Par Abdelaziz Rahabi - lematindz
Si nous devions considérer, simplement comme tout le monde, qu’en matière de relations internationales les principes de l’Algérie doivent correspondre aux intérêts de l’Algérie, l’observation de notre politique étrangère ces dernières années autorise quelques interrogations.
Le Maghreb tout d’abord : il a l’apparence d’une aspiration politique paralysée dès le départ par les prétentions hégémoniques de Allel El Fassi qui dispute à Israël le monopole de la production continue de frontières politiques et l’obsession de Habib Bourguiba pour des frontières intemporelles. Si Lahbib, dernier visionnaire de son siècle, cherchait en fait à justifier l’appropriation d’illustres algériens comme Jugurtha, Saint-Augustin ou encore Dihya (La Kahina) reniés dans leur patrie. Les deux prestigieux nationalistes maghrébins devaient avoir quelques raisons d’envisager ainsi les choses, car dans l’Algérie post-révolutionnaire le corpus idéologique était réduit à un curieux binôme : Ben Bella s’était converti au maoïsme et Boumediène dissimulait laborieusement sa fascination pour Kamel Atatürk.
L’état d’esprit chez nos voisins a cependant évolué pour conduire à l’émergence de nouvelles élites, tunisienne et marocaine, pragmatiques qui perçoivent l’idéal maghrébin dans ses dimensions les plus concrètes : la libre circulation des personnes, des marchandises et des capitaux. Chez nous, le discours politique, les manuels scolaires et les médias ont abusivement cloné les jeunes sur la culture politique de leurs aînés à défaut de leur inculquer les vertus du pragmatisme et de la préférence nationale. Abdelaziz Belkhadem a fait l’expérience des résidus de cette culture en se rendant au rituel de Tanger en avril 2008. Ahmed Ouyahia également quand trois années plus tôt les officiels marocains avaient irrespectueusement refusé de le recevoir.
Le président Bouteflika, unique opérateur de politique étrangère en Algérie, avait fait là une erreur de jugement qui renseigne sur la réalité de son décalage avec l’accélération de l’histoire dans notre propre environnement géopolitique.
L’on peut citer d’autres exemples de cette adaptation de nos voisins aux nouvelles réalités des relations internationales, condition indispensable à une définition adéquate de toute stratégie de politique étrangère. Le premier réside dans l’exploitation en Afrique des opportunités offertes par l’avènement des nouvelles technologies de l’information et de la communication et des services financiers.
Le Maroc qui en a mesuré à temps l’importance en tire une double plus-value financière et diplomatique en s’associant, dès 1999, au groupe Vivendi, crée Maroc Télécom – qui pèse aujourd’hui 15 milliards d’euros – et devient en moins de 7 ans l’opérateur de référence de la téléphonie mobile et d’internet en Afrique. Il vient de racheter les cinq principaux opérateurs d’Afrique de l’Ouest et Centrale et son réseau couvre déjà tout le flanc sud de l’Algérie, conforté récemment par Attijariwafa Bank qui a racheté les cinq filiales du Crédit agricole français dans la même région. En Algérie, en septembre 1999, notre pays lançait une campagne absurde contre Vivendi sous prétexte qu’une maison d’édition de ce groupe avait édité le livre d’un sergent déserteur algérien. En fait, cela avait surtout servi à préparer la décision de confier – sans l’exigence d’une clause d’association à l’international – la formalisation du dossier stratégique de la première licence de téléphonie mobile à un sulfureux organisateur de spectacles à Abu Dhabi, un certain Shorafa, disparu depuis avec les dernières illusions de l’Algérie de devenir une puissance continentale dans ce domaine.
La démarche de nos voisins a soutenu la récente réorientation de leur appareil diplomatique qui gère désormais directement des dossiers aussi importants que celui du Sahara occidental, des questions de sécurité régionale ou encore les négociations avec l’Union européenne. Est-il besoin de rappeler que dix ans plus tôt, le roi Hassan II assumait avec son conseiller Ahmed Reda Guedira et le ministre de l’Intérieur, Driss El Basri, l’exclusive gestion de ces dossiers au moment où ils relevaient en Algérie de la compétence de toutes les institutions. Ceci explique d’ailleurs la solidité du consensus sur la politique étrangère qui avait résisté à l’épreuve du temps et aux pressions des grandes puissances dans nos moments les plus difficiles. L’Algérie arrivait, il y a encore 12 ans, à faire parrainer par près de 140 pays, dont des membres du Conseil de sécurité, son projet de résolution à l’Assemblée générale de l’ONU en faveur d’un référendum d’autodétermination et d’indépendance au Sahara occidental.
Aujourd’hui, les temps ont changé et nous assistons à une paradoxale inversion : la politique étrangère du Maroc sort du palais royal, s’appuie sur l’appareil diplomatique avec le concours de ses alliés stratégiques occidentaux (USA, France, Espagne) et arabes (Arabie Saoudite, Qatar, Emirats arabes unis) et s’implante en Afrique dans les zones d’influence traditionnellement favorables à l’Algérie. Chez nous, par contre, elle entre au palais d’El Mouradia jusque dans les tâches les plus routinières de la pratique diplomatique, privilégie la diplomatie-spectacle et des réseaux, tourne le dos au monde arabe et à l’Afrique et se contente d’avoir avec ces mêmes puissances occidentales des relations ponctuelles, tactiques et marchandes.
C’est un des tournants majeurs dans l’histoire de la politique étrangère algérienne et la principale cause de la fébrilité de sa diplomatie, heureusement encore servie par la discrétion forcée et patiente d’incontestables compétences.
L’Afrique subsaharienne est également un exemple frappant, car elle est notre unique profondeur stratégique réelle. Elle mérite d’être la préoccupation majeure de notre politique extérieure et réclame pour ce faire la parfaite synergie de la politique de défense nationale et de la diplomatie.
On observera que notre chef d’Etat n’a pas effectué une seule visite officielle bilatérale en Afrique depuis 1999 – il s’est rendu 8 fois en France –, ni reçu à Alger plus de trois chefs d’Etat africains, si nous excluons le sommet de l’OUA de juillet 1999, arraché par le président Zeroual lors du 32e sommet de l’OUA à Yaoundé (Cameroun) en juillet 1996 et laissé à Bouteflika pour lui permettre « un bon démarrage », selon l’expression même du président Zeroual qui, en pleine crise politique interne, avait rendu visite aux pays du Sahel et reçu leurs plus hauts dirigeants. Boumediène lui-même n’a mesuré l’importance de l’Afrique qu’après le soutien déclaré des monarchies du Golfe à Hassan II et le silence avenant du reste du monde arabe après l’abandon par l’Espagne du Sahara occidental et son occupation par le Maroc le 6 novembre 1975. Cette épreuve l’avait amené à réviser quelques-unes de ses certitudes, à modérer une ferveur sincère pour le panarabisme et à envisager une réorientation africaine de la diplomatie algérienne.
Chadli Bendjeddid avait, pour sa part, mesuré qu’un pays si immense soit-il ne pouvait jouir d’une place sur la scène internationale que s’il portait une profondeur qui autorise à prétendre au rang de porte-voix crédible.A ce titre et en parfaite communion avec l’appareil diplomatique, il avait réuni près de 170 commissions mixtes de coopération économique, scientifique et technique, attribué près de 8000 bourses d’études, effectué 37 visites officielles bilatérales et reçu à Alger 47 chefs d’Etat africains. C’est à ce prix que l’Algérie avait gagné l’inaltérable fidèle considération des Africains, s’était imposée comme un interlocuteur incontournable de la France et de l’ex-URSS en Afrique et que Chadli Bendjedid avait pu réaliser notamment l’unique visite d’Etat aux USA, à ce jour, d’un chef d’Etat algérien.
Aujourd’hui, Bouteflika emprunte à Hassan II la condescendance des souverains arabes qui avait servi d’atout à la diplomatie algérienne alors que Mohammed VI calque en grande partie sa nouvelle politique africaine sur celle de l’Algérie des années 1980.
L’Algérie avait alors déployé ses outils de politique étrangère pour soustraire les pays du Sahel aux conséquences de la guerre froide et des sous-traitants régionaux. Ces derniers voulaient amener nos voisins à considérer le Sahara comme une entité à part, alors qu’il présente des lignes de partage de souveraineté et des identités propres, premier bouclier de la défense nationale. L’objectif de l’Algérie était d’éviter une fragmentation continue des ensembles pluriethniques qui lui aurait fait perdre le contrôle de ses frontières, car les groupes nomades, qu’ils soient du Sahel, de Sinaï ou d’ailleurs représentent pour les Etas des enjeux de sécurité.
Ceci n’est pas négligeable quand on mesure l’immensité de cette région, la fragilité des Etats éprouvés par l’indigence ou la mauvaise gestion des ressources naturelles, le tribalisme et la corruption qui favorisent l’implantation de réseaux du terrorisme international et de la contrebande. La conjugaison de ces facteurs fait de cette zone une sorte de terra nu lus – une terre de personne – qui court le risque à terme de connaître le sort de la Sierra maestra zone d’implantation des guérillas d’Amérique latine dans les années 1970 ou encore des régions frontalières administrées de manière autonome (FATA) entre le Pakistan et l’Afghanistan...
La Libye s’est investie dans cet espace certes pour atténuer les effets de l’isolement diplomatique imposé par l’embargo, mais a été également bien servie par le curieux effacement de l’Algérie et le désintérêt de l’Egypte qui a choisi d’être un acteur dans la crise du Moyen-Orient, matrice des relations internationales. Les puissances occidentales les plus engagées dans la lutte contre les nouvelles menaces adoptent une attitude utilitariste vis-à-vis de l’Algérie : elle n’est pas classée comme victime du terrorisme – aucun chef d’Etat américain ne l’a déclaré à ce jour – mais constitue un allié dans la coopération dans la lutte contre le terrorisme. Une logique implacable qui ferait de l’Algérie à court terme le Pakistan de la région.
L’Algérie doit être la dernière héritière d’une pensée éculée de la guerre froide pour avoir la naïveté de croire à une rivalité entre l’Europe et les USA en Afrique sur des questions de gouvernance politique et économique des Etats. Les multiples réunions du Nepad, Club Med de la diplomatie, selon le bon mot d’un chroniqueur sud-africain, n’ont abouti qu’à un « mécanisme d’évaluation par les pairs », c’est-à-dire l’évaluation d’un régime autoritariste par une dictature éclairée...
De ce fait, le choix qui a été fait de favoriser la logique de substitution de l’option multilatérale à celle du bilatéral au lieu de favoriser leur complémentarité a privé l’Algérie d’un cadre irremplaçable d’une diplomatie régionale. Cette démarche qui a l’apparence d’une concession à une stratégie de super puissance est entièrement responsable, actuellement du statut mineur de notre pays en Afrique. Alors, à défaut d’avoir une vision prospective et de se donner les moyens, les hommes et le temps de la mettre en œuvre, le pays qui a le plus apporté à l’émancipation des peuples d’Afrique a été réduit à occuper des strapontins ou au mieux à sous-traiter les stratégies multilatérales des grandes et moyennes puissances.
Comment a-t-on pu ne pas saisir autant d’opportunités ? Comment faire échapper le pays aux idées anciennes ? Comment le mettre en rapport avec le temps réel devant autant de complexités d’un nouveau monde en gestation ? En tirant les leçons de notre propre expérience et en observant les succès des autres. Beaucoup d’observateurs étrangers nous considèrent hélas au mieux comme des idéalistes, au pire comme des dilettantes parce que nous ne joignons pas l’acte à la parole. Ils ne sont pas toujours sévères ou injustes car beaucoup de nos dirigeants – à tous les niveaux d’ailleurs – se complaisant dans une sorte de rigidité de la pensée, privilégient la forme sur le fond et sont très sensibles aux flatteries de l’Occident.
Déjà au lendemain de notre indépendance, des hommes politiques et des diplomates sont tombés dans la vanité au point de faire abstraction du prestige de notre lutte de libération et de finir par se convaincre d’avoir porté l’Algérie sur la scène internationale par un simple exercice de volontarisme. Cela continue aujourd’hui sous d’autres formes.
Le président de la République ne disposant pas de sa propre force politique interne, réelle et fidèle, a employé, selon le cas, la diplomatie comme source de pouvoir ou de contre-pouvoir interne. Il a dû pour cela faire des concessions majeures aux USA et à la France en garantissant une partie leur sécurité d’approvisionnement énergétique, en soutenant inconditionnellement la lutte contre le terrorisme international et en modérant les positions de l’Algérie, notamment sur la Palestine et l’Irak. Il ne l’a pas fait en contrepartie d’un avantage stratégique pour le pays, ce qui n’est pas peu courant dans les relations internationales, mais pour acheter leur complaisance sur son agenda politique. C’est probablement rentable à court terme pour lui et pour eux, mais certainement préjudiciable à l’identité de notre diplomatie, à la doctrine nationale de la souveraineté et enfin à notre consensus national en matière de politique étrangère fragile par nature dans les Etats en formation comme l’Algérie.
Abdelaziz Rahabi, Ancien Ministre , Enseignant .
lematindz . net
Si nous devions considérer, simplement comme tout le monde, qu’en matière de relations internationales les principes de l’Algérie doivent correspondre aux intérêts de l’Algérie, l’observation de notre politique étrangère ces dernières années autorise quelques interrogations.
Le Maghreb tout d’abord : il a l’apparence d’une aspiration politique paralysée dès le départ par les prétentions hégémoniques de Allel El Fassi qui dispute à Israël le monopole de la production continue de frontières politiques et l’obsession de Habib Bourguiba pour des frontières intemporelles. Si Lahbib, dernier visionnaire de son siècle, cherchait en fait à justifier l’appropriation d’illustres algériens comme Jugurtha, Saint-Augustin ou encore Dihya (La Kahina) reniés dans leur patrie. Les deux prestigieux nationalistes maghrébins devaient avoir quelques raisons d’envisager ainsi les choses, car dans l’Algérie post-révolutionnaire le corpus idéologique était réduit à un curieux binôme : Ben Bella s’était converti au maoïsme et Boumediène dissimulait laborieusement sa fascination pour Kamel Atatürk.
L’état d’esprit chez nos voisins a cependant évolué pour conduire à l’émergence de nouvelles élites, tunisienne et marocaine, pragmatiques qui perçoivent l’idéal maghrébin dans ses dimensions les plus concrètes : la libre circulation des personnes, des marchandises et des capitaux. Chez nous, le discours politique, les manuels scolaires et les médias ont abusivement cloné les jeunes sur la culture politique de leurs aînés à défaut de leur inculquer les vertus du pragmatisme et de la préférence nationale. Abdelaziz Belkhadem a fait l’expérience des résidus de cette culture en se rendant au rituel de Tanger en avril 2008. Ahmed Ouyahia également quand trois années plus tôt les officiels marocains avaient irrespectueusement refusé de le recevoir.
Le président Bouteflika, unique opérateur de politique étrangère en Algérie, avait fait là une erreur de jugement qui renseigne sur la réalité de son décalage avec l’accélération de l’histoire dans notre propre environnement géopolitique.
L’on peut citer d’autres exemples de cette adaptation de nos voisins aux nouvelles réalités des relations internationales, condition indispensable à une définition adéquate de toute stratégie de politique étrangère. Le premier réside dans l’exploitation en Afrique des opportunités offertes par l’avènement des nouvelles technologies de l’information et de la communication et des services financiers.
Le Maroc qui en a mesuré à temps l’importance en tire une double plus-value financière et diplomatique en s’associant, dès 1999, au groupe Vivendi, crée Maroc Télécom – qui pèse aujourd’hui 15 milliards d’euros – et devient en moins de 7 ans l’opérateur de référence de la téléphonie mobile et d’internet en Afrique. Il vient de racheter les cinq principaux opérateurs d’Afrique de l’Ouest et Centrale et son réseau couvre déjà tout le flanc sud de l’Algérie, conforté récemment par Attijariwafa Bank qui a racheté les cinq filiales du Crédit agricole français dans la même région. En Algérie, en septembre 1999, notre pays lançait une campagne absurde contre Vivendi sous prétexte qu’une maison d’édition de ce groupe avait édité le livre d’un sergent déserteur algérien. En fait, cela avait surtout servi à préparer la décision de confier – sans l’exigence d’une clause d’association à l’international – la formalisation du dossier stratégique de la première licence de téléphonie mobile à un sulfureux organisateur de spectacles à Abu Dhabi, un certain Shorafa, disparu depuis avec les dernières illusions de l’Algérie de devenir une puissance continentale dans ce domaine.
La démarche de nos voisins a soutenu la récente réorientation de leur appareil diplomatique qui gère désormais directement des dossiers aussi importants que celui du Sahara occidental, des questions de sécurité régionale ou encore les négociations avec l’Union européenne. Est-il besoin de rappeler que dix ans plus tôt, le roi Hassan II assumait avec son conseiller Ahmed Reda Guedira et le ministre de l’Intérieur, Driss El Basri, l’exclusive gestion de ces dossiers au moment où ils relevaient en Algérie de la compétence de toutes les institutions. Ceci explique d’ailleurs la solidité du consensus sur la politique étrangère qui avait résisté à l’épreuve du temps et aux pressions des grandes puissances dans nos moments les plus difficiles. L’Algérie arrivait, il y a encore 12 ans, à faire parrainer par près de 140 pays, dont des membres du Conseil de sécurité, son projet de résolution à l’Assemblée générale de l’ONU en faveur d’un référendum d’autodétermination et d’indépendance au Sahara occidental.
Aujourd’hui, les temps ont changé et nous assistons à une paradoxale inversion : la politique étrangère du Maroc sort du palais royal, s’appuie sur l’appareil diplomatique avec le concours de ses alliés stratégiques occidentaux (USA, France, Espagne) et arabes (Arabie Saoudite, Qatar, Emirats arabes unis) et s’implante en Afrique dans les zones d’influence traditionnellement favorables à l’Algérie. Chez nous, par contre, elle entre au palais d’El Mouradia jusque dans les tâches les plus routinières de la pratique diplomatique, privilégie la diplomatie-spectacle et des réseaux, tourne le dos au monde arabe et à l’Afrique et se contente d’avoir avec ces mêmes puissances occidentales des relations ponctuelles, tactiques et marchandes.
C’est un des tournants majeurs dans l’histoire de la politique étrangère algérienne et la principale cause de la fébrilité de sa diplomatie, heureusement encore servie par la discrétion forcée et patiente d’incontestables compétences.
L’Afrique subsaharienne est également un exemple frappant, car elle est notre unique profondeur stratégique réelle. Elle mérite d’être la préoccupation majeure de notre politique extérieure et réclame pour ce faire la parfaite synergie de la politique de défense nationale et de la diplomatie.
On observera que notre chef d’Etat n’a pas effectué une seule visite officielle bilatérale en Afrique depuis 1999 – il s’est rendu 8 fois en France –, ni reçu à Alger plus de trois chefs d’Etat africains, si nous excluons le sommet de l’OUA de juillet 1999, arraché par le président Zeroual lors du 32e sommet de l’OUA à Yaoundé (Cameroun) en juillet 1996 et laissé à Bouteflika pour lui permettre « un bon démarrage », selon l’expression même du président Zeroual qui, en pleine crise politique interne, avait rendu visite aux pays du Sahel et reçu leurs plus hauts dirigeants. Boumediène lui-même n’a mesuré l’importance de l’Afrique qu’après le soutien déclaré des monarchies du Golfe à Hassan II et le silence avenant du reste du monde arabe après l’abandon par l’Espagne du Sahara occidental et son occupation par le Maroc le 6 novembre 1975. Cette épreuve l’avait amené à réviser quelques-unes de ses certitudes, à modérer une ferveur sincère pour le panarabisme et à envisager une réorientation africaine de la diplomatie algérienne.
Chadli Bendjeddid avait, pour sa part, mesuré qu’un pays si immense soit-il ne pouvait jouir d’une place sur la scène internationale que s’il portait une profondeur qui autorise à prétendre au rang de porte-voix crédible.A ce titre et en parfaite communion avec l’appareil diplomatique, il avait réuni près de 170 commissions mixtes de coopération économique, scientifique et technique, attribué près de 8000 bourses d’études, effectué 37 visites officielles bilatérales et reçu à Alger 47 chefs d’Etat africains. C’est à ce prix que l’Algérie avait gagné l’inaltérable fidèle considération des Africains, s’était imposée comme un interlocuteur incontournable de la France et de l’ex-URSS en Afrique et que Chadli Bendjedid avait pu réaliser notamment l’unique visite d’Etat aux USA, à ce jour, d’un chef d’Etat algérien.
Aujourd’hui, Bouteflika emprunte à Hassan II la condescendance des souverains arabes qui avait servi d’atout à la diplomatie algérienne alors que Mohammed VI calque en grande partie sa nouvelle politique africaine sur celle de l’Algérie des années 1980.
L’Algérie avait alors déployé ses outils de politique étrangère pour soustraire les pays du Sahel aux conséquences de la guerre froide et des sous-traitants régionaux. Ces derniers voulaient amener nos voisins à considérer le Sahara comme une entité à part, alors qu’il présente des lignes de partage de souveraineté et des identités propres, premier bouclier de la défense nationale. L’objectif de l’Algérie était d’éviter une fragmentation continue des ensembles pluriethniques qui lui aurait fait perdre le contrôle de ses frontières, car les groupes nomades, qu’ils soient du Sahel, de Sinaï ou d’ailleurs représentent pour les Etas des enjeux de sécurité.
Ceci n’est pas négligeable quand on mesure l’immensité de cette région, la fragilité des Etats éprouvés par l’indigence ou la mauvaise gestion des ressources naturelles, le tribalisme et la corruption qui favorisent l’implantation de réseaux du terrorisme international et de la contrebande. La conjugaison de ces facteurs fait de cette zone une sorte de terra nu lus – une terre de personne – qui court le risque à terme de connaître le sort de la Sierra maestra zone d’implantation des guérillas d’Amérique latine dans les années 1970 ou encore des régions frontalières administrées de manière autonome (FATA) entre le Pakistan et l’Afghanistan...
La Libye s’est investie dans cet espace certes pour atténuer les effets de l’isolement diplomatique imposé par l’embargo, mais a été également bien servie par le curieux effacement de l’Algérie et le désintérêt de l’Egypte qui a choisi d’être un acteur dans la crise du Moyen-Orient, matrice des relations internationales. Les puissances occidentales les plus engagées dans la lutte contre les nouvelles menaces adoptent une attitude utilitariste vis-à-vis de l’Algérie : elle n’est pas classée comme victime du terrorisme – aucun chef d’Etat américain ne l’a déclaré à ce jour – mais constitue un allié dans la coopération dans la lutte contre le terrorisme. Une logique implacable qui ferait de l’Algérie à court terme le Pakistan de la région.
L’Algérie doit être la dernière héritière d’une pensée éculée de la guerre froide pour avoir la naïveté de croire à une rivalité entre l’Europe et les USA en Afrique sur des questions de gouvernance politique et économique des Etats. Les multiples réunions du Nepad, Club Med de la diplomatie, selon le bon mot d’un chroniqueur sud-africain, n’ont abouti qu’à un « mécanisme d’évaluation par les pairs », c’est-à-dire l’évaluation d’un régime autoritariste par une dictature éclairée...
De ce fait, le choix qui a été fait de favoriser la logique de substitution de l’option multilatérale à celle du bilatéral au lieu de favoriser leur complémentarité a privé l’Algérie d’un cadre irremplaçable d’une diplomatie régionale. Cette démarche qui a l’apparence d’une concession à une stratégie de super puissance est entièrement responsable, actuellement du statut mineur de notre pays en Afrique. Alors, à défaut d’avoir une vision prospective et de se donner les moyens, les hommes et le temps de la mettre en œuvre, le pays qui a le plus apporté à l’émancipation des peuples d’Afrique a été réduit à occuper des strapontins ou au mieux à sous-traiter les stratégies multilatérales des grandes et moyennes puissances.
Comment a-t-on pu ne pas saisir autant d’opportunités ? Comment faire échapper le pays aux idées anciennes ? Comment le mettre en rapport avec le temps réel devant autant de complexités d’un nouveau monde en gestation ? En tirant les leçons de notre propre expérience et en observant les succès des autres. Beaucoup d’observateurs étrangers nous considèrent hélas au mieux comme des idéalistes, au pire comme des dilettantes parce que nous ne joignons pas l’acte à la parole. Ils ne sont pas toujours sévères ou injustes car beaucoup de nos dirigeants – à tous les niveaux d’ailleurs – se complaisant dans une sorte de rigidité de la pensée, privilégient la forme sur le fond et sont très sensibles aux flatteries de l’Occident.
Déjà au lendemain de notre indépendance, des hommes politiques et des diplomates sont tombés dans la vanité au point de faire abstraction du prestige de notre lutte de libération et de finir par se convaincre d’avoir porté l’Algérie sur la scène internationale par un simple exercice de volontarisme. Cela continue aujourd’hui sous d’autres formes.
Le président de la République ne disposant pas de sa propre force politique interne, réelle et fidèle, a employé, selon le cas, la diplomatie comme source de pouvoir ou de contre-pouvoir interne. Il a dû pour cela faire des concessions majeures aux USA et à la France en garantissant une partie leur sécurité d’approvisionnement énergétique, en soutenant inconditionnellement la lutte contre le terrorisme international et en modérant les positions de l’Algérie, notamment sur la Palestine et l’Irak. Il ne l’a pas fait en contrepartie d’un avantage stratégique pour le pays, ce qui n’est pas peu courant dans les relations internationales, mais pour acheter leur complaisance sur son agenda politique. C’est probablement rentable à court terme pour lui et pour eux, mais certainement préjudiciable à l’identité de notre diplomatie, à la doctrine nationale de la souveraineté et enfin à notre consensus national en matière de politique étrangère fragile par nature dans les Etats en formation comme l’Algérie.
Abdelaziz Rahabi, Ancien Ministre , Enseignant .
lematindz . net