Les enclaves marocaines et l’Union européenne
Ceuta et Melilla, deux villes espagnoles en territoire marocain, jouissent d’un statut particulier au sein de l’UE, pourraient-elles devenir dans un futur plus ou moins lointain une revendication marocaine ou seulement les portes d’entrées du Maroc vers l’Union européenne ?
Le Maroc assume la défaite des arabes en Espagne
L’histoire de l’aventure coloniale espagnole au Maroc et les colonies qui y persistent, qualifiées en Europe d’enclaves espagnoles, restent assez mal connues aussi bien en Europe que dans le monde arabe. Voici un rappel des différentes colonies espagnoles au Maroc : province de la dynastie Almohade, Sebta fait partie de ces villes impériales marocaines comme Fez et Marrakech qui ont marqué l’histoire du Maroc. De nombreux symboles de l’histoire du Maroc sont originaires de Sebta. Citons entre autres le plus célèbre géographe Charif Al Idrissi (1099 - 1165), le savant Abou Al Abbas Sebti et El Cadi Ayad... La ville de Sebta est située dans le territoire marocain près de la province de Tétouan et face à Gibraltar. Son histoire est liée aux bouleversements et conquêtes coloniales qui ont caractérisé les pays du bassin méditerranéen depuis l’Antiquité. Les Portugais réussissent à coloniser certaines parties du Maroc, dont Ceuta en 1415. En 1580, après la mort du roi du Portugal, Don Sebastiao au Maroc dans la bataille dite des Trois rois, le Portugal a été rattaché à l’Espagne sous le roi Philippe II et Sebta passe sous la domination espagnole. En 1640, lorsque le Portugal recouvre son indépendance, la ville de Sebta reste dans le giron de la couronne d’Espagne. Pendant la colonisation espagnole de Sebta, la population a été chassée et la cité dynamique a été réduite en une garnison de l’armée espagnole pour empêcher le retour des Maures.
A partir de 1912, Sebta a servi de tête de pont pour pénétrer en profondeur et occuper le nord du Maroc. En 1956 et après 45 ans de résistance, l’armée espagnole a été contrainte d’évacuer le nord, mais elle garde Sebta, Melilla, 9 îles et le Sahara au sud. Aujourd’hui, la garnison militaire est devenue une véritable ville de 74 039 habitants (dont plus de 40% sont Marocains) et d’une superficie de 18,5 km2 à 20 km2. La ville de Melilla est située dans le territoire marocain sur l’axe Al Hoceima-Nador, à 400 km de Ceuta, et à plus de 200 km de Malaga. A la fin de la Reconquista sur les Maures et juste après la chute de Grenade (fin du royaume des Nasrides), l’Espagne (sous le royaume de Castille) a occupé de nombreuses zones au Maroc, dont Melilla en 1497 pour se prémunir contre toute tentative éventuelle de retour des Maures et surtout pour s’assurer le contrôle de la Méditerranée. La petite forteresse de Melilla s’est transformée pendant le protectorat espagnol en une ville importante d’une superficie de 11 à 14 km2 et compte aujourd’hui 70 000 habitants, dont près de 40% sont d’origine marocaine. Comme Sebta, l’économie de Melilla est basée sur le commerce légal pour le Maroc et illégal pour l’Union européenne pour une question de tarification douanière au profit.
Le droit de poursuite de la quista espagnole
Les relations hispano-marocaines traînent derrière elles plus de 500 ans de conflits et de crises intermittentes. Pourtant, du point de vue civilisationnel, l’Espagne et le Maroc appartiennent à la même région, ont un long passé historique commun, des affinités culturelles qui remontent loin dans l’histoire. Tout cet héritage commun devrait plutôt unir les deux pays au lieu de les séparer. En dépit de cette proximité géographique et culturelle, force est de constater que la vision d’une bonne partie de la population espagnole du Maroc parait schématique et agressive. Cela s’explique en partie par le fait que peu d’Espagnols semblent avoir une véritable connaissance de la société marocaine et peu de Marocains connaissent la véritable société espagnole. Les Espagnols ont une vision figée des Maures et les Marocains ne connaissent de l’Espagne que sa férocité coloniale qui subsiste à Sebta et Melilla. Pour bien comprendre ces relations, il faudrait remonter loin dans l’histoire après la chute de l’Andalousie musulmane en 1492. Depuis cette période, la stratégie de la Reconquista, instaurée par la reine Isabelle la catholique, consistait à transporter l’affrontement avec les musulmans sur la terre des Maures, le Maroc. Mais la plus importante et la plus célèbre des batailles anticoloniales de cette époque est certainement la bataille de Oued Almakhazine, dite la bataille des Trois rois qui s’est déroulée à Ksar El Kebir au nord du Maroc. En effet, dans leur croisade contre les infidèles, le roi du Portugal, Sébastien 1er, allié au roi d’Espagne Philippe II, avec 17 000 hommes et 600 navires, affrontent le sultan du Maroc Abd El Malik le 4 août 1578.
Le sultan du Maroc et le roi du Portugal sont tués dans la bataille, les troupes portugaises sont anéanties (8000 tués, 20 000 prisonniers). Le roi d’Espagne Philippe II prend possession du Portugal et la ville de Sebta, occupée par le Portugal, passe aussi sous la domination espagnole. L’imaginaire de toute une génération de la population et leaders politiques espagnols est alimenté par des préjugés et des clichés profondément ancrés dans les mentalités issues des anciennes images des Moros (Maures). Le Marocain du Maroc contemporain est encore perçu comme étant le Maure musulman adversaire ancestral de l’Espagnol chrétien. La Reconquista, la colonisation du Maroc, le protectorat de 1912-1956, la bataille d’Anoual de 1921, l’influence de l’idéologie coloniale et le rôle important des Maures dans la victoire de Franco sont autant d’éléments qui continuent à alimenter l’imaginaire collectif espagnol des préjugés. En outre, le Maroc contemporain avec son retard économique et politique, ses candidats à l’immigration qui s’échouent sur les plages espagnoles et la présence de l’année espagnole sur le sol marocain viennent renforcer l’image stéréotypée de l’Espagnol chrétien supérieur au Maure musulman. C’est surtout à Sebta, Melilla et dans une partie de l’Andalousie (vagues de violences anti-marocaines d’El lido en février 2000) que ces préjugés sont les plus répandus.
L’Union européenne tend l’hameçon au roi du Maroc
En effet, si l’on admet que la Turquie, qui possède une enclave sur le territoire européen, peut devenir, grâce à cette situation particulière, un membre à part entière de l’Union européenne, pourquoi ne pas envisager qu’à l’inverse, les deux villes espagnoles situées sur le continent africain et qui constituent des enclaves en territoire marocain servent d’argument au Maroc pour solliciter et obtenir son adhésion au sein de l’Union européenne ? Ce serait là une idée pas si mauvaise pour définir une Union européenne complète, c’est en tout cas une argumentation inédite, formulée déjà par le défunt roi du Maroc Hassan II. Jouant à l’époque du parallèle entre Gibraltar, d’une part, et Ceuta et Melilla, d’autre part, il réclamait, en s’associant aux revendications de l’Espagne, la restitution du « peñon » de Gibraltar, pensant récupérer à sont tour, par un effet mécanique, les deux villes espagnoles ! Comme toujours, Ceuta et Melilla – comme le contentieux de la pêche – serviront d’argument marocain pour faire pression sur l’Espagne et au-delà sur l’Union européenne. Ceuta et Melilla, villes espagnoles qui jouissent d’un statut particulier au sein de l’UE, pourraient-elles devenir dans un futur plus ou moins lointain seulement les portes d’entrées du Maroc dans l’Union européenne ou partie intégrante de l’unité européenne ?
Si le roi du Maroc ne réclame pas les villes de Ceuta, Melilla et ses îles occupées par les Espagnols, ce n’est pas parce qu’il ne le peut pas, mais parce qu’il ne voit aucune utilité, car ces enclaves sont les seules ouvertures sur l’Union européenne des « comptoirs commerciaux » sur le continent africain. L’Espagne, en cédant le Sahara-Occidental au Maroc, a négocié avec le roi Hassen II le maintient des deux enclaves et leur renforcement militaire, une négociation entre deux pays du type « donnant-donnant », en ce même moment, le Mouvement nationaliste et indépendantiste sahraoui issu du Front de libération du Sahara est créé en 1967. Le Front Polisario est créé le 20 mai 1973. Il revendique l’indépendance du Saguia El Hamra et Rio de Oro, promis par l’Espagne. Le maintient de Ceuta et de Melilla et des 9 îles sous protectorat espagnol fut négocié quelques semaines avant la « marche verte » à huis clos entre le roi d’Espagne et le roi du Maroc.
Le 6 novembre 1975, le défunt roi Hassan II organise une marche avec 300 000 personnes afin d’occuper pacifiquement le territoire qui a été laissé libre par les Espagnols, tandis que la Mauritanie s’empare du sud du territoire. A présent, le Front Polisario ne revendique que la partie occupée par le Maroc, mais pas la partie usurpée par la Mauritanie. La Mauritanie est-elle assise sur un volcan ? La Mauritanie, l’Espagne et le Maroc profitent de cette confusion politique pour dépouiller le Sahara-Occidental. S’agissant du dossier Ceuta-Melilla, ni le Maroc ni l’Espagne ne veulent ouvrir ce dossier qui ne suscite aucun intérêt pour personne. Qu’il s’agisse de la droite ou de la gauche, des gouvernements espagnols successifs ou du royaume éternel marocain, tous refusent d’ouvrir le dossier des colonies, car personne ne leur a demandé et ne voient aucun intérêt pour le moment. Les arguments espagnols ne relèvent d’aucune pensée coloniale franquiste ou quelconque, mais simplement d’une bonne entente entre le colonisé et le colonisateur. Mais cela n’a pas empêché l’Espagne d’argumenter et de justifier le maintien de ses colonies par la durée du colonialisme et la démographie. Notons que ces deux arguments retenus pour le Maroc sont rejetés par l’Espagne dans ses négociations avec l’Angleterre à propos de Gibraltar. La présence coloniale espagnole au nord du Maroc doit sa longévité à la situation politique interne du Maroc et de la séparation du pragmatisme du roi du Maroc. Cette présence est effectivement trop longue, mais elle relève d’un colonialisme peu violant, comparé à l’atroce et aveugle colonisation française de l’Algérie. En ce qui concerne la démographie de Sebta et Melilla, on sait qu’elle est biaisée. Les habitants de Sebta et de Melilla ont fuit la répression qui a accompagné l’occupation.
Actuellement, si on exclut les éléments de l’armée d’occupation, la population civile marocaine est largement majoritaire dans les deux villes, acceptant ensemble la convivialité. Du côté marocain, il n’y a pas non plus de volonté et d’arguments politiques pour ouvrir le dossier de ces colonies au sein des instances internationales, les Espagnols n’ont jamais été violents envers la population marocaine ou d’origine marocaine. En fonction de la conjoncture maroco-espagnole, les autorités marocaines brandissent de temps à autre le dossier de Sebta et de Melilla comme carte de pression sans conviction. Le discours officiel du Maroc demeure timide, inconsistant et tourné vers la consommation intérieure, plutôt que vers la communauté internationale. Le dossier du Sahara est au centre des priorités de marchandages entre le Maroc, l’Espagne et la France et ce, depuis 40 ans, ce qui a poussé l’Espagne à renforcer ses acquis au nord et consolider sa place dans la rive sud de la Méditerranée. Pis encore, l’Espagne, qui avait cédé sa place de colonialiste du Sahara-Occidental au royaume marocain, est devenue le principal pourvoyeur d’aide humanitaire à la lutte armée du Polisario, une manière de faire endurer la crise. Le Maroc n’a pas intégré le dossier des colonies du Nord, lors des négociations de Madrid qui ont abouti au déplacement des armées espagnoles sur les enclaves de Ceuta et de Melilla. C’est une erreur stratégique très grave, dont on n’a pas fini d’en mesurer les conséquences.
C’est la même puissance coloniale qui occupe des territoires marocains au Nord et au Sud. Pourquoi négocier le départ du Sahara et envoyer aux calendes grecques la décolonisation du Nord ? Si l’Espagne a accepté de céder au Maroc les riches provinces du sud en minéraux et en ressources halieutiques, pourquoi ne se débarrasserait-elle pas, par la même occasion, des pauvres et coûteuses colonies au Nord ? Si le Maroc avait adopté une approche de décolonisation globale, il aurait bénéficié d’un soutien beaucoup plus large et sans ambiguïté de la communauté internationale. Car on voit mal comment un pays qui soutiendrait la récupération de Sebta, Melilla et les 9 îles ne soutiendrait-il pas la récupération du Sahara. Mais le Maroc a suivi une approche de séparation de dossiers qui l’a conduit au séparatisme au sud et à la perpétuation du colonialisme au nord. Au niveau des partis politiques, il n’y a jamais eu de revendications à ce sujet. Il est vrai que la plupart des partis marocains sont concentrés dans le triangle Casablanca-Rabat-Kenitra à 600 km de Sebta et de Melilla et nombreux parmi leurs responsables sont incapables de situer ces colonies. La présence espagnole au Maroc est inaperçue, question de croyance et de convivialité sagesse des peuples. Finalement, à quoi sert la décolonisation d’un pays qui n’arrive plus à trouver ses comptes, Ceuta et Melilla sont deux sources de revenus très importantes pour le Maroc. L’Espagne et le Maroc trouvent leurs comptes dans cet havre de paix, les deux peuples ne manifestent aucun intérêt pour la « décolonisation » des deux enclaves.
L’auteur est journaliste indépendant
Déposé à la presse algérienne 2009-04-10 (AS : FIR) Algerian Society For International Relations
Par Y. Merabet
El Watan
Ceuta et Melilla, deux villes espagnoles en territoire marocain, jouissent d’un statut particulier au sein de l’UE, pourraient-elles devenir dans un futur plus ou moins lointain une revendication marocaine ou seulement les portes d’entrées du Maroc vers l’Union européenne ?
Le Maroc assume la défaite des arabes en Espagne
L’histoire de l’aventure coloniale espagnole au Maroc et les colonies qui y persistent, qualifiées en Europe d’enclaves espagnoles, restent assez mal connues aussi bien en Europe que dans le monde arabe. Voici un rappel des différentes colonies espagnoles au Maroc : province de la dynastie Almohade, Sebta fait partie de ces villes impériales marocaines comme Fez et Marrakech qui ont marqué l’histoire du Maroc. De nombreux symboles de l’histoire du Maroc sont originaires de Sebta. Citons entre autres le plus célèbre géographe Charif Al Idrissi (1099 - 1165), le savant Abou Al Abbas Sebti et El Cadi Ayad... La ville de Sebta est située dans le territoire marocain près de la province de Tétouan et face à Gibraltar. Son histoire est liée aux bouleversements et conquêtes coloniales qui ont caractérisé les pays du bassin méditerranéen depuis l’Antiquité. Les Portugais réussissent à coloniser certaines parties du Maroc, dont Ceuta en 1415. En 1580, après la mort du roi du Portugal, Don Sebastiao au Maroc dans la bataille dite des Trois rois, le Portugal a été rattaché à l’Espagne sous le roi Philippe II et Sebta passe sous la domination espagnole. En 1640, lorsque le Portugal recouvre son indépendance, la ville de Sebta reste dans le giron de la couronne d’Espagne. Pendant la colonisation espagnole de Sebta, la population a été chassée et la cité dynamique a été réduite en une garnison de l’armée espagnole pour empêcher le retour des Maures.
A partir de 1912, Sebta a servi de tête de pont pour pénétrer en profondeur et occuper le nord du Maroc. En 1956 et après 45 ans de résistance, l’armée espagnole a été contrainte d’évacuer le nord, mais elle garde Sebta, Melilla, 9 îles et le Sahara au sud. Aujourd’hui, la garnison militaire est devenue une véritable ville de 74 039 habitants (dont plus de 40% sont Marocains) et d’une superficie de 18,5 km2 à 20 km2. La ville de Melilla est située dans le territoire marocain sur l’axe Al Hoceima-Nador, à 400 km de Ceuta, et à plus de 200 km de Malaga. A la fin de la Reconquista sur les Maures et juste après la chute de Grenade (fin du royaume des Nasrides), l’Espagne (sous le royaume de Castille) a occupé de nombreuses zones au Maroc, dont Melilla en 1497 pour se prémunir contre toute tentative éventuelle de retour des Maures et surtout pour s’assurer le contrôle de la Méditerranée. La petite forteresse de Melilla s’est transformée pendant le protectorat espagnol en une ville importante d’une superficie de 11 à 14 km2 et compte aujourd’hui 70 000 habitants, dont près de 40% sont d’origine marocaine. Comme Sebta, l’économie de Melilla est basée sur le commerce légal pour le Maroc et illégal pour l’Union européenne pour une question de tarification douanière au profit.
Le droit de poursuite de la quista espagnole
Les relations hispano-marocaines traînent derrière elles plus de 500 ans de conflits et de crises intermittentes. Pourtant, du point de vue civilisationnel, l’Espagne et le Maroc appartiennent à la même région, ont un long passé historique commun, des affinités culturelles qui remontent loin dans l’histoire. Tout cet héritage commun devrait plutôt unir les deux pays au lieu de les séparer. En dépit de cette proximité géographique et culturelle, force est de constater que la vision d’une bonne partie de la population espagnole du Maroc parait schématique et agressive. Cela s’explique en partie par le fait que peu d’Espagnols semblent avoir une véritable connaissance de la société marocaine et peu de Marocains connaissent la véritable société espagnole. Les Espagnols ont une vision figée des Maures et les Marocains ne connaissent de l’Espagne que sa férocité coloniale qui subsiste à Sebta et Melilla. Pour bien comprendre ces relations, il faudrait remonter loin dans l’histoire après la chute de l’Andalousie musulmane en 1492. Depuis cette période, la stratégie de la Reconquista, instaurée par la reine Isabelle la catholique, consistait à transporter l’affrontement avec les musulmans sur la terre des Maures, le Maroc. Mais la plus importante et la plus célèbre des batailles anticoloniales de cette époque est certainement la bataille de Oued Almakhazine, dite la bataille des Trois rois qui s’est déroulée à Ksar El Kebir au nord du Maroc. En effet, dans leur croisade contre les infidèles, le roi du Portugal, Sébastien 1er, allié au roi d’Espagne Philippe II, avec 17 000 hommes et 600 navires, affrontent le sultan du Maroc Abd El Malik le 4 août 1578.
Le sultan du Maroc et le roi du Portugal sont tués dans la bataille, les troupes portugaises sont anéanties (8000 tués, 20 000 prisonniers). Le roi d’Espagne Philippe II prend possession du Portugal et la ville de Sebta, occupée par le Portugal, passe aussi sous la domination espagnole. L’imaginaire de toute une génération de la population et leaders politiques espagnols est alimenté par des préjugés et des clichés profondément ancrés dans les mentalités issues des anciennes images des Moros (Maures). Le Marocain du Maroc contemporain est encore perçu comme étant le Maure musulman adversaire ancestral de l’Espagnol chrétien. La Reconquista, la colonisation du Maroc, le protectorat de 1912-1956, la bataille d’Anoual de 1921, l’influence de l’idéologie coloniale et le rôle important des Maures dans la victoire de Franco sont autant d’éléments qui continuent à alimenter l’imaginaire collectif espagnol des préjugés. En outre, le Maroc contemporain avec son retard économique et politique, ses candidats à l’immigration qui s’échouent sur les plages espagnoles et la présence de l’année espagnole sur le sol marocain viennent renforcer l’image stéréotypée de l’Espagnol chrétien supérieur au Maure musulman. C’est surtout à Sebta, Melilla et dans une partie de l’Andalousie (vagues de violences anti-marocaines d’El lido en février 2000) que ces préjugés sont les plus répandus.
L’Union européenne tend l’hameçon au roi du Maroc
En effet, si l’on admet que la Turquie, qui possède une enclave sur le territoire européen, peut devenir, grâce à cette situation particulière, un membre à part entière de l’Union européenne, pourquoi ne pas envisager qu’à l’inverse, les deux villes espagnoles situées sur le continent africain et qui constituent des enclaves en territoire marocain servent d’argument au Maroc pour solliciter et obtenir son adhésion au sein de l’Union européenne ? Ce serait là une idée pas si mauvaise pour définir une Union européenne complète, c’est en tout cas une argumentation inédite, formulée déjà par le défunt roi du Maroc Hassan II. Jouant à l’époque du parallèle entre Gibraltar, d’une part, et Ceuta et Melilla, d’autre part, il réclamait, en s’associant aux revendications de l’Espagne, la restitution du « peñon » de Gibraltar, pensant récupérer à sont tour, par un effet mécanique, les deux villes espagnoles ! Comme toujours, Ceuta et Melilla – comme le contentieux de la pêche – serviront d’argument marocain pour faire pression sur l’Espagne et au-delà sur l’Union européenne. Ceuta et Melilla, villes espagnoles qui jouissent d’un statut particulier au sein de l’UE, pourraient-elles devenir dans un futur plus ou moins lointain seulement les portes d’entrées du Maroc dans l’Union européenne ou partie intégrante de l’unité européenne ?
Si le roi du Maroc ne réclame pas les villes de Ceuta, Melilla et ses îles occupées par les Espagnols, ce n’est pas parce qu’il ne le peut pas, mais parce qu’il ne voit aucune utilité, car ces enclaves sont les seules ouvertures sur l’Union européenne des « comptoirs commerciaux » sur le continent africain. L’Espagne, en cédant le Sahara-Occidental au Maroc, a négocié avec le roi Hassen II le maintient des deux enclaves et leur renforcement militaire, une négociation entre deux pays du type « donnant-donnant », en ce même moment, le Mouvement nationaliste et indépendantiste sahraoui issu du Front de libération du Sahara est créé en 1967. Le Front Polisario est créé le 20 mai 1973. Il revendique l’indépendance du Saguia El Hamra et Rio de Oro, promis par l’Espagne. Le maintient de Ceuta et de Melilla et des 9 îles sous protectorat espagnol fut négocié quelques semaines avant la « marche verte » à huis clos entre le roi d’Espagne et le roi du Maroc.
Le 6 novembre 1975, le défunt roi Hassan II organise une marche avec 300 000 personnes afin d’occuper pacifiquement le territoire qui a été laissé libre par les Espagnols, tandis que la Mauritanie s’empare du sud du territoire. A présent, le Front Polisario ne revendique que la partie occupée par le Maroc, mais pas la partie usurpée par la Mauritanie. La Mauritanie est-elle assise sur un volcan ? La Mauritanie, l’Espagne et le Maroc profitent de cette confusion politique pour dépouiller le Sahara-Occidental. S’agissant du dossier Ceuta-Melilla, ni le Maroc ni l’Espagne ne veulent ouvrir ce dossier qui ne suscite aucun intérêt pour personne. Qu’il s’agisse de la droite ou de la gauche, des gouvernements espagnols successifs ou du royaume éternel marocain, tous refusent d’ouvrir le dossier des colonies, car personne ne leur a demandé et ne voient aucun intérêt pour le moment. Les arguments espagnols ne relèvent d’aucune pensée coloniale franquiste ou quelconque, mais simplement d’une bonne entente entre le colonisé et le colonisateur. Mais cela n’a pas empêché l’Espagne d’argumenter et de justifier le maintien de ses colonies par la durée du colonialisme et la démographie. Notons que ces deux arguments retenus pour le Maroc sont rejetés par l’Espagne dans ses négociations avec l’Angleterre à propos de Gibraltar. La présence coloniale espagnole au nord du Maroc doit sa longévité à la situation politique interne du Maroc et de la séparation du pragmatisme du roi du Maroc. Cette présence est effectivement trop longue, mais elle relève d’un colonialisme peu violant, comparé à l’atroce et aveugle colonisation française de l’Algérie. En ce qui concerne la démographie de Sebta et Melilla, on sait qu’elle est biaisée. Les habitants de Sebta et de Melilla ont fuit la répression qui a accompagné l’occupation.
Actuellement, si on exclut les éléments de l’armée d’occupation, la population civile marocaine est largement majoritaire dans les deux villes, acceptant ensemble la convivialité. Du côté marocain, il n’y a pas non plus de volonté et d’arguments politiques pour ouvrir le dossier de ces colonies au sein des instances internationales, les Espagnols n’ont jamais été violents envers la population marocaine ou d’origine marocaine. En fonction de la conjoncture maroco-espagnole, les autorités marocaines brandissent de temps à autre le dossier de Sebta et de Melilla comme carte de pression sans conviction. Le discours officiel du Maroc demeure timide, inconsistant et tourné vers la consommation intérieure, plutôt que vers la communauté internationale. Le dossier du Sahara est au centre des priorités de marchandages entre le Maroc, l’Espagne et la France et ce, depuis 40 ans, ce qui a poussé l’Espagne à renforcer ses acquis au nord et consolider sa place dans la rive sud de la Méditerranée. Pis encore, l’Espagne, qui avait cédé sa place de colonialiste du Sahara-Occidental au royaume marocain, est devenue le principal pourvoyeur d’aide humanitaire à la lutte armée du Polisario, une manière de faire endurer la crise. Le Maroc n’a pas intégré le dossier des colonies du Nord, lors des négociations de Madrid qui ont abouti au déplacement des armées espagnoles sur les enclaves de Ceuta et de Melilla. C’est une erreur stratégique très grave, dont on n’a pas fini d’en mesurer les conséquences.
C’est la même puissance coloniale qui occupe des territoires marocains au Nord et au Sud. Pourquoi négocier le départ du Sahara et envoyer aux calendes grecques la décolonisation du Nord ? Si l’Espagne a accepté de céder au Maroc les riches provinces du sud en minéraux et en ressources halieutiques, pourquoi ne se débarrasserait-elle pas, par la même occasion, des pauvres et coûteuses colonies au Nord ? Si le Maroc avait adopté une approche de décolonisation globale, il aurait bénéficié d’un soutien beaucoup plus large et sans ambiguïté de la communauté internationale. Car on voit mal comment un pays qui soutiendrait la récupération de Sebta, Melilla et les 9 îles ne soutiendrait-il pas la récupération du Sahara. Mais le Maroc a suivi une approche de séparation de dossiers qui l’a conduit au séparatisme au sud et à la perpétuation du colonialisme au nord. Au niveau des partis politiques, il n’y a jamais eu de revendications à ce sujet. Il est vrai que la plupart des partis marocains sont concentrés dans le triangle Casablanca-Rabat-Kenitra à 600 km de Sebta et de Melilla et nombreux parmi leurs responsables sont incapables de situer ces colonies. La présence espagnole au Maroc est inaperçue, question de croyance et de convivialité sagesse des peuples. Finalement, à quoi sert la décolonisation d’un pays qui n’arrive plus à trouver ses comptes, Ceuta et Melilla sont deux sources de revenus très importantes pour le Maroc. L’Espagne et le Maroc trouvent leurs comptes dans cet havre de paix, les deux peuples ne manifestent aucun intérêt pour la « décolonisation » des deux enclaves.
L’auteur est journaliste indépendant
Déposé à la presse algérienne 2009-04-10 (AS : FIR) Algerian Society For International Relations
Par Y. Merabet
El Watan