Enquête.
Prisonniers de guerre. Héros sans gloirePar Hassan Hamdani
et Mehdi Sekkouri Alaoui
Après 30 ans de captivité dans le désert, ils ont été libérés… puis abandonnés à leur sort. Aujourd’hui, ils réclament justice. Et dignité.
“Nous voulons marcher vers le palais royal pour exposer notre situation directement au roi. Nous n'avons plus rien à perdre, les forces de l'ordre peuvent nous tabasser si elles le veulent”, souffle Amina, une veuve de soldat. Son mari est mort au Sahara pour défendre l'intégrité territoriale du Maroc, comme les 18 000 veuves de guerre que compte le Maroc, d'après les estimations de l'Association des fils des martyrs
et des disparus du Sahara marocain (AFMDSM). Amina vivote à Sidi Slimane, ville de garnison où était stationné son époux. Une bourgade qui a donné son lot de chair à canon aux FAR lors du conflit du Sahara : “Plus de 64 veuves de guerre vivent ici”, explique Brahim Hajjam, président de l'Association. Il est lui-même orphelin de père. Son paternel, militaire de carrière, est mort en 1978 dans les premières années du conflit. “Ma mère a été convoquée à l'état major où on lui a annoncé la nouvelle sans ménagement”, se souvient Brahim Hajjam. L'annonce de la mort, justement : “Le service social des FAR a demandé une série de papiers administratifs à ma mère. Quand elle a demandé pourquoi, on lui a répondu de but en blanc que mon père était mort. Elle est tombée dans les pommes”, raconte Brahim. La mauvaise nouvelle tombe tel un couperet pour la mère de ce dernier. L'armée avait toujours refusé, jusque-là, de l'informer sur le sort de son mari.
“Du jour au lendemain, ma mère est devenue chef de famille, alors qu'elle ne sortait jamais de chez nous. Elle ignorait même le prix des denrées de base”, poursuit Hajjam. Elle s'est rattrapée depuis, par la force des choses : “J'ai raconté ma situation plusieurs fois à l'état major à Rabat qui m'a ignorée. Un jour de 1982, je me suis rendue avec une vingtaine d'autres femmes devant les portes du palais royal de Rabat. Au bout d'une journée d'attente sous le soleil, un secrétaire nous a reçues pour noter nos réclamations”, raconte la mère de Brahim Hajjam. Parmi les requêtes, percevoir la solde de son mari en totalité, amputée de la moitié suite à son décès au front, comme pour toutes les veuves de guerre du conflit saharien. La réponse sera loin d'être satisfaisante : “On nous a convoquées quelques semaines plus tard dans une salle à Sidi Slimane. La cérémonie était minable. Une table pleine de gâteaux et de limonade comme pour un anniversaire. Et des vêtements usés pour nos enfants ainsi que des albums-photo”, se souvient-elle. Des albums-photo à remplir sans le cliché du père absent.
Résiste, prouve que tu existes !
Brahim Hajjam décide de dénoncer cette situation en 1999, année où il crée son association. “On nous a mis des bâtons dans les roues d'entrée. On a aussi essayé de nous mettre en garde : attention, l'armée est un sujet dangereux !”. Fin de règne ou pas, Hassan II se n'est jamais départi d'un parti-pris définitif : refuser d'évoquer la question des militaires marocains détenus à Tindouf et, par ricochet, celle de leurs familles. Il a toujours préféré parler de “disparus”, euphémisme pour ne pas prononcer le mot de prisonniers. Le tabou.
Cette négation totale est une position adoptée par Hassan II dès le début du conflit. Ne jamais reconnaître les détenus marocains de Tindouf pour ne pas avoir à reconnaître le Polisario, ipso facto. Tous les “disparus” devront d'ailleurs leur libération à la médiation de pays étrangers qui en ont fait une cause humanitaire. Jamais aux bons offices du Maroc qui en avait fait une question stratégique. Pire, en 1984, Hassan II aurait refusé le survol du territoire national à un avion du CICR (Croix rouge) où se trouvent des militaires marocains libérés de Tindouf. Durant cette même période, nous assure-t-on, une dizaine de libérés arrivés au Maroc sont expulsés en Suisse par Hassan II.
À l'arrière, chez les familles des militaires détenus à Tindouf, le silence est aussi fortement conseillé. A partir des années 90, les damnés des camps du Polisario peuvent enfin correspondre avec leurs familles. Mais point trop n'en faut tout de même : “Les moqaddems et chioukh, chargés de distribuer le courrier des prisonniers à leurs familles, le faisaient avec mépris en menaçant ces dernières de tracasseries administratives. A cause de cette pression, certains parents ont demandé à leurs fils, détenus à Tindouf, d'arrêter de leur écrire afin de s'éviter des problèmes”, raconte un lieutenant. “Le courrier était si rare que celui qui recevait une lettre la lisait à beaucoup de ses camarades. Je vous laisse imaginer l'effet d'une telle nouvelle sur un prisonnier”.
Un dernier recours : Mohammed VI
“Tous les sit-in devant le Parlement et la délégation de l'ONU à Rabat n'ont servi à rien. Nous avons décidé de passer au stade supérieur : en appeler au roi”, martèle aujourd'hui Brahim Hajjam. La marche vers le palais royal que souhaite organiser son association regroupera toutes les veuves de soldats morts lors du conflit, ainsi que les épouses des militaires détenus à Tindouf. Une façon de souligner les dommages collatéraux de la guerre au Sahara : orphelins, veuves et familles séparées. S'adresser à Dieu plutôt qu'à ses saints est aussi le nouvel adage de l'Association marocaine des ex prisonniers de guerre de l'intégrité territoriale. Cet autre fer de lance du combat des ex de Tindouf a aussi décidé d'abattre la carte M6. Par l'intermédiaire du saint le plus proche de Dieu : Fouad Ali El Himma. “Je l'ai rencontré au Parlement pour lui exposer la situation dramatique des ex-prisonniers de Tindouf. Il m'a promis que le roi agirait à son retour de France”, raconte le capitaine Ali Najab, un pilote de chasse abattu dans le désert en 1978.
À sa libération en 2003, le capitaine Najab crée une association regroupant des militaires ex-détenus dans le camp saharien. Tous attendent, avec leurs familles, la fin totale du tabou depuis la visite de Mohammed VI à des membres des FAR libérés en 2000. Le nouveau roi franchit ce jour-là le rubicond en les saluant devant les caméras de TVM et 2M. “On a cru que c'était la fin de notre calvaire. Sidna allait prendre les choses en main”, se souvient un soldat, survivant de 14 ans de détention à Tindouf. Sept ans après la visite royale, l'homme est désabusé : “On ne veut plus entendre parler de nous. Nous sommes des indésirables pour l'armée”, lâche-t-il dépité. Ce vétéran de la guerre du Sahara a vécu le désenchantement le premier jour de sa liberté au Maroc, à son arrivée à la base aérienne d'Agadir où ont été accueillis la majorité des libérés de Tindouf. Par vagues successives, les quelque 2300 prisonniers de Tindouf ont vécu le même choc. Au moment précis où ils ont posé le pied hors de l'avion.
Héros de guerre ou personae non gratae ?
“Nous avons été accueillis comme des parias”, se souvient le capitaine Najab. Tous sont tombés de haut : “Nous les avions prévenus qu'ils ne seraient pas reçus comme des héros. Ils ne voulaient pas y croire et nous traitaient de menteurs”, se rappelle un fils d'ex-prisonnier à Tindouf. C'était la parole du rejeton contre celle des militaires. L'esprit de corps a été le plus fort : “A Tindouf, on avait entendu parler des difficultés rencontrées par les premiers libérés grâce aux lettres et aux échos qui nous parvenaient de temps en temps. Mais pour nous, il était impensable qu'on nous abandonne après toutes les souffrances endurées pour notre pays. Des membres des FAR nous ont rassurés à notre arrivée. On les a crus forcément, puisque nous étions entre militaires”, raconte un sous-officier libéré en 2004.
Tous ont eu pourtant droit, en guise de salut aux drapeaux, à une vague poignée de main d'un gradé. Ainsi qu'un paquetage militaire fait de bric et de broc : “On nous a donné des vêtements civils dépareillés. Certains ont eu droit à des uniformes, mais la couleur de leur tenue était différente afin de les distinguer des autres militaires de la base”, se souvient l'adjudant-chef Elyazami, pilote de Mirage F1 abattu en territoire ennemi. Une vexation parmi d'autres : “Nous avons subi les interrogatoires de plusieurs services de renseignements. Je sentais qu'on se méfiait de nous comme si nous étions des traîtres”, surenchérit le lieutenant Mohamed Astati, capturé en 1980 et libéré en 2003. L'homme a tenté de s'évader du camp en 1987, avant d'être capturé à quelques kilomètres du Mur de défense par une patrouille algérienne. “J'ai fait mon devoir de militaire en combattant et en tentant de m'échapper. Me considérer comme un traître est un comble !”.
Le climat de défiance, qui règne autour des libérés de Tindouf, trouve son origine dans les méthodes de propagande du Polisario. Certains militaires marocains sont passés à la radio du Front pour s'en prendre à Hassan II et (re)nier la marocanité du Sahara. Ce double crime de lèse majesté, concédé sous la torture, ne sera jamais excusable pour les têtes pensantes des FAR. “Le général Abdelaziz Bennani (contrôleur général des FAR) m'a affirmé que tous ceux qui n'ont pas essayé de s'évader sont des traîtres”, raconte l'adjudant-chef Elyazami. Lors de cet entretien, survenu quelques années après sa libération, l'adjudant-chef a ravalé son indignation. Il a salué le général Bennani comme un militaire se doit de saluer son supérieur : “Par respect pour son grade et l'institution. Mais pas pour la personne”.
Les grades, c'est (pour) les autres
C'est que l'armée avait bien changé en l'absence de l'adjudant-chef. Elyazami pilotait des Mirage F1 en 1976, considérés comme le haut du panier des FAR, même en étant sous-officier. En 2007, un adjudant-chef n'est plus rien au sein de l'armée marocaine. “Quand j'étais pilote, il suffisait d'être lieutenant pour commander une base militaire. A mon retour, j'ai découvert une inflation d'officiers supérieurs. Des colonels derrière chaque bureau, occupés à des tâches administratives”, s'étonne Elyazami.
Le grade, c'est l'échelle de reconnaissance propre aux militaires. Ne pas en bénéficier, c'est passer à côté d'une carrière. Celle qu'ont faite les autres et dont on a été privé : “J'ai croisé des anciens de ma promotion sur la base d'Agadir. Ils étaient devenus pour la plupart colonels sans avoir fait la guerre”, regrette le lieutenant Atmane, pilote de F1.
Il ne pourra pas rattraper ses anciens camarades. Il a été rayé des tablettes des FAR avec le grade qu'il avait le jour où il a été fait prisonnier. Un traitement que subiront tous les ex de Tindouf. Certains apprennent même qu'ils ont été mis à la retraite pendant leur détention : “Nous avons été traités comme de vulgaires cas administratifs, sans tenir compte des années passées en détention. Ceci sur la base d'un règlement militaire datant de 1958. Nous sommes les plus vieux prisonniers de guerre du monde mais, durant notre captivité, personne n'a jamais songé à actualiser des lois obsolètes pour compenser nos années de détention”, se désespère le capitaine Najab.
Les anciens de Tindouf devront avaler d'autres couleuvres. Pendant leur détention, le commandement a annulé la double solde qu'est censé percevoir tout militaire servant dans la zone sud. Chacun est renvoyé dans ses pénates avec le minimum syndical : des retraites calculées au plus juste. Et un complément de revenu perçu au titre de la réforme : “Le médecin militaire souriait en me demandant quelle raison devait-il inscrire. De mon choix dépendait le taux que je percevrais. On a eu affaire à de véritables semsara qui ne nous ont jamais considérés comme des personnes souffrantes, ou comme des militaires” raconte un gradé passé par la case Agadir. Le cumul de la réforme et de la retraite garantit aux anciens détenus de Tindouf un revenu minimum de 5000 dirhams mensuels. Tous sont ainsi envoyés à la casse sans indemnisations, à part quelques agréments de taxi pour les plus chanceux. “On a pourtant exhibé des soldats devant les caméras avec des chèques de 30 ou 40 millions de centimes pour faire croire qu'ils avaient été indemnisés. C'est un mensonge : ils n'ont fait que percevoir leurs droits”, signale le lieutenant Astati.
L'enfer du retour
Redevenu civil à son corps défendant, Astati tente aujourd'hui de rattraper le temps perdu. Comme de nombreux anciens détenus de Tindouf, il a été fait prisonnier alors qu'il entrait à peine dans la vie. Détenu plus d'années qu'il n'en a passées en liberté. Avec tout à bâtir, encore. L'ancien officier des FAR est marié depuis peu et a les enfants qu'il a toujours désirés. Il semble heureux en ménage même s'il s'inquiète pour ses gamins en bas âge : “Selon les règlements en vigueur, si je meurs, ma femme ne percevra que la moitié de la somme que l'on me sert à l'heure actuelle, soit à peine 3000 DH”. Cette question le taraude chaque jour. Il n'est pas le moins bien loti pourtant. “Je me suis aussitôt marié à mon retour pour pouvoir avoir des enfants. Mais mon couple a échoué, car il est difficile pour une personne extérieure de comprendre le fardeau que portent les anciens détenus de Tindouf”, confie l'adjudant-chef Elyazami.
Le sous-officier est toujours étonné de voir ces psychologues accourant au secours d'otages dans les journaux télévisés étrangers. Ça le rend perplexe : “Si eux ont subi un traumatisme au bout de quelques jours, c'est que je dois être très malade avec mes vingt-deux années passées à Tindouf”, lâche-t-il. Il consulte un psychologue pour régler le passif, conscient des séquelles dont il souffre, contrairement à beaucoup de soldats qui ont décidé, eux, de garder le silence. “Beaucoup prennent du viagra pour avoir des rapports sexuels, mais personne ne vous le avouera”, surenchérit Elyazami qui dit clairement ce que d'autres chuchotent ou font basculer dans le silence de leur monde intérieur.
Le retour a toujours été difficile. “C'est une joie piégée”, confie un ancien prisonnier. Passées les retrouvailles, la réalité reprend ses droits. Quelques fois dès le premier regard : “Les cheveux blancs de mon épouse m'on choqué. J'avais laissé une jeune femme derrière moi. Je retrouvais une vieille dame”, raconte un ancien de Tindouf. “Il ne nous reste en commun que la souffrance. Celle de ma détention et celle de son attente”, ajoute-t-il. Et les enfants ? “J'ai été fait prisonnier alors que ma fille n'avait que neuf jours. Nous sommes des parents biologiques plus que des parents affectifs aux yeux de nos enfants”, soupire le capitaine Najab. Certains mots deviennent difficiles à prononcer : “Quand mon fils veut me parler d'une pièce à l'autre, il vient me voir pour ne pas avoir à crier “papa”. Il ne m'a d'ailleurs jamais appelé ainsi, me considérant simplement comme le mari de sa mère. J'ai été fait prisonnier alors que ma femme était enceinte de lui. Il ne m'avait jamais vu avant ma libération”, témoigne le caporal Mostapha Bouih. D'autres soldats ont laissé derrière eux deux enfants. A leur retour, ils en avaient trois. Il a bien fallu passer l'éponge. Faire comme si l'on n'avait rien remarqué, comme s'il ne s'était rien passé. D'autres femmes se sont remariées, ne voyant pas leur époux revenir du front. Des détenus ont divorcé à leur retour pour épouser des femmes plus jeunes que la leur. D'autres ont claqué leurs arrières de solde en femmes et alcool, histoire de rattraper une jeunesse définitivement perdue. Intrus dans leur propre vie, courant après un monde mort et enterré durant leur longue absence…
Libération. Un seul absent : le Maroc !
Une chose est sûre, l'Etat marocain ne s'est guère dérangé pour faire libérer ses soldats. “Même lors de la signature du cessez-le-feu, le Maroc n'a quasiment pas fait allusion à cette question”, rappelle, dépité, le capitaine Najab. Hassan II a même refusé de recevoir les premiers libérés. En 1984, par exemple, il expulse dès leur arrivée, illico presto, une dizaine d'entre eux vers la Suisse. Trois ans plus tard, il récidive en disant non à l'arrivée de deux cents prisonniers que le Polisario a décidé de relâcher. “Ils ont dû rester à Tindouf jusqu'en 1995, quinze d'entre eux décéderont entre temps”, ajoute Najab. Toujours en 1987, le Maroc accepte enfin d'ouvrir ses portes à 150 soldats, en contre-partie, il doit remettre aux Algériens 102 de leurs militaires qu'il détenait depuis la bataille d'Amgala en 1976. “Ils (les officiels marocains) n'ont même pas essayé d'obtenir un échange équitable”, s'indigne un caporal à la retraite. Les libérations vont commencer à s'enchaîner à partir de 1999, date à laquelle est créée l'Association des familles des martyrs, des disparus et des prisonniers du Sahara marocain qui va militer dans ce sens en sensibilisant l'opinion internationale. Jusqu'en 2001, ils sont 392 à retrouver leur liberté. Entre 2002 et 2003, le Polisario libère 859 autres marocains grâce à l'intervention de l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne et surtout la Libye qui a réussi, pratiquement à elle seule, à arracher 300 prisonniers des griffes du Polisario. “C'est le fils Kadhafi qui a supervisé personnellement l'opération mais, en échange, il a dû offrir monts et merveilles au Polisario”, explique Najab. En 2004, c'est au tour du Qatar et de l'Irlande de prendre le relais avec 200 libérés. La vague de libération la plus importante est à l'actif des Américains qui ont réussi en 2005 à arracher aux séparatistes les 404 derniers prisonniers. D'autre part, il est à signaler qu'ils sont une dizaine à avoir réussi à s'évader des camps de Tindouf. “Certaines évasions ont réussi parce que les familles des prisonniers ont arrosé des responsables du Polisario qui leur ont facilité la chose”, explique notre caporal.
Ahmed Azarar. L'homme aux quatre guerres
L’adjudant Ahmed Azarar est un vieillard de 70 ans, dont plus de 50 sous les drapeaux. Il a fait la guerre pour les Français, aussi, en Indochine où il a été fait prisonnier. A sa libération, le caporal chef reçoit la croix de guerre pour services rendus à la république française. “J'ai été prisonnier en Algérie et à Tindouf dans des conditions pires que dans les camps d'Indochine. Mais les Marocains, à mon retour, ont choisi de me remettre la croix zéro. C'est-à-dire rien”, plaisante t-il. Le caporal-chef Azarar a certes l'humour du désespoir. Mais il ne cache pas qu'il se sent bien mal payé en retour, lui, héros de la résistance, qui a déserté sa caserne française pour rejoindre l'armée de libération dans l'Oriental dans les années 1950. “J'avais volé tout l'armement de la garnison avec l'aide de résistants”, se souvient Azarar. Intégré aux FAR à leur création, il participe à la Guerre des sables en 1963 contre l'Algérie. Le caporal-chef remonte à nouveau au front dès les premières hostilités enclenchées avec le Polisario. Fait prisonnier en 1979, il ne sera libéré qu'en 2000. “Lors de ma détention, un gradé algérien m'a affirmé qu'être prisonnier de guerre était l'un des risques encourus quand on était soldat. Je n'avais donc pas à avoir honte”, raconte l'adjudant, assis dans son logement loué à l'armée. Il médite sur cette anecdote dans une petite maison que les FAR refusent de lui vendre depuis qu'il a été rayé des cadres. Si c'était à refaire, ce serait sans lui.
Omar Hadrami. “Inna l'watana…”
Les anciens de Tindouf n'ont pas tous à se plaindre du sort qui leur a été réservé par la mère patrie. Omar Hadrami, ancien chef de la sécurité dans les camps du Polisario, s'est vu dérouler le tapis rouge quand il a répondu, à la fin des années 80, à l'appel de Hassan II : “Inna l'watana ghafouroune rahim (la patrie est clémente et miséricordieuse)”. Hadrami décroche en récompense un poste de gouverneur. “Je l'ai ressenti comme une trahison”, témoigne le caporal Mostapha Bouih. Le retour d'ascenseur du Maroc à Hadrami a choqué les anciens de Tindouf. C'était le monde à l'envers, d'autant que ces derniers accusent leur ancien geôlier d'assassinats et de tortures. Ce que semble confirmer, entre autres, un ancien rapport consigné par France Libertés, l'association des droits de l'homme présidée par Danielle Mitterrand. Extrait : “Le lieutenant Mozoun est mort en 1991 sous la torture à la prison du 9 juin. Il a été suspendu par les mains et roué de coups jusqu'à la mort par le sous-directeur de cette prison : Mbarek Ould Mouiled”. L'ONG dénonçait pour la première fois des violations des droits l'homme perpétrées par le Polisario et l'Algérie contre les détenus marocains. D'habitude plus attentive aux positions sahraouies, l'ONG a été tout ouïe devant le rapport de l'Association nationale des familles des martyrs et disparus du Sahara Marocain, envoyé aux parlementaires européens. Un lobbying réussi qui a encouragé l'Association à envisager l'ouverture des hostilités. “Nous comptons porter plainte contre Hadrami devant le Tribunal pénal international”, annonce Brahim Hajjam, son président.
Enlèvement. Le cas des civils
Une centaine de civils marocains ont connu les affres de la détention à Tindouf au même titre que les militaires. Il s'agit essentiellement d'employés du bâtiment, des transports et de la fonction publique, kidnappés par les séparatistes lors d'incursions au-delà des lignes marocaines. “Nous n'avons pas été protégés par notre statut de civil. Les geôliers nous traitaient aussi durement que les militaires”, raconte Mohamed Lamani, un électricien enlevé en 1980 avec sept autres passagers d'un car reliant Tata à Agadir. Une fois rapatriés au Maroc, les civils découvrent que leur parcours du combattant n'est pas fini pour eux. “Leur traitement a été encore plus scandaleux que pour les militaires”, dénonce Brahim Hajjam de l'Association nationale des fils des martyrs et des disparus du Sahara marocain. Après leur débriefing sur la base d'Agadir, ils ont été lâchés dans la nature avec 10 000 DH et un ticket de bus en poche. Sans couverture médicale, sans revenu fixe, chacun a survécu comme il a pu. Lamani et deux de ses camarade ont logé pendant des mois dans les sous-sols du Complexe Mohammed V à Casablanca, avant d'être secourus par des bienfaiteurs. Les autorités ont réagi dernièrement en accordant à l'ensemble des civils libérés des agréments de taxi. Une compensation dont ils ne se contentent pas : “Nous voulons être indemnisés par l'état. Si le Polisario a réussi à nous kidnapper sur le territoire national, c'est parce que le Maroc a été incapable de nous protéger en tant que citoyens”, peste Lamani.
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