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Les tirailleurs français de l’équipe d’Algérie

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Les tirailleurs français de l’équipe d’Algérie

Ecrit par Nabil Djellit  dans La coupe vue du monde  , le 13/06/2010



C’est un cas unique dans l’histoire du football. Vingt des vingt-trois joueurs de l’équipe nationale d’Algérie sont nés en France. Sur l’autre rive de la Méditerranée, ils ont un nom, on les appelle les binationaux. A défaut d’un retour définitif comme pouvaient le penser des générations de travailleurs immigrés algériens, leurs enfants leur offrent un retour aux sources pendant cette Coupe du monde. Être derrière ce pays qu’ils ont quitté et être fier de ses origines. Un sentiment à contre-courant au moment où la France s’enferme dans un débat sur sa propre identité.


Ainsi Rabah, père de la star des Fennecs Karim Ziani. Il est choyé à chacune de ses sorties. On l’a rencontré il y a quelques jours dans un restaurant de Belleville. Tout sourire, le tenancier kabyle ne peut se retenir bien longtemps, il fond sur Rabah. L’accolade est chaleureuse. Les mots aussi. «Je vous assure que si Karim vient chez moi, je lui déroule le tapis rouge de Belleville jusqu’à Bab-el-Oued.» Un amour immodéré qui rend heureux Rabah, devenu un incontournable personnage de la communauté algérienne à Paris: «Je suis fier de Karim, dès l’âge de 7 mois, je l’ai emmené en Algérie. Pour moi, les choses ont toujours été claires. Karim jouerait pour les Verts.»


Avant d’en arriver à cette folle statistique footballistique, il a fallu que certains hommes de l’ombre s’activent en dehors du terrain. Distingué, regard pétillant, Karim Yebda sait ce que doit son frère Hassan, champion du monde des –17 ans avec la France en 2001 et désormais milieu des Fennecs, à Rabah Ziani. Il lui a téléphoné avant le départ pour l’Afrique du Sud: «Rabah, c’est votre équipe, vous l’avez construite. Vous avez réussi.» Dix ans que le patriarche Ziani traverse la France à la recherche de talents d’origine algérienne. Une affaire d’argent? Certainement pas, on ne mélange pas le maillot et les billets verts, pour ces derniers, il faut plutôt aller voir du côté des transferts.


Changement de loi


Rabah cultive le patriotisme. Ce sentiment national fort, celui des années 1980 où les joueurs immigrés payaient eux-mêmes leur billet d’avion pour aller défendre le drapeau. Une autre époque en somme. «J’ai mis beaucoup d’énergie dans cette tâche. Je suis allé voir les joueurs et leur entourage et j’ai proposé l’Algérie. Beaucoup étaient sceptiques, car l’équipe nationale n’était pas au firmament, elle était tout simplement redevenue anonyme. Il était difficile de les convaincre. Et puis, certains n’aspiraient qu’à une chose: l’équipe de France», confie-t-il. Pas faux. Benzema ou Nasri, la crème des beurs, rejoignent les Bleus en 2008, le second ne voulant même pas rencontrer Rabah Ziani.


Les autres, certes moins brillants, mais élevés dans les meilleurs centres de formation français, ont profité d’un changement de la loi Fifa sur les nationalités sportives. Le 3 juin 2009, à Nassau (Bahamas) et sur proposition de la Fédération algérienne, l’organisation internationale amende l’article 18 de son règlement d’application des statuts. Un joueur disposant de la double nationalité peut maintenant changer d’équipe nationale sans limite d’âge, s’il n’a été sélectionné qu’en catégories jeunes. Avant, il devait se décider avant un fatidique 21e anniversaire. La décision est prise par 112 voix contre 82. Mohamed Raouaoura, l’habile président de la FAF, a rallié à sa cause nombre de dignitaires asiatiques, sud-américains et africains. Mais l’effet d’aubaine profite d’abord au sélectionneur algérien Rabah Saâdane, qui peut puiser allégrement dans le réservoir français pour étoffer son groupe. Hassen Yebda (Benfica, 25 ans), Habib Bellaïd (Francfort, 24 ans), Djamel Abdoun (FC Nantes, 23 ans) ou Carl Medjani (AC Ajaccio, 24 ans), fleuron des catégories jeunes françaises, changent d’hymne national et abandonnent le coq tricolore.


Par le passé, le couple algéro-français avait vécu un psychodrame footballistique. Au plus fort de la guerre civile, les meilleurs talents d’origine algérienne avaient quitté la France en 1958 pour rejoindre l’équipe du FLN (Front de libération nationale), à la veille d’une participation acquise au Mondial suédois. Parmi eux, le Monégasque Mustapha Zitouni et le Stéphanois Rachid Mekhloufi, des joueurs au talent immense, qui n’ont presque rien à envier à Kopa et Fontaine. Cinquante ans plus tard, l’histoire bégaie une seconde fois, dans un contexte plus pacifiste. La diaspora franco-algérienne est, aujourd’hui, un exemple de commerce équitable entre les deux pays. Ces jeunes à l’identité partagée et parfois tiraillée viennent de réaliser un exploit insensé: qualifier le «bled» au Mondial 24 ans après sa dernière participation et renforcer le sentiment de cohésion nationale. Pas une mince affaire pour un pays encore marqué par une guerre civile de dix ans qui fait plus de 150.000 morts.


Opportunisme ou sentiment identitaire?


Le 18 novembre 2009 restera une date charnière dans l’histoire de l’Algérie. Ce jour-là en match d’appui à Khartoum (Soudan), dans une ambiance à couteaux tirés, l’Algérie venait à bout de son frère ennemi, l’Egypte (1-0). Pas un simple match de football. A l’instar de celle du FLN, combattante, cette équipe l’a été. La figure de l’ennemi a changé: il ne s’agissait plus de dénoncer la France. C’était surtout une manière de mettre à mal le phare du monde arabe: l’arrogante Egypte. Le pays est pris de frénésie. Les joueurs, accueillis comme des héros. Alger la Blanche devient noire de monde. Le bus des joueurs va mettre plus de six heures pour parcourir les quatre kilomètres qui séparent l’aéroport du palais présidentiel. Conscient du pouvoir de séduction de cette équipe, et son impact sur le moral du pays meurtri par les conflits, Abdelaziz Bouteflika lâche les chevaux et les pétrodollars. Il signe un chèque en blanc au président de la fédération algérienne de football, Mohamed Raouaoura. Pour la qualif au mondial, chaque joueur a reçu une prime de 200.000€, plus des avantages en nature (voiture, maison…). Au Mondial, s’ils sortent de leur groupe, les Fennecs recevront 150.000€ d’office, chacun.


L’Algérie est de retour. Derrière ce come-back fracassant, quelles sont les motivations qui poussent les joueurs dans ce projet? Pur opportunisme ou véritable phénomène identitaire? La question mérite d’être posée. Approché par le passé, Carl Medjani avait préfère attendre. L’Algérie qualifiée, le dilemme n’a plus lieu d’être: «J’ai défendu les couleurs de la France avec les moins de 17 ans. Mais aujourd’hui, je suis prêt à laisser mon sang sur le terrain.» Rationnel, Karim Yebda analyse cette particularité: «On est fier de cette double appartenance. L’Algérie représente nos origines, la France nous a vu grandir. A l’époque, les catégories jeunes algériennes ne représentaient pas une alternative crédible. Aujourd’hui encore, il reste du travail. En revanche, l’équipe A, celle que mon frère vient de rejoindre, est clairement une alternative crédible. Mais au fond, on a vraiment deux pays. Avec ce Mondial, on prendra deux fois plus de plaisir.»


La composition de cette équipe ne fait pas l’unanimité. Une voix détonne. Rabah Madjer, marque déposée pour le football depuis sa célèbre talonnade sous les couleurs du FC Porto face au Bayern en finale de la Coupe d’Europe des Champions. Une référence absolue pour les Algériens. «Je ne partage pas du tout ce choix. Mais je le respecte. En Algérie, nous avons des talents. Il faut les mettre en avant et arrêter de les marginaliser. La seule CAN remportée par l’Algérie (en 1990, ndlr), l’a été avec des joueurs du cru…Quant à ceux qui sont passés par les catégories jeunes de l’équipe de France et qui aujourd’hui vont jouer le Mondial avec l’Algérie, j’estime c’est en quelque sorte de l’opportunisme», nous explique-t-il. Faisant certainement référence à certains joueurs, qui n’ont fait la demande du passeport algérien qu’à quelques semaines de l’évènement, comme Bellaïd. Mais il faudra s’y faire, l’Algérie est désormais une nation arc-en-ciel, surfant sur la diversité… hexagonale. Raïs M’bolhi en est peut-être l’exemple le plus frappant. Français de vécu, il est aussi le fruit d’une union algéro-congolaise. Rabah Saâdane et Mohamed Raouaoura ont brisé un mythe. Ils ont fait confiance aux professionnels évoluant en Europe. Comme un clin d’œil de l’histoire et un retour sur un investissement pour l’Algérie.


Cette évolution devrait désormais être un recours naturel. «Nous avons fait le choix des joueurs professionnels évoluant en Europe. Nous les considérons comme des Algériens à part entière, confie Mohamed Raouraoua. Nous sommes intéressés par tous ceux qui souhaitent rejoindre la sélection. Les Sofiane Feghouli, Ishak Belfodil (deux excellentes jeunes pousses de L1, ndlr) sont les bienvenus.» La France pourrait, quant à elle, assister à une fuite continue des talents. Nadir Belhadj, le feu follet qui sert de latéral gauche aux Fennecs, la justifie simplement: «J’ai fait très vite le choix de l’Algérie. Je n’avais pas envie de me retrouver comme certains qu’on appelle une fois ou deux et puis plus rien. Souvenez-vous de Bafé Gomis, c’était le tube de l’été il y a deux ans. Aujourd’hui, Domenech ne le convoque plus. Et demain, il est possible qu’il ne joue plus aucune compétition internationale. Parfois, tu as l’impression qu’on prend des mecs juste pour qu’ils ne puissent plus honorer la sélection d’origine.» Une défiance que les choix de Raymond Domenech pour ce Mondial n’ont fait qu’accentuer. Car au-delà de l’engouement autour des Fennecs, la non sélection de Benzema ou Nasri et l’absence de joueurs maghrébins en équipe de France n’est pas passée inaperçue. Dans bien des magasins, le maillot vert algérien a remplacé le bleu floqué Zidane en tête des charts. La tunique est en rupture de stock sur tout le territoire, c’est le deuxième maillot le plus vendu par Puma après celui de l’Italie.


International des moins de 19 ans avec les Bleuets, le môme Ryad Boudebouz vient d’opter pour les Verts: «L’Algérie, c’est mon choix. Avec l’équipe de France, c’est trop compliqué.» Une manière comme une autre de signifier qu’il n’a pas envie de compter pour du «Beur» en France. Le mythe de Zidane a lui, bel et bien vécu.


Nabil Djellit


Spécialiste du foot algérien, Nabil Djellit était en charge de la page Maghreb dans le quotidien Aujourd’hui Sport. Il collabore à France Football et à France Soir, et officie sur Ma Chaîne Sport pendant le Mondial.

http://www.marocainsdalgerie.net

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