Reportage. Profession : Moqadem
Tel quel
La tendance se perpétue. Aujourd’hui encore, le moqadem est considéré comme le premier "bergag" et corrompu du pays. Mais a-t-on déjà pensé à lui donner la parole ? Nous sommes allés plus loin. Nous avons passé une journée à ses côtés. La journée commence assez tôt (7h du matin) dans un quartier populaire de Casablanca. La rencontre avec notre moqadem, qu’on appellera Brahim, se fera chez lui. Ou plutôt chez ses beaux parents chez qui il squatte. Brahim, sa femme, ses huit |
enfants et ses hôtes vivent dans trois chambres minuscules. "Regardez par vous même, les gens croient que le moqadem vit comme un roi, j’ai même pas de quoi louer ailleurs" Il faut dire que Brahim est la seule source de revenu de cette grande famille. Ses enfants reflètent l’échec de notre politique éducative. Pas un seul n’est allé plus loin que la deuxième année secondaire. Aujourd’hui ils sont tous chômeurs. A 7h30, sous une chaleur accablante, on prend la direction du quartier où travaille Brahim. 22 ans qu’il fait le même trajet (4 kilomètres). Quatre fois par jour. "On nous avait promis des mobylettes, la plupart des préfectures ont en eues, pas la nôtre". 8h15, enfin arrivés. Première ronde avant d’aller à la préfecture. 4 ou 5 kilomètres. Toujours à pied bien sûr. Le soleil nous sourit de plus belle. Brahim a l’air de connaître tout le monde. On lui dit bonjour à droite et à gauche. Est-ce par crainte, par respect ou sympathie ? 9h, premier arrêt à la préfecture. Une dizaine de personnes sont postées devant l'entrée. On me dit qu’elles attendent "que ces messieurs les moqadems daignent venir faire leur boulot". Triste injustice, on pointe du doigt ce monsieur (il faut dire qu’à ce jour, il n'y a aucune femme moqadem. Féministes réveillez vous !!) sans justification. En signant le carnet de présence, Brahim m’avise que l’heure d’arrivée n’y est pas spécifiée. "On travaille d’ailleurs 24h sur 24, 7 jours sur 7. On peut nous appeler à n’importe quelle heure". Pour ce premier passage à la préfecture, Brahim délivrera trois certificats de résidence. Deux d’entre eux auront été remis sur place. Brahim connaissait les demandeurs. Le troisième, attendra le lendemain, le temps que notre moqadem fasse son enquête de routine. Jusqu'à présent, pas l'ombre d'un bakchich. A 10h commence notre seconde ronde. Un concierge nous met sur une piste : il y aurait des travaux non autorisés au 4ème. Le contrevenant n'a pas l'air inquiété. Souriant, il sympathise avec Brahim qu'il attire volontairement dans un coin. Je suis mis à l'écart. La scène dure 2 à 3 minutes. En sortant de l'immeuble, Brahim me confiequ'il vient de toucher 200 DH pour fermer l'œil jusqu'à la fin de la journée. "Je gagne 900 DH par mois, comment veux tu que je nourrisse mes proches sans agresser les citoyens. C'est le système qui veut ça". 11h30, retour à la préfecture. Brahim retrouve une personne qui l'attend devant l'entrée. Ils semblent se connaître. Il connaît tout le monde ce Brahim, il doit avoir une mémoire d'éléphant. Il n’a aucun mal à lui délivrer un certificat de résidence. Je constate qu'il a même droit à un billet (20DH). J’interpelle ce citoyen qui m'affirme que ce n'est en aucun cas de la corruption. En pointant du doigt notre moqadem vieillissant, il poursuit "On ne fait que donner un petit coup de main à un homme dans le besoin". A midi, Brahim s'apprête à rentrer chez lui pour être de retour vers 14h. En deux heures, il aura déjeuné, marché pendant 1 h30 et fait 8 kilomètres. 14h15, alors que je m'attends à repasser par la préfecture ou à refaire une énième ronde, je me retrouve dans un café. Brahim m’avoue ne pas être surpris par le rapport de Transparency Maroc. Il a pris l’habitude que sa profession soit pointée du doigt. "Ce qui me désole, c’est que le caïd qui est le grand ripou de la préfecture n’est jamais évoqué alors que c’est lui qui traite les affaires les plus juteuses comme les bars, les commerces, les chantiers… Et ces gros dignitaires qui pillent l’argent du pays, est-ce qu’ils sont traînés dans la boue autant que nous ?" 15h35. On est interrompu, le portable de Brahim sonne. C'est le caïd. Le grand boss de la préfecture. Une de ses connaissances se serait plainte du voisin qui hébergerait un coq assez bruyant. Il lui demande, ou plutôt lui ordonne de s'y rendre sur le champ. Avant de partir, Brahim règle son café. La rumeur qui dit que le moqadem vit à l'œil dans les cafés et les épiceries s'estompe. "Dans le temps, on pouvait se permettre beaucoup de choses, les gens nous craignaient, on avait même assez de poids et d'autorité pour mettre les gens en garde à vue". Il m'apprend que les cellules à la préfecture ont disparu. 16h, on arrive chez la personne en question. Aucun signe de présence du coq. Il a peut être pressenti l'arrivée de si Brahim l'mqadem. Le propriétaire de l'animal, prenant connaissance de l'intérêt du caïd pour l'affaire, s'engage à s'en débarrasser dans la journée. 17h, on atterrit dans un autre café. Celui-ci s'avère être un des endroits favoris des moqadems pour récolter des renseignements. C’est l’occasion pour reprendre notre discussion. Le moqadem a donc perdu de ses prérogatives, mais il garde toujours une de ses fonctions principales : la surveillance. "On peut même savoir ce que vous mangez à table". Pour trouver l'information , le moqadem a sa technique. Il fait appel aux gardiens, aux concierges et mêmes aux citoyens. Deux fois par semaine Brahim rencontre ses indics pour faire un état des lieux de son périmètre de travail. Il s’avère aujourd’hui que "toute personne portant une barbe est considérée comme suspecte". Lecteurs, méfiez vous ! Derrière un voisin trop gentil, se cache peut-être un mouchard… J’apprend aussi qu'à chaque passage du roi à la mosquée Hassan II, chaque moqadem a l'obligation de rassembler une cinquantaine de personnes, pour applaudir Sidna. Ca ne se refuse pas !! 18h30, je regarde Brahim le moqadem s'éloigner, retournant chez lui. Triste destin d’un homme qui, artisan à ses débuts a choisi l’administration pour s’assurer une certaine stabilité et sécurité. Triste, il n'y a pas d'autre mot. |
Tel quel