Publié le : 13.02.2010 | 10h50
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A l'exception de quelques articles de presse et de rares émissions télévisées et d'un seul film («Le drame des 40.000» de Ahmed Kacem Akdi en 1982), qui se sont intéressés la situation des milliers de Marocains expulsés d'Algérie, aucun livre n'a été publié sur ce qui est considéré, au moins par ceux qui l'ont vécu, comme l'une des tragédies humaines ayant marquée l'histoire contemporaine.
Selem Moqran, professeur de français à Zaio, près de Nador, qui a assisté et vécu le drame de la déportation abjecte de milliers de Marocains dont le seul crime était de vivre et de naître en Algérie, vient de combler cette lacune en publiant «Le sang du mort», un témoignage poignant sur cette page obscure de l'histoire de la région du Maghreb.
Dans ce livre, publié à compte d'auteur à l'imprimerie Al Jossour (Oujda), Selem Moqran relate l'histoire de ces 45.000 Marocains qui ont été victimes, en novembre 1975, d'une «campagne xénophobe» ayant abouti à une déportation massive préméditée et orchestrée par un régime qui a donné la preuve «son incapacité d'aller au-delà du pillage, de l'éparpillement des familles et de la clochardisation des enfants» et «s'est acquitté de son devoir envers le peuple marocain frère», comme l'exprime avec dérision l'auteur.
«Le sang du mort» : témoignage sur une traîtrise
Bien que le livre s'assimile à une autobiographie, Selem Moqran affirme que «Le sang du mort» est un «simple témoignage» sur un crime «abject», «lâche» et «impardonnable» ordonné par des décideurs «aux intentions sadiques», en faisant fi de toutes les considérations religieuses et humaines en déclenchant, le jour de l'Aid Al Adha, l'exode forcé de dizaines de milliers de femmes, d'enfants et de vieillards.
«Il ne s'agit pas de ma propre histoire mais de celle de tous les expulsés d'Algérie qui n'ont jamais pensé qu'un jour, ils seront éloignés, inhumainement et avec autant de haine, de ce pays auquel ils croyaient, des années durant, appartenir», confie l'auteur à l'agence MAP. «Ils ne pouvaient pas savoir que leur destin se tissait pendant qu'ils dormaient, que désormais pour eux, le soleil ne se lèverait plus en Algérie.
Victimes d'une colère aveugle et d'un dépit incommensurable, les mères de familles étaient arrachées à leur sommeil, les enfants à leur banc d'écolier, les hommes raflés au travail et les malades expulsés manu militari des hôpitaux», écrit-il.
Interrogé sur la teneur du titre «le sang du mort», qui est également l'intitulé d'un chapitre du livre, l'auteur dit que cet intitulé s'est imposé de lui-même dans la mesure où «boire le sang du mort» signifie, chez nous autres Marocains, trahir et mettre la main sur les biens d'un être se trouvant dans l'incapacité de se défendre.
L'Algérie a pris au dépourvu tous ces Marocains qui ont combattu, pour longtemps, auprès de leurs frères d'armes algériens pour le recouvrement de l'indépendance du pays, rappelle Selem Moqran, ajoutant que cet «acte a été ressenti par les expulsés comme un poignard dans le dos». Le livre, selon son auteur, est une contribution aux efforts de «reconstitution de cette mémoire oubliée, menacée par le temps et les hommes», la mémoire d'hommes et de femmes qui ont été dépouillés de leurs biens et livrés «mieux vêtus qu'un ver de terre, aux morsures du froid et aux rigueurs de l'hiver».
«Donnes les clés et sors de la maison»
Dans les seize chapitres du livre, Selem Moqran revient sur les méthodes d'expulsion utilisées, le sang froid de certains responsables et la compassion et l'incapacité d'agir d'autres. L'auteur raconte comment les femmes, les hommes et même les enfants étaient fouillés, dépossédés de leurs biens et chassés de leurs maisons.
«Le drame était, sauf exception, le même pour toutes les victimes : «donnes les clés et sors de la maison». Et les réactions étaient généralement identiques : impuissance, désespoir et douleur, note-t-il en préface.
«Beaucoup de policiers, chargés de la déportation, étaient épuisés, éc£urés par l'ordre criminel et gênés par le regard lourd et silencieux de tous ces vieux, de tous ces hommes, de toutes ces femmes dont l'impardonnable crime était de vivre en Algérie», décrit-il.
«Le simulacre de l'anthropométrie judiciaire en vue de l'humiliation était grotesque, son application à des vieillards pouvant à peine se tenir sur leurs jambes, était de la caricature», renchérit-il.
Selem Moqran, âgé à l'époque de 21 ans, se souvient du «formidable élan de solidarité» et de l'accueil chaleureux réservé aux 45.000 victimes expulsées d'Algérie à leur arrivée au Maroc.
«De partout des you-you aigus, stridents, mêlés aux invocations de Dieu, aux hurlements de joie et de soulagement emplissaient la terre et le ciel, l'odeur du café chaud, du pain beurré, de la confiture et du lait, le crépitement joyeux du feu marquaient la fin du cauchemar. Ils étaient chez eux».
MAP
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Dernière édition par admin le Sam 13 Mar - 0:54, édité 4 fois