Après quatorze ans de réclusion, il devait être libéré le 15 octobre. Mais depuis la mi-août, Ouassini Sadji, prisonnier algérien détenu à la prison de Meknès pour activisme politique, n’a plus donné signe de vie. El Watan Week-end s’est rendu à Maghnia pour rencontrer sa famille et tenter d’en savoir plus.
Personne ne sait ce qu’a fait, ni ce qu’est devenu Ouassini Sadji, commerçant algérien de 43 ans, détenu à la prison de Saïdi Saïd à Meknès, au Maroc, pour activisme politique. Au début de la semaine, sa famille, résidant à Maghnia, alerte les organisations de défense des droits de l’homme. Leur fils aurait disparu. A cinquante jours de sa libération. « Le 19 août dernier, une trentaine d’hommes, dont cinq en tenue civile, cinq autres en tenue bleue et vingt en treillis militaire, accompagnés du directeur de la prison Zihari Abdelham, se sont engouffrés à l’aube dans la cellule de Ouassini, lui ont mis une cagoule et l’ont emmené », raconte son frère Badreddine, rencontré à Maghnia. D’après les Marocains qui tiennent la famille informée, il aurait été transféré dans une prison proche, Djenane El Kerma, surnommée « la chambre noire » ou encore « la cage », « un endroit où l’on y emmène les prisonniers dangereux », confie un Marocain contacté par téléphone. Pourquoi ? Le mystère demeure. Flash-back. Automne 1994, dans le quartier populaire Matemor de Maghnia, les éléments de la brigade de lutte contre le terrorisme encerclent le domicile de Ouassini Sadji, accusé d’héberger des terroristes en fuite. Absent au moment de l’opération, le suspect est averti par des proches et s’enfuit. Ouassini traverse alors clandestinement la frontière jusqu’à Oujda, dans l’est marocain, pour commencer une nouvelle vie. En Algérie, il est déclaré coupable de soutien au terrorisme, et sera condamné par contumace à vingt ans d’emprisonnement ferme. Au Maroc, il s’achète une maison et un commerce, et obtient la bénédiction d’une famille chérifienne en se mariant avec leur fille. Les autorités marocaines lui accordent même le statut de réfugié politique.
Mais l’année suivante, c’est au tour des services de la police marocaine de l’arrêter, à nouveau pour activisme politique. Il est encore accusé d’héberger chez lui des terroristes dont Bourouis, originaire de Tlemcen. L’Algérien affronte la justice du roi qui le condamne, l’été 1995, à quatorze années de réclusion. « Mon frère a été très bien traité tout le long de son incarcération, reconnaît son frère Badreddine, que ce soit pendant les huit années à Kenitra ou à Meknès. Il avait à sa disposition un téléviseur, un réfrigérateur, un lecteur VCD et pouvait même nous appeler de sa cellule. » Ce qu’il faisait régulièrement jusqu’à il y a six mois de cela. Les coups de fil se sont alors subitement interrompus. Ouassini est transféré de la prison Sidi Saïd de Meknès à celle de Rabat Salé, pour des motifs que sa famille ignore. Pour protester, il observe alors une grève de la faim de 27 jours. Devant la pression des médias algériens dont El Watan et les observatoires des droits de l’homme marocains et étrangers, la délégation générale de l’administration pénitentiaire et de la réinsertion, dans un communiqué laconique, tente d’expliquer que « le transfert des détenus algériens de la prison locale de Meknès à la prison de Salé s’est déroulé dans le cadre de la loi, à la suite d’actes non autorisés et en violation des règlements en vigueur. » Mais Ouassini réussira à faire fléchir l’administration royale pour revenir à Meknès. « Mais dans des conditions effroyables, souligne son frère, les larmes aux yeux. Autant dire que c’était un kidnapping. A 5h, il a été encagoulé et menotté avant d’être emmené à Salé. Il n’a même pas été autorisé à prendre ses effets personnels. On veut en finir avec lui ! » Badreddine a déposé une requête auprès des différents consuls des deux pays. « Nous appelons nos responsables à sauver notre fils d’une mort certaine à cinquante jours de sa libération ». Asthmatique, Ouassini serait dans un état lamentable. Son frère Badreddine, tenu au courant par des contacts marocains, est certain que son frère « subit les pires sévices de la part de l’administration pénitentiaire qui le soumet à la torture et lui interdit tout soin. Nous demandons que les responsables de cette situation soient déférés devant la justice. » La famille Sadji, pour laquelle il a été impossible de constituer un moyen de défense au Maroc, accuse l’ancien directeur de la sûreté d’avoir procédé à « une arrestation injustifiée » de son fils qui était en situation régulière et le coordinateur de la direction des prisons du Maroc, qui est à leurs yeux, « l’instigateur des tortures ». En mars dernier, les commissions de droits de l’homme d’Algérie, de France, du Danemark, de Grande-Bretagne et de Suisse, ainsi que l’Organisation arabe des droits de l’homme, en coordination avec la commission marocaine se sont rasemblées pour réclamer la libération des détenus politiques au Maroc, y compris les Algériens. Le dossier concernait seize noms dont ceux des trois Algériens, Sadji, Bourouis et Laïdaoui. Le 4 août dernier, le collectif apprend que les détenus ne bénéficieront d’aucune faveur et seront contraints de finir leur peine. Aujourd’hui, Ouassini Sadji, qui a perdu son père et sa grand-mère qui l’avait élevé, peut rentrer en Algérie, amnistié par la charte pour la réconciliation nationale.
Par Chahredine Berriah
El Watan
Personne ne sait ce qu’a fait, ni ce qu’est devenu Ouassini Sadji, commerçant algérien de 43 ans, détenu à la prison de Saïdi Saïd à Meknès, au Maroc, pour activisme politique. Au début de la semaine, sa famille, résidant à Maghnia, alerte les organisations de défense des droits de l’homme. Leur fils aurait disparu. A cinquante jours de sa libération. « Le 19 août dernier, une trentaine d’hommes, dont cinq en tenue civile, cinq autres en tenue bleue et vingt en treillis militaire, accompagnés du directeur de la prison Zihari Abdelham, se sont engouffrés à l’aube dans la cellule de Ouassini, lui ont mis une cagoule et l’ont emmené », raconte son frère Badreddine, rencontré à Maghnia. D’après les Marocains qui tiennent la famille informée, il aurait été transféré dans une prison proche, Djenane El Kerma, surnommée « la chambre noire » ou encore « la cage », « un endroit où l’on y emmène les prisonniers dangereux », confie un Marocain contacté par téléphone. Pourquoi ? Le mystère demeure. Flash-back. Automne 1994, dans le quartier populaire Matemor de Maghnia, les éléments de la brigade de lutte contre le terrorisme encerclent le domicile de Ouassini Sadji, accusé d’héberger des terroristes en fuite. Absent au moment de l’opération, le suspect est averti par des proches et s’enfuit. Ouassini traverse alors clandestinement la frontière jusqu’à Oujda, dans l’est marocain, pour commencer une nouvelle vie. En Algérie, il est déclaré coupable de soutien au terrorisme, et sera condamné par contumace à vingt ans d’emprisonnement ferme. Au Maroc, il s’achète une maison et un commerce, et obtient la bénédiction d’une famille chérifienne en se mariant avec leur fille. Les autorités marocaines lui accordent même le statut de réfugié politique.
Mais l’année suivante, c’est au tour des services de la police marocaine de l’arrêter, à nouveau pour activisme politique. Il est encore accusé d’héberger chez lui des terroristes dont Bourouis, originaire de Tlemcen. L’Algérien affronte la justice du roi qui le condamne, l’été 1995, à quatorze années de réclusion. « Mon frère a été très bien traité tout le long de son incarcération, reconnaît son frère Badreddine, que ce soit pendant les huit années à Kenitra ou à Meknès. Il avait à sa disposition un téléviseur, un réfrigérateur, un lecteur VCD et pouvait même nous appeler de sa cellule. » Ce qu’il faisait régulièrement jusqu’à il y a six mois de cela. Les coups de fil se sont alors subitement interrompus. Ouassini est transféré de la prison Sidi Saïd de Meknès à celle de Rabat Salé, pour des motifs que sa famille ignore. Pour protester, il observe alors une grève de la faim de 27 jours. Devant la pression des médias algériens dont El Watan et les observatoires des droits de l’homme marocains et étrangers, la délégation générale de l’administration pénitentiaire et de la réinsertion, dans un communiqué laconique, tente d’expliquer que « le transfert des détenus algériens de la prison locale de Meknès à la prison de Salé s’est déroulé dans le cadre de la loi, à la suite d’actes non autorisés et en violation des règlements en vigueur. » Mais Ouassini réussira à faire fléchir l’administration royale pour revenir à Meknès. « Mais dans des conditions effroyables, souligne son frère, les larmes aux yeux. Autant dire que c’était un kidnapping. A 5h, il a été encagoulé et menotté avant d’être emmené à Salé. Il n’a même pas été autorisé à prendre ses effets personnels. On veut en finir avec lui ! » Badreddine a déposé une requête auprès des différents consuls des deux pays. « Nous appelons nos responsables à sauver notre fils d’une mort certaine à cinquante jours de sa libération ». Asthmatique, Ouassini serait dans un état lamentable. Son frère Badreddine, tenu au courant par des contacts marocains, est certain que son frère « subit les pires sévices de la part de l’administration pénitentiaire qui le soumet à la torture et lui interdit tout soin. Nous demandons que les responsables de cette situation soient déférés devant la justice. » La famille Sadji, pour laquelle il a été impossible de constituer un moyen de défense au Maroc, accuse l’ancien directeur de la sûreté d’avoir procédé à « une arrestation injustifiée » de son fils qui était en situation régulière et le coordinateur de la direction des prisons du Maroc, qui est à leurs yeux, « l’instigateur des tortures ». En mars dernier, les commissions de droits de l’homme d’Algérie, de France, du Danemark, de Grande-Bretagne et de Suisse, ainsi que l’Organisation arabe des droits de l’homme, en coordination avec la commission marocaine se sont rasemblées pour réclamer la libération des détenus politiques au Maroc, y compris les Algériens. Le dossier concernait seize noms dont ceux des trois Algériens, Sadji, Bourouis et Laïdaoui. Le 4 août dernier, le collectif apprend que les détenus ne bénéficieront d’aucune faveur et seront contraints de finir leur peine. Aujourd’hui, Ouassini Sadji, qui a perdu son père et sa grand-mère qui l’avait élevé, peut rentrer en Algérie, amnistié par la charte pour la réconciliation nationale.
Par Chahredine Berriah
El Watan