Les classes moyennes craignent de s’approcher des bas revenus, ou, pire encore, de disparaître. « La couche sociale supérieure tente de se replacer sur l’échelle sociale (…). C’est un phénomène assez récent dont la naissance aurait pour origine les diverses techniques de commercialisation des produits de consommation (logement, voiture, meubles, électroménager...) qui donnent l’impression de ce reclassement/déclassement sans que cette couches aient encore la culture de la classe moyenne », estime Mohamed Saib Musette, sociologue au Centre de recherche en économie appliquée pour le développement (Cread). Il enchaîne : « La question qui devrait être posée est la suivante : quelles sont les chances de reproduction de cette classe pour se maintenir ou pour se hisser d’un cran à l’échelle supérieure ? Le risque de déclassement social provoque ainsi une angoisse permanente. Cette couche investit énormément dans l’éducation de leurs enfants, pas toujours avec succès, ce qui met en danger leur tentative de reproduction de la situation sociale. » La radiographie des fractures sociales présente de graves lésions.
Le Syndicat des personnels de l’éducation et de la formation (Satef) s’est appuyé sur les chiffres pour mesurer le danger qui les guette. « 3,8 millions d’élèves, soit un élève sur deux, souffrent des affres de la pauvreté, de l’aveu même du ministre puisque nécessitant une aumône de l’Etat pour pouvoir effectuer la rentrée scolaire. Qu’en sera-t-il pour couvrir les dépenses de leur scolarité pendant toute l’année ? », s’interrogent les dirigeants du Satef. Les syndicats autonomes tiennent généralement le même discours : « Notre souci est de défendre la classes moyennes. » Mais si tout le monde est d’accord sur la nécessité de sauver la couche moyenne, on ne s’entend pas sur la définition de la couche moyenne algérienne. Il n’y a aucune étude qui permette de définir de façon consensuelle la classe moyenne. La multiplication des actions sociales prouve que la classe moyenne a peur de perdre la maîtrise de son destin social. « J’ai vécu dans une famille assez aisée. Aujourd’hui, j’ai l’impression que cette bonne situation sociale d’antan se dérobe sous mes pieds. La vie est devenue trop chère. C’est très difficile », estime Aziza, infirmière.
Les frontières sociales reculent-elles réellement ? Dans son ouvrage intitulé La Paupérisation des sociétés maghrébines, M. Musette explique que les classes moyennes sont en danger dans la mesure où la classe moyenne inférieure s’appauvrit tandis que la classe supérieure s’enrichit, ce qui donne une image de rétrécissement des classes. Le fait est que les jeunes d’aujourd’hui semblent pleins d’avenir dans la précarité. C’est, dit-on, la raison pour laquelle le « tbezniss » prospère dans les banlieues. Pour se maintenir à flot, la débrouillardise semble être le maître mot des jeunes issus des classes moyennes. Avec de la chance, certains parviennent à s’embourgeoiser et à accéder aux classes supérieures. « A cette façade de réussite sociale, il faut, à mon avis, aller plus en profondeur sur le plan de la famille où la désolidarisation est devenue la règle. Ce phénomène se traduit aussi par une solidarité de façade, notamment lors des évènements au sein de la famille élargie », explique le sociologue du Cread. Avec l’instauration de la taxe sur les véhicules, les classes moyennes sont devenues des cibles fiscales. « C’est avec un célérité extraordinaire qu’ils ont appliqué cette nouvelle taxe, mais dès qu’il s’agit des statuts particuliers des travailleurs, on nous dit qu’il faut attendre », regrette un médecin affilié au Syndicat des praticiens de la santé publique (Snpsp). La flambée des prix, l’érosion du pouvoir d’achat, la stagnation des salaires accentuent le blues des classes moyennes algériennes.
Par [url=mailto://]Amel Blidi[/url]
Malgré les nombreuses difficultés qu’a connues l’Algérie, les classes moyennes ont toujours représenté le maillon le plus solide de la société. De tout temps, ces couches ont représenté un indicateur majeur de développement.
« Avant, on disait que l’Algérie se différenciait du Maroc par sa couche intermédiaire. Aujourd’hui, c’est quelque chose qu’on perd progressivement », regrette Zinedine, 32 ans, médecin. Si de l’extérieur, l’image de sa vie de jeune médecin talentueux, nouveau marié et futur papa, paraît irréprochable, la réalité, dit-il, est plus complexe. « Avec un salaire d’à peine 24 000 DA, il est quasiment impossible de vivre. Ma femme, assistante administrative, touche près de 18 000 DA. » Anos deux salaires suffisent à peine à payer le loyer qui a atteint des sommes astronomiques », explique-t-il. Et d’enchaîner : « Les récentes augmentations de salaires nous ont permis de respirer. Mais ça reste insuffisant. On vit au jour le jour. Nos salaires ne suffisent pas à faire des économies. Avec ce qu’on a, on n’ose même pas espérer s’offrir, un jour, un petit appartement. » Le couple donne l’impression de vivre au-dessus de ses moyens.
Réussite de façade
La location (20 000 DA/mois) grignote, à elle seule, 48% de leur budget mensuel. Le crédit automobile prend lui aussi une part non négligeable de leur revenu (20%). Il y aurait ainsi une sorte de réussite sociale « de façade ». Les ménages algériens qui ne peuvent pas s’offrir un appartement se saignent pour payer leur loyer. Ils n’ont pas les moyens d’acheter un véhicule mais se sacrifient pour décrocher un crédit bancaire. L’Algérien qui aime le faste et le clinquant utilise tous les subterfuges pour arriver à ses fins. « Dans les fêtes, les femmes aiment à s’exhiber avec de grosses chaînes en or. Aujourd’hui, elles le font toujours mais c’est, le plus souvent, du toc. Le marché des bijoux fantaisie explose. Le nombre de magasins qui proposent du toc augmente, notamment à Alger », fait remarquer une enseignante à la retraite. Et puis, il y a cette angoisse permanente de glisser. Les classes moyennes craignent de s’approcher des bas revenus, ou, pire encore, de disparaître. « La couche sociale supérieure tente de se replacer sur l’échelle sociale (…). C’est un phénomène assez récent dont la naissance aurait pour origine les diverses techniques de commercialisation des produits de consommation (logement, voiture, meubles, électroménager...) qui donnent l’impression de ce reclassement/déclassement sans que cette couches aient encore la culture de la classe moyenne », estime Mohamed Saib Musette, sociologue au Centre de recherche en économie appliquée pour le développement (Cread). Il enchaîne : « La question qui devrait être posée est la suivante : quelles sont les chances de reproduction de cette classe pour se maintenir ou pour se hisser d’un cran à l’échelle supérieure ? Le risque de déclassement social provoque ainsi une angoisse permanente. Cette couche investit énormément dans l’éducation de leurs enfants, pas toujours avec succès, ce qui met en danger leur tentative de reproduction de la situation sociale. » La radiographie des fractures sociales présente de graves lésions.
Le Syndicat des personnels de l’éducation et de la formation (Satef) s’est appuyé sur les chiffres pour mesurer le danger qui les guette. « 3,8 millions d’élèves, soit un élève sur deux, souffrent des affres de la pauvreté, de l’aveu même du ministre puisque nécessitant une aumône de l’Etat pour pouvoir effectuer la rentrée scolaire. Qu’en sera-t-il pour couvrir les dépenses de leur scolarité pendant toute l’année ? », s’interrogent les dirigeants du Satef. Les syndicats autonomes tiennent généralement le même discours : « Notre souci est de défendre la classes moyennes. » Mais si tout le monde est d’accord sur la nécessité de sauver la couche moyenne, on ne s’entend pas sur la définition de la couche moyenne algérienne. Il n’y a aucune étude qui permette de définir de façon consensuelle la classe moyenne. La multiplication des actions sociales prouve que la classe moyenne a peur de perdre la maîtrise de son destin social. « J’ai vécu dans une famille assez aisée. Aujourd’hui, j’ai l’impression que cette bonne situation sociale d’antan se dérobe sous mes pieds. La vie est devenue trop chère. C’est très difficile », estime Aziza, infirmière.
Les frontières sociales reculent-elles réellement ? Dans son ouvrage intitulé La Paupérisation des sociétés maghrébines, M. Musette explique que les classes moyennes sont en danger dans la mesure où la classe moyenne inférieure s’appauvrit tandis que la classe supérieure s’enrichit, ce qui donne une image de rétrécissement des classes. Le fait est que les jeunes d’aujourd’hui semblent pleins d’avenir dans la précarité. C’est, dit-on, la raison pour laquelle le « tbezniss » prospère dans les banlieues. Pour se maintenir à flot, la débrouillardise semble être le maître mot des jeunes issus des classes moyennes. Avec de la chance, certains parviennent à s’embourgeoiser et à accéder aux classes supérieures. « A cette façade de réussite sociale, il faut, à mon avis, aller plus en profondeur sur le plan de la famille où la désolidarisation est devenue la règle. Ce phénomène se traduit aussi par une solidarité de façade, notamment lors des évènements au sein de la famille élargie », explique le sociologue du Cread. Avec l’instauration de la taxe sur les véhicules, les classes moyennes sont devenues des cibles fiscales. « C’est avec un célérité extraordinaire qu’ils ont appliqué cette nouvelle taxe, mais dès qu’il s’agit des statuts particuliers des travailleurs, on nous dit qu’il faut attendre », regrette un médecin affilié au Syndicat des praticiens de la santé publique (Snpsp). La flambée des prix, l’érosion du pouvoir d’achat, la stagnation des salaires accentuent le blues des classes moyennes algériennes.
Par [url=mailto://]Amel Blidi[/url]