L’agence de presse officielle MAP vient de fêter un demis
siècle de bons et royaux services, fidèle à une ligne éditoriale
résumée en trois mots : Allah, Al Watan, Al Malik.
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Le 18 novembre 1959, au cabinet royal à Rabat, Mohammed V inaugure le “fil” de la MAP, à l’occasion de la fête du Trône. Flanqué du prince héritier Moulay El Hassan et de Moulay Abdallah, le souverain adresse sur téléscripteur le message qui consacre la devise de l’agence : “La nouvelle est sacrée, le commentaire est libre”. L’agence a été créée
quelques mois plus tôt par Mehdi Bennouna, conseiller chargé de la presse et des relations publiques de Mohammed V. Homme de médias, il veut doter le Maroc, à peine indépendant, d’un outil d’information capable de casser le monopole des agences de presse étrangères.
S’entourant de journalistes aussi bien marocains qu’étrangers, Mehdi Bennouna impose, vaille que vaille, l’indépendance de la MAP au pouvoir en place. Nationaliste proche de Mohammed V, il ne rue pas dans les brancards. Néanmoins, au cours des années 1960, la liberté de ton de la MAP dénote de plus en plus aux oreilles de Hassan II. “Nous avons traité l’affaire Ben Barka sans jamais passer d’informations téléguidées par les officines officielles”, racontait récemment dans nos colonnes Abdallah Stouky, journaliste de la première heure à la MAP (voir TelQuel n°416).
La MAP matée
A l’orée des années 1970, le bébé de Mehdi Bennouna commet le faux pas au mauvais moment. Le 10 juillet 1971, le fondateur de l’agence, invité au palais royal de Skhirat, assiste en “live” à la tentative de coup d’Etat du colonel Ababou. Echappant au massacre, il file dare-dare au siège de la MAP, son scoop sous le bras. Mehdi Bennouna écrit dans l’urgence une dépêche relatant la tentative de putsch. Sa prose est reprise dans les heures suivantes par les organes de presse du monde entier. Le rêve pour un agencier. Un cauchemar médiatique pour Hassan II.
Ce jour-là, le roi comprend qu’il doit achever le travail commencé au début de son règne. Il s’est créé une radio et une télé sur mesure, la RTM, possède déjà un quotidien fidèle et dévoué, Le Matin du Sahara. Il lui faut compléter son tableau de chasse en muselant le seul média de masse qui lui échappe encore : la MAP de Bennouna. Ce dernier est ainsi sommé de revendre l’agence à l’Etat. Le contrat de concession ne sera signé qu’en mai 1975, à la veille de la Marche Verte, mais le sort de la MAP a bel et bien été scellé au lendemain du putsch de 1971, dans un climat de fermeture politique qui aura des effets néfastes sur le peu de médias encore indépendants.
Chat échaudé craignant l’eau froide, Hassan II ajoute un ultime verrou au moment du rachat : “Les actionnaires de la société MAP s’engagent à ne plus créer, administrer, gérer ou participer au capital de toute agence de presse”, ordonne l’article 2 du contrat de concession.
La voix de son maître
Le 18 novembre 2009, la MAP a célébré ses 50 ans, assumant le surnom qu’elle traîne depuis son rachat : la Makhzen arabe presse. Sa devise n’a pas changé depuis son inauguration par Mohammed V. Inscrite hier sur le papier, “La nouvelle est sacrée, le commentaire est libre” trône aujourd’hui au frontispice du site Internet de l’agence. Mais son sens a changé. En fait de sacré, c’est désormais le roi qui squatte les dépêches de l’agence, tandis que le commentaire n’est plus libre mais laudateur. Pour ne rien rater des faits et gestes du souverain, la MAP a d’ailleurs créé sous Hassan II un service dédié aux seules activités royales. Le Service palais royal (SPR), de son petit nom, est composé d’une dizaine de journalistes et d’un chef de service en contact direct avec le cabinet royal. “Les membres de l’équipe royale sont triés avec minutie. Ils font l’objet d’une enquête préalable, leur passé devant être irréprochable. Ils doivent, de surcroît, être discrets et obéir au doigt à et l’œil aux consignes de la direction et du protocole royal”, explique un cadre de la MAP.
On ne demande pas aux journalistes du SPR de penser, mais de se cantonner à un rôle de scribe remplissant des textes à trous. C’est que le canevas des dépêches sur les activités royales est immuable depuis Hassan II : “Rien ne les différencie d’un Mustapha Alaoui qui, à la TVM, connaissait par cœur les formules consacrées au roi et ne faisait que mettre à jour son texte”, surenchérit un ex-dirigeant de la MAP.
Attention à la gaffe
Seuls changeaient la date, le lieu et la nature des activités du roi défunt. Aujourd’hui, Mohammed VI, serial inaugurator, donne tout juste un peu plus de travail à l’équipe royale, qui doit aussi actualiser le projet lancé par le souverain. Cette partition réglée comme du papier à musique ne prémunit cependant pas des fausses notes. La dernière en date a eu lieu, le 15 avril dernier, lors d’une visite de Mohammed VI à Beni Mellal. Ce jour-là, le roi inaugure deux projets de développement, l’un d’un montant de 174 millions de dirhams et l’autre de 700 millions de dirhams. L’équipe royale de la MAP, qui l’accompagne, s’emmêle les pinceaux et titre sur le projet le moins onéreux. L’erreur échappe à l’œil vigilant, en temps ordinaire, des responsables de la MAP. Le Matin du Sahara reproduit la dépêche en Une, sans en changer une ligne, comme le quotidien du palais en a obligation pour les activités royales. Al Aoula et 2M, qui font de même, donnent par la même occasion un écho massif à la bourde.
Pas de quoi fouetter un chat, en vérité. Sauf qu’on ne badine pas avec les activités royales. Le duo de journalistes de la MAP, responsables de l’erreur, se fait passer un savon. Le boss de l’agence, Ali Bouzerda, est, quant à lui, convoqué d’urgence à Beni Mellal, sur les lieux du “crime de lèse-majesté”. Sur place, l’attendent de pied ferme le directeur du cabinet royal, Rochdi Chraïbi, et la conseillère royale, Zoulikha Nasri, pour lui remonter les bretelles.
De la propagande à la com’
Ali Bouzerda doit faire son mea culpa. L’homme est pourtant réputé être précautionneux à l’extrême quand il s’agit de littérature royale. Ainsi, le 22 septembre dernier, l’agence diffuse un communiqué du palais annonçant que “S.M. le Roi Mohammed VI présidera la cérémonie de conclusion de l'acte scellant le mariage de SA le Prince Moulay Ismaïl”. Quatre jours plus tard, le mariage ayant été conclu, il suffit pour la MAP de reproduire le communiqué initial en le conjuguant au passé. Logique élémentaire. Pourtant, Ali Bouzerda, redoutant de commettre un impair, appelle Rochdi Chraïbi : “Il lui a demandé s’il pouvait changer ‘présidera”‘par ‘a présidé’. Rochdi Chraïbi lui a ri au nez”, rapporte un membre de l’agence.
Derrière ce rire perce tout le paradoxe de la MAP version 2010. L’agence a gardé des réflexes hérités de Hassan II, époque où toute initiative était bannie, alors qu’on lui demande aujourd’hui en haut lieu de vendre de manière plus efficace la nouvelle ère. “L’équipe royale décrit les activités de Mohammed VI selon un canevas qui a peu évolué. Elle se contente de décrire l’évènement sans apporter de valeur ajoutée”, explique un vieux journaliste de la MAP. L’impact, comme on dit dans le jargon des médias, est quasi nul.
Le staff de Mohammed VI a fini par s’en apercevoir et essaye de rectifier le tir. Lors des visites royales, le directeur de la communication du cabinet royal, Chakib Laâroussi, qui connaît bien la maison pour y avoir travaillé, a pour habitude de donner des conseils aux journalistes de l’agence. Il leur demande, entre autres, d’éviter le simple compte-rendu chronologique. L’agence dépêche aussi, en renfort de l’équipe royale, quelques-uns de ses vieux briscards pour pondre des papiers signés. “Ce fut notamment le cas lors de la tournée du souverain dans la région d’Imilchil en février dernier. On a dépêché des responsables de bureaux régionaux pour des reportages chez les populations ciblées par les projets royaux”, confie l’un des journalistes partis prêter main forte.
Au service de l’Etat
La com’ de M6 remplace peu à peu la propagande de Hassan II. Mais il n’y a pas encore de quoi crier à la révolution médiatique. L’héritier de Hassan II se taille la part du lion dans les dépêches de l’agence, comme du temps de son père. Et laisse à ses commis d’Etat le reste. C’est ainsi que le patron des prisons, Hafid Benhachem, ignorant peut-être les règles de préséance, a eu droit il y a quelques semaines à un cours en accéléré du directeur de l’agence Ali Bouzerda. Il avait appelé le patron de la MAP pour se plaindre : une de ses allocutions n’avait pas été reprise en intégralité. Réponse au bout du fil, rapporte un témoin : “Seul les discours et allocutions de Sa Majesté sont repris en entier sur le fil de l’agence”.
Le protocole reste le protocole, et quel que soit le DG de l’agence, l’ordre reste immuable. Après le roi, viennent le ministère de l’Intérieur, celui de la Justice et le département des Affaires étrangères. Ils transmettent leur littérature officielle, avec la consigne de les diffuser selon leurs desiderata. Terrorisme, Sahara, procès contre la presse, voici résumé le triptyque des sujets sensibles : “Nous ne faisons que titrer les communiqués de l’Intérieur, de la Justice, de la DGSN ou de la gendarmerie”, explique un ancien responsable de la MAP. Pour encore plus de sûreté, “l’information, une fois prête à être diffusée sur le fil de la MAP, est soumise à l’Etat pour validation. C’est le cas notamment lors du démantèlement de réseaux terroristes”, surenchérit-il.
Le côté porte-voix officiel de l’agence peut également connaître des ratés. L’affaire Belliraj en reste le plus bel exemple. Le 18 avril 2008, la rédaction de la MAP connaît une effervescence assez rare. L’agence est mobilisée pour annoncer le démantèlement du réseau Belliraj. Sauf que les arrestations sont officialisées par la MAP avant d’avoir eu lieu. A Fès, les policiers étaient encore en train de perquisitionner le domicile de Mohamed Amine Reggala (membre dirigeant d’Al Badil al Hadari) que la MAP l’annonçait déjà sous les verrous. A Rabat, le même scénario s’est répété avec Mohamed Marouani, dirigeant de Hizb Al Oumma, et Laâbadla Mae El Aïnine, jeune cadre du PJD. La MAP s’est donc retrouvée dans un rôle de “berrah” criant sur les toits un événement avant qu’il n’arrive. Rebelote en juillet 2009. Avocats et familles des 34 membres du réseau Belliraj attendent patiemment le retour des magistrats (en délibération) pour être fixés sur le sort de leurs clients. Quelques minutes avant l’énoncé du verdict, les jugements étaient déjà bien détaillés sur le fil de la MAP.
Journalistes et plus encore…
Quel est le point commun entre le monde du renseignement et le journalisme ? La recherche d’informations et son recoupement. La réponse à cette devinette coule de source pour certains directeurs des bureaux de la MAP à l’étranger. A Nouakchott, Alger, Paris ou Madrid, capitales sensibles pour les intérêts du Maroc, les représentants de l’agence revêtent une deuxième casquette en plus de celle de journalistes. Celle de collecteur de renseignements pour l’Etat. “Jusqu’à une époque récente, le bureau de la MAP à Alger ne faisait qu’alimenter les hauts responsables en rapports circonstanciés”, confie un vétéran de l’agence. “Le Maroc dispose de services de renseignements compétents pour s’acquitter de cette mission. Mais un journaliste présente l’avantage d’avoir un réseau plus vaste, et n’a pas de difficultés à entrer en contact avec les responsables locaux et les diplomates des pays étrangers”, surenchérit-il. Tout le monde le sait au sein de l’agence, du boss au journaliste lambda : à Alger, “on sert avant tout le drapeau”, confie une petite main de la MAP. C’est aussi un secret de polichinelle chez nos voisins algériens. Méfiants, ils ont d’ailleurs demandé que l’ancien siège de la MAP à Alger soit déplacé. Il était trop près à leur goût d’une zone sensible. Mitoyen du palais présidentiel, un mur à peine le séparait de la résidence du chef de l’Etat algérien.
En utilisant les journalistes de l’agence, l’Etat optimise ses chances de glaner de l’information, et peut en outre recouper la récolte effectuée par les services compétents. L’exemple le plus frappant reste le coup d’Etat survenu en août 2005 en Mauritanie. Le Maroc n’a rien vu venir et veut comprendre pourquoi. Le directeur de la DGED, Yassine Mansouri, multiplie les coups de fils à Nouakchott en direction de l’ambassade du Maroc. Mais, fait révélateur, il n’oublie pas d’appeler aussi le bureau local de l’agence de presse. En tant qu’ancien directeur de la MAP (voir encadré), il sait tout le bénéfice qu’il peut tirer d’informations glanées par les journalistes sur place. Une matière nécessaire aux recoupements. “Nous vérifions la véracité de nos informations auprès des agents de la DGED en poste à l’étranger. Ils en font de même avec nous”, confie un ancien du bureau d’Alger.
Notes d’informations
Ce pan caché du travail des journalistes de l’agence se concrétise noir sur blanc sous la forme des fameuses “notes d’information” de la MAP. Un nom on ne peut plus explicite. Leur travail de collecte se cache, en revanche, derrière l’apparence d’une dépêche normale, comme en pond tous les jours l’agence. C’est ainsi qu’un journaliste de la MAP peut se retrouver à tâter le pouls du voisin algérien, comme il peut surveiller les actions de Al Adl Wal Ihsane ou humer l’air du côté de l’extrême gauche. “Quand on envoie un journaliste couvrir une manifestation de Al Adl Wal Ihssane, il sait que ce qu’il va écrire ne sera jamais destiné à être diffusé sur le fil, mais qu’une synthèse en sera faite pour être transmise aux services concernés”, explique un journaliste de la boîte.
Le tout est centralisé par un service au nom anodin : le secrétariat de presse. Logés au cinquième étage, celui de la direction, les “secrétaires de presse” sont sous le contrôle direct du patron de la MAP. “En principe, toutes les notes d’informations atterrissent chez le directeur général qui, selon son appréciation et le sujet, les transmet à son tour à qui de droit”, explique une source interne. Ces infos en “off” sont destinées à un lectorat trié sur le volet, heureux de bénéficier d’un bulletin météo leur donnant la température sur les sujets chauds. Parmi ces happy few, on retrouve le staff de la DGED, du ministère de l’Intérieur et des Affaires étrangères. Voire le cabinet royal, pour les affaires les plus sensibles. Que des officiels, en résumé.
La seule exception à cette règle porte un nom : Fouad Ali El Himma. Pourtant revenu à la vie civile depuis qu’il a quitté le ministère de l’Intérieur, l’ami du roi continue à recevoir les briefs de la MAP qu’il parcourt pendant son café du matin. Pas sûr qu’il y trouve son bonheur. A son arrivée à la tête de l’agence, Ali Bouzerda a réduit de moitié le secrétariat de presse, passé d’une dizaine à cinq membres, livrés à eux-mêmes depuis que leur chef a été placardisé aux archives. Mieux, ce service hautement sensible est passé à des horaires administratifs qualifiés de “surréalistes” par d’anciens journalistes de la MAP : de 10 à 17 heures. Autrement dit, il n’assure plus cette veille qui permettait aux responsables des “dossiers chauds” du pays (diplomates, sécuritaires, etc.) d’être tenus informés en temps réel. Si bien qu’aujourd’hui, l’agence continue de traîner la réputation d’être une succursale des services de renseignements, mais n’aurait plus son efficacité d’antan. On ne sait pas s’il faut s’en plaindre ou s’en réjouir…
La MAP en chiffres
240 millions de dirhams de budget
303 journalistes
23 bureaux régionaux
21 bureaux internationaux
400 abonnés au Maroc et à l’étranger
6 langues de publication : arabe, français, anglais, espagnol, chinois, japonais
Les patrons de l’agence
La MAP a connu quatre dirigeants depuis sa “nationalisation”. A chacun son style, ses instructions… et l’homme fort qui le soutient.
L’homme de Driss Basri
Entré à la MAP en 1962 comme reporter, il y gravit les échelons un à un, pour finir directeur de l’agence quand elle tombe dans l’escarcelle de l’Etat en 1974. Sous son impulsion, la MAP ouvre une vingtaine de bureaux à l’étranger et étend son réseau de correspondants à une grande partie du Maroc. Le résultat, c’est une arme de propagande massive au seul service de Hassan II. L’ère de Fenjiro, qui coïncide avec la mainmise de Driss Basri sur l’appareil d’Etat, se caractérise par un contrôle total de l’agence par le ministère de l’Intérieur. Rabat, qui tient en laisse la maison mère, délègue à ses représentants locaux la surveillance des succursales de la MAP : “Les gouverneurs avaient un droit de regard sur les dépêches émises par les bureaux régionaux”, se souvient un ancien de la maison. En 1999, après 25 ans de loyaux (et royaux) services, Fenjiro est remercié par Mohammed VI. Exit l’homme de Basri. Il est remplacé par Yassine Mansouri, un proche du nouveau souverain.
Training avant DGED
Une fois sur le trône, Mohammed VI dépoussière l’ancien régime. Il renvoie Driss Basri, la “femme de ménage de Hassan II”, comme se définissait l’ex-ministre de l’Intérieur, mais aussi ses soubrettes placées pour contrôler les médias. L’ami de collège de M6, Yassine Mansouri, remplace ainsi Abdelajil Fenjiro à la tête de l’agence. Il ne chamboule pas les meubles, poussant la discrétion jusqu’à garder la secrétaire de son prédécesseur. Il préfère se concentrer sur la face obscure : les briefs en “off” pour les hautes sphères. Il réactive les bureaux internationaux, redessine les circuits de l’information confidentielle et exploite à fond le filon de renseignements de première main qu’est la MAP. Son statut de “super journaliste” lui permet aussi d’étoffer son réseau, grâce à des rencontres régulières avec des diplomates étrangers, des représentants politiques et économiques. Une sorte de galop d’essai avant sa nomination à la tête du renseignement extérieur, à savoir la DGED.
Expert ès Sahara
Connaissant le dossier du Sahara sur le bout des doigts, il est choisi pour essuyer les plâtres du bureau de l’agence à Nouakchott, ouvert en 2000. Une fois à la tête de la MAP, il est omniprésent lors des négociations à Manhasset, validant dans les couloirs de l’hôtel les dépêches des journalistes de l’agence. Le dossier est sensible, chaque mot compte. L’homme a la réputation d’être en rapport étroit avec la DGED par atavisme professionnel et familial. Homme de réseau en Afrique, c’est un atout essentiel dans la défense des intérêts du royaume sur la question du Sahara. Sa qualité de beau-frère de Yassine Mansouri, le patron de la DGED, exacerbe son rôle de directeur de la MAP, à cheval entre l’information et le renseignement. Ces qualités seraient à l’origine de sa chute. En déplacement à Accra, au Ghana, il multiplie les contacts avec des responsables africains pour leur vendre la thèse marocaine sur l’affaire du Sahara. El Himma, qui n’appréciait déjà pas l’intimité de Khabachi avec Mansouri, aurait sauté sur l’occasion pour glisser un mot doux à l’oreille de M6. Une peau de banane à l’origine de son limogeage.
Parachuté par l’ami du roi
On affirme qu’il a gagné son siège de directeur grâce à de solides liens bâtis avec Fouad Ali El Himma, du temps où Ali Bouzerda était correspondant de Reuters. Lors de son discours de présentation, il assure que l’agence ne fera plus de renseignement pour l’Etat afin de se concentrer sur le journalisme. Une attaque directe contre son prédécesseur, Mohamed Khabachi, rivé sur les dossiers sensibles : Sahara et sécurité. Et une pique indirecte envoyée au beau-frère de Khabachi, Yassine Mansouri, patron de la DGED, en bisbilles avec le protecteur de Bouzerda, El Himma. Il démantèle les principales directions de la MAP, se mettant à dos les journalistes, leur syndicat, tandis que les démissions des cadres s’accumulent sur son bureau. Les journalistes qui osent protester sont mutés dans des bureaux régionaux paumés. Les membres de la MAP ont le sentiment d’avoir, en plus du roi, un nouveau produit à vendre : l’ami du roi. “Il a ouvert un bureau à Kelaât Sraghna pour couvrir l’actualité à Benguerir, le fief d’El Himma”, commente un journaliste de la MAP.
Sorties de route. Dérapages… contrôlés
Le 25 mars 2007, l’agence annonce qu’un homme et une femme ont été arrêtés à El Jadida pour une affaire de mœurs. Un fait divers anodin, mais la MAP prend le soin de faire dans le détail. C’est que l’homme en question n’est autre que le chanteur Rachid Gholam, surnommé le rossignol de Al Adl Wal Ihsane. L’objectif d’une telle manœuvre, sans être trop porté sur les savantes analyses politiques, est clair : ternir l’image de la Jamaâ de Abdeslam Yassine. En juillet 2009, la MAP en remet une couche. Elle rapporte l’arrestation, à Tétouan, des membres d’un réseau de trafic de drogue, précisant au passage que l’un des appréhendés est le frère de Nadia Yassine, la fille du chef de la mouvance islamiste. La MAP omettra toutefois de dire qu’il ne s’agissait en fait “que” du demi-frère (du côté de sa mère) de Nadia Yassine. La MAP peut aussi s’avérer sans pitié pour les hommes politiques installés. En septembre dernier, elle commet une dépêche sur le démantèlement d’un autre réseau de trafic de drogue, lâchant l’air de rien que, parmi les personnes appréhendées, figure un ancien député du RNI. Le président du parti de l’époque, Mostafa Mansouri, voit rouge : la MAP a “oublié” de préciser que le député en question avait été exclu du parti sept ans auparavant. Il accuse l’agence de “rouler” pour des rivaux politiques et de servir “certaines structures” de l’Etat. En langage clair, il sait que sa mise à mort est planifiée et que l’on prépare le terrain du putsch de son rival au sein du RNI, en l’occurrence le favori de Fouad Ali El Himma : Salahedine Mezouar.
Traitement de faveur. La MAP anagramme du PAM
Lors des élections communales, une blague faisait fureur chez les journalistes de l’agence. Si on demandait à un collègue “Où vas-tu ?”, sa réponse se faisait ironique : “Je vais contribuer à la campagne électorale du PAM”. L’humour est un exutoire au malaise vécu par les journalistes de l’agence, qui ont conscience de surmédiatiser à leurs corps défendant les activités du parti d’El Himma. La dernière réunion du PAM à Bouznika en est la preuve la plus récente, le raout ayant fait l’objet d’une vingtaine de dépêches au moins. La couverture des activités de la formation ressemble même, dans certains cas, au canevas formel et rigide des dépêches consacrées à Mohammed VI. On expédie en deux paragraphes le secrétaire général, Mohamed Cheikh Biadillah, pour consacrer cinq à six paragraphes au véritable héros de l’histoire : l’ami du roi. Ce traitement de faveur a hérissé le poil de plusieurs formations politiques qui voient, quant à elles, leurs activités noyées dans un fourre-tout : la rubrique “Vie politique et sociale” de l’agence. L’Istiqlal est même allé s’en plaindre auprès du ministre de la Communication, Khalid Naciri. Accusé de favoritisme, le directeur de l’agence, Ali Bouzerda, proche d’El Himma, a compilé pour sa défense la centaine de dépêches consacrées à l’Istiqlal depuis sa nomination, avant de les adresser à son ministre de tutelle. La MAP d’aujourd’hui ne se contente pas de prêcher pour la paroisse du patron du PAM. Elle lui sert aussi de ring pour décocher des coups bas. Ce fut le cas lors de son conflit avec le ministre de l’Intérieur, Chakib Benmoussa, avant les élections communales. Le gouverneur de Temara avait eu une prise de bec avec un conseiller parlementaire, rallié récent du PAM, à propos de projets de recasement de la population. “L’agence a diffusé un communiqué du PAM critiquant le gouverneur. C’est une première dans l’histoire de la MAP, censée, au contraire, diffuser la parole de l’Etat”, relève un ex-cadre de l’agence. Avant de publier l’attaque du PAM, un responsable de la MAP a demandé son avis à Abderrahmane Achour, gouverneur chargé de la com’ à l’Intérieur. “Vous en faites ce que vous voulez”, aurait-il répondu. Signe d’impuissance s’il en est. Le ministère de l’Intérieur, à qui l’agence obéissait au doigt et à l’œil, a trouvé plus fort que lui…
Profil Abdelkrim El Mouss
Tranchant comme un couteau “L’odeur de l'appât du gain rode dans les camps de Tindouf, un vrai foutoir qui symbolise le sens profond de cette célèbre maxime : ‘quand la morale fout le camp, le fric cavale derrière’”. Ces lignes écrites en mai 2008 pour le compte de la MAP sont l’œuvre de Abdelkrim El Mouss. Directeur de l’information jusqu’en 2001, ce pur produit de la maison était la lame tranchante de l’agence “contre les ennemis du pays”. Ses papiers étaient d’une rare violence, sanguins et sanglants quand il prenait pour cible l’Algérie et le Polisario. El Mouss a aussi trempé sa plume dans l’acide pour donner des leçons à Al Jazeera sur sa couverture des événements de Sidi Ifni, et s’est acharné sur le quotidien espagnol El Mundo qu’il a accusé d’entraver les bonnes relations entre Madrid et Rabat. Sa dernière victime n’est autre qu’Aminatou Haidar qui, en décembre 2009, a eu aussi droit à un papier la descendant en flammes. Aujourd’hui en semi-retraite, il ne sévit plus mais continue de bénéficier de tous les avantages de sa fonction.
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Le 18 novembre 1959, au cabinet royal à Rabat, Mohammed V inaugure le “fil” de la MAP, à l’occasion de la fête du Trône. Flanqué du prince héritier Moulay El Hassan et de Moulay Abdallah, le souverain adresse sur téléscripteur le message qui consacre la devise de l’agence : “La nouvelle est sacrée, le commentaire est libre”. L’agence a été créée
quelques mois plus tôt par Mehdi Bennouna, conseiller chargé de la presse et des relations publiques de Mohammed V. Homme de médias, il veut doter le Maroc, à peine indépendant, d’un outil d’information capable de casser le monopole des agences de presse étrangères.
S’entourant de journalistes aussi bien marocains qu’étrangers, Mehdi Bennouna impose, vaille que vaille, l’indépendance de la MAP au pouvoir en place. Nationaliste proche de Mohammed V, il ne rue pas dans les brancards. Néanmoins, au cours des années 1960, la liberté de ton de la MAP dénote de plus en plus aux oreilles de Hassan II. “Nous avons traité l’affaire Ben Barka sans jamais passer d’informations téléguidées par les officines officielles”, racontait récemment dans nos colonnes Abdallah Stouky, journaliste de la première heure à la MAP (voir TelQuel n°416).
La MAP matée
A l’orée des années 1970, le bébé de Mehdi Bennouna commet le faux pas au mauvais moment. Le 10 juillet 1971, le fondateur de l’agence, invité au palais royal de Skhirat, assiste en “live” à la tentative de coup d’Etat du colonel Ababou. Echappant au massacre, il file dare-dare au siège de la MAP, son scoop sous le bras. Mehdi Bennouna écrit dans l’urgence une dépêche relatant la tentative de putsch. Sa prose est reprise dans les heures suivantes par les organes de presse du monde entier. Le rêve pour un agencier. Un cauchemar médiatique pour Hassan II.
Ce jour-là, le roi comprend qu’il doit achever le travail commencé au début de son règne. Il s’est créé une radio et une télé sur mesure, la RTM, possède déjà un quotidien fidèle et dévoué, Le Matin du Sahara. Il lui faut compléter son tableau de chasse en muselant le seul média de masse qui lui échappe encore : la MAP de Bennouna. Ce dernier est ainsi sommé de revendre l’agence à l’Etat. Le contrat de concession ne sera signé qu’en mai 1975, à la veille de la Marche Verte, mais le sort de la MAP a bel et bien été scellé au lendemain du putsch de 1971, dans un climat de fermeture politique qui aura des effets néfastes sur le peu de médias encore indépendants.
Chat échaudé craignant l’eau froide, Hassan II ajoute un ultime verrou au moment du rachat : “Les actionnaires de la société MAP s’engagent à ne plus créer, administrer, gérer ou participer au capital de toute agence de presse”, ordonne l’article 2 du contrat de concession.
La voix de son maître
Le 18 novembre 2009, la MAP a célébré ses 50 ans, assumant le surnom qu’elle traîne depuis son rachat : la Makhzen arabe presse. Sa devise n’a pas changé depuis son inauguration par Mohammed V. Inscrite hier sur le papier, “La nouvelle est sacrée, le commentaire est libre” trône aujourd’hui au frontispice du site Internet de l’agence. Mais son sens a changé. En fait de sacré, c’est désormais le roi qui squatte les dépêches de l’agence, tandis que le commentaire n’est plus libre mais laudateur. Pour ne rien rater des faits et gestes du souverain, la MAP a d’ailleurs créé sous Hassan II un service dédié aux seules activités royales. Le Service palais royal (SPR), de son petit nom, est composé d’une dizaine de journalistes et d’un chef de service en contact direct avec le cabinet royal. “Les membres de l’équipe royale sont triés avec minutie. Ils font l’objet d’une enquête préalable, leur passé devant être irréprochable. Ils doivent, de surcroît, être discrets et obéir au doigt à et l’œil aux consignes de la direction et du protocole royal”, explique un cadre de la MAP.
On ne demande pas aux journalistes du SPR de penser, mais de se cantonner à un rôle de scribe remplissant des textes à trous. C’est que le canevas des dépêches sur les activités royales est immuable depuis Hassan II : “Rien ne les différencie d’un Mustapha Alaoui qui, à la TVM, connaissait par cœur les formules consacrées au roi et ne faisait que mettre à jour son texte”, surenchérit un ex-dirigeant de la MAP.
Attention à la gaffe
Seuls changeaient la date, le lieu et la nature des activités du roi défunt. Aujourd’hui, Mohammed VI, serial inaugurator, donne tout juste un peu plus de travail à l’équipe royale, qui doit aussi actualiser le projet lancé par le souverain. Cette partition réglée comme du papier à musique ne prémunit cependant pas des fausses notes. La dernière en date a eu lieu, le 15 avril dernier, lors d’une visite de Mohammed VI à Beni Mellal. Ce jour-là, le roi inaugure deux projets de développement, l’un d’un montant de 174 millions de dirhams et l’autre de 700 millions de dirhams. L’équipe royale de la MAP, qui l’accompagne, s’emmêle les pinceaux et titre sur le projet le moins onéreux. L’erreur échappe à l’œil vigilant, en temps ordinaire, des responsables de la MAP. Le Matin du Sahara reproduit la dépêche en Une, sans en changer une ligne, comme le quotidien du palais en a obligation pour les activités royales. Al Aoula et 2M, qui font de même, donnent par la même occasion un écho massif à la bourde.
Pas de quoi fouetter un chat, en vérité. Sauf qu’on ne badine pas avec les activités royales. Le duo de journalistes de la MAP, responsables de l’erreur, se fait passer un savon. Le boss de l’agence, Ali Bouzerda, est, quant à lui, convoqué d’urgence à Beni Mellal, sur les lieux du “crime de lèse-majesté”. Sur place, l’attendent de pied ferme le directeur du cabinet royal, Rochdi Chraïbi, et la conseillère royale, Zoulikha Nasri, pour lui remonter les bretelles.
De la propagande à la com’
Ali Bouzerda doit faire son mea culpa. L’homme est pourtant réputé être précautionneux à l’extrême quand il s’agit de littérature royale. Ainsi, le 22 septembre dernier, l’agence diffuse un communiqué du palais annonçant que “S.M. le Roi Mohammed VI présidera la cérémonie de conclusion de l'acte scellant le mariage de SA le Prince Moulay Ismaïl”. Quatre jours plus tard, le mariage ayant été conclu, il suffit pour la MAP de reproduire le communiqué initial en le conjuguant au passé. Logique élémentaire. Pourtant, Ali Bouzerda, redoutant de commettre un impair, appelle Rochdi Chraïbi : “Il lui a demandé s’il pouvait changer ‘présidera”‘par ‘a présidé’. Rochdi Chraïbi lui a ri au nez”, rapporte un membre de l’agence.
Derrière ce rire perce tout le paradoxe de la MAP version 2010. L’agence a gardé des réflexes hérités de Hassan II, époque où toute initiative était bannie, alors qu’on lui demande aujourd’hui en haut lieu de vendre de manière plus efficace la nouvelle ère. “L’équipe royale décrit les activités de Mohammed VI selon un canevas qui a peu évolué. Elle se contente de décrire l’évènement sans apporter de valeur ajoutée”, explique un vieux journaliste de la MAP. L’impact, comme on dit dans le jargon des médias, est quasi nul.
Le staff de Mohammed VI a fini par s’en apercevoir et essaye de rectifier le tir. Lors des visites royales, le directeur de la communication du cabinet royal, Chakib Laâroussi, qui connaît bien la maison pour y avoir travaillé, a pour habitude de donner des conseils aux journalistes de l’agence. Il leur demande, entre autres, d’éviter le simple compte-rendu chronologique. L’agence dépêche aussi, en renfort de l’équipe royale, quelques-uns de ses vieux briscards pour pondre des papiers signés. “Ce fut notamment le cas lors de la tournée du souverain dans la région d’Imilchil en février dernier. On a dépêché des responsables de bureaux régionaux pour des reportages chez les populations ciblées par les projets royaux”, confie l’un des journalistes partis prêter main forte.
Au service de l’Etat
La com’ de M6 remplace peu à peu la propagande de Hassan II. Mais il n’y a pas encore de quoi crier à la révolution médiatique. L’héritier de Hassan II se taille la part du lion dans les dépêches de l’agence, comme du temps de son père. Et laisse à ses commis d’Etat le reste. C’est ainsi que le patron des prisons, Hafid Benhachem, ignorant peut-être les règles de préséance, a eu droit il y a quelques semaines à un cours en accéléré du directeur de l’agence Ali Bouzerda. Il avait appelé le patron de la MAP pour se plaindre : une de ses allocutions n’avait pas été reprise en intégralité. Réponse au bout du fil, rapporte un témoin : “Seul les discours et allocutions de Sa Majesté sont repris en entier sur le fil de l’agence”.
Le protocole reste le protocole, et quel que soit le DG de l’agence, l’ordre reste immuable. Après le roi, viennent le ministère de l’Intérieur, celui de la Justice et le département des Affaires étrangères. Ils transmettent leur littérature officielle, avec la consigne de les diffuser selon leurs desiderata. Terrorisme, Sahara, procès contre la presse, voici résumé le triptyque des sujets sensibles : “Nous ne faisons que titrer les communiqués de l’Intérieur, de la Justice, de la DGSN ou de la gendarmerie”, explique un ancien responsable de la MAP. Pour encore plus de sûreté, “l’information, une fois prête à être diffusée sur le fil de la MAP, est soumise à l’Etat pour validation. C’est le cas notamment lors du démantèlement de réseaux terroristes”, surenchérit-il.
Le côté porte-voix officiel de l’agence peut également connaître des ratés. L’affaire Belliraj en reste le plus bel exemple. Le 18 avril 2008, la rédaction de la MAP connaît une effervescence assez rare. L’agence est mobilisée pour annoncer le démantèlement du réseau Belliraj. Sauf que les arrestations sont officialisées par la MAP avant d’avoir eu lieu. A Fès, les policiers étaient encore en train de perquisitionner le domicile de Mohamed Amine Reggala (membre dirigeant d’Al Badil al Hadari) que la MAP l’annonçait déjà sous les verrous. A Rabat, le même scénario s’est répété avec Mohamed Marouani, dirigeant de Hizb Al Oumma, et Laâbadla Mae El Aïnine, jeune cadre du PJD. La MAP s’est donc retrouvée dans un rôle de “berrah” criant sur les toits un événement avant qu’il n’arrive. Rebelote en juillet 2009. Avocats et familles des 34 membres du réseau Belliraj attendent patiemment le retour des magistrats (en délibération) pour être fixés sur le sort de leurs clients. Quelques minutes avant l’énoncé du verdict, les jugements étaient déjà bien détaillés sur le fil de la MAP.
Journalistes et plus encore…
Quel est le point commun entre le monde du renseignement et le journalisme ? La recherche d’informations et son recoupement. La réponse à cette devinette coule de source pour certains directeurs des bureaux de la MAP à l’étranger. A Nouakchott, Alger, Paris ou Madrid, capitales sensibles pour les intérêts du Maroc, les représentants de l’agence revêtent une deuxième casquette en plus de celle de journalistes. Celle de collecteur de renseignements pour l’Etat. “Jusqu’à une époque récente, le bureau de la MAP à Alger ne faisait qu’alimenter les hauts responsables en rapports circonstanciés”, confie un vétéran de l’agence. “Le Maroc dispose de services de renseignements compétents pour s’acquitter de cette mission. Mais un journaliste présente l’avantage d’avoir un réseau plus vaste, et n’a pas de difficultés à entrer en contact avec les responsables locaux et les diplomates des pays étrangers”, surenchérit-il. Tout le monde le sait au sein de l’agence, du boss au journaliste lambda : à Alger, “on sert avant tout le drapeau”, confie une petite main de la MAP. C’est aussi un secret de polichinelle chez nos voisins algériens. Méfiants, ils ont d’ailleurs demandé que l’ancien siège de la MAP à Alger soit déplacé. Il était trop près à leur goût d’une zone sensible. Mitoyen du palais présidentiel, un mur à peine le séparait de la résidence du chef de l’Etat algérien.
En utilisant les journalistes de l’agence, l’Etat optimise ses chances de glaner de l’information, et peut en outre recouper la récolte effectuée par les services compétents. L’exemple le plus frappant reste le coup d’Etat survenu en août 2005 en Mauritanie. Le Maroc n’a rien vu venir et veut comprendre pourquoi. Le directeur de la DGED, Yassine Mansouri, multiplie les coups de fils à Nouakchott en direction de l’ambassade du Maroc. Mais, fait révélateur, il n’oublie pas d’appeler aussi le bureau local de l’agence de presse. En tant qu’ancien directeur de la MAP (voir encadré), il sait tout le bénéfice qu’il peut tirer d’informations glanées par les journalistes sur place. Une matière nécessaire aux recoupements. “Nous vérifions la véracité de nos informations auprès des agents de la DGED en poste à l’étranger. Ils en font de même avec nous”, confie un ancien du bureau d’Alger.
Notes d’informations
Ce pan caché du travail des journalistes de l’agence se concrétise noir sur blanc sous la forme des fameuses “notes d’information” de la MAP. Un nom on ne peut plus explicite. Leur travail de collecte se cache, en revanche, derrière l’apparence d’une dépêche normale, comme en pond tous les jours l’agence. C’est ainsi qu’un journaliste de la MAP peut se retrouver à tâter le pouls du voisin algérien, comme il peut surveiller les actions de Al Adl Wal Ihsane ou humer l’air du côté de l’extrême gauche. “Quand on envoie un journaliste couvrir une manifestation de Al Adl Wal Ihssane, il sait que ce qu’il va écrire ne sera jamais destiné à être diffusé sur le fil, mais qu’une synthèse en sera faite pour être transmise aux services concernés”, explique un journaliste de la boîte.
Le tout est centralisé par un service au nom anodin : le secrétariat de presse. Logés au cinquième étage, celui de la direction, les “secrétaires de presse” sont sous le contrôle direct du patron de la MAP. “En principe, toutes les notes d’informations atterrissent chez le directeur général qui, selon son appréciation et le sujet, les transmet à son tour à qui de droit”, explique une source interne. Ces infos en “off” sont destinées à un lectorat trié sur le volet, heureux de bénéficier d’un bulletin météo leur donnant la température sur les sujets chauds. Parmi ces happy few, on retrouve le staff de la DGED, du ministère de l’Intérieur et des Affaires étrangères. Voire le cabinet royal, pour les affaires les plus sensibles. Que des officiels, en résumé.
La seule exception à cette règle porte un nom : Fouad Ali El Himma. Pourtant revenu à la vie civile depuis qu’il a quitté le ministère de l’Intérieur, l’ami du roi continue à recevoir les briefs de la MAP qu’il parcourt pendant son café du matin. Pas sûr qu’il y trouve son bonheur. A son arrivée à la tête de l’agence, Ali Bouzerda a réduit de moitié le secrétariat de presse, passé d’une dizaine à cinq membres, livrés à eux-mêmes depuis que leur chef a été placardisé aux archives. Mieux, ce service hautement sensible est passé à des horaires administratifs qualifiés de “surréalistes” par d’anciens journalistes de la MAP : de 10 à 17 heures. Autrement dit, il n’assure plus cette veille qui permettait aux responsables des “dossiers chauds” du pays (diplomates, sécuritaires, etc.) d’être tenus informés en temps réel. Si bien qu’aujourd’hui, l’agence continue de traîner la réputation d’être une succursale des services de renseignements, mais n’aurait plus son efficacité d’antan. On ne sait pas s’il faut s’en plaindre ou s’en réjouir…
La MAP en chiffres
240 millions de dirhams de budget
303 journalistes
23 bureaux régionaux
21 bureaux internationaux
400 abonnés au Maroc et à l’étranger
6 langues de publication : arabe, français, anglais, espagnol, chinois, japonais
Les patrons de l’agence
La MAP a connu quatre dirigeants depuis sa “nationalisation”. A chacun son style, ses instructions… et l’homme fort qui le soutient.
L’homme de Driss Basri
Entré à la MAP en 1962 comme reporter, il y gravit les échelons un à un, pour finir directeur de l’agence quand elle tombe dans l’escarcelle de l’Etat en 1974. Sous son impulsion, la MAP ouvre une vingtaine de bureaux à l’étranger et étend son réseau de correspondants à une grande partie du Maroc. Le résultat, c’est une arme de propagande massive au seul service de Hassan II. L’ère de Fenjiro, qui coïncide avec la mainmise de Driss Basri sur l’appareil d’Etat, se caractérise par un contrôle total de l’agence par le ministère de l’Intérieur. Rabat, qui tient en laisse la maison mère, délègue à ses représentants locaux la surveillance des succursales de la MAP : “Les gouverneurs avaient un droit de regard sur les dépêches émises par les bureaux régionaux”, se souvient un ancien de la maison. En 1999, après 25 ans de loyaux (et royaux) services, Fenjiro est remercié par Mohammed VI. Exit l’homme de Basri. Il est remplacé par Yassine Mansouri, un proche du nouveau souverain.
Training avant DGED
Une fois sur le trône, Mohammed VI dépoussière l’ancien régime. Il renvoie Driss Basri, la “femme de ménage de Hassan II”, comme se définissait l’ex-ministre de l’Intérieur, mais aussi ses soubrettes placées pour contrôler les médias. L’ami de collège de M6, Yassine Mansouri, remplace ainsi Abdelajil Fenjiro à la tête de l’agence. Il ne chamboule pas les meubles, poussant la discrétion jusqu’à garder la secrétaire de son prédécesseur. Il préfère se concentrer sur la face obscure : les briefs en “off” pour les hautes sphères. Il réactive les bureaux internationaux, redessine les circuits de l’information confidentielle et exploite à fond le filon de renseignements de première main qu’est la MAP. Son statut de “super journaliste” lui permet aussi d’étoffer son réseau, grâce à des rencontres régulières avec des diplomates étrangers, des représentants politiques et économiques. Une sorte de galop d’essai avant sa nomination à la tête du renseignement extérieur, à savoir la DGED.
Expert ès Sahara
Connaissant le dossier du Sahara sur le bout des doigts, il est choisi pour essuyer les plâtres du bureau de l’agence à Nouakchott, ouvert en 2000. Une fois à la tête de la MAP, il est omniprésent lors des négociations à Manhasset, validant dans les couloirs de l’hôtel les dépêches des journalistes de l’agence. Le dossier est sensible, chaque mot compte. L’homme a la réputation d’être en rapport étroit avec la DGED par atavisme professionnel et familial. Homme de réseau en Afrique, c’est un atout essentiel dans la défense des intérêts du royaume sur la question du Sahara. Sa qualité de beau-frère de Yassine Mansouri, le patron de la DGED, exacerbe son rôle de directeur de la MAP, à cheval entre l’information et le renseignement. Ces qualités seraient à l’origine de sa chute. En déplacement à Accra, au Ghana, il multiplie les contacts avec des responsables africains pour leur vendre la thèse marocaine sur l’affaire du Sahara. El Himma, qui n’appréciait déjà pas l’intimité de Khabachi avec Mansouri, aurait sauté sur l’occasion pour glisser un mot doux à l’oreille de M6. Une peau de banane à l’origine de son limogeage.
Parachuté par l’ami du roi
On affirme qu’il a gagné son siège de directeur grâce à de solides liens bâtis avec Fouad Ali El Himma, du temps où Ali Bouzerda était correspondant de Reuters. Lors de son discours de présentation, il assure que l’agence ne fera plus de renseignement pour l’Etat afin de se concentrer sur le journalisme. Une attaque directe contre son prédécesseur, Mohamed Khabachi, rivé sur les dossiers sensibles : Sahara et sécurité. Et une pique indirecte envoyée au beau-frère de Khabachi, Yassine Mansouri, patron de la DGED, en bisbilles avec le protecteur de Bouzerda, El Himma. Il démantèle les principales directions de la MAP, se mettant à dos les journalistes, leur syndicat, tandis que les démissions des cadres s’accumulent sur son bureau. Les journalistes qui osent protester sont mutés dans des bureaux régionaux paumés. Les membres de la MAP ont le sentiment d’avoir, en plus du roi, un nouveau produit à vendre : l’ami du roi. “Il a ouvert un bureau à Kelaât Sraghna pour couvrir l’actualité à Benguerir, le fief d’El Himma”, commente un journaliste de la MAP.
Sorties de route. Dérapages… contrôlés
Le 25 mars 2007, l’agence annonce qu’un homme et une femme ont été arrêtés à El Jadida pour une affaire de mœurs. Un fait divers anodin, mais la MAP prend le soin de faire dans le détail. C’est que l’homme en question n’est autre que le chanteur Rachid Gholam, surnommé le rossignol de Al Adl Wal Ihsane. L’objectif d’une telle manœuvre, sans être trop porté sur les savantes analyses politiques, est clair : ternir l’image de la Jamaâ de Abdeslam Yassine. En juillet 2009, la MAP en remet une couche. Elle rapporte l’arrestation, à Tétouan, des membres d’un réseau de trafic de drogue, précisant au passage que l’un des appréhendés est le frère de Nadia Yassine, la fille du chef de la mouvance islamiste. La MAP omettra toutefois de dire qu’il ne s’agissait en fait “que” du demi-frère (du côté de sa mère) de Nadia Yassine. La MAP peut aussi s’avérer sans pitié pour les hommes politiques installés. En septembre dernier, elle commet une dépêche sur le démantèlement d’un autre réseau de trafic de drogue, lâchant l’air de rien que, parmi les personnes appréhendées, figure un ancien député du RNI. Le président du parti de l’époque, Mostafa Mansouri, voit rouge : la MAP a “oublié” de préciser que le député en question avait été exclu du parti sept ans auparavant. Il accuse l’agence de “rouler” pour des rivaux politiques et de servir “certaines structures” de l’Etat. En langage clair, il sait que sa mise à mort est planifiée et que l’on prépare le terrain du putsch de son rival au sein du RNI, en l’occurrence le favori de Fouad Ali El Himma : Salahedine Mezouar.
Traitement de faveur. La MAP anagramme du PAM
Lors des élections communales, une blague faisait fureur chez les journalistes de l’agence. Si on demandait à un collègue “Où vas-tu ?”, sa réponse se faisait ironique : “Je vais contribuer à la campagne électorale du PAM”. L’humour est un exutoire au malaise vécu par les journalistes de l’agence, qui ont conscience de surmédiatiser à leurs corps défendant les activités du parti d’El Himma. La dernière réunion du PAM à Bouznika en est la preuve la plus récente, le raout ayant fait l’objet d’une vingtaine de dépêches au moins. La couverture des activités de la formation ressemble même, dans certains cas, au canevas formel et rigide des dépêches consacrées à Mohammed VI. On expédie en deux paragraphes le secrétaire général, Mohamed Cheikh Biadillah, pour consacrer cinq à six paragraphes au véritable héros de l’histoire : l’ami du roi. Ce traitement de faveur a hérissé le poil de plusieurs formations politiques qui voient, quant à elles, leurs activités noyées dans un fourre-tout : la rubrique “Vie politique et sociale” de l’agence. L’Istiqlal est même allé s’en plaindre auprès du ministre de la Communication, Khalid Naciri. Accusé de favoritisme, le directeur de l’agence, Ali Bouzerda, proche d’El Himma, a compilé pour sa défense la centaine de dépêches consacrées à l’Istiqlal depuis sa nomination, avant de les adresser à son ministre de tutelle. La MAP d’aujourd’hui ne se contente pas de prêcher pour la paroisse du patron du PAM. Elle lui sert aussi de ring pour décocher des coups bas. Ce fut le cas lors de son conflit avec le ministre de l’Intérieur, Chakib Benmoussa, avant les élections communales. Le gouverneur de Temara avait eu une prise de bec avec un conseiller parlementaire, rallié récent du PAM, à propos de projets de recasement de la population. “L’agence a diffusé un communiqué du PAM critiquant le gouverneur. C’est une première dans l’histoire de la MAP, censée, au contraire, diffuser la parole de l’Etat”, relève un ex-cadre de l’agence. Avant de publier l’attaque du PAM, un responsable de la MAP a demandé son avis à Abderrahmane Achour, gouverneur chargé de la com’ à l’Intérieur. “Vous en faites ce que vous voulez”, aurait-il répondu. Signe d’impuissance s’il en est. Le ministère de l’Intérieur, à qui l’agence obéissait au doigt et à l’œil, a trouvé plus fort que lui…
Profil Abdelkrim El Mouss
Tranchant comme un couteau “L’odeur de l'appât du gain rode dans les camps de Tindouf, un vrai foutoir qui symbolise le sens profond de cette célèbre maxime : ‘quand la morale fout le camp, le fric cavale derrière’”. Ces lignes écrites en mai 2008 pour le compte de la MAP sont l’œuvre de Abdelkrim El Mouss. Directeur de l’information jusqu’en 2001, ce pur produit de la maison était la lame tranchante de l’agence “contre les ennemis du pays”. Ses papiers étaient d’une rare violence, sanguins et sanglants quand il prenait pour cible l’Algérie et le Polisario. El Mouss a aussi trempé sa plume dans l’acide pour donner des leçons à Al Jazeera sur sa couverture des événements de Sidi Ifni, et s’est acharné sur le quotidien espagnol El Mundo qu’il a accusé d’entraver les bonnes relations entre Madrid et Rabat. Sa dernière victime n’est autre qu’Aminatou Haidar qui, en décembre 2009, a eu aussi droit à un papier la descendant en flammes. Aujourd’hui en semi-retraite, il ne sévit plus mais continue de bénéficier de tous les avantages de sa fonction.
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