The Journal of Sophia Asian Studies n° 27 (2009)
Interview de l’ancien président algérien Chadli Bendjedid et la signification historique de son témoignage.
Par Masatoshi Kisaichi et Watanabe Shoko
Masatoshi Kisaichi : Professeur à l’Institut des Etudes Asiatiques. Université Sophia.
Watanabe Shoko : Etudiante PhD. Graduate School of Arts and Sciences. Université de Tokyo.
Interview réalisée le 4 mai 2008 en langue arabe au domicile de Mr Chadli Bendjedid. Durée : 2 heures (10h -12h 15)
Traduction réalisée de la langue arabe par l’équipe de LQA. Nous tenons à remercier Mohamed Jabara pour sa très précieuse collaboration.
Nos remerciements également à notre compatriote universitaire Nasser El Djazaïr, pour nous avoir scanné et envoyé l’interview en langue arabe. La traduction a concerné uniquement la période allant de la désignation de Mr Chadli Bendjedid en 1979 par l’armée à sa démission forcée en 92, suite au coup d’Etat du 11 janvier.
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Kisaichi : Le président Chadli est arrivé au pouvoir la même année du déclenchement de la révolution iranienne en 1979. A cette époque, la révolution islamique iranienne a provoqué en tant que religion et culture, une forte impression dans les rangs du peuple Algérien. Quel est le rôle joué par la révolution iranienne dans le renforcement de l’Islam en Algérie ?
Chadli : En réalité, l’Algérie était au début de la Révolution en harmonie avec ses traditions, ses principes et son authenticité. C’est-à-dire son appartenance civilisationnelle à la Nation arabe et islamique avec tout ce qu’elle représente comme civilisation, histoire, en plus de son appartenance spirituelle. Et la révolution a débuté sur la base de ces principes dont l’appartenance religieuse à l’Islam. La révolution iranienne n’a joué aucun rôle dans l’évolution de la situation en Algérie. Bien au contraire, nous avons aidé les iraniens à résoudre leurs problèmes avec les américains et le Chah. Comme nous le savons, les iraniens appartiennent au chiisme et nous en Algérie et au Maghreb arabe, nous appartenons au rite Malékite. Et là, il y a une grande différence entre le chiisme et le rite malékite.
Kisaichi : Qu’en est-il de l’augmentation des mosquées dans les années 70 et la promulgation d’une loi en 1972 interdisant la vente des boissons alcoolisées aux musulmans ? Etes-vous d’accord avec moi pour dire que la société algérienne est passée d’une société laïque à une société plus religieuse ?
Chadli : Oui, cela est exact. Mais ce changement a été progressif. Au lendemain de l’indépendance nous avons opté pour une orientation socialiste du temps du président Ben Bella. Mais nous avons refusé cette orientation car elle était plus proche du communisme et ce dernier n’a aucune relation avec les valeurs et traditions algériennes. Il ne s’agit que d’une chose importée qui n’a aucun rapport avec l’Algérie et la vie des Algériens. La présence communiste en Algérie et son rôle influent au sein du pouvoir qui a essayé d’imposer l’orientation socialiste proche du communisme a suscité une confusion et a ouvert les portes à l’extrémisme religieux. Ceci a aboutit à l’éviction de Ben Bella du pouvoir car son régime avait imposé au peuple algérien un modèle de développement et une orientation politique, économique et social très proches des systèmes communistes. L’échec de son système dans la réalisation de la politique de développement a permis au courant religieux d’activer pour contrer le courant communiste. C’est pour cette raison que le courant religieux est apparu et que son activité politique a augmenté dans les années 70, par la construction de mosquées. A l’époque il y avait un seul parti, le front de libération nationale, et en son sein, il y avait de nombreuses sensibilités politiques telles que les communistes, les islamistes et autres. Le FLN constituait le parapluie sous lequel se trouvait un grand mélange d’orientations diverses. Et cette mixture continua à se développer jusqu’aux années 80.
Watanabe : N’y avait-il pas déjà un conflit entre le courant socialiste et le courant islamiste durant la guerre de libération ?
Chadli : Non, ces courants n’existaient pas durant la guerre de libération nationale car la condition imposée pour rejoindre le FLN était de laisser de côté son appartenance partisane. Et seuls ceux qui avaient accepté cette condition ont pu adhérer au programme du FLN et à la déclaration du 1er novembre. Le FLN n’a jamais accepté l’adhésion dans ses rangs de ceux qui refusaient de se défaire de leur appartenance partisane. Et c’est grâce à cela que nous avons pu vaincre tous ces courants contradictoires. Ainsi la réflexion était une durant la guerre de libération. Mais, après l’indépendance, certains ont commencé au sein du FLN à reprendre leurs appartenances idéologiques. C’est le cas des islamistes, des communistes, des socialistes, des laïcs, des progressistes et autres.
Watanabe : Cela signifie-t-il que tous les courants politiques et intellectuels étaient rassemblés au sein du FLN autour d’un dénominateur commun qu’était la libération de l’Algérie ?
Chadli : Oui, c’est exact !
Kisaichi : En octobre 80, un violent séisme a frappé la ville d’El Asnam et les associations religieuses ont joué un rôle important dans l’aide apportée aux sinistrés. Quel est votre évaluation du rôle de ces associations à cette époque ?
Chadli : Ces associations islamiques ont commencé à œuvrer au sein de la population, après leur travail de solidarité auprès des sinistrés. Mais c’est l’Etat qui a pris en charge la reconstruction des maisons détruites et le rôle de ces associations était très limité comparativement à ce qu’a fait l’Etat.
Kisaichi : Mais beaucoup d’observateurs ont affirmé que le rôle joué par ces associations islamiques dans le soutien des citoyens était de beaucoup supérieur à celui joué par le gouvernement.
Chadli : Cela n’est pas vrai. C’est le gouvernement qui a pris en charge les sinistrés mais les portes de la solidarité étaient ouvertes à tout le monde y compris les associations islamiques et dont le rôle, encore une fois était limité car leurs moyens étaient inférieurs à ceux de l’Etat et le gouvernement a octroyé une aide très importante aux sinistrés après le séisme.
Kisaichi : Est-ce le président Chadli qui a initié le changement en Algérie en passant de la politique socialiste vers la politique capitaliste ?
Chadli : Oui c’est moi qui ai changé le système du socialiste vers le capitalisme car j’avais constaté que le système socialiste avait échoué. Il n’y a pas un autre comme moi qui a vécu la révolution depuis ses débuts jusqu’aux années 90. J’étais responsable au commandement militaire jusqu’à l’indépendance et j’ai assuré des responsabilités sans interruption au sein du pouvoir politique et militaire jusqu’en 1992. Cela signifie que j’ai vécu toutes les étapes de la révolution jusqu’à l’indépendance tout comme j’étais un haut responsable militaire. C’est nous qui avons ramené Ben Bella au pouvoir. Personnellement, je n’ai pas eu l’occasion de faire les écoles militaires durant la colonisation française ni après. J’étais un militant et au cours de mon activisme, je me suis entrainé à la vie révolutionnaire et j’ai assumé des responsabilités en tant que militaire ni plus ni moins. C’est ainsi que j’ai vécu les étapes de la Révolution de ses débuts jusqu’à l’indépendance. Puis durant la période de Ben Bella et de Boumediene après, où j’étais membre du conseil de la Révolution qui représentait le pouvoir essentiel autour du président de la République. De par ces longues expériences que j’ai vécues du régime communiste de Ben Bella au régime socialiste de Boumediene, régimes qui ont tous deux totalement échoué, je me suis fait une idée complète et claire de la situation en Algérie.
Kisaichi : Quel est le principal problème du système socialiste en Algérie ?
Chadli : Nous n’avons pas pu réaliser ce que nous souhaitions à l’ombre du système socialiste. Ce système en tant que philosophie et principes était admirable mais a prouvé son échec en Algérie. Notre compréhension et notre foi en le socialisme relevait d’un seul principe qu’était la justice sociale. Et nous croyons à ce jour en cette justice sociale. La philosophie est une chose, l’application en est une autre. Et nous avons échoué dans l’application. Et le seul choix était d’ouvrir la porte au peuple algérien pour choisir ses représentants. Tel est le choix d’avenir car le monde est devenu petit, nous sommes une partie de ce monde et notre développement est tributaire de ce monde. Notre immobilisme et notre entêtement à nous accrocher à une philosophie particulière sont condamnés à l’échec. Et le meilleur exemple à ce que je dis est l’échec de l’union soviétique et son retour aux réalités. J’ai changé le système par conviction personnelle car j’ai vécu toutes les étapes économiques, politiques et sociales du régime algérien en tant que responsable et sur cette base, j’ai pris totalement mes responsabilités. Quand je me suis aperçu que le régime socialiste à l’époque ne pouvait plus assurer les changements voulus, j’ai décidé de le changer.
Kisaichi : D’où est venue cette inspiration concernant l’idée du changement ?
Chadli : De par mon expérience au pouvoir, c’est moi-même qui ai décidé du changement du système en commençant par la modification de la constitution et la suppression de la charte car le système et la constitution étaient liés entre eux. Sur le plan politique il est difficile à l’exécutif l’application sans toucher aux prérogatives de la Constitution car le gouvernement devait appliquer le contenu de la charte du FLN et cela devenait impossible car avec le changement de la situation en Algérie, l’appareil exécutif /le gouvernement devait être en adéquation avec les changements opérés dans le pays. Et c’est cet immobilisme qui m’a poussé à prendre la décision de changer le système. Je me suis rendu compte de l’importance de remettre le pouvoir au peuple algérien dans un cadre organisé et d’aller vers une véritable démocratie. Le peuple algérien a choisi ses représentants au sein du parlement en toute liberté. Tout comme il a été donné à ce parlement de larges prérogatives ce qui a permis à l’appareil exécutif de contrôler le gouvernement. Ces réformes que j’avais initiées ont touché directement les acquis et les intérêts de certains responsables qui avaient profité de la décision centralisée et du pouvoir du parti et de l’individu unique.
Lorsque j’ai proposé la nouvelle constitution qui permettait au peuple de choisir ses représentants, du président de la République au maire, en toute liberté et à travers des élections libres, le peuple est devenu responsable dans le choix de ses représentants et cela a diminué la critique envers le président de la République ou le chef du gouvernement. Ce qui signifie que je voulais donner au peuple une réelle liberté dans le choix de ses représentants. Hélas, ces réformes que j’avais initiées ont abouti aux événements du 5 octobre 88. Certains prétendent que les événements du 5 octobre sont à l’origine de la démocratie. La vérité est toute autre, tout le contraire. Lorsque ceux que menaçait la démocratie véritable qui donnait au peuple de larges prérogatives, se sont rendus compte qu’ils allaient perdre leur influence et leurs privilèges, ils ont pris peur. Car quand le peuple devient libre dans le choix de ses élus, il choisira évidemment des gens honnêtes et dont il a confiance. Quand c’est l’appareil exécutif qui propose des candidats, cela va à l’encontre des principes élémentaires de la démocratie.
J’étais convaincu, suite à mon étude du système politique algérien que l’option socialiste, le centralisme dans la prise de décision et le pouvoir du parti unique n’étaient pas efficients. L’Histoire me jugera dans l’échec ou la réussite de cette politique, car je suis le premier responsable et le dernier de ces réformes. Les événements du 5 octobre étaient le résultat du refus de ces réformes et de ces changements par ces responsables au sein du pouvoir et du parti. Ils ont essayé de me forcer à revenir sur ces réformes en provoquant ces manifestations. Mais je leur ai signifié qu’ils se trompaient car il était dans l’intérêt du peuple algérien d’ouvrir la voie de la démocratie en lui permettant de choisir ses représentants et d’assumer ses responsabilités et son destin. Et je tiens à certifier que les réformes ont commencé bien avant les événements du 5 octobre et ces derniers n’étaient que le résultat de pressions exercées contre moi pour me forcer à revenir sur ces réformes. Mais j’ai tenu à ces réformes et j’ai soumis au référendum une nouvelle constitution en 1989. Les services de sécurité m’ont informé que le parti du FLN avait incité les gens à voter contre cette constitution car elle allait ouvrir la voie à la démocratie. Mais ne me suis pas alarmé de ce qu’ils ont fait en affirmant que j’étais responsable au sein du FLN. Il y avait un certain nombre de personnes au sein du FLN qui avaient peur pour leurs privilèges en ce qu’ils étaient liés avec la continuité de la gestion du parti unique. C’est pourquoi j’ai décidé de m’en remettre au peuple afin qu’il statue entre mes opposants et moi même à travers la mise en place des réformes sous l’aspect d’une nouvelle constitution. Afin d’assurer l’intégrité des résultats j’ai ordonné aux services de sécurité de ne pas permettre la falsification des résultats et de rester à l’écart du scrutin. J’avais décidé de continuer les réformes au cas où le peuple entérinait la constitution où de démissionner au cas de son refus. J’avais posé ces deux conditions comme préalables et tout le peuple algérien est au courant de cela. Le peuple algérien s’est exprimé à 85 %. Ces résultats du scrutin ont constitué une gifle aux partis et au FLN et j’ai pris conscience à travers ce suffrage et l’adhésion que lui a apporté le peuple, que j’étais sur la bonne voie. L’intérêt du peuple pour moi était plus important que les intérêts des responsables qui étaient autour de moi et si j’avais écouté ces responsables l’Algérie aurait sombré dans l’abime. J’ai compris à travers les résultats du scrutin que le peuple algérien voulait la démocratie véritable afin d’endosser ses responsabilités et procéder aux choix de ses représentants en toute liberté, du président au maire de la commune. De cette façon le parlement serait indépendant et aurait toute latitude afin de contrôler l’organe exécutif, comme cela se passe dans les démocraties véritables. Le parlement est le représentant officiel du peuple et c’est à partir de cet organe qu’a lieu le contrôle de l’exécutif et son questionnement. La position opposée du FLN à cette évolution et aux réformes a amené le peuple à se solidariser avec le courant islamiste en cours d’expansion et ce par sanction envers les responsables du FLN et non pas à l’égard du FLN en tant que symbole. C’est pourquoi le peuple algérien a voté pour le FIS et le résultat fut la victoire des islamistes, ce qui constitue un désaveu des responsables du FLN qui ont commis des fautes, notamment le pillage des deniers de l’État et qui avaient peur d’être soumis à contrôle et de devoir rendre des comptes et de répondre de leur actes au peuple. Ils m’ont demandé de refaire les élections mais j’ai refusé.
Kisaichi : Laissez nous revenir s’il vous plait à la question principale. Je suis allé mon étudiante (Shoko Watanabé) et moi à Constantine l’année dernière et nous avons visité l’université Émir Abdelkader de sciences islamiques. Quel est le but du gouvernement algérien en instituant cette université en 1984 ?
Chadli : En réalité cette université était une mosquée avant d’être transformée en une université des sciences islamiques. L’idée d’élargir la mosquée à germé et à abouti à sa transformation en institut puis en université. Nous avons décidé d’y faire enseigner la théologie musulmane. Des professeurs de haut niveau ont été ramenés pour la gérer et c’était la seule université en Algérie qui s’occupait de la théologie musulmane. Compte tenu de l’importance de cette université, j’ai ramené le professeur Cheikh El Ghazali d’Egypte afin qu’il y enseigne. Bien que les gens le rendaient responsable de la diffusion de l’extrémisme islamiste en Algérie, c’était un homme modéré. Le professeur El Ghazali était un homme docte et responsable et qui avait une bonne réputation parmi les égyptiens et les arabes en général. Il s’est occupé de la gestion de l’université. L’extrémisme n’est pas apparu à partir de cette université mais avait pour source d’autres parties et d’autres organisations externes. Les professeurs de l’Université Émir Abdelkader de sciences islamiques étaient parmi les modérés et ils ont participé également à promouvoir des professeurs modérés qui sont sortis du rang. Au point où qu’au moment de l’insurrection civile en Algérie, très peu d’étudiants de cette université s’y sont ralliés.
L’extrémisme en Algérie a émergé par le fait d’éléments, doctrines et idées qui ne sont pas rattachées a l’Islam véritable et qui proviennent de l’extérieur de l’Algérie. Il n’y a pas que l’Algérie qui a souffert de ce problème, mais toute la nation arabe jusqu’à aujourd’hui. L’Islam est étranger à ces organisations extrémistes.
Kisaichi : Quelles sont les causes à l’origine du 5 Octobre 1988.
Chadli : Les causes des évènements d’octobre étaient liées aux réformes que j’avais entreprises. Il y avait beaucoup de responsables du FLN et d’autres qui étaient opposés à la démocratie que j’ai essayé d’appliquer. Le fait est que la démocratie, la liberté de presse et l’ouverture offerte au peuple de choisir ses représentants en toute liberté permettait de mettre à nu les tares des responsables et allait les priver des privilèges associés au pouvoir qu’ils exerçaient dans le cadre des anciennes normes du parti unique et du pouvoir personnel.
En résumé, la restructuration du pouvoir a constitué une menace pour l’influence de beaucoup de gens parmi les membres de l’appareil du FLN et autres et c’est pourquoi ils ont eu recours à l’incitation aux émeutes qui ont eu lieu et aux violences pour m’obliger à revenir sur le projet de démocratisation du pays. Quant à dire que c’est la démocratie qui est la cause des évènements du 5 Octobre, ceci n’est pas vrai, le contraire est vrai. Les réformes économiques et politiques ont amené les évènements par le biais de ceux auxquels elles portaient préjudice et qui voulaient m’obliger à délaisser le projet de démocratisation.
WATANABE : Y avait-il derrière ces faits une organisation précise ?
Chadli : Non. C’était les éléments du FLN et ce sont eux qui ont encouragé ces évènements.
WATANABE : Voulez vous dire que ces évènements et ces manifestations n’étaient pas organisés ?
Chadli : Non. Aucune organisation n’était responsable de ces évènements. Les islamistes ont utilisé ces évènements pour apparaître sur la scène politique et obtenir l’adhésion populaire après que le peuple leur avait donné sa confiance par sanction envers le FLN.
Kisaichi : Pourquoi le FIS a pu réaliser des résultats importants lors des élections de 1990 ?
Chadli : La démocratie a permis au peuple algérien de choisir les islamistes en toute liberté de la même façon que ce qui est arrivé en Palestine lorsque le peuple palestinien a voté pour les islamistes du mouvement Hamas. Le choix des islamistes par les palestiniens était une sanction en réaction aux erreurs et comportements du FATAH à l’égard des palestiniens et le pillage des ressources publiques commis par ses membres. C’est exactement ce qui s’est passé en Algérie lorsque le peuple s’est vengé des responsables du FLN qui ont commis des lourdes fautes à l’égard du peuple algérien et ont pillé ses biens. Voilà la vérité.
Kisaichi : Comme cela est connu, le pouvoir algérien n’a pas reconnu les résultats du scrutin de 1991, le FIS a été interdit et les conséquences furent tragiques et ont conduit à plus de 100.000 morts en ce temps là. Pensez vous que si le pouvoir avait accepté les résultats des élections et la participation du FIS au gouvernement on aurait pu éviter les évènements qui ont suivi ?
Chadli : Naturellement. Il était nécessaire de régler les problèmes nés après les élections dans le cadre du parlement. Et en toute franchise je n’accuse pas l’ensemble du FLN car certains ont accepté les résultats des élections et ont préféré que le FIS désigne son gouvernement et ainsi transférer les conflits politiques dans l’enceinte du parlement par l’exposé des différents points de vue.
Normalement les choses n’auraient pas dû aboutir à cette grave crise dont nous supportons encore les conséquences jusqu’à présent. J’étais pour le cadre démocratique et puisque le peuple avait choisi la partie islamiste, nous devions leur remettre les instruments de gouvernement et les laisser diriger l’Algérie. Mais les membres du FLN ont pris peur pour eux mêmes et m’ont demandé d’annuler les élections et de les refaire, ce que j’ai refusé par respect pour la constitution et en conformité avec la promesse que je me suis faite lorsque j’ai fait le serment sur le Coran de respecté la volonté du peuple Algérien. C’est pourquoi je n’ai pas demandé au peuple algérien de revoir son choix concernant les islamistes
D’autre part, qu’aurait dit l’opinion publique nationale et internationale si j’avais annulé les élections ? Ils auraient pensé que les réformes qu’a entreprises Chadli n’étaient que des manœuvres destinées à le maintenir au pouvoir. C’est pourquoi j’ai décidé de me retirer et j’ai démissionné par respect pour le choix du peuple. Celui qui dit qu’il s’agit d’un coup d’État est dans l’erreur car j’ai démissionné de ma propre volonté sans contrainte de qui que ce fusse.
Kisaichi : Le pouvoir algérien devait accepter le gouvernement du FIS n’est ce pas ?
Chadli : Oui, c’est vrai. Si le gouvernement (le pouvoir) avait accepté les résultats du scrutin nous ne serions pas arrivés à cette situation dangereuse. J’ai voulu du peuple algérien qu’il assume la responsabilité du choix de ses représentants en toute liberté et à travers eux de constituer un gouvernement.. Nous devions respecter les choix du peuple algérien et donner au FIS l’occasion de constituer son gouvernement Le FIS aurait du être jugé en fonction des règles et procédures constitutionnelles qui régissent l’action du gouvernement. Sortir du cadre de la volonté populaire et des choix du peuple dans le scrutin était une faute très grave. Juste pour vous mettre dans le cadre, au décès de Boumedienne j’ai été pressenti par le conseil de la révolution pour être présenté comme candidat à la présidence, mais j’ai refusé en leur disant que je n’étais pas prêt pour ce poste et ce n’est que lorsque la situation a commencé à dégénérer en crise que j’ai accepté. Le pays s’orientait vers la guerre civile et si je n’avais pas accepté la responsabilité, la situation se serait aggravée après le décès de Houari Boumedienne. Ils m’ont demandé de me porter candidat à la présidence car l’armée et le FLN me respectaient pour le fait que je n’étais dirigé par aucune partie. Le peuple algérien aussi me respectait car j’étais dans l’armée et éloigné des magouilles politiques. J’étais obligé d’accepter le poste de président de la république après que le peuple algérien eut mis sa pleine confiance en moi. C’est pourquoi le poste de président de la république m’a été imposé par la société et par les responsables algériens et je l’ai dit publiquement au peuple que le poste de président de la république m’a été imposé. Le peuple m’a donné sa confiance car il sait que je suis ancien dans l’armée. C’est par respect pour cette confiance que j’ai voulu ouvrir la porte du changement du système socialiste de Boumedienne.
Watanabe : Je voudrais vous poser une question d’ordre culturelle. Quelle est l’identité culturelle de l’Algérie ? Est-ce qu’elle a une identité spécifique en dehors de celle arabo-islamique ?
Chadli : Il n’y a pas d’identité spécifique à l’Algérie en dehors de l’identité arabo-islamique. Nous appartenant à une société arabo-islamique qui a sa civilisation et nous tenons à l’appartenance à cette société et à cette civilisation et ses valeurs. Notre conflit interne a été provoqué par quelques responsables qui voulaient imposer leurs idées au peuple algérien et qui sont contraires à ses traditions et ses coutumes. Nous avons par exemple refusé le communisme au début et nous avons crû au socialisme dans le cadre de la justice sociale seulement. Et nous avons refusé également par la suite le socialisme, quand nous nous sommes rendu compte qu’il s’opposait à notre appartenance arabo-islamique. L’Algérie a appartenu et continue d’appartenir à la civilisation arabo-islamique
Watanabe : Qu’en est –il de l’amazighité ?
Chadli : l’amazighité représente des traditions et des langues de certaines tribus qui appartiennent à des civilisations et des cultures qui existaient avant l’avènement de l’Islam. Et il reste quelques très rares tribus qui tiennent à leurs origines. Mais il est difficile de déterminer l’origine de ces gens et leur appartenance amazighe. L’amazighité représente un ensemble de dialectes locaux et de civilisations et en relation spirituelle avec l’Islam, car cette religion et plus particulièrement en Afrique du nord n’a pas été imposée par la force de l’épée mais a été embrassée par les algériens car elle est venu avec un esprit de justice sociale. C’est notre appartenance civilisationnelle qui nous a aidé en tant que société maghrébine de la Lybie, à l’Algérie, à la Tunisie et au Maroc à nous attacher fermement aux principes de l’Islam. Quant à ceux qui prétendent être des Amazighs, je leur dit avec fierté : nous avons été arabisés par l’Islam. Avant de commencer à parler en arabe, les populations d’Afrique du Nord utilisaient les dialectes locaux et la langue tamazight n’était pas uniforme entre les gens dans ce qui est connu aujourd’hui comme étant le Maroc et l’Algérie par exemple. La langue tamazight est dépassée par le temps et ne peut évoluer. C’est pour cette raison que nous disons, nous algériens que l’Islam nous a arabisé et de par notre foi en cette religion, nous avons voulu parler la langue arabe. La langue tamazight s’est éteinte et la langue arabe l’a remplacée car c’est la langue d’une grande civilisation sur le plan mondial au point où les élèves européens étudiaient en arabe dans les universités d’Andalousie et étaient fiers d’avoir la possibilité de s’exprimer en arabe comme nous sommes fiers aujourd’hui de maitriser les langues anglaise et française comme seconde langue. La langue arabe était respectée sur le plan international et avait un rôle important dans le monde.
Watanabe : Considérez-vous alors que l’amazighité ne constitue pas un élément important dans la personnalité algérienne ?
Chadli : Oui.
Watanabe : Est-ce une identité limitée sans plus ?
Chadli : Elle est limitée aux régions kabyles et le reste des algériens s’exprime en arabe. On peut dire que leurs origines lointaines sont amazighs mais lorsqu’est arrivé l’Islam, les algériens ont préféré l’embrasser et parler la langue arabe. Des gens qui habitaient dans les régions lointaines et qui n’ont pas été touchées par la civilisation arabo-musulmane ou les autres civilisations qu’a connu le pays, parlent leurs dialectes locaux. Quant à ceux qui habitaient les Hauts Plateaux et les plaines, ils ont abandonné leurs dialectes pour parler la langue arabe car c’était la langue d’une civilisation, à l’époque. La langue tamazight est une langue limitée et c’est un mélange d’arabe et de français et ce dernier est une langue étrangère à la langue tamazight. Et je le dis en toute franchise, il existe une stratégie coloniale de la part des « services » français pour alimenter cette appartenance amazigh afin d’acquérir une sympathie de ces groupes et les rattacher à la France pour créer des problèmes internes et exercer des pressions politiques sur le gouvernement algérien. La preuve de ce que je dis est l’enseignement de tamazight qu’assure la France dans ses universités.
Watanabe : Les événements du printemps berbère de 1980 avaient-ils une dimension politique ?
Chadli : Oui. Ces événements étaient politiques sous couvert de la question amazigh. Nous pouvons dire qu’ils étaient à la fois politiques et culturels et le but était d’exercer des pressions politiques sur l’Algérie sous pretexte de la question amazigh.
Watanabé : Existe-t-il une spécificité culturelle algérienne différente de celle des tunisiens et marocains ? Quelle différence y a-t-il entre les cultures algérienne, tunisienne et marocaine ?
Les régions où résident ce qu’on appelle des Amazigh se situent seulement en Algérie et au Maroc. Ils sont pratiquement inexistants en Tunisie. Les dialectes amazighs différents d’une région à une autre. Par exemple, les tribus du nord du Maroc et d’Algérie possèdent un dialecte spécifique. Les tribus qui se trouvent dans le Rif marocain sur les rivages de la mer méditerranée parlent des dialectes qui sont très proches les uns des autres. Quant aux tribus des chaouia amazigh, elles parlent un dialecte totalement différent des autres tribus amazigh. Chez les tribus touaregs, il existe un dialecte qui est différent de la langue tamazight et du dialecte des tribus des chaouia. Bref, la langue amazigh n’est pas uniforme. Il s’agit de dialectes différents qui sont parlés par de multiples tribus. Il n’y a pas de différence entre elles car elles appartiennent toutes à une seule région, à une seule culture et à une seule civilisation qui est la civilisation arabo-musulmane. Tous ces pays ont en commun la présence d’une minorité amazigh sur leur sol. Les français donnent aux amazigh l’appellation de berbères et ce concept, en réalité, minimise les minorités amazigh, les dépouillant d’une civilisation propre à elles. Il n’existe pas de spécificité à la nationalité algérienne. Les Algériens appartiennent à la civilisation arabo-musulmane.
Kisaichi : Voulez-vous dire qu’il n’y a pas de différence entre la nationalité algérienne, tunisienne et marocaine ?
Il peut y avoir une différence dans le domaine politique. Mais sur le plan culturel, nous appartenons à la même histoire, à la même culture, à la même civilisation arabo-musulmane. Et cette appartenance culturelle et civilisationnelle s’étend de l’est à l’ouest du monde arabe. Nous parlons tous la langue arabe avec des dialectes différents, sans plus
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