Boussouf et Boumediène, victimes de la Bleuite… à titre posthumeDes années après l’indépendance, en évoquant la mort des deux chefs de wilaya, certains combattants laissèrent insinuer qu’un message radio envoyé aux intéressés par le GPRA et intercepté par l’ennemi aurait permis de situer l’itinéraire du groupe Amirouche-Haouès en partance pour la Tunisie. Pour ceux qui ont le privilège de connaître Si Amirouche, ils sauront qu’un chef de sa trempe ne révélait jamais à l’avance ses intentions et encore moins le ou les itinéraires qu’il voulait emprunter, si bien qu’il est impensable qu’il ait été donné par quelqu’un de son entourage et encore moins par l’extérieur. En fait, la disparition de Amirouche-Haouès est due à une opération anodine et de routine de l’armée française, comme l’ennemi avait l’habitude de déclencher par les troupes du secteur quasi quotidiennement.
(Mustapha Tounsi,
Il était une fois la Wilaya IV,Éditions Casbah, Alger, 2008).
Par Mourad Benachenhou
Le colonel Amirouche n’a voulu être ni le successeur de Fatma Nsoumer, ni l’émule du Bachagha Mokrani. Il a consacré sa vie à la lutte pour la libération de la nation algérienne.
La mort héroïque de Amirouche peut-elle être instrumentée pour des causes régionalistes ?
On ne peut trouver dans son parcours politique ou dans ses déclarations rien qui prouve qu’un jour il ait dévié du choix politique qu’il a embrassé dès sa prime jeunesse, celui de contribuer à la renaissance d’une Algérie libre, indépendante et unie au-delà des différences régionales et de la diversité culturelle propres à notre pays. Il a milité dans un parti nationaliste, fondé et dirigé par Messali Hadj, et dont l’objectif, clairement énoncé dès 1926, par ce leader encore jusqu’à présent objet de censure, était l’Indépendance nationale. Arrêté en 1950 par les services de sécurité coloniaux, et alors qu’il exerçait le métier d’horloger à Relizane, Amirouche est condamné à la prison, en même temps que des militants nationalistes, tels que Rabah Bitat, forgeron à Aïn-Témouchent, Bensaïd Abderrahmane, commerçant à El-Amria, Benali Benachenhou, tisserand à Tlemcen et bien d’autres. Amirouche a laissé parmi ses compagnons de la prison militaire d’Oran, le souvenir d’un nationaliste convaincu, ayant en horreur le régionalisme, même sous ses formes les plus bénignes. Il projetait alors l’image d’un homme courageux, équilibré, calme, plutôt tacite, d’une très grande courtoisie, n’élevant jamais la voix, même lorsqu’il ne partageait pas l’avis de ses camarades de cellule, et également d’un fervent musulman, très attaché à l’Islam, et ne manquant jamais ses cinq prières. Déjà, à l’époque apparaissaient les qualités de leadership qui devaient lui permettre d’accéder au poste de colonel commandant la Wilaya III, à l’âge de 32 ans.
La Bleuite, une erreur de jugement dévastatrice
Il est évident que le lourd fardeau des responsabilités et l’ampleur des risques acceptés, jointes à la situation de tension permanente qui est propre à la guerre de guérilla, peuvent avoir été les facteurs ayant provoqué le changement profond dans la personnalité de Amirouche, changement qui explique, sans les justifier, certaines de ses actions et de ses décisions, qu’il a prises de son propre chef et sur la base de ses propres analyses. Parmi les décisions les plus contestées qui lui sont reprochées, la plus grave a été le crédit, malgré les mises en garde qu’il a reçues de ses camarades de combat comme de ses supérieurs hiérarchiques qu’il a accordé aux fausses informations diffusées par l’ennemi, informations jetant le doute sur la loyauté et le patriotisme de membres de l’ALN. La «Bleuite», opération de manipulation diabolique, conçue et mise en œuvre par le capitaine Paul-Alain Léger, capitaine du 1er Régiment de parachutistes étrangers, vétéran de la guerre d’Indochine, avec l’accord de son supérieur hiérarchique de l’époque, le colonel Godard, dans le cadre du «Groupe de renseignement et d’exploitation», créé fin 1957, à la suite de la bataille d’Alger, a commencé à donner ses effets négatifs sur la Wilaya III le 21 janvier 1958, date de l’exécution de la première victime de cette manipulation.
Des preuves incontestables de la responsabilité personnelle et directe de Amirouche
La responsabilité personnelle de Amirouche dans le lancement de cette campagne comme dans sa mise en œuvre ne fait aucun doute. Une déclaration du lieutenant Rachid Adjaout révèle, suivant un article rédigé par Aït Ouakli Wahib, article publié dans le quotidien l’Expression, l’incident qui a fait démarrer cette phase particulièrement sanglante de la lutte de Libération nationale. Voici ce que révèle, entre autres, cet article, dont on passe les détails, car tout un chacun peut le consulter sur internet.(
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien] formation/melh_elbled/lire.php? ref=5764). «Se rendant à Aït-Moussa pour enquête, le colonel Amirouche tombe nez à nez avec Rosa Tadjer ; recrutée à Alger et qui était la pièce maîtresse du réseau. Ayant à peine échangé quelques phrases avec cette femme, notamment sur les circonstances de son recrutement, le colonel de la Wilaya III s’est rendu à l’évidence qu’un complot le visait lui et la wilaya qu’il commandait.» Cette affirmation prouve, s’il le fallait encore, qu’au lieu de se borner à considérer que cette jeune fille était un agent avéré des services secrets ennemis pour une opération isolée, Amirouche a immédiatement mis cette espionne au centre d’un complot qui le visait comme il visait la Wilaya III. Adjout ne fait référence à aucun échange de vue entre le Colonel et quelque membre que ce soit du commandement de sa wilaya pour discuter de son hypothèse. Immédiatement après la capture de cet agent double, rapporte le même article, est mis en place au niveau de la Wilaya III un «comité d’épuration», co-présidé par Rachid Adjaout et Hacène Mahiouz, assistés de Hmimi Oufadhel et Mohand Oulhadj. Il est évident que ce «comité » ne pouvait avoir été constitué sans l’ordre expresse de Amirouche, dont c’était certainement l’idée, car il aurait été inimaginable, dans les circonstances que connaissait alors cette wilaya, au vu du style de commandement de Amirouche, comme au vu du fait que c’était lui qui avait qualifié la mission de Rosa de complot visant sa personne et sa wilaya, que quelqu’un d’autre que lui ait avancé cette idée, qui laissait planer le doute sur la fidélité de tous les combattants et auxiliaires de la Wilaya III. Il est certain que tout autre responsable que lui qui se serait hasardé à émettre l’idée de la mise en place d’un «comité d’épuration» wilayal aurait été le premier à y être déféré et en subir les décisions mortelles. Quant aux tortures et aux exécutions subies par les victimes, l’affirmation, répétée par certains partisans durs et purs de Amirouche, qui ne peuvent qu’être loués pour leur loyauté envers lui, suivant laquelle elles ont été pratiquées sans le consentement et l’ordre direct de Amirouche, est simplement invraisemblable. La notion de séparation des pouvoirs n’a pas été clamée comme une caractéristique du système intentionnel de l’ALN et du FLN !
La lettre-circulaire aux colonels et la réunion inter-wilayas de Oued-Asker
Un second élément qui renforce le point de vue selon lequel la responsabilité de Amirouche dans le déclenchement et la mise en œuvre de cette vaste tuerie, dont la justification a un rapport ténu avec les manipulations des services secrets ennemis, est la correspondance qu’il a adressée à ses collègues des autres wilayas, correspondance datée du 3 août 1958, où il écrit, selon diverses sources, aux commandants des autres willayas, entre autres, ceci : «Cher frère, j’ai le devoir de vous informer, en priant Dieu pour que ce message vous parvienne à temps, de la découverte en notre willaya d’un vaste complot ourdi depuis de longs mois par les services français contre la révolution algérienne. Grâce à Dieu, tout danger est maintenant écarté, car nous avons agi très rapidement et énergiquement. Dès les premiers indices, des mesures draconiennes étaient prises en même temps : arrêt du recrutement et contrôle des personnes déjà recrutées, arrestation des goumiers et soldats «ayant déserté», arrestation de toute personne en provenance d’autres willayas, arrestation de tous les djounoud [soldats] originaires d’Alger, arrestation de tous les suspects, de toutes les personnes dénoncées de quelque grade qu’elles soient et interrogatoire énergique de ceux dont la situation ne paraissait pas très régulière… Les traîtres sont surtout des personnes instruites, intellectuels, étudiants, collégiens, médecins et enseignants. » Amirouche prend même l’initiative d’inviter ces commandants de wilaya à une réunion qui se tient à Oued-Asker (sur les hauteurs de Taher) du 6 au 12 décembre 1958, et à laquelle prennent part, outre Amirouche, respectivement les colonels suivants : Wilaya I : Hadj Lakhdar (Aurès- Némemchas), Wilaya IV : Si M’hamed (Centre), Wilaya VI : Si El Haouès (Sud). Etaient absents le colonel commandant la Wilaya II Ali Kafi (Nord-Constantinois), représenté, cependant, par le capitaine Lamine Khene, et le colonel commandant la Wilaya V Lotfi (Oranie et Sud-ouest). Il est à souligner que certains des responsables présents à cette réunion avaient émis des réserves quant à sa légalité du fait qu’elle contrevenait à un ordre du Comité de coordination et d’exécution, alors organe suprême du FLN/ALN, qui interdisait les réunions interwilayas sans autorisation préalable de ce comité. Mustapha Tounsi, dans son ouvrage cité en exergue du présent article, rapporte les détails de cette réunion, à laquelle il avait pris part, en tant que membre de la délégation de la Wilaya IV (voir : Purges, liquidations, «tasfiyate» Les non-dits des années terribles, El Watan du 27 octobre 2005, article signé par Boukhalfa Amazit, ainsi que les différents interviews de Lamine Khene portant sur le même sujet).
Des témoignages objectifs concordants
À ces informations, données par les acteurs de cette tragédie, il faut ajouter les témoignages et les écrits sur cette phase terrible de la guerre de Libération nationale, qui ne manquent pas ; on se limitera à mentionner ici l’autobiographie du regretté Ferhat Abbas (24 octobre 1899 -23 décembre 1985) racontée dans son ouvrage intitulé : Autopsie d’une guerre( Éditions Garnier , Paris,1980 ), qui donne des détails - y compris la réaction de Krim Belkacem et la décision du CCE d’ordonner l’arrêt des poursuites et des exécutions — sur le déclenchement et les victimes de cette épuration massive, et l’ouvrage de Mohammed Harbi, Le FLN, mythes et réalités, (Éditions Jeune Afrique, 1988) ainsi que l’étude de Gilbert Meynier : Histoire intérieure du FLN(Fayard, 2002).
Ageron et les épurations massives
Un article exhaustif et particulièrement accablant sur les épurations a été rédigé par le regretté professeur Charles Robert Ageron (6 novembre 1923 - 3 septembre 2008). La préparation de cet article sérieux, fondé sur des critères scientifiques rigoureux, au-dessus de toute critique subjective, a dû exiger une recherche documentaire approfondie ne négligeant aucune source écrite ou orale d’information sur les péripéties en cause. Son auteur a choisi de lui donner le titre suivant, suffisamment parlant pour refléter le contenu de ce travail de fonds : Complots et purges dans l’Armée de libération nationale (1958-1961), (Revue d’histoire du XXIe siècle, volume 59, 1998, pp. 15-27
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien] s/home/prescript/article/xxs_02 94- 1759_1998_num_59_1_3775). Cet historien de métier donne des précisions incontestables et extrêmement détaillées sur ces purges et avance des chiffres terribles sur le nombre des victimes de ces épurations, chiffres basés non seulement sur les rapports de la gendarmerie et de l’armée ennemies, mais également sur des documents trouvés dans la sacoche de Amirouche par les soldats coloniaux, et sur des témoignages et des documents officiels algériens. Il mentionne également que des listes de noms de nombre de ces victimes existent dans les archives militaires de Vincennes. Il est loisible pour tout un chacun de consulter sur la toile web cet article écrit par un historien dont on connaît la sympathie pour le mouvement de Libération nationale, et dont la mort a donné lieu à des articles élogieux sur la presse nationale tant publique que privée.
2 812 suppliciés, selon Ali Yahya Abdenour !
Il faut également mentionner Ali Yahya Abdenour, que l’on ne peut dénoncer comme partisan du présent régime ou en provenance de la même zone géographique que celui actuellement au pouvoir ; Ali Yahya prononce cette phrase terrible dans une interview accordée au quotidien national La Nouvelle République, daté du 4 novembre 2004 (propos recueillis par Nadjia Bouaricha, voir :
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]. org/fr/article/hist/1954- 1962/novembre_04/ali_yahia_in dependance.htm). «Nousmêmes on a torturé et on a tué 2 812 jeunes étudiants, surtout des lycéens. La plupart de ces jeunes étaient des fils de paysans, même s’il y avait quelques fils de notables et de commerçants, de kaïds, mais la plupart étaient des enfants de paysans qui étaient instruits, représentant donc une menace pour les gens qui avaient pris le maquis et n’étaient pas instruits. » Cette affirmation ne demande aucun commentaire tellement elle est claire. Ali Yahya Abdenour est trop connu pour son combat en faveur des droits de l’homme et la démocratie, et sa personnalité est trop respectable pour qu’on s’avise, sans perdre sa propre crédibilité, à mettre en cause le chiffre terrible et les observations profondes qu’il fait sur les ressorts psychologiques et les motivations de revanche sociale qui ont animé tous les acteurs de cette tragédie digne de la mythologie grecque antique, où les meilleurs des fils de la Révolution ont été dévorés par les Gorgones à la violence gratuite et destructive et à l’abjecte laideur !
La mort de Amirouche, un simple hasard tragique de la guerre
Pour ce qui est des circonstances de la mort de Amirouche et de Haoues, même des chercheurs avisés comme Hamou Amirouche, un des secrétaires personnels de ce colonel, commettent l’imprudence, de manière plus ou moins directe ou plus ou moins voilée, de la mettre sur le compte d’un acte de trahison. Voici ce qu’écrit Hamou Amirouche, entre autres : «La mort de Si Amirouche en route vers Tunis pour “régler des comptes” avait-elle été voulue par certains des nôtres ? Y avait-il des taupes au sein de l’état-major général ? Je me mis à songer à ce que m’avait révélé d’un air de conspirateur, le Commandant… » (Akfadou, Un an avec le Colonel Amirouche, Casbah Éditions, 2009, p. 270). Le nom que Hamou Amirouche a cité a été volontairement passé sous silence. Rien, cependant, dans les conditions qui ont abouti à la mort tragique des colonels Amirouche et Haoues, aucun indice, aucune «fumée» qui corroboreraient les soupçons, maintes fois repris, d’une trahison en provenance des chefs hiérarchiques de Amirouche ! On peut affirmer, sans la moindre réserve mentale, et sans courir le risque d’être démenti par des informations que découvriraient plus tard des historiens, que cette «histoire à dormir debout», comme l’a si bien qualifiée Rachid Adajout, officier de l’ALN, membre du secrétariat particulier du colonel Amirouche, interviewé par Abdenour Si Hadj Mohand, est le pur fruit de l’imagination maladive et fertile de ceux mêmes qui ont inventé la «Bleuite» et voudraient prouver qu’en fait Amirouche aurait eu raison de mener son opération d’épuration, puisque des «traitres» se seraient même glissés au sommet de la hiérarchie du système FLN/ALN. Le capitaine Léger, décédé en 1999, doit se réjouir dans sa tombe du succès de son action d’intoxication qui a réussi à jeter une ombre de doute même sur les hauts responsables de la guerre de Libération nationale.
Une information diffamatoire sans fondements
Cette information diffamatoire n’a, pourtant, reçu aucune confirmation, après tant d’années qui séparent les évènements en cause de ce jour, de la part des ennemis de l’indépendance de l’Algérie, qui ont pris part à l’action militaire en cause. S’il y avait un brin de vérité dans cette diffamation, tous les généraux de France et Navarre, tous les historiens militaires qui ont gardé la nostalgie de la colonisation et n’ont, jusqu’à présent, pas digéré leur défaite politique, n’auraient pas hésité non seulement à raconter les circonstances les plus secrètes de cette «histoire à dormir debout», mais également à donner le nom réel, ou, s’ils l’ignoraient, le nom de code de l’opérateur radio algérien qui aurait passé l’information, et le nom de l’opérateur ennemi qui l’aurait reçu, avec, évidemment, mention de son grade, de même que la longueur d’onde et la fréquence utilisées pour la communication ! Les écrits sur l’opération d’intoxication et de noyautage par le capitaine Léger ne manquent pas. Cet acte de barbarie et de fourberie est considéré comme l’un des grands faits de guerre de l’armée ennemie. Et il est certain que les écoles militaires tant de l’ancienne colonie que d’autres pays étudient avec intérêt cette action de déstabilisation «réussie ». Mais, jusqu’à présent, ce que répètent les historiens qui font état de cette version de la mort de Amirouche et de Haoues, c’est seulement ce que certains Algériens continuent à ressasser, alors que cette version n’a rien, même pas le moindre indice, le moindre brin de preuve, si microscopique soit-elle, pour la soutenir !
Quelques détails sur la bataille de Djebel Thameur fournis par l’ennemi et confirmés par les témoins algériens
«La rencontre des escortes des deux colonels avec les forces coloniales était fortuite», comme le signale Farouk Zahi, dans un article rédigé à l’occasion du 50e anniversaire de la bataille du Djebel Thameur. (
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien] cles-15892-28-15380). En luimême, le combat qui a abouti à la mort de Amirouche et de Haoues n’a rien d’extraordinaire, en temps de guerre, dans son démarrage comme dans son déroulement et son issue. Un accrochage entre trois moudjahidine en arrière-garde, repérés par un avion d’observation ennemi, et une section ennemie les pourchassant, fait découvrir par l’ennemi la présence d’une importante unité de l’ALN. D’ailleurs, un petit commando isolé de l’ALN, en provenance de la Wilaya III et en mission en Wilaya VI, mieux camouflé, et dirigé par Omar Ramdane, l’ancien responsable du Forum des chefs d’entreprises, était dans les parages et avait échappé à la vigilance de l’ennemi. Laissons des acteurs, ennemis, de cette tragédie, donner la suite des évènements. Voici ce qu’écrit sur un aspect de la bataille un officier ennemi du 6e Régiment de Parachutistes d’infanterie marine, commandé par le colonel Ducasse, et dont l’unité a participé au combat en même temps que 3 escadrons blindés, le 584e Régiment du commandant Waisse et le 126e Régiment d’infanterie composé de tirailleurs sénégalais, au total, environ 2 500 hommes du côté ennemi contre un maximum de 121 hommes du côté de l’ALN : «Le 28 mars, une nouvelle fait rapidement le tour du régiment : Amirouche serait dans la région ! Les paras l'ont manqué de peu le 22 mars, mais ils ont capturé son secrétaire. Grâce aux renseignements obtenus auprès de la population, le colonel Ducasse a monté une opération malgré les réticences des autorités de secteur. Dans l'aube naissante, les unités se mettent en place discrètement. Les paras sont à pied d'œuvre sur les pentes du Djebel Thameur. En silence, les paras gravissent les flancs de la montagne. Chaque compagnie s'infiltre dans le djebel et le fouille méticuleusement. À midi, l'ennemi, fixé, ne peut plus s'échapper. Le 6e RPIMa entre alors en action. Trois compagnies sont déployées : la 4e Cie à l'ouest, la "1" au centre et la "2" à l'est. En réserve, la "3". Les fells ajustent leurs coups comme à l'exercice. On grimpe en rampant, des hommes tombent...
Le combat est très dur. Il faut réduire séparément chaque nid de résistance. Une multitude de duels se livre de trou à trou. Les grenades détonent sèchement, les rafales crépitent... Les fells tentent un ultime baroud : 7 HLL sont tués et 3 prisonniers. L'un d'eux, terrorisé, déclare : «Je suis l'agent de liaison d'Amirouche». L'information circule : «Attention ! Amirouche porte une tenue camouflée et une casquette de parachutiste. Rien qui lui ressemble dans les morts et les prisonniers. Une compagnie reçoit la mission de fouiller la zone. Un rebelle est repéré dans un éboulis, au bord d'une falaise. Quatre paras l'ajustent et le criblent de balles. Le rebelle est habillé de la fameuse tenue camouflée, mais il n'a pas de casquette. Les paras sont pratiquement sûrs d'avoir tué Amirouche. Les traits ne sont pas altérés et le visage correspond bien aux photos de presse publiées à l'occasion des sinistres exploits du tueur. Plusieurs musettes contenant l'organigramme et des documents de la Willaya III semblent l'attester. Le colonel Ducasse en est persuadé quand des prisonniers confirment l'identité du mort. Dès lors, c'est le défilé des autorités et des généraux (seul le général Massu passera un long moment avec les 7 blessés du régiment). Plus tard, 16 Kabyles identifieront formellement le corps.» Il s’agit là d’un récit sec, mais avec suffisamment de détails pour ne laisser aucun doute sur les circonstances de la mort, héroïque, faut-il le souligner ? du colonel Amirouche ! Dans un combat, ô combien inégal ? où à chaque moudjahid étaient opposés 20 soldats ennemis appuyés par un armement divers, puissant et sophistiqué, les djounoud et officiers algériens ont fait montre d’un courage sans borne. De quel courage doit faire preuve un adversaire appuyé par l’artillerie, les blindés, les hélicoptères lourds Sikorski, et une logistique abondante ? Dans cette bataille inégale, ce sont les moujahidine qui ont eu le dernier mot, même s’ils ont été décimés pratiquement jusqu’au dernier ! Cette bataille est un exemple de la disproportion des forces en présence pendant toute la guerre de Libération nationale et une réponse à tous les dénigreurs professionnels qui continuent à clamer haut et fort que l’Indépendance a été donnée aux Algériens ! Il n’est nullement question, donc, de diminuer le mérite de ceux qui sont allés jusqu’au sacrifice suprême devant des forces nettement supérieures ; mais seulement de rappeler que l’héroïsme ne peut contrebalancer les erreurs qui ont failli amener la lutte de Libération nationale à une issue fatale. À préciser que le nombre des victimes de la bataille, qui a duré deux jours, les 28 et 29 mars 1959, du côté de l’ALN, a été de 108 morts et 13 prisonniers, dont le commandant Amar Driss, adjoint du colonel Haoues et responsable du groupe de 40 hommes chargés de la protection rapprochée de Amirouche et de Haoues, qui fut exécuté sommairement après avoir été torturé par l’ennemi.
Dans le déroulement de la tragédie et la mort du colonel Amirouche, rien qui mérite d’être caché ou déformé !
Le nom des deux soldats qui ont retrouvé les sacoches du colonel Amirouche, un Sénégalais et un Français de la Métropole, est également mentionné par les acteurs directs de ce drame du côté ennemi, de même qu’est décrit , dans les récits, le contenu de ces sacoches, dont une liasse de documents, où se trouvait une liste donnant un décompte partiel qui faisait état, sur 542 personnes jugées, de 54 libérés, 152 condamnés à mort et 336 décédés au cours des interrogations, dont 30 officiers, soit 488 décès. Le dernier chiffre est contesté par toutes les sources crédibles, que ce soit Ferhat Abbas, Ali Yahya Abdenour ou les procès-verbaux de la gendarmerie et de l’armée ennemies. Le document était vraisemblablement destiné à minimiser l'ampleur des purges auprès du GPRA. Cependant, il faut souligner que chaque vie est précieuse, et que même ce chiffre de 488 exécutions représente la fin des espoirs, des ambitions et des accomplissements de jeunes encore à la fleur de la jeunesse, et dont la vie a été arrachée par des décisions arbitraires cruelles et pour des motivations et des objectifs qui demeurent une énigme jusqu’à présent et que tout un chacun voudrait connaître, qu’il ait été ou non témoin direct ou indirect de cette tragédie ! On peut être convaincu que le GPRA aurait souhaité que Amirouche arrive vivant à Tunis, pour qu’ils puissent comprendre pourquoi il s’est lancé dans cette tuerie massive, dont les causes «connues» ne sont pas crédibles. Les Algériennes et les Algériens de maintenant auraient également voulu connaître la vérité derrière ces massacres qui, loin de renforcer les actions de la lutte armée, ont été probablement la cause de la prolongation de la guerre pour plusieurs années, et dont la conséquence funeste à été de centaines de milliers d’autres morts Algériennes et Algériens ! Il est à souligner — et la liste du matériel militaire récupéré par l’ennemi n’en fait pas mention, — Amirouche n’avait pas de poste émetteur-récepteur pour la bonne raison que non seulement il avait décidé de couper les communications avec Tunis, mais encore plus, parce que les deux officiers des transmissions, dont l’officier Harouni Bougra, qui avaient été mis à sa disposition par le Commandement général de l’ALN étaient morts en martyrs peu après la dernière communication de Amirouche avec le GPRA, et que leurs remplaçants, dont un certain Ferroukhi, martyrs tous les deux, attendaient en Wilaya IV d’être accompagnés à leur wilaya d’affectation. À mentionner également que les services de renseignement algériens n’avaient pas pu informer le colonel Amirouche qu’il avait été repéré sept jours avant sa mort, parce qu’à l’époque, pour des motifs de sécurité, le colonel Bouguerra de la Wilaya IV, avait demandé à son officier des transmissions, Mustapha Tounsi, de la Seconde promotion, d’enterrer son émetteur- récepteur, et qu’en Wilaya II, une opération militaire de grande envergure était en cours, empêchant l’officier radio, le regretté Rahal Zoheir, de la même promotion — mort en martyr, — d’effectuer ses vacations. Quant à l’hypothèse d’un opérateur radio algérien communiquant l’information sur la position de Amirouche, elle est doublement invraisemblable, d’abord parce que Amirouche n’était pas homme à révéler ses intentions lorsqu’il était en déplacement et utilisait jusqu’à 12 guides qu’il envoyait vers des directions différentes, et ne donnait sa véritable destination qu’à la toute dernière minute, ensuite parce que le cloisonnement extrême entre les différents services du MALG, aussi bien que les caractéristiques techniques des appareils radios utilisés par les agents des services d’écoute et les agents des services de transmission, rendaient absolument impossibles pour des personnes travaillant dans différents services d’accéder simultanément et rapidement aux informations et aux moyens techniques qu’impliquerait un tel acte de trahison. D’ailleurs, le dépouillement des archives militaires de Vincennes par Gilbert Meynier, déjà cité plus haut, et d’où cet historien a tiré ses informations pour écrire son livre sur le FLN, prouve que ce cloisonnement n’a jamais été mis à défaut par les services ennemis.
En conclusion :
1) Ceux qui tentent d’exploiter le nom et le renom de Amirouche pour faire avancer une cause qu’il abhorrait parce qu’il était d’abord et avant tout un nationaliste qui voulait une Algérie indépendante et unie, commettent un acte de récupération qui constitue une insulte à son âme et sont ceux qui veulent transformer sa première mort en une seconde mort pour une cause à laquelle il n’a jamais été question pour lui d’adhérer.
2) Les différents témoignages, provenant de ceux mêmes qui veulent l’innocenter, confirment que Amirouche porte seul la responsabilité du déclenchement et de l’exécution de l’opération sanguinaire d’épuration de la Wilaya III.
3) Ceux qui ont pris part à cette opération l’ont fait à titre de simples exécutants et leur responsabilité dans les massacres ne peut servir de paravent à la responsabilité claire et directe de Amirouche, en tant que colonel comandant une wilaya dans un système hiérarchique qui ne laissait aucune place à la consultation collective ou à la séparation des pouvoirs.
4) On peut discuter du nombre des victimes ; mais les chiffres en provenance de sources aussi crédibles les unes que les autres prouvent que ce nombre a été extrêmement élevé ; le dénombrement macabre, l’exigence de donner des noms ne réduisent en rien la cruauté de ces exécutions.
5) Chacun de ceux et celles qui ont été exécutés à la fleur de l’âge se sont vu privés du droit à la vie, à l’espoir, aux ambitions et aux accomplissements ; une victime de plus est une de trop ! Il faut donc cesser de chipoter sur les chiffres, ce qui prouve une absence totale de sensibilité et de respect pour la personne, car derrière chacune des unités dont ils étaient la somme, il y avait un être humain.
6) Cette opération a sans aucun doute contribué fortement à la prolongation de la guerre, et à l’augmentation des victimes comme à l’exacerbation des souffrances du peuple algérien ; c’est pour cela qu’elle doit être condamnée, quels qu’aient été les exploits de Amirouche et la gloire que veut en tirer une région ou certains hommes politiques d’une région de l’Algérie une et indivisible.
7) Quant aux circonstances de la mort de Amirouche, elles n’ont rien d’extraordinaire en période de guerre ; et tous ceux qui ont vu de près la guerre savent que souvent le hasard est le pire ennemi ou le meilleur ami du soldat.
8) Les tenants de la thèse de la trahison n’ont aucune preuve à présenter, aucun indice à avancer ; ce n’est pas en répétant cette thèse jusqu’au dégoût, ou ad libitum et à l’infini ou ad infinitum qu’on accroît sa crédibilité.
9) Tous les éléments d’information permettant de reconstituer les événements ayant mené à la mort de Amirouche et de Haoues sont disponibles et ne souffrent aucune ambiguïté et n’exigent pas d’être cachés ou déformés.
10) Ceux qui ont concocté cette version diffamatoire d’une page d’histoire glorieuse de l’Algérie continuent à justifier a posteriori la version donnée par l’ennemi suivant laquelle l’opération de la «Bleuite a non seulement réussi, mais qu’elle aurait été basée sur des faits avérés de trahison au plus haut niveau de la hiérarchie politico-militaire de l’ALN/FLN.
11) La vie de Amirouche, même pour ceux dont on prétend qu’il les menaçait par sa personnalité, était préférable à sa mort, car, ces chefs, comme nous-mêmes, aurions pu avoir, de sa propre bouche, une explication de ses actes de destruction d’une partie des jeunes intellectuels de la wilaya, et, par delà ces victimes, de la compromission de l’avenir de l’Algérie ; il est mort en emportant avec lui le secret de ses motivations profondes et c’est une perte encore plus grande que sa propre mort.
12) Il est probable que les mémoires du capitaine Aït Mehdi Arezki sur la Wilaya III apporteront, au cas où ils trouvent éditeur, quelques lumières sur cette période sombre de la lutte armée.
13) Boussouf et Boumediène sont-ils les ultimes victimes, de manière posthume, de la «Bleuite» ? Et le capitaine Léger poursuit-il, par delà sa tombe, sa guerre infâme et criminelle contre l’Algérie, avec la complicité ouverte de certains de nos citoyens les plus éclairés ? Continue-t-il à dicter aux Algériennes et Algériens leur image des dirigeants de la glorieuse lutte de Libérations nationale, et donc l’histoire de notre pays ? Contrôle-t-il maintenant tout l’avenir de l’Algérie indépendante après s’être vanté de contrôler une wilaya pendant la guerre de Libération nationale ?
M. B.
Le Soir d'Algerie