16 mai 2003, Casablanca : cinq attentats suicides simultanés ensanglantent la capitale économique du Maroc. On relève quarante-cinq morts et des dizaines de blessés.
Les poseurs de bombe venaient tous du même bidonville. Le bidonville de Sidi-Moumen, qui s’étend sur une dizaine de kilomètres carrées autour de Casablanca. Baraquements de fortune, un peu de tôle en guise de toit, des égouts inexistants, ni eau ni électricité, des fontaines sèches, des décharges à ciel ouvert et des eaux stagnantes.
Dans les quartiers résidentiels aux alentours de Sidi-Moumen, les riches appellent avec mépris ses habitants les "tchétchènes". A quelques centaines de mètres de distance, la misère la plus extrême côtoie l’opulence. Réalité d’un Maroc à deux vitesses. D’un Maroc des riches. D’un autre Maroc, celui des oubliés.
"Le Roi des pauvres"
Le 23 juillet 1999, le roi Hassan II disparaît après trente-huit années d’un long règne. Son fils ainé, Mohammed VI ("M6")lui succède sur le trône. Au Maroc, c’est l’espoir que tout change.
Loin des fastes et de la pesanteur policière de son prédécesseur, les débuts du règne de Mohammed VI semble confirmer ce nouvel ère. Celui d’un Maroc plus juste. Celui d’un Maroc plus libre. Le nouveau roi aime s’appeler "le roi des pauvres". Il annonce sa volonté à vivre comme l’immense majorité de ses sujets : modestement. Terminés les voyages somptueux d’Hassan II, les centaines de courtisans qui l’accompagnent dans le moindre déplacement. Abandonnés les achats luxueux qui marquaient ses haltes à Paris, New York ou encore en Floride au pavillon Disney, propriété privée de la famille royale.
Lors de son premier discours officiel, "M6" affirme sa volonté de changement. Le 30 juillet 1999, le jeune souverain évoque sa "sollicitude" et son "affection" pour "les couches sociales défavorisées". Il annonce sa volonté d’accorder "toute son attention au problème de la pauvreté". Même le premier ministre socialiste de l’époque, Abderrahmane Youssoufi s’y laisse prendre reconnaissant au nouveau monarque "une fibre sociale".
Le Makhzen est de retour
Les années ont passé, les effets d’annonce de lutte contre la pauvreté se sont évanouis. "M6" a certes encouragé et approfondi certaines réformes démocratiques engagées en son temps par son père. Le nouveau Code de la famille accorde un peu plus de droits aux femmes. Les libertés publiques sont plus grandes que sous Hassan II avec l’apparition d’une presse d’opposition (Tel Quel, Le journal Hebdo) tolérée mais constamment surveillée et régulièrement censurée. Au plan social et économique, la situation demeure dramatique pour l’extrême majorité du peuple marocain.
Mohammed VI a repris quant à lui très vite les vieilles habitudes de son père en termes de train de vie. Voyages dispendieux. Un voyage ,un seul, revient à quelques dix millions de dollars. Entretien d’une capricieuse cour lors de soirées au Palais royal. Loisirs de luxe et affection particulière pour son sport favori le jet ski. Les marocains l’ont d’ailleurs affublé du surnom de "Sa Majetski". Le système politique de la Monarchie marocaine (Makhzen) est de retour. Les promesses de "M6" sont oubliées...
Pendant ce temps, le peuple...
"M6" va au plan social même accentué un peu plus encore les inégalités sociales. Il entreprend des grandes réformes suivant ainsi les "conseils" du FMI et la Banque mondiale. Libéralise l’économie du pays, notamment en privatisant des secteurs clés. Les prix des produits alimentaires de base explosent. Les conséquences ne sont pas attendre. Elles ont catastrophiques pour la population.
La pauvreté croît. Le revenu par habitant n’est que de 1400 dollars, soit quinze fois moins que l’Espagne qui est à quelques kilomètres des côtes marocaines. Cette moyenne cache en fait un écart considérable entre une minorité à la richesse opulente et une large part de la population qui habite le monde rural et les bidonvilles à la périphérie des grandes agglomérations. 40% de la population vit avec moins de deux dollars par jour.
Le taux de chômage ne cesse d’augmenter. Officiellement il n’est que de 11%. En réalité il est nettement plus élevé, puisqu’il ne prend pas en compte plusieurs critères dont celui des petits boulots (cireurs de chaussures, vente de cigarettes à l’unité etc.). 10% seulement des 500 000 jeunes diplômés qui arrivent sur le marché du travail chaque année trouvent un emploi.
En matière d’enseignement, la réalité est tout aussi alarmante. Avec 55% seulement des enfants qui dépassent le cap de l’éducation primaire, le Maroc est au même niveau que le Malawi (50%) et loin derrière un pays comme le Bangladesh (70%). Le taux d’analphabétisme est en moyenne pour les adultes de plus de quinze ans de 51%.
Jérémie (SI de la CNT).