Enfants de chouhada : Droits légaux confisqués
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La majorité des orphelins mais aussi des veuves de la guerre de Libération nationale est encore aujourd’hui dans le besoin quand elle ne vit pas dans un total dénuement. Pour autant, l’Algérie indépendante avait fait le serment d’en prendre soin. Ce serment a vite été oublié, trahi.
Evoquer, un demi-siècle après l’indépendance de la nation, les tracas, pourtant bien réels, que rencontrent les enfants de chouhada pour obtenir leurs droits légaux, peut paraître décalé, anachronique. Cela peut aussi agacer et faire « grincer des dents » ceux-là mêmes qui croient que cette catégorie de citoyens baigne dans des privilèges sans limites, consentis par une nation généreuse à leur endroit. A dire vrai, ce n’est pas le cas et si des enfants de chouhada — ils doivent sûrement être nombreux — ont accès à des faveurs particulières, c’est parce qu’ils sont dans les grâces d’un pouvoir dans le giron duquel ils se sont mis à couvert.
Bien sûr, ceux-là ne sont pas des enfants de chouhada « ordinaires ». Sans doute des thuriféraires du régime et autres clients. Le lecteur comprendra que le commun des filles et fils de chouhada — dont je plaide ici la cause — n’a pas la chance d’émarger dans cette « rubrique ». La majorité des orphelins mais aussi des veuves de la guerre de libération nationale est encore aujourd’hui dans le besoin quand elle ne vit pas dans un total dénuement. Pour autant, l’Algérie indépendante avait fait le serment d’en prendre soin. Ce serment a vite été oublié, trahi.
Chacun sait ce qu’est devenue la femme de chahid au lendemain de l’indépendance, un destin contrarié parce que, « fraîchement veuve », elle a été obligée — pour « garantir sa protection et celle de ses enfants » de vite se remarier, quelquefois d’épouser en deuxièmes noces le frère du défunt mari. Un avenir improbable quand, pour subvenir aux besoins de sa famille, elle a plongé dans le monde du travail et est devenue femme de ménage parce que souvent analphabète mais encore dans la force de l’âge, 18 à 30 ans tout au plus. Je rappelle au lecteur que la pension allouée, en ce temps, à la famille du chahid était de un dinar par jour et par enfant et de cinq dinars par jour pour la veuve. Une pension misérable...
Les garçons ont été mis dans des internats créés à leur intention : les « maisons d’enfants de chouhada ». En réalité, ceux-ci avaient été tout simplement enlevés à leurs mères. « Vos enfants sont les nôtres, ils sont les enfants de toute l’Algérie. Nous allons en prendre soin, leur donner l’instruction... », leur avait-on promis. Qui a bien pu avoir une telle idée ? Une pratique importée des pays du bloc communiste ? Pour quels desseins ? Des orphelinats destinés au « formatage » des jeunes esprits afin de les mettre à la disposition de la nation ou pour les apprêter à constituer une clientèle future au service du régime ?
Dans tous les cas, pour un grand nombre de ces jeunes enfants, cet épisode de leur vie a été au mieux un très mauvais souvenir, au pire il a constitué un véritable traumatisme psychique. Une vie de caserne militaire leur a été infligée. Des privations multiples et des châtiments corporels presque systématiquement administrés par, à quelques exceptions, des matons sans cœur. Ils ne seront pas nombreux, les enfants de chouhada qui me contrediront...
J’ai fait l’expérience de l’un de ces orphelinats, celui d’El Biar (Châteauneuf, à l’époque), aujourd’hui musée du Moudjahid. Au bout de quelques semaines, j’ai dû fuir. J’ai encore en mémoire ce petit garçon de 7 à 8 ans qui « recevait la tannée » tous les matins parce qu’il était énurétique et faisait donc durant la nuit « pipi au lit ». J’ai aussi en souvenir que certaines soirées on nous faisait écaler de grandes quantités de châtaignes ou de marrons. Pour quoi ? Pour qui ? Aucun de nous n’en savait rien. En revanche, je me rappelle bien que les coups tombaient avec facilité quand l’un de nous s’avisait d’y goûter. Des soirées qui nous paraissaient interminables.
Une tranche de vie que je relatais, il y a quelques semaines, à des confrères psychiatres. C’était à l’occasion d’un congrès. Je ne savais pas que j’allais, par l’évocation de mes souvenirs d’enfance, provoquer l’émotion que j’ai vu naître chez l’un de mes confrères. Les yeux pleins de larmes, il me raconte que lui et ses trois frères ont également été pensionnaires de cet orphelinat, d’El Biar. Comme moi, il en a gardé un épouvantable souvenir. Plus tard, après avoir été déménagés au pensionnat de Hadjout, ils ont fait le mur et quitté cette institution. « Nous avons fui et à ce jour, personne n’a cherché à nous retrouver. Ils s’en foutaient que nous ayons disparu », a-t-il ajouté. Son émotion a été encore plus vive quand il m’a confié que sa mère a dû « travailler comme femme de ménage dans une entreprise publique » pour subvenir à leurs besoins. « Dès que l’aîné de mes frères a touché son premier salaire, il a demandé à ma mère de rentrer à la maison. C’était un projet, elle avait fait assez de sacrifices pour nous ».
Un enfant de chahid, pupille de la nation, qui n’a souvenir ni de son père ni de sa mère, plusieurs fois élu local dans la wilaya de Tizi Ouzou, m’évoquait la vie pénible qu’il a eue dans une des maisons d’enfants de la région. Un ancien camp militaire français, reconverti pour la circonstance en pensionnat pour enfants de chouhada. Il me disait qu’il fallait parcourir près de 300 mètres pour aller aux toilettes par tous les temps. Il a gardé en mémoire que « la nuit, certains enfants faisaient leurs besoins dans leurs vêtements. Ils avaient peur de se lever et d’aller jusque-là. C’était dur le lendemain. J’en ai gardé une cicatrice, un traumatisme... ».
Il est assurément inconvenant de convoquer le passé des veuves et des enfants de chouhada pour uniquement, aujourd’hui, se lamenter. Abandonnés par la nation depuis l’indépendance, voilà que les pouvoirs publics algériens commettent une nouvelle injustice à leur encontre. Un fait inédit et grave est survenu. Une loi de la République, votée il y a maintenant onze années, ne trouve toujours pas application sur le terrain parce que l’Etat a oublié de la faire accompagner du dispositif réglementaire nécessaire à sa mise en œuvre immédiate. Une iniquité qui pénalise et empêche de faire profiter de ses fruits ceux auxquels les dispositions de cette loi sont destinées, en premier lieu les filles et fils de chouhada qui travaillent. Il s’agit de la loi 99-07 du 5 avril 1999, relative au moudjahid et au chahid, publiée au Journal officiel n°25 du 12 avril 1999. L’application de son article 39, notamment, est revendiquée avec une particulière insistance.
Voici ce que dit cet article : « Les moudjahidine, les veuves et enfants de chouhada en activité, bénéficient, une fois dans leur carrière, du droit à une promotion spéciale par l’ajout de deux catégories dans leur classement et de la dispense des concours professionnels au sein des organismes publics où ils exercent, lorsqu’ils remplissent les conditions requises. » Un article de loi qui ne souffre aucune équivoque, qui peine encore à ce jour à trouver, particulièrement concernant l’ajout des deux catégories, une issue pour son application sur le terrain. Si certaines entreprises du secteur public ont procédé à la régularisation de cette situation, il n’en est pas de même pour les institutions qui relèvent du secteur de la Fonction publique, comme par exemple l’éducation nationale.
Pourquoi l’Etat algérien — qui doit « garantir les droits fondamentaux des moudjahidine et des ayants droit » (article 4 de ladite loi) — fait obstacle depuis onze années à l’application d’une loi de la République ? Pourquoi il continue, à ce jour, à persister dans cette démarche, malgré l’avènement, très tardif il faut le souligner, de la circulaire d’application interministérielle du 29 avril 2008 ? Pourquoi cette circulaire n’a-t-elle pas été publiée au Journal officiel ? Des questions que j’ai évidemment posées au Premier ministre dans mon interpellation écrite du 24 mars 2010 et pour lesquelles je n’ai pas encore reçu de réponses.
Les enfants de chouhada ont « frappé à toutes les portes » pour faire aboutir cette loi. Ils n’ont pas été entendus. Chacun se rappelle de l’accueil brutal qui leur a été réservé quand — pour exiger des explications sur le retard mis par les pouvoirs publics à appliquer les dispositions de cette loi — ils ont tenté de se regrouper devant le siège du Premier ministère, l’ex-Palais du gouvernement. Les forces de police étaient là pour les empêcher d’y parvenir. C’était le 5 juillet 2007, un jour anniversaire de l’indépendance de notre pays. Ni l’organisation nationale des moudjahidine, ni la kyrielle des organisations d’enfants de chouhada, ni même celle des enfants de moudjahidine ne s’en sont émues. Il faut dire que les moudjahidine n’étaient pas concernés. La très grande majorité — pour ne pas dire la totalité — était depuis longtemps partie à la retraite, avant la promulgation de la loi en question. C’est pourquoi ils ne s’étaient donc pas particulièrement préoccupés de ses dispositions.
En date du 4 mai 2010, une correspondance émanant de la direction de la formation et de l’enseignement professionnels de la wilaya de Tizi Ouzou demande aux chefs d’établissement de lui faire parvenir la liste des fonctionnaires n’ayant pas bénéficié des dispositions des articles 39, 40 et 42 de la loi 99-07. Un courrier qui porte la mention « importance signalée ». Que veut dire cette correspondance ? Serait-ce le début de la fin de la longue attente des enfants de chouhada ? Il est permis de supposer que les choses commencent à bouger là-haut. Mon interpellation du Premier ministre semble avoir été utile.
Pourtant, des questions nombreuses ne manqueront pas de surgir. Comment va-t-on, en effet, procéder, en 2010, à la mise en œuvre d’une loi qui a été votée en 1999 ? Onze années ont passé. L’environnement économique national n’est plus le même et les filles et fils de chouhada concernés par cette loi sont pour la plupart partis en retraite. Est-ce que le télex n°08/1225 du 3 octobre 2008 provenant de la direction générale de la Fonction publique, qui fixe définitivement pour le premier janvier 2008 la date d’effet de l’ajout de ces deux catégories, fait suite à une instruction du Premier ministre, alors chef du gouvernement ? Sans doute. La loi prendra donc effet avec un retard de neuf années. Une instruction qui viole le principe qui veut qu’une loi soit effective dès sa parution au Journal officiel.
Que deviennent les droits légaux des enfants de chouhada qui étaient en activité à la date de la promulgation de la loi, qu’ils soient encore aujourd’hui au travail ou qu’ils soient déjà à la retraite ? Comment seront calculés les impacts financiers de l’ajout des deux catégories ? Quelle grille de salaire sera utilisée ? Celle en vigueur au moment de la publication de la loi 99-07 ou celle en cours au moment de la promulgation de la circulaire d’application d’avril 2008 ? De nombreuses questions que j’ai également posées au Premier ministre. Si la loi est appliquée telle que décidée par le télex du directeur général de la Fonction publique, c’est-à-dire seulement à partir du 1er janvier 2008, l’Etat algérien commettra, sans doute, à l’encontre des filles et des fils de chouhada, une autre injustice.
( A suivre)
Dr B. M. : Psychiatre, Député du RCD
Par Dr Boudarène Mahmoud
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La majorité des orphelins mais aussi des veuves de la guerre de Libération nationale est encore aujourd’hui dans le besoin quand elle ne vit pas dans un total dénuement. Pour autant, l’Algérie indépendante avait fait le serment d’en prendre soin. Ce serment a vite été oublié, trahi.
Evoquer, un demi-siècle après l’indépendance de la nation, les tracas, pourtant bien réels, que rencontrent les enfants de chouhada pour obtenir leurs droits légaux, peut paraître décalé, anachronique. Cela peut aussi agacer et faire « grincer des dents » ceux-là mêmes qui croient que cette catégorie de citoyens baigne dans des privilèges sans limites, consentis par une nation généreuse à leur endroit. A dire vrai, ce n’est pas le cas et si des enfants de chouhada — ils doivent sûrement être nombreux — ont accès à des faveurs particulières, c’est parce qu’ils sont dans les grâces d’un pouvoir dans le giron duquel ils se sont mis à couvert.
Bien sûr, ceux-là ne sont pas des enfants de chouhada « ordinaires ». Sans doute des thuriféraires du régime et autres clients. Le lecteur comprendra que le commun des filles et fils de chouhada — dont je plaide ici la cause — n’a pas la chance d’émarger dans cette « rubrique ». La majorité des orphelins mais aussi des veuves de la guerre de libération nationale est encore aujourd’hui dans le besoin quand elle ne vit pas dans un total dénuement. Pour autant, l’Algérie indépendante avait fait le serment d’en prendre soin. Ce serment a vite été oublié, trahi.
Chacun sait ce qu’est devenue la femme de chahid au lendemain de l’indépendance, un destin contrarié parce que, « fraîchement veuve », elle a été obligée — pour « garantir sa protection et celle de ses enfants » de vite se remarier, quelquefois d’épouser en deuxièmes noces le frère du défunt mari. Un avenir improbable quand, pour subvenir aux besoins de sa famille, elle a plongé dans le monde du travail et est devenue femme de ménage parce que souvent analphabète mais encore dans la force de l’âge, 18 à 30 ans tout au plus. Je rappelle au lecteur que la pension allouée, en ce temps, à la famille du chahid était de un dinar par jour et par enfant et de cinq dinars par jour pour la veuve. Une pension misérable...
Les garçons ont été mis dans des internats créés à leur intention : les « maisons d’enfants de chouhada ». En réalité, ceux-ci avaient été tout simplement enlevés à leurs mères. « Vos enfants sont les nôtres, ils sont les enfants de toute l’Algérie. Nous allons en prendre soin, leur donner l’instruction... », leur avait-on promis. Qui a bien pu avoir une telle idée ? Une pratique importée des pays du bloc communiste ? Pour quels desseins ? Des orphelinats destinés au « formatage » des jeunes esprits afin de les mettre à la disposition de la nation ou pour les apprêter à constituer une clientèle future au service du régime ?
Dans tous les cas, pour un grand nombre de ces jeunes enfants, cet épisode de leur vie a été au mieux un très mauvais souvenir, au pire il a constitué un véritable traumatisme psychique. Une vie de caserne militaire leur a été infligée. Des privations multiples et des châtiments corporels presque systématiquement administrés par, à quelques exceptions, des matons sans cœur. Ils ne seront pas nombreux, les enfants de chouhada qui me contrediront...
J’ai fait l’expérience de l’un de ces orphelinats, celui d’El Biar (Châteauneuf, à l’époque), aujourd’hui musée du Moudjahid. Au bout de quelques semaines, j’ai dû fuir. J’ai encore en mémoire ce petit garçon de 7 à 8 ans qui « recevait la tannée » tous les matins parce qu’il était énurétique et faisait donc durant la nuit « pipi au lit ». J’ai aussi en souvenir que certaines soirées on nous faisait écaler de grandes quantités de châtaignes ou de marrons. Pour quoi ? Pour qui ? Aucun de nous n’en savait rien. En revanche, je me rappelle bien que les coups tombaient avec facilité quand l’un de nous s’avisait d’y goûter. Des soirées qui nous paraissaient interminables.
Une tranche de vie que je relatais, il y a quelques semaines, à des confrères psychiatres. C’était à l’occasion d’un congrès. Je ne savais pas que j’allais, par l’évocation de mes souvenirs d’enfance, provoquer l’émotion que j’ai vu naître chez l’un de mes confrères. Les yeux pleins de larmes, il me raconte que lui et ses trois frères ont également été pensionnaires de cet orphelinat, d’El Biar. Comme moi, il en a gardé un épouvantable souvenir. Plus tard, après avoir été déménagés au pensionnat de Hadjout, ils ont fait le mur et quitté cette institution. « Nous avons fui et à ce jour, personne n’a cherché à nous retrouver. Ils s’en foutaient que nous ayons disparu », a-t-il ajouté. Son émotion a été encore plus vive quand il m’a confié que sa mère a dû « travailler comme femme de ménage dans une entreprise publique » pour subvenir à leurs besoins. « Dès que l’aîné de mes frères a touché son premier salaire, il a demandé à ma mère de rentrer à la maison. C’était un projet, elle avait fait assez de sacrifices pour nous ».
Un enfant de chahid, pupille de la nation, qui n’a souvenir ni de son père ni de sa mère, plusieurs fois élu local dans la wilaya de Tizi Ouzou, m’évoquait la vie pénible qu’il a eue dans une des maisons d’enfants de la région. Un ancien camp militaire français, reconverti pour la circonstance en pensionnat pour enfants de chouhada. Il me disait qu’il fallait parcourir près de 300 mètres pour aller aux toilettes par tous les temps. Il a gardé en mémoire que « la nuit, certains enfants faisaient leurs besoins dans leurs vêtements. Ils avaient peur de se lever et d’aller jusque-là. C’était dur le lendemain. J’en ai gardé une cicatrice, un traumatisme... ».
Il est assurément inconvenant de convoquer le passé des veuves et des enfants de chouhada pour uniquement, aujourd’hui, se lamenter. Abandonnés par la nation depuis l’indépendance, voilà que les pouvoirs publics algériens commettent une nouvelle injustice à leur encontre. Un fait inédit et grave est survenu. Une loi de la République, votée il y a maintenant onze années, ne trouve toujours pas application sur le terrain parce que l’Etat a oublié de la faire accompagner du dispositif réglementaire nécessaire à sa mise en œuvre immédiate. Une iniquité qui pénalise et empêche de faire profiter de ses fruits ceux auxquels les dispositions de cette loi sont destinées, en premier lieu les filles et fils de chouhada qui travaillent. Il s’agit de la loi 99-07 du 5 avril 1999, relative au moudjahid et au chahid, publiée au Journal officiel n°25 du 12 avril 1999. L’application de son article 39, notamment, est revendiquée avec une particulière insistance.
Voici ce que dit cet article : « Les moudjahidine, les veuves et enfants de chouhada en activité, bénéficient, une fois dans leur carrière, du droit à une promotion spéciale par l’ajout de deux catégories dans leur classement et de la dispense des concours professionnels au sein des organismes publics où ils exercent, lorsqu’ils remplissent les conditions requises. » Un article de loi qui ne souffre aucune équivoque, qui peine encore à ce jour à trouver, particulièrement concernant l’ajout des deux catégories, une issue pour son application sur le terrain. Si certaines entreprises du secteur public ont procédé à la régularisation de cette situation, il n’en est pas de même pour les institutions qui relèvent du secteur de la Fonction publique, comme par exemple l’éducation nationale.
Pourquoi l’Etat algérien — qui doit « garantir les droits fondamentaux des moudjahidine et des ayants droit » (article 4 de ladite loi) — fait obstacle depuis onze années à l’application d’une loi de la République ? Pourquoi il continue, à ce jour, à persister dans cette démarche, malgré l’avènement, très tardif il faut le souligner, de la circulaire d’application interministérielle du 29 avril 2008 ? Pourquoi cette circulaire n’a-t-elle pas été publiée au Journal officiel ? Des questions que j’ai évidemment posées au Premier ministre dans mon interpellation écrite du 24 mars 2010 et pour lesquelles je n’ai pas encore reçu de réponses.
Les enfants de chouhada ont « frappé à toutes les portes » pour faire aboutir cette loi. Ils n’ont pas été entendus. Chacun se rappelle de l’accueil brutal qui leur a été réservé quand — pour exiger des explications sur le retard mis par les pouvoirs publics à appliquer les dispositions de cette loi — ils ont tenté de se regrouper devant le siège du Premier ministère, l’ex-Palais du gouvernement. Les forces de police étaient là pour les empêcher d’y parvenir. C’était le 5 juillet 2007, un jour anniversaire de l’indépendance de notre pays. Ni l’organisation nationale des moudjahidine, ni la kyrielle des organisations d’enfants de chouhada, ni même celle des enfants de moudjahidine ne s’en sont émues. Il faut dire que les moudjahidine n’étaient pas concernés. La très grande majorité — pour ne pas dire la totalité — était depuis longtemps partie à la retraite, avant la promulgation de la loi en question. C’est pourquoi ils ne s’étaient donc pas particulièrement préoccupés de ses dispositions.
En date du 4 mai 2010, une correspondance émanant de la direction de la formation et de l’enseignement professionnels de la wilaya de Tizi Ouzou demande aux chefs d’établissement de lui faire parvenir la liste des fonctionnaires n’ayant pas bénéficié des dispositions des articles 39, 40 et 42 de la loi 99-07. Un courrier qui porte la mention « importance signalée ». Que veut dire cette correspondance ? Serait-ce le début de la fin de la longue attente des enfants de chouhada ? Il est permis de supposer que les choses commencent à bouger là-haut. Mon interpellation du Premier ministre semble avoir été utile.
Pourtant, des questions nombreuses ne manqueront pas de surgir. Comment va-t-on, en effet, procéder, en 2010, à la mise en œuvre d’une loi qui a été votée en 1999 ? Onze années ont passé. L’environnement économique national n’est plus le même et les filles et fils de chouhada concernés par cette loi sont pour la plupart partis en retraite. Est-ce que le télex n°08/1225 du 3 octobre 2008 provenant de la direction générale de la Fonction publique, qui fixe définitivement pour le premier janvier 2008 la date d’effet de l’ajout de ces deux catégories, fait suite à une instruction du Premier ministre, alors chef du gouvernement ? Sans doute. La loi prendra donc effet avec un retard de neuf années. Une instruction qui viole le principe qui veut qu’une loi soit effective dès sa parution au Journal officiel.
Que deviennent les droits légaux des enfants de chouhada qui étaient en activité à la date de la promulgation de la loi, qu’ils soient encore aujourd’hui au travail ou qu’ils soient déjà à la retraite ? Comment seront calculés les impacts financiers de l’ajout des deux catégories ? Quelle grille de salaire sera utilisée ? Celle en vigueur au moment de la publication de la loi 99-07 ou celle en cours au moment de la promulgation de la circulaire d’application d’avril 2008 ? De nombreuses questions que j’ai également posées au Premier ministre. Si la loi est appliquée telle que décidée par le télex du directeur général de la Fonction publique, c’est-à-dire seulement à partir du 1er janvier 2008, l’Etat algérien commettra, sans doute, à l’encontre des filles et des fils de chouhada, une autre injustice.
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