Figuig en proie aux incursions de l’armée algérienne
Décolonisation. Tout au long de la frontière poreuse et non délimitée avec l’Algérie, de paisibles paysans en voient de toutes les couleurs avec les militaires du pays voisin. Le cas de Figuig est édifiant. Les victimes de ces raids, qui ont perdu terres et cheptels en témoignent.
Dimanche 13 juin 2010. Nous sommes dans la rive gauche de Oued Arja, relevant de la commune d’Abbou Lakhal (Figuig). De paisibles pasteurs marocains conduisent leur bétail vers l’herbe la plus tendre.
Vers midi, 16 militaires algériens armés jusqu’aux dents font irruption dans le territoire marocain après avoir laissé leur véhicule de l’autre côté de l’oued.
Une incursion d’une centaine de mètres qui a suffi pour terroriser ces pauvres villageois qui ont pris leurs jambes à leur cou, laissant leur bétail à la disposition de l’envahisseur. Cet incident est loin de constituer un précédent. Janvier 2010, les villageois de la commune d’Oued Hallouf étaient acculés à leur tour à renoncer à leur bétail après un “raid” d’une quinzaine de militaires algériens. Pour plus d’effet sur des paysans sans défense, ils ont commencé à tirer des coups de feu en l’air. Bilan de cette “démonstration de force”: un millier de têtes de bétail entre ovins et caprins sont tombés entre les mains d’un ennemi dont les procédés ne sont pas sans rappeler l’épopée des hors la loi du far-west.
Difficile de donner un chiffre exact concernant le nombre d’incursions. Ce qui est certain, c’est que les habitants de la palmeraie de Figuig en voient de toutes les couleurs avec les militaires algériens. Ces derniers agissent-ils de leur propre chef ou sur instructions? Difficile à dire, mais une rétrospective des événements s’impose pour mieux comprendre la situation.
Sacrifice marocain
Après le départ précipité des Français de l’Algérie en 1962, la question du tracé frontalier maroco-algérien est demeurée en suspens. Initialement, elle devait être réglée entre l’ancienne puissance coloniale et le tout premier gouvernement marocain. Le Royaume, conscient des énormes sacrifices consentis en faveur de ses voisins de l’Est dans leur longue lutte pour l’Indépendance, n’a pas prêté une importance démesurée à ce détail. Il était convaincu qu’un règlement viable et à l’amiable avec les Algériens n’allait être qu’une formalité et qu’il fallait d’abord négocier avec ses voisins plutôt qu’avec les responsables français.
La guerre des Sables de 1963 a fait avorter toute perspective de solution négociée. Non seulement le Maroc avait l’occasion de récupérer sans anicroche Tindouf, Kenadssa et autres territoires par une négociation directe avec la France, mais même à l’issue de la guerre des Sables, le Royaume aurait pu s’approprier de vastes territoires à titre de butin de guerre face à une armée algérienne faite de combattants amateurs et nullement rodée aux batailles stratégiques. Contrairement à l’avis de bien des officiers marocains, le Maroc a préféré jouer la carte de la conciliation, histoire de laisser une chance au projet de construction d’un Maghreb uni.
Attitude belliqueuse
Avec le statu quo frontalier s’est posé alors avec acuité un sacré problème au niveau de la légalité internationale. Mais pas vis à vis des tribus et nomades se déplaçant des deux côtés de la frontière, capables de déterminer avec précision par endroits les points de repères permettant de fixer une délimitation naturelle du territoire.
Avant que l’Algérie n’adopte une attitude belliqueuse à l’égard du Maroc, les villageois de Figuig incarnaient jusqu’au tout début des années 1960 l’exemple parfait de la cohabitation pacifique avec les voisins algériens.
Au point que la gare ferroviaire de Figuig se trouvait à Beni Ounif, aujourd’hui village algérien situé juste de l’autre côté. Les choses se sont considérablement gâtées par la suite. Selon Mustapha Lali, vice-président de la commune et ancien maire de Figuig durant trois mandats, «les textes et conventions relatives au tracé frontalier entre le Maroc et les autorités coloniales françaises en Algérie n’étaient pas respectés. Certaines clauses étaient ambiguës, ce qui a permis à l’occupant français et surtout à l’Algérie par la suite de profiter de ce vide juridique pour faire main basse sur de vastes étendues de la palmeraie de Figuig, considérée comme la plus grande du monde».
Le tournant de la Marche verte
Selon l’ancien maire de Figuig, cette expropriation s’est déroulée sur plusieurs étapes, ce qui a privé cette palmeraie, perçue à juste titre comme un patrimoine national, de son environnement et de son espace vital, alors que les preuves ne manquent pas pour établir un lien entre la superficie subtilisée par les Algériens et les villageois de Figuig. Selon M. Lali, les habitants du côté marocain jouissaient par le passé de leurs biens et de leurs propriétés en toute liberté et les autorités algériennes elles-mêmes reconnaissaient par moments aux habitants de Figuig le droit d’exploiter des terres situées au niveau de la frontière. Si l’expropriation s’est déroulée sur plusieurs phases, le véritable tournant s’est opéré à l’issue de la Marche Verte. A partir de là, l’attitude des autorités algériennes est devenue particulièrement hostile. Toutes les terres situées au versant Est de la route et de la voie ferrée menant à Colomb-Béchar ont été confisquées par les Algériens (Zouzfana, Taghit, Oualmilias, El Arja…).
Avancées en cachette
Par endroits, entre 1963 et 1979, l’Algérie nouvellement indépendante a squatté de vastes étendues à l’intérieur des terres marocaines. L’ancien comme l’actuel maires de Figuig, Omar Abbou, de même que plusieurs villageois originaires de cette partie du pays, sont catégoriques et les détails qu’ils nous ont fait parvenir apportent un éclairage sur les terres confisquées par les Algériens. Ainsi, en 1963, à Boussaïd, Nkhaïlate et Tamadmaïte les villageois ont perdu respectivement 18, 26 et 21 kilomètres, désormais distants de Figuig, alors qu’ils ont historiquement fait partie du territoire marocain. Il en va de même pour Tassra et Lalou Naazib, “subtilisés” entre 1972 et 1973 et qui se trouvent depuis en territoire algérien. La plus grande “saignée” s’est opérée à Jebel Laâmor en 1976, lorsque les Algériens ont, selon des sources concordantes originaires de cette région, fait main basse sur 42 kilomètres. Globalement, la période où les voisins squattaient sans retenue les terres de la palmeraie de Figuig se situe entre 1963 et 1976, ce qui n’exclue pas des incidents intervenus par la suite, notamment à Jebel Krouz, à l’Ouest de la palmeraie, puis entre Jebel Oulmelias et Jebel Taghit. Comble de la provocation, les Algériens ont fait établir entre les deux dernières montagnes un poste frontalier en 2007 sur des terres historiquement liées au Maroc. Corollaire de ces “avancées” en cachette, de nombreux habitants n’ayant pas d’autres sources de revenus que ce que produit la terre se sont dramatiquement appauvris, sachant qu’ils sont à la base bien modestes. Privés de leurs palmiers et de leurs terres cultivables, les villageois survivent autant que possible dans un contexte très difficile aggravé par la fermeture des frontières.
Autant d’éléments qui rejaillissent sur les autres activités et encouragent l’exode rural dans une région où la population est en régression sensible et pâtissant d’un sous équipement infrastructurel manifeste.
Plus concrètement, la ville de Figuig, qui comptait 17.000 habitants en 1984, n’était plus peuplée que de 15.000 habitants en 1994 et de 12 500 en 2004. Et rien n’indique un imminent inversement de tendance. Dans un autre ordre, il faut ajouter que la fermeture des frontières voulue par l’Algérie a supposé une profonde déchirure pour les tribus locales tenant compte du fait que l’appartenance tribale transcende les frontières.
Population en régression
Une association dénommée “Equité pour les lésés de Figuig” a même vu le jour pour jeter un éclairage sur ce qui se passe réellement dans cette zone enclavée du pays. La médiatisation ne suit pas vraiment, du fait de l’éloignement par rapport aux grands centres urbains. Les responsables marocains auraient promis de saisir leurs homologues algériens dans le cadre d’une commission mixte ayant en charge l’épineux dossier frontalier. Le climat n’incite cependant pas à l’optimisme dans la mesure où les habitants de la palmeraie de Figuig n’on qu’une confiance limitée dans la parole que les responsables Algériens pourraient donner.
Question majeure: comment se fait-il que les militaires algériens effectuent en toute impunité leurs raids en plein territoire marocain? On croit savoir de source locale que les éléments des FAR auraient reçu comme instructions de «ne pas répondre aux provocations». Y a-t-il provocation plus directe que claire et ouverte que celle de la violation du territoire du pays voisin? Quel palier franchir pour qu’il y ait une riposte proportionnelle à l’ampleur du préjudice subi? Surtout si l’on prend en considération l’existence de plusieurs postes des FAR dans la région.
MHI
Décolonisation. Tout au long de la frontière poreuse et non délimitée avec l’Algérie, de paisibles paysans en voient de toutes les couleurs avec les militaires du pays voisin. Le cas de Figuig est édifiant. Les victimes de ces raids, qui ont perdu terres et cheptels en témoignent.
Dimanche 13 juin 2010. Nous sommes dans la rive gauche de Oued Arja, relevant de la commune d’Abbou Lakhal (Figuig). De paisibles pasteurs marocains conduisent leur bétail vers l’herbe la plus tendre.
Vers midi, 16 militaires algériens armés jusqu’aux dents font irruption dans le territoire marocain après avoir laissé leur véhicule de l’autre côté de l’oued.
Une incursion d’une centaine de mètres qui a suffi pour terroriser ces pauvres villageois qui ont pris leurs jambes à leur cou, laissant leur bétail à la disposition de l’envahisseur. Cet incident est loin de constituer un précédent. Janvier 2010, les villageois de la commune d’Oued Hallouf étaient acculés à leur tour à renoncer à leur bétail après un “raid” d’une quinzaine de militaires algériens. Pour plus d’effet sur des paysans sans défense, ils ont commencé à tirer des coups de feu en l’air. Bilan de cette “démonstration de force”: un millier de têtes de bétail entre ovins et caprins sont tombés entre les mains d’un ennemi dont les procédés ne sont pas sans rappeler l’épopée des hors la loi du far-west.
Difficile de donner un chiffre exact concernant le nombre d’incursions. Ce qui est certain, c’est que les habitants de la palmeraie de Figuig en voient de toutes les couleurs avec les militaires algériens. Ces derniers agissent-ils de leur propre chef ou sur instructions? Difficile à dire, mais une rétrospective des événements s’impose pour mieux comprendre la situation.
Sacrifice marocain
Après le départ précipité des Français de l’Algérie en 1962, la question du tracé frontalier maroco-algérien est demeurée en suspens. Initialement, elle devait être réglée entre l’ancienne puissance coloniale et le tout premier gouvernement marocain. Le Royaume, conscient des énormes sacrifices consentis en faveur de ses voisins de l’Est dans leur longue lutte pour l’Indépendance, n’a pas prêté une importance démesurée à ce détail. Il était convaincu qu’un règlement viable et à l’amiable avec les Algériens n’allait être qu’une formalité et qu’il fallait d’abord négocier avec ses voisins plutôt qu’avec les responsables français.
La guerre des Sables de 1963 a fait avorter toute perspective de solution négociée. Non seulement le Maroc avait l’occasion de récupérer sans anicroche Tindouf, Kenadssa et autres territoires par une négociation directe avec la France, mais même à l’issue de la guerre des Sables, le Royaume aurait pu s’approprier de vastes territoires à titre de butin de guerre face à une armée algérienne faite de combattants amateurs et nullement rodée aux batailles stratégiques. Contrairement à l’avis de bien des officiers marocains, le Maroc a préféré jouer la carte de la conciliation, histoire de laisser une chance au projet de construction d’un Maghreb uni.
Attitude belliqueuse
Avec le statu quo frontalier s’est posé alors avec acuité un sacré problème au niveau de la légalité internationale. Mais pas vis à vis des tribus et nomades se déplaçant des deux côtés de la frontière, capables de déterminer avec précision par endroits les points de repères permettant de fixer une délimitation naturelle du territoire.
Avant que l’Algérie n’adopte une attitude belliqueuse à l’égard du Maroc, les villageois de Figuig incarnaient jusqu’au tout début des années 1960 l’exemple parfait de la cohabitation pacifique avec les voisins algériens.
Au point que la gare ferroviaire de Figuig se trouvait à Beni Ounif, aujourd’hui village algérien situé juste de l’autre côté. Les choses se sont considérablement gâtées par la suite. Selon Mustapha Lali, vice-président de la commune et ancien maire de Figuig durant trois mandats, «les textes et conventions relatives au tracé frontalier entre le Maroc et les autorités coloniales françaises en Algérie n’étaient pas respectés. Certaines clauses étaient ambiguës, ce qui a permis à l’occupant français et surtout à l’Algérie par la suite de profiter de ce vide juridique pour faire main basse sur de vastes étendues de la palmeraie de Figuig, considérée comme la plus grande du monde».
Le tournant de la Marche verte
Selon l’ancien maire de Figuig, cette expropriation s’est déroulée sur plusieurs étapes, ce qui a privé cette palmeraie, perçue à juste titre comme un patrimoine national, de son environnement et de son espace vital, alors que les preuves ne manquent pas pour établir un lien entre la superficie subtilisée par les Algériens et les villageois de Figuig. Selon M. Lali, les habitants du côté marocain jouissaient par le passé de leurs biens et de leurs propriétés en toute liberté et les autorités algériennes elles-mêmes reconnaissaient par moments aux habitants de Figuig le droit d’exploiter des terres situées au niveau de la frontière. Si l’expropriation s’est déroulée sur plusieurs phases, le véritable tournant s’est opéré à l’issue de la Marche Verte. A partir de là, l’attitude des autorités algériennes est devenue particulièrement hostile. Toutes les terres situées au versant Est de la route et de la voie ferrée menant à Colomb-Béchar ont été confisquées par les Algériens (Zouzfana, Taghit, Oualmilias, El Arja…).
Avancées en cachette
Par endroits, entre 1963 et 1979, l’Algérie nouvellement indépendante a squatté de vastes étendues à l’intérieur des terres marocaines. L’ancien comme l’actuel maires de Figuig, Omar Abbou, de même que plusieurs villageois originaires de cette partie du pays, sont catégoriques et les détails qu’ils nous ont fait parvenir apportent un éclairage sur les terres confisquées par les Algériens. Ainsi, en 1963, à Boussaïd, Nkhaïlate et Tamadmaïte les villageois ont perdu respectivement 18, 26 et 21 kilomètres, désormais distants de Figuig, alors qu’ils ont historiquement fait partie du territoire marocain. Il en va de même pour Tassra et Lalou Naazib, “subtilisés” entre 1972 et 1973 et qui se trouvent depuis en territoire algérien. La plus grande “saignée” s’est opérée à Jebel Laâmor en 1976, lorsque les Algériens ont, selon des sources concordantes originaires de cette région, fait main basse sur 42 kilomètres. Globalement, la période où les voisins squattaient sans retenue les terres de la palmeraie de Figuig se situe entre 1963 et 1976, ce qui n’exclue pas des incidents intervenus par la suite, notamment à Jebel Krouz, à l’Ouest de la palmeraie, puis entre Jebel Oulmelias et Jebel Taghit. Comble de la provocation, les Algériens ont fait établir entre les deux dernières montagnes un poste frontalier en 2007 sur des terres historiquement liées au Maroc. Corollaire de ces “avancées” en cachette, de nombreux habitants n’ayant pas d’autres sources de revenus que ce que produit la terre se sont dramatiquement appauvris, sachant qu’ils sont à la base bien modestes. Privés de leurs palmiers et de leurs terres cultivables, les villageois survivent autant que possible dans un contexte très difficile aggravé par la fermeture des frontières.
Autant d’éléments qui rejaillissent sur les autres activités et encouragent l’exode rural dans une région où la population est en régression sensible et pâtissant d’un sous équipement infrastructurel manifeste.
Plus concrètement, la ville de Figuig, qui comptait 17.000 habitants en 1984, n’était plus peuplée que de 15.000 habitants en 1994 et de 12 500 en 2004. Et rien n’indique un imminent inversement de tendance. Dans un autre ordre, il faut ajouter que la fermeture des frontières voulue par l’Algérie a supposé une profonde déchirure pour les tribus locales tenant compte du fait que l’appartenance tribale transcende les frontières.
Population en régression
Une association dénommée “Equité pour les lésés de Figuig” a même vu le jour pour jeter un éclairage sur ce qui se passe réellement dans cette zone enclavée du pays. La médiatisation ne suit pas vraiment, du fait de l’éloignement par rapport aux grands centres urbains. Les responsables marocains auraient promis de saisir leurs homologues algériens dans le cadre d’une commission mixte ayant en charge l’épineux dossier frontalier. Le climat n’incite cependant pas à l’optimisme dans la mesure où les habitants de la palmeraie de Figuig n’on qu’une confiance limitée dans la parole que les responsables Algériens pourraient donner.
Question majeure: comment se fait-il que les militaires algériens effectuent en toute impunité leurs raids en plein territoire marocain? On croit savoir de source locale que les éléments des FAR auraient reçu comme instructions de «ne pas répondre aux provocations». Y a-t-il provocation plus directe que claire et ouverte que celle de la violation du territoire du pays voisin? Quel palier franchir pour qu’il y ait une riposte proportionnelle à l’ampleur du préjudice subi? Surtout si l’on prend en considération l’existence de plusieurs postes des FAR dans la région.
MHI