"Même le diable n'aurait pas pu créer Guantanamo"
Photo contrôlée par l'armée américaine d'entraves utilisées à Guantanamo, le 21 janvier 2009 - AFP
Battus, attachés des heures durant, humiliés, enfermés des années dans de minuscules cellules sans lumière du jour, les détenus qui sortiront de la prison de Guantanamo à sa fermeture ne sont pas au bout de leur calvaire.
"Personne ne peut imaginer combien c'était terrible. Même le diable n'aurait pu créer un endroit aussi mauvais", a expliqué à l'AFP Mustapha Ait Idir, 38 ans, libéré en décembre dernier après sept ans d'emprisonnement à Guantanamo.
Il a été totalement innocenté par la justice américaine.
Photo contrôlée par l'armée américaine, de l'intérieur du centre de détention de Guantanamo, le 21 janvier 2009 - AFP
"Les gardiens avaient l'habitude de venir en groupe de six ou sept et utilisaient d'abord des pulvérisateurs à gaz, et c'est alors que le tabassage commençait", se souvient-il. "Une fois, j'ai vu un docteur en compagnie des gardiens. Il désignait certains endroits sur le corps et disait +frappez-le ici+. Après le tabassage, il n'y avait pas de marques de coups visibles sur le corps mais on avait tellement mal qu'on ne pouvait pas bouger", a-t-il raconté.
"Ces hommes sont restés trois ans sans voir qui que ce soit d'autre que leurs gardiens", a de son côté expliqué à l'AFP David Remes, avocat d'une vingtaine de détenus. Les premiers conseils d'avocats n'ont été autorisés à se rendre au chevet de leur client que fin 2004, près de trois ans après l'ouverture du centre de détention.
Tous les avocats civils de détenus interrogés par l'AFP racontent le choc qu'ils ont ressenti la première fois qu'ils se sont rendus à la prison, même si, pour des raisons de sécurité, ils ne peuvent entrer dans les détails.
Conseil de Lakhdar Boumediene, qui comme M. Idir a été totalement blanchi en novembre par la justice américaine, Stephen Oleskey avait néanmoins expliqué comment son client, en grève de la faim depuis des mois, était "maintenu deux fois par jour sur une chaise, attaché en sept endroits, avec un masque sur la bouche" pour être nourri de force, à l'aide d'un tuyau introduit par le nez.
"Une de ses narines a cédé, ils utilisent l'autre, parfois le tuyau va vers le poumon et non l'estomac: c'est de la torture", avait-il déploré.
En tout, environ 800 hommes, soupçonnés de terrorisme, sont passés par les geôles de Guantanamo, dont quelque 550 ont été libérés ou transférés, selon le Pentagone.
Un militaire américain s'adresse à un prisonnier du centre de détention de Guantanamo, le 24 avril 2007 - AFP/Archives
Soixante-deux d'entre eux ont fait l'objet d'une étude menées par deux universitaires de Berkeley (Californie, ouest), Laurel Fletcher et Eric Stover.
"Le cauchemar des détenus ne s'arrête pas avec leur libération: ces hommes qui n'ont jamais été inculpés d'aucun crime et à qui on n'a jamais donné l'occasion de laver leur honneur souffrent d'un +stigmate Guantanamo+ durable et ne parviennent pas à retrouver du travail", expliquent les chercheurs.
L'étude décrit aussi les cauchemars et les angoisses liés à leurs souvenirs, comme ce détenu attaché pendant des heures dans une position inconfortable avec de la musique à fond et une lumière très intense.
"Au début, vous ne sentez rien puis après un moment (...), vous commencez à avoir des crampes aux cuisses, aux fesses, aux mollets et lentement, vos jambes s'engourdissent (...) et même quand vous fermez les yeux, vous pouvez toujours voir cette lumière et vous commencez à halluciner", détaille-t-il.
Les chercheurs observent "un effet cumulatif" de ces mauvais traitements qui se répètent "dans la durée".
Murat Kurnaz présente un livre sur son calvaire à Guantanamo, Un innocent en Enfer, le 10 juillet 2008 à Madrid - AFP
Libéré après cinq ans de calvaire alors que personne n'avait rien à lui reprocher, Murat Kurnaz a raconté ces années cauchemardesques en mai devant les rangs dégarnis de la commission des Affaires étrangères du Sénat.
"Je n'ai rien fait de mal et j'ai été traité comme un monstre", a-t-il raconté, évoquant de nombreuses tortures lorsqu'il était à Kandahar (Afghanistan).
"J'ai été privé de sommeil, placé à l'isolement, soumis à des humiliations religieuses et sexuelles, battu à de nombreuses reprises, interrogé encore et encore" et laissé à la merci des caprices de geôliers. "Il n'y avait pas de loi à Guantanamo", a-t-il insisté.
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