Il était une fois la guerre des sables
Dans l’histoire récente des deux jeunes pays, aux fondements historiques et socioculturels quasiment liés, il aura fallu qu’une guerre jalonne leur parcours commun.
Au cœur du problème, la question lancinante des frontières.
La guerre des sables fait partie de ces escarmouches qui n’ont heureusement ni fait beaucoup de morts ou de blessés ni occasionné de dégâts importants (a contrario des guerres sanglantes que se sont livrés le long de leur histoire les pays européens) mais qui sont comme des points de repères sur les limites des crises que vivent deux pays de manière cyclique.
Les combats avaient débuté le 8 octobre 1963. Des troupes de la jeune Armée nationale populaire issue de la glorieuse Armée de Libération nationale – longtemps soutenue par le royaume du Maroc – avaient attaqué des détachements des Forces armées royales (elles aussi héritières directes de l’Armée de Libération du Maroc). Avant cela, au mois de septembre, le roi Hassan II avait déployé des troupes en plusieurs points de la zone désertique qui s’étendait entre le Hamada du Draâ et Béchar. Les forces marocaines n’avaient eu aucun mal à occuper ces lieux, l’armée algérienne étant absente de ces endroits, ses troupes les mieux équipées étant occupées en Kabylie face aux militants du FFS.
En apprenant que les troupes marocaines occupaient une partie du territoire national, le président Ben Bella lança son fameux “hagrouna”.
Dès le début des combats, l’armée algérienne, qui avait excellé dans la guérilla face à l’armée d’occupation française, a du mal à faire face à des troupes marocaines entraînées à la guerre des axes. Les combats sont acharnés durant trois jours alors que des renforts arrivent du nord pour renforcer l’armée algérienne et que la France envoie du matériel au Maroc (des véhicules, du plasma, des rations de combats, des casques et quelques mitrailleuses ainsi que des mortiers). L’armée marocaine aurait pu pénétrer plus avant sur territoire algérien sans rencontrer de résistance importante.
Mais les bons offices sont engagés ; que ce soit ceux de la Ligue arabe, refusés par le Maroc, et ceux de l’ONU, mais sans obtenir l’aval des deux parties.
Ce sera l’OUA qui réunira Algériens et Marocains autour d’une table, à Bamako, le 29 octobre, moins de vingt jours après le début des combats. La conférence convoquée d’urgence par Haïlé Sélassié, l’empereur d’Ethiopie, agissant en tant que président de l’Organisation de l’unité africaine, regroupe le roi du Maroc, le président Ben Bella et Modibo Keita, président de la République du Mali.
Un accord de cessez-le-feu sera signé le 2 novembre et les combats cesseront réellement le 4 novembre. L’accord aboutit aussi à un modus vivendi soulignant qu’il n’y avait ni vainqueur ni vaincu.
Une guerre non voulue
S’il ne fait aucun doute que cette guerre n’était pas voulue par l’Algérie et d’ailleurs même pas attendue, elle est née à l’instigation du roi du Maroc. Mais le souverain marocain pariait plus sur les pressions qu’il pouvait ainsi exercer sur le gouvernement algérien que sur l’issue du conflit lui-même. Car de toute évidence, l’affrontement armé ne pouvait être à l’avantage d’aucune des deux parties, d’autant que le roi Hassan II savait que la prise de territoires sur l’Algérie équivaudrait à un conflit permanent. D’ailleurs, il le reconnaissait lui-même dans Le Défi : “La première attitude (se raidir et continuer la guerre, ndlr) faisait courir au Maghreb tout entier le risque d’une immense guerre civile. Nous n’eûmes pas une minute d’hésitation, préférant un voisin fort et amical à un voisinage hostile et rancunier.”
De plus, l’intense émotion soulevée par le conflit rendait le Maroc plus vulnérable puisque isolé. Finalement, à quoi rimait l’incursion ? En fait, le souverain du Maroc s’impatientait de régler les questions frontalières laissées en suspens au moment de la Guerre de Libération, alors que Ben Bella traînait des pieds pour s’asseoir autour d’une table et discuter. L’offre faite par la France de créer quelques départements du Sud au Maroc et en garder d’autres n’avait pas plu au roi Mohamed V, qui préférait régler le problème avec l’Algérie indépendante (1). D’ailleurs, faut-il croire à la grandeur d’âme du monarque ou bien privilégier un calcul froid en prévision de l’avantage qu’aurait un Maroc indépendant depuis plusieurs années face à un pays nouvellement indépendant ? Hassan II en avait touché un mot au président Ben Bella, mais celui-ci lui demandait du temps ; il fallait mettre sur pied les institutions algériennes pour ensuite parler des frontières.
Dans le même temps l’accord secret Hassan II - Ferhat Abbas du temps de la Guerre de Libération (en 1961) devenait caduc alors que Abbas est évincé du système politique algérien.
Le Maroc, après le conflit, gagnait toutefois la mise en place d’une commission spéciale pour trouver une solution au problème frontalier. Il reste que si la solution militaire a été un échec, l’issue diplomatique débouchait sur une impasse.
Dès lors apparaît aux yeux de Hassan II la possibilité de forcer la main aux Algériens en multipliant les possibilités de coopération économique, si bien qu’on en vient aussi à se demander si finalement le but ultime n’était pas l’exploitation du minerai de fer de Ghar Djebilet. Un minerai qui serait très concurrentiel sur le marché mondial s’il était exploité en commun par les Algériens et Marocains. C’était du moins la thèse marocaine. L’exploitation se ferait en Algérie et l’acheminement par un port marocain (La Gazelle ou Tarfaya). Une démarche qui a abouti sur le néant, la mine étant à ce jour fermée.
Si pour ce qui est des relations bilatérales apaisées, seuls les accords de 1969 ont abouti à une paix régionale qui dure avec beaucoup de tumulte (les deux pays ne se sont plus jamais affronté militairement directement), au plan interne marocain, le roi Hassan II a bénéficié d’une grâce inespérée. La monarchie, bousculée par les idées de gauche prônées notamment à l’époque par l’UNFP (opposition gauche) et que les projets socialisant de l’Algérie séduisaient largement les populations rurales marocaines (2), celle-ci se voyait renforcée alors que le roi avait collaboré directement et de manière étroite avec les militaires. Le conflit a en outre éprouvé largement le sentiment national des Marocains, qui se sont ralliés autour du roi, symbole de l’unité nationale. De même, la monarchie pouvait prétendre tirer ainsi sa légitimité du nationalisme marocain (3) et de ce fait l’opposition se trouvait réduite à une action politique qui ne pouvait aspirer au partage du pouvoir.
Amine Esseghir
(1)- De toute évidence, la Guerre de Libération s’est poursuivie plus longtemps et a coûté plus de morts et de souffrances à cause justement du refus de la France d’inclure tout de suite le Sud algérien dans les territoires en négociations avec le FLN.
(2)- Dans un télégramme de l’ambassade de France à Rabat de février 1963, l’ambassadeur De Leusse indique que les autorités marocaines ont demandé aux autorités algériennes de ne plus émettre sur les ondes de la radio locale de Tlemcen des programmes sur la réforme agraire. Des lettres du Rif demandaient à ce que ces programmes reprennent.
In Les Trois rois - Ignace Dalle
(3) - Rémy Leveau et Abdallah Hammoudi : Monarchies arabes, transitions et dérives dynastiques - La documentation française (Paris, 2002)
Références :
Ignace Dalle : Les Trois rois – La monarchie marocaine de l’indépendance à nos jours - Fayard (Paris, 2004)
Benoit Méchin : Histoire des Alaouites Librairie Académique Perrin (Paris,1994)
Etranges similitudes
La guerre des sables a été précédée par un réchauffement des relations qui ne présageait aucunement de l’évolution dramatique des événements. Le roi Hassan II était en visite à Alger du 13 au 15 mars 1963. Puis, début mai, devait se tenir à Marrakech un rassemblement des chefs d’Etat dits “du groupe de Casablanca”, un ensemble de chefs d’Etat africains progressistes que le souverain marocain voyait d’un très mauvais œil. Cette conférence sera ajournée.
La presse marocaine menait aussi une campagne virulente contre l’Algérie, mais on ajoutait aussi un certain zèle à malmener les Algériens de Oujda, Ahfir, Saïdia. Alors que les frontières sont ouvertes, des Algériens sont refoulés et les cafés de Oujda tenus par des Algériens sont fermés. Coté algérien, les autorités interdisent aux ressortissants des deux pays de se rendre au Maroc.
A. E.
In les Débats semaine du 25 juin au 5 juillet 2005
Dans l’histoire récente des deux jeunes pays, aux fondements historiques et socioculturels quasiment liés, il aura fallu qu’une guerre jalonne leur parcours commun.
Au cœur du problème, la question lancinante des frontières.
La guerre des sables fait partie de ces escarmouches qui n’ont heureusement ni fait beaucoup de morts ou de blessés ni occasionné de dégâts importants (a contrario des guerres sanglantes que se sont livrés le long de leur histoire les pays européens) mais qui sont comme des points de repères sur les limites des crises que vivent deux pays de manière cyclique.
Les combats avaient débuté le 8 octobre 1963. Des troupes de la jeune Armée nationale populaire issue de la glorieuse Armée de Libération nationale – longtemps soutenue par le royaume du Maroc – avaient attaqué des détachements des Forces armées royales (elles aussi héritières directes de l’Armée de Libération du Maroc). Avant cela, au mois de septembre, le roi Hassan II avait déployé des troupes en plusieurs points de la zone désertique qui s’étendait entre le Hamada du Draâ et Béchar. Les forces marocaines n’avaient eu aucun mal à occuper ces lieux, l’armée algérienne étant absente de ces endroits, ses troupes les mieux équipées étant occupées en Kabylie face aux militants du FFS.
En apprenant que les troupes marocaines occupaient une partie du territoire national, le président Ben Bella lança son fameux “hagrouna”.
Dès le début des combats, l’armée algérienne, qui avait excellé dans la guérilla face à l’armée d’occupation française, a du mal à faire face à des troupes marocaines entraînées à la guerre des axes. Les combats sont acharnés durant trois jours alors que des renforts arrivent du nord pour renforcer l’armée algérienne et que la France envoie du matériel au Maroc (des véhicules, du plasma, des rations de combats, des casques et quelques mitrailleuses ainsi que des mortiers). L’armée marocaine aurait pu pénétrer plus avant sur territoire algérien sans rencontrer de résistance importante.
Mais les bons offices sont engagés ; que ce soit ceux de la Ligue arabe, refusés par le Maroc, et ceux de l’ONU, mais sans obtenir l’aval des deux parties.
Ce sera l’OUA qui réunira Algériens et Marocains autour d’une table, à Bamako, le 29 octobre, moins de vingt jours après le début des combats. La conférence convoquée d’urgence par Haïlé Sélassié, l’empereur d’Ethiopie, agissant en tant que président de l’Organisation de l’unité africaine, regroupe le roi du Maroc, le président Ben Bella et Modibo Keita, président de la République du Mali.
Un accord de cessez-le-feu sera signé le 2 novembre et les combats cesseront réellement le 4 novembre. L’accord aboutit aussi à un modus vivendi soulignant qu’il n’y avait ni vainqueur ni vaincu.
Une guerre non voulue
S’il ne fait aucun doute que cette guerre n’était pas voulue par l’Algérie et d’ailleurs même pas attendue, elle est née à l’instigation du roi du Maroc. Mais le souverain marocain pariait plus sur les pressions qu’il pouvait ainsi exercer sur le gouvernement algérien que sur l’issue du conflit lui-même. Car de toute évidence, l’affrontement armé ne pouvait être à l’avantage d’aucune des deux parties, d’autant que le roi Hassan II savait que la prise de territoires sur l’Algérie équivaudrait à un conflit permanent. D’ailleurs, il le reconnaissait lui-même dans Le Défi : “La première attitude (se raidir et continuer la guerre, ndlr) faisait courir au Maghreb tout entier le risque d’une immense guerre civile. Nous n’eûmes pas une minute d’hésitation, préférant un voisin fort et amical à un voisinage hostile et rancunier.”
De plus, l’intense émotion soulevée par le conflit rendait le Maroc plus vulnérable puisque isolé. Finalement, à quoi rimait l’incursion ? En fait, le souverain du Maroc s’impatientait de régler les questions frontalières laissées en suspens au moment de la Guerre de Libération, alors que Ben Bella traînait des pieds pour s’asseoir autour d’une table et discuter. L’offre faite par la France de créer quelques départements du Sud au Maroc et en garder d’autres n’avait pas plu au roi Mohamed V, qui préférait régler le problème avec l’Algérie indépendante (1). D’ailleurs, faut-il croire à la grandeur d’âme du monarque ou bien privilégier un calcul froid en prévision de l’avantage qu’aurait un Maroc indépendant depuis plusieurs années face à un pays nouvellement indépendant ? Hassan II en avait touché un mot au président Ben Bella, mais celui-ci lui demandait du temps ; il fallait mettre sur pied les institutions algériennes pour ensuite parler des frontières.
Dans le même temps l’accord secret Hassan II - Ferhat Abbas du temps de la Guerre de Libération (en 1961) devenait caduc alors que Abbas est évincé du système politique algérien.
Le Maroc, après le conflit, gagnait toutefois la mise en place d’une commission spéciale pour trouver une solution au problème frontalier. Il reste que si la solution militaire a été un échec, l’issue diplomatique débouchait sur une impasse.
Dès lors apparaît aux yeux de Hassan II la possibilité de forcer la main aux Algériens en multipliant les possibilités de coopération économique, si bien qu’on en vient aussi à se demander si finalement le but ultime n’était pas l’exploitation du minerai de fer de Ghar Djebilet. Un minerai qui serait très concurrentiel sur le marché mondial s’il était exploité en commun par les Algériens et Marocains. C’était du moins la thèse marocaine. L’exploitation se ferait en Algérie et l’acheminement par un port marocain (La Gazelle ou Tarfaya). Une démarche qui a abouti sur le néant, la mine étant à ce jour fermée.
Si pour ce qui est des relations bilatérales apaisées, seuls les accords de 1969 ont abouti à une paix régionale qui dure avec beaucoup de tumulte (les deux pays ne se sont plus jamais affronté militairement directement), au plan interne marocain, le roi Hassan II a bénéficié d’une grâce inespérée. La monarchie, bousculée par les idées de gauche prônées notamment à l’époque par l’UNFP (opposition gauche) et que les projets socialisant de l’Algérie séduisaient largement les populations rurales marocaines (2), celle-ci se voyait renforcée alors que le roi avait collaboré directement et de manière étroite avec les militaires. Le conflit a en outre éprouvé largement le sentiment national des Marocains, qui se sont ralliés autour du roi, symbole de l’unité nationale. De même, la monarchie pouvait prétendre tirer ainsi sa légitimité du nationalisme marocain (3) et de ce fait l’opposition se trouvait réduite à une action politique qui ne pouvait aspirer au partage du pouvoir.
Amine Esseghir
(1)- De toute évidence, la Guerre de Libération s’est poursuivie plus longtemps et a coûté plus de morts et de souffrances à cause justement du refus de la France d’inclure tout de suite le Sud algérien dans les territoires en négociations avec le FLN.
(2)- Dans un télégramme de l’ambassade de France à Rabat de février 1963, l’ambassadeur De Leusse indique que les autorités marocaines ont demandé aux autorités algériennes de ne plus émettre sur les ondes de la radio locale de Tlemcen des programmes sur la réforme agraire. Des lettres du Rif demandaient à ce que ces programmes reprennent.
In Les Trois rois - Ignace Dalle
(3) - Rémy Leveau et Abdallah Hammoudi : Monarchies arabes, transitions et dérives dynastiques - La documentation française (Paris, 2002)
Références :
Ignace Dalle : Les Trois rois – La monarchie marocaine de l’indépendance à nos jours - Fayard (Paris, 2004)
Benoit Méchin : Histoire des Alaouites Librairie Académique Perrin (Paris,1994)
Etranges similitudes
La guerre des sables a été précédée par un réchauffement des relations qui ne présageait aucunement de l’évolution dramatique des événements. Le roi Hassan II était en visite à Alger du 13 au 15 mars 1963. Puis, début mai, devait se tenir à Marrakech un rassemblement des chefs d’Etat dits “du groupe de Casablanca”, un ensemble de chefs d’Etat africains progressistes que le souverain marocain voyait d’un très mauvais œil. Cette conférence sera ajournée.
La presse marocaine menait aussi une campagne virulente contre l’Algérie, mais on ajoutait aussi un certain zèle à malmener les Algériens de Oujda, Ahfir, Saïdia. Alors que les frontières sont ouvertes, des Algériens sont refoulés et les cafés de Oujda tenus par des Algériens sont fermés. Coté algérien, les autorités interdisent aux ressortissants des deux pays de se rendre au Maroc.
A. E.
In les Débats semaine du 25 juin au 5 juillet 2005