Algérie-Maroc


Rejoignez le forum, c’est rapide et facile

Algérie-Maroc
Algérie-Maroc
Vous souhaitez réagir à ce message ? Créez un compte en quelques clics ou connectez-vous pour continuer.
Algérie-Maroc

Forum de discussion entre Maghrébins, expulsés marocains d'algerie,algerie-maroc


Le Deal du moment : -36%
Aspirateur balai sans fil Dyson V8 Origin
Voir le deal
254.99 €

Vous n'êtes pas connecté. Connectez-vous ou enregistrez-vous

Entretien avec Jean Ziegler

Aller en bas  Message [Page 1 sur 1]

1Entretien avec Jean Ziegler Empty Entretien avec Jean Ziegler Lun 22 Nov - 22:54

Atavisme

Atavisme

Jean Ziegler : "Il est de l’intérêt de l’Occident d’affaiblir l’Algérie"



- Selon vous, l’Algérie a échappé à la mainmise du capitalisme mondial. Comment ?

Je suis frappé de la permanence des principes en Algérie contenus dans la plateforme de la Soumam de 1956. Ces mêmes principes se retrouvent dans la politique étrangère algérienne : universalité, Etat solidaire, justice sociale, souveraineté, etc. L’Algérie est la principale puissance en Afrique du Nord. Lancer un plan de 240 milliards d’euros sur quatre ans en est un signe. Cette puissance est mise au service de la souveraineté. L’Algérie est pratiquement le seul pays d’Afrique qui maîtrise l’investissement étranger avec la règle du 51/49 contenu dans son code. Il y a également le contrôle strict sur le transfert des profits.

L’Algérie a trouvé là le moyen de négocier avec les multinationales, avec les maîtres du monde et les maîtriser. Ces firmes ne cherchent qu’à maximiser les profits. Nestlé n’est pas la Croix-Rouge ! Je vis dans le cœur du monstre à Genève au milieu de ces multinationales et je sais de quoi je parle. Au Nigeria, Esso et Texaco dictent leurs lois. L’Algérie est le onzième producteur de pétrole membre de l’OPEP. Le Nigeria produit plus. Prenez ces deux exemples. Le Nigeria, le pays le plus peuplé d’Afrique et qui sort 2,2 millions de barils de pétrole par jour, est sous les ordres des multinationales.

En Algérie, Sonatrach dicte sa loi aux firmes pétrolières étrangères pour travailler. Donc, il y a une notion de souveraineté totale. Au Conseil des droits de l’homme de l’ONU, l’Algérie joue un grand rôle en présidant le groupe afro-arabe. Les diplomates algériens donnent le ton au sein de ce groupe en défendant les intérêts des pays du Sud. Bouteflika, qui a été ministre des Affaires étrangères, est l’un des hommes d’Etat du tiers monde qui a une parfaite connaissance des mécanismes compliqués du système onusien. Driss Djazaïri, Mohamed Salah Dembri et Lakhdar Ibrahimi sont des diplomates connus

- Pour revenir sur les mesures sur l’investissement, des pays européens, tels que la France et l’Allemagne, ont critiqué ces dispositions…

Les multinationales veulent avoir le champ libre. Elles ne l’ont pas en Algérie. L’actuelle classe dirigeante française n’a jamais pardonné l’indépendance de l’Algérie. On ne se rend pas compte encore du traumatisme causé aux Européens. Il y avait la défaite de Diên Biên Phu, mais le Viêtnam est loin de leur monde. Le Maghreb est dans le même monde, et c’est là que ces Européens ont été radicalement contestés. La victoire de l’Algérie a ouvert la voie à la décolonisation en Afrique.

- L’instabilité au Sahel n’aide-t-elle pas les anciens empires à se réveiller ?

La situation au Sahel est dangereuse. L’Algérie est effectivement indépendante et montre l’exemple. L’Algérie ne fait pas partie de la francophonie. Souverain donc, ce pays doit être saboté. Je ne sais pas qui finance El Qaîda et qui est derrière. Mais il me semble évident qu’il est de l’intérêt de l’Occident d’affaiblir l’Algérie. Al Qaîda est au cœur du Sahel. Qui sait, demain ils iront attaquer les champs pétroliers de Hassi Messaoud…

- Ces groupes sont-ils manipulés ?

Je le pense oui. Sociologiquement, il existe un terreau avec l’appauvrissement des Touareg, le racisme noir contre les Touareg, etc. Les gouvernements n’ont pas tenu leurs promesses, la misère est toujours là. Ces groupes se financent par les rançons payées contre la libération des otages. Les Européens négocient et payent. Pour l’Algérie, cela crée des problèmes puisque ces groupes ont plus de possibilités de s’armer. Si vous payez 5 millions d’euros pour les otages, comme l’ont fait les Espagnols, cela devient un commerce alimenté par les Européens (…) La Suisse refuse d’extrader les islamistes recherchés par mandat international parce qu’elle ne veut pas provoquer ceux qui ont déposé des fonds dans les banques.

L’économie suisse dépend énormément des banques. La Suisse est le deuxième pays le plus riche de la planète avec le revenu par habitant. Ce pays, qui n’a pas de matière première, vit de l’argent d’autrui (…) Je n’ai pas les moyens de confirmer que l’Occident finance les groupes terroristes, mais je peux dire que certaines puissances occidentales ne seront pas mécontentes d’affaiblir l’Algérie. L’Algérie, dans tous les pays du Sud, est une épine, un pays qu’on ne peut pas mettre à genoux. C’est «le mauvais» exemple pour les autres. Imaginez que demain le Niger reprenne les gisements d’uranium au groupe nucléaire français Areva et crée une Sonatrach nigérienne. Cela va provoquer une explosion en France des prix de l’électricité, car pour l’instant, la France ne paye presque rien. Le président Tandja, qui voulait multiplier les investissements chinois et indiens, a été écarté.

- Le Maghreb uni en tant qu’entité économique n’est-il pas une menace pour l’Union européenne (UE) ?

Non. L’UE est constituée de 27 pays, de 400 millions de consommateurs et de 11 000 milliards de dollars de produit intérieur brut (PIB). L’UE est une grande puissance économique qui habilement a associé les pays du Maghreb avec des accords et a créé un marché élargi. Avec le problème du Sahara occidental, le Maghreb uni, une idée merveilleuse, n’est pas possible. La Libye et l’Egypte posent aussi problème. Comme pour l’UE, les pays doivent créer un minimum commun, avoir des buts politiques et structures économiques communs…

- En Algérie, il y un dossier de corruption lié à Sonatrach. Pourquoi la corruption est fort présente dans les pays pétroliers ?

Pourquoi les Algériens seraient des anges !? A Genève, il existe une corruption incroyable, pourtant c’est une démocratie. Il s’agit de spéculations immobilières et les fausses factures. Partout où il y a de l’argent, il y a beaucoup de tentations. Les banquiers suisses ont pour la plupart des banques off shore aux îles Caïman pour échapper au fisc

- Des experts parlent de «malédiction du pétrole». Le Nigeria en est le parfait exemple…

Je mets l’Algérie à part. Il est faux de dire qu’il n’existe pas de développement dans ce pays. Il y a des logements et des infrastructures qui sont en construction. Certes, il y a des problèmes sociaux, mais il y a un investissement public, pas spéculatif privé, qui est impressionnant. Je ne suis pas venu depuis huit ans en Algérie et je constate qu’il y a un développement infrastructurel remarquable. Au Nigeria, des dictatures militaires se succèdent.

Dans l’index du développement humain du PNUD, le Nigeria est en bas du tableau, alors que c’est le huitième producteur mondial du pétrole. Il faut peut-être renforcer le contrôle sur les dépenses publiques, mais on m’a dit que le président Bouteflika auditionne chaque année les ministres sur les projets. Cela n’existe pas au Nigeria ou au Soudan. Aux Algériens de savoir si de telles méthodes sont efficaces ou pas.

- L’absence de démocratie et de libertés n’aide-t-il pas le maintien des systèmes comme au Nigeria ?

Mis à part l’Egypte, l’Afrique du Sud, l’Algérie, le Nigeria et l’Ethiopie, la majorité des 53 pays en Afrique vivent la misère sur le plan économique, surendettés et dirigés par des élites faibles. Dans ces pays, la construction nationale, durant les 50 dernières années, a été déficiente. Selon le FAO, 81 millions d’Africains étaient sous-alimentés en 1975. En 2005, ils étaient 202 millions d’Africains à être dans cette situation. La faim explose en Afrique. L’hypocrisie des Européens est totale. Ils pratiquent le dumping agricole en Afrique. Les surplus sont déversés sur les marchés de Niamey, Bamako, Dakar et d’ailleurs, et plus loin, le paysan africain s’épuise au travail et n’a aucune chance d’avoir un revenu normal parce qu’au marché, la ménagère peut acheter des légumes ou du poulet espagnols, grecs ou français à moitié prix des produits locaux. Les règles de l’OMC fonctionnent selon les intérêts des multinationales. L’OMC est une entreprise de désarmement économique des pays du tiers monde. Ce dumping empêche les pays agricoles africains, qui constituent les deux tiers du continent, d’acquérir le minimum vital qui permet ensuite le développement de la démocratie. Brecht a dit : «L’affamé ne peut pas manger un bulletin de vote.» De l’autre côté, les Occidentaux se plaignent de l’absence de démocratie et des atteintes aux droits de l’homme en Afrique noire, alors que absence de démocratique est le résultat de la surexploitation économique pratiquée par ce même Occident. ..

- Quelles leçons peut-on retenir de la dernière crise financière internationale ?

Le 22 octobre 2008, les 15 chefs d’Etat des pays de la zone euro se sont réunis à Paris et ont décidé de libérer 1700 milliards d’euros pour remobiliser le crédit interbancaire et pour augmenter de 3 à 5% le plancher d’auto- financement des banques. C’est une somme énorme utilisée pour sauver les bandits de la finance ! Des bandits qui ont engagé des spéculations de plus en plus risquées afin d’augmenter leurs bonus. Ce banditisme a été donc honoré par les gouvernements. En Suisse, l’UBS est devenue tellement puissante qu’il était impossible pour le gouvernement de la laisser tomber en faillite.

Le contribuable a donc payé pour ces opérations de sauvetage. Et ça continue, comme avant. Aujourd’hui, ils continuent à spéculer avec l’argent du contribuable. En Europe et aux Etats-Unis, les gouvernements ont été incapables d’exproprier les banques et d’abolir les bonus. On attend la prochaine crise ! Le Programme alimentaire mondiale (PAM) a perdu la moitié de son budget parce que les pays industriels ont arrêté leurs cotisations pour donner l’argent aux banquiers. Les repas scolaires ont été supprimés dans plusieurs pays par le PAM. Au Bangladesh, c’est une véritable catastrophe.

Les spéculateurs de Wall Street sont des assassins. Ils font mourir des gens dans le tiers monde. «Quand les riches maigrissent, les pauvres meurent», a dit un écrivain français. Selon la banque mondiale, 162 millions de personnes dans le monde se sont ajoutées à celles qui souffrent de la faim en raison de la crise financière mondiale. Il faut créer un tribunal de Nuremberg (crime contre l’humanité, ndlr) pour les bandits bancaires.

- Existe-t-il un lien entre cette crise financière et la multiplication des conflits actuellement ?

L’Amérique est la première puissance économique. Presque 25% des biens industriels fabriqués dans le monde sont l’œuvre des Américains, alors qu’ils ne sont que 300 millions. La matière première de cette formidable machine industrielle est le pétrole. Elle utilise 20 millions de barils de pétrole par jour, alors que la production mondiale est de 85 millions de barils par jour. Huit de ces 20 millions de barils sont produits entre l’Alaska et le Texas, le resté est importé de régions dangereuses, telles que le Delta du Niger, l’Asie centrale, le Moyen-Orient. Cela force les Américains à maintenir la plus gigantesque armada que le monde n’a jamais connue. Donald Rumesfeld (ancien secrétaire à la Défense, ndlr) avait dit que les Etats-Unis doivent être capables de mener quatre guerres en même temps.

Les Etats-Unis soutiennent Israël pour contrôler le monde arabe et l’Iran. Si l’Arabie Saoudite, principal fournisseur des Etats-Unis en hydrocarbures, change de stratégie, il sera ciblé par Israël. La guerre D’Irak est une guerre du pétrole. L’Irak a les deuxièmes réserves de pétrole au monde avec 13 milliards de barils avec une faible teneur en souffre. Les pipes lines entre la mer Noire et l’océan Indien passent par l’Afghanistan. La guerre d’Afghanistan a également une motivation économique directe. Marx disait que «le capitalisme porte en lui la guerre, comme le nuage porte l’orage». Il y a une logique contraignante, si vous dépendez du pétrole étranger, vous devriez assurer et contrôler les sources d’approvisionnement.

- Avez-vous des projets d’écriture ?

Tout ce dont je vous parle ici fait l’objet d’un livre que j’ai écrit, "La France identitaire", pour lequel je cherche un éditeur. Pour la première fois en 25 ans de publication, j’éprouve des difficultés à publier pareil ouvrage sur la montée de l’islamophobie en France. Je ne sais pas pourquoi. Il paraît que c’est la crise...

Bio express :

bio express Jean Ziegler, né le 19 avril 1934 en Suisse, est un homme politique, sociologue et écrivain. Il fut le rapporteur spécial pour le droit à l’alimentation du Conseil des droits de l’homme de l’ONU de 2000 à 2008. Il est actuellement membre du comité consultatif du Conseil des droits de l’homme des Nations unies. Il est l’auteur de plusieurs livres sur la mondialisation et sur ce qu’il considère être des crimes commis au nom de la finance mondiale et du capitalisme.

2Entretien avec Jean Ziegler Empty Re: Entretien avec Jean Ziegler Dim 5 Déc - 17:56

Atavisme

Atavisme

Atavisme a écrit:
Je suis frappé de la permanence des principes en Algérie contenus dans la plateforme de la Soumam de 1956. Ces mêmes principes se retrouvent dans la politique étrangère algérienne : universalité, Etat solidaire, justice sociale, souveraineté, etc. L’Algérie est la principale puissance en Afrique du Nord.
La preuve...la constance du discours algérien sur le sahara occidental.
Si Bouteflika dit ce que Mrs Zeroual, Kafi, Chadli et Boumediène disaient

3Entretien avec Jean Ziegler Empty Re: Entretien avec Jean Ziegler Lun 6 Déc - 23:51

Atavisme

Atavisme

Réfugiés de la faim par Jean Ziegler

L'Algérie sauve l’honneur. Le président Abdelaziz Bouteflika dit : « Nous refusons ces camps. Nous ne serons pas les geôliers de nos frères. »

La nuit était noire, sans lune. Le vent soufflait à plus de 100 kilomètres à l’heure. Il faisait se lever des vagues de plus de 10 mètres qui, avec un fracas effroyable, s’abattaient sur la frêle embarcation de bois. Celle-ci était partie d’une crique de la côte de Mauritanie, dix jours auparavant, avec à son bord 101 réfugiés africains de la faim. Par un miracle inespéré, la tempête jeta la barque sur un récif de la plage d’El Medano, dans une petite île de l’archipel des Canaries. Au fond de la barque, les gardes civils espagnols trouvèrent les cadavres de trois adolescents et d’une femme, morts de faim et de soif.

La même nuit, quelques kilomètres plus loin sur la plage d’El Hierro, un autre rafiot s’échoua : à son bord, 60 hommes, 17 enfants et 7 femmes, spectres titubants à la limite de l’agonie (1).

A la même époque encore, mais en Méditerranée cette fois-ci, un autre drame se joue : à 150 kilomètres au sud de Malte, un avion d’observation de l’organisation Frontex repère un Zodiac surchargé de 53 passagers qui – probablement par suite d’une panne de moteur – dérive sur les flots agités. A bord du zodiac, les caméras de l’avion identifient des enfants en bas âge et des femmes. Revenu à sa base, à La Valette, le pilote en informe les autorités maltaises, qui refusent d’agir, prétextant que les naufragés dérivent dans la « zone de recherche et de secours libyenne ». La déléguée du Haut Commissariat des réfugiés des Nations unies Laura Boldini intervient, demandant aux Maltais de dépêcher un bateau de secours. Rien n’y fait. L’Europe ne bouge pas. On perd toute trace des naufragés.

Quelques semaines auparavant, une embarcation où se pressaient une centaine de réfugiés africains de la faim, tentant de gagner les Canaries, avait sombré dans les flots au large du Sénégal. Il y eut deux survivants (2).

Des milliers d’Africains, y compris des femmes et des enfants, campent devant les clôtures des enclaves espagnoles de Melilla et de Ceuta, dans le Rif aride. Sur injonction des commissaires de Bruxelles, les policiers marocains refoulent les Africains dans le Sahara (3). Sans provisions ni eau. Des centaines, peut-être des milliers d’entre eux périssent dans les rochers et les sables du désert (4).

Combien de jeunes Africains quittent leur pays au péril de leur vie pour tenter de gagner l’Europe ? On estime que, chaque année, quelque 2 millions de personnes essaient d’entrer illégalement sur le territoire de l’Union européenne et que, sur ce nombre, environ 2 000 périssent en Méditerranée, et autant dans les flots de l’Atlantique. Leur objectif est d’atteindre les îles Canaries à partir de la Mauritanie ou du Sénégal, ou de franchir le détroit de Gibraltar au départ du Maroc.

Selon le gouvernement espagnol, 47 685 migrants africains sont arrivés sur les côtes en 2006. Il faut y ajouter les 23 151 migrants qui ont débarqué sur les îles italiennes ou à Malte au départ de la Jamahiriya arabe libyenne ou de la Tunisie. D’autres essaient de gagner la Grèce en passant par la Turquie ou l’Egypte. Secrétaire général de la Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, M. Markku Niskala commente : « Cette crise est complètement passée sous silence. Non seulement personne ne vient en aide à ces gens aux abois, mais il n’y a pas d’organisation qui établisse ne serait-ce que des statistiques rendant compte de cette tragédie quotidienne (5). »

Pour défendre l’Europe contre ces migrants, l’Union européenne a mis sur pied une organisation militaire semi-clandestine qui porte le nom de Frontex. Cette agence gère les « frontières extérieures de l’Europe ».

Elle dispose de navires rapides (et armés) d’interception en haute mer, d’hélicoptères de combat, d’une flotte d’avions de surveillance munis de caméras ultrasensibles et de vision nocturne, de radars, de satellites et de moyens sophistiqués de surveillance électronique à longue distance.

Frontex maintient aussi sur sol africain des « camps d’accueil » où sont parqués les réfugiés de la faim, qui viennent d’Afrique centrale, orientale ou australe, du Tchad, de la République démocratique du Congo, du Burundi, du Cameroun, de l’Erythrée, du Malawi, du Zimbabwe… Souvent, ils cheminent à travers le continent durant un ou deux ans, vivant d’expédients, traversant les frontières et tentant de s’approcher progressivement d’une côte. Ils sont alors interceptés par les agents de Frontex ou leurs auxiliaires locaux qui les empêchent d’atteindre les ports de la Méditerranée ou de l’Atlantique. Vu les versements considérables en espèces opérés par Frontex aux dirigeants africains, peu d’entre eux refusent l’installation de ces camps.
L'Algérie sauve l’honneur. Le président Abdelaziz Bouteflika dit : « Nous refusons ces camps. Nous ne serons pas les geôliers de nos frères. »



Organiser la famine et criminaliser ceux qui la fuient

La fuite des Africains par la mer est favorisée par une circonstance particulière : la destruction rapide des communautés de pêcheurs sur les côtes atlantique et méditerranéenne du continent. Quelques chiffres.

Dans le monde, 35 millions de personnes vivent directement et exclusivement de la pêche, dont 9 millions en Afrique (6). Les poissons comptent pour 23,1 % de l’apport total de protéines animales en Asie, 19 % en Afrique ; 66 % de tous les poissons consommés sont pêchés en haute mer, 77 % en eaux intérieures ; l’élevage en aquaculture de poissons représente 27 % de la production mondiale. La gestion des stocks de poissons dont les déplacements s’effectuent tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des zones économiques nationales revêt donc une importance vitale pour l’emploi et la sécurité alimentaire des populations concernées.

La plupart des Etats de l’Afrique subsaharienne sont surendettés. Ils vendent leurs droits de pêche à des entreprises industrielles du Japon, d’Europe, du Canada. Les bateaux-usines de ces dernières ravagent la richesse halieutique des communautés de pêcheurs jusque dans les eaux territoriales. Utilisant des filets à maillage étroit (interdits en principe), elles opèrent fréquemment en dehors des saisons où la pêche est autorisée. La plupart des gouvernements africains signataires de ces concessions ne possèdent pas de flotte de guerre. Ils n’ont aucun moyen pour faire respecter l’accord. La piraterie est reine. Les villages côtiers se meurent.

Les bateaux-usines trient les poissons, les transforment en surgelés, en farine ou en conserves, et expédient du bateau aux marchés. Exemple : la Guinée-Bissau, dont la zone économique abrite un formidable patrimoine halieutique. Aujourd’hui, pour survivre, les Bissagos, vieux peuple pêcheur, sont réduits à acheter sur le marché de Bissau – au prix fort – des conserves de poisson danoises, canadiennes, portugaises.

Plongés dans la misère, le désespoir, désarmés face aux prédateurs, les pêcheurs ruinés vendent à bas prix leurs barques à des passeurs mafieux ou s’improvisent passeurs eux-mêmes. Construites pour la pêche côtière dans les eaux territoriales, ces barques sont généralement inaptes à la navigation en haute mer.

Et encore… Un peu moins d’un milliard d’êtres humains vivent en Afrique. Entre 1972 et 2002, le nombre d’Africains gravement et en permanence sous-alimentés a augmenté de 81 à 203 millions. Les raisons sont multiples. La principale est due à la politique agricole commune (PAC) de l’Union européenne.

Les Etats industrialisés de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ont payé à leurs agriculteurs et éleveurs, en 2006, plus de 350 milliards de dollars au titre de subventions à la production et à l’exportation. L’Union européenne, en particulier, pratique le dumping agricole avec un cynisme sans faille. Résultat : la destruction systématique des agricultures vivrières africaines.

Prenons l’exemple de la Sandaga, le plus grand marché de biens de consommation courante de l’Afrique de l’Ouest. La Sandaga est un univers bruyant, coloré, odorant, merveilleux, situé au cœur de Dakar. On peut y acheter, selon les saisons, des légumes et des fruits portugais, français, espagnols, italiens, grecs, etc. – au tiers ou à la moitié du prix des produits autochtones équivalents.

Quelques kilomètres plus loin, sous un soleil brûlant, le paysan wolof, avec ses enfants, sa femme, travaille jusqu’à quinze heures par jour… et n’a pas la moindre chance d’acquérir un minimum vital décent.

Sur 52 pays africains, 37 sont des pays presque purement agricoles.

Peu d’êtres humains sur terre travaillent autant et dans des conditions aussi difficiles que les paysans wolof du Sénégal, bambara du Mali, mossi du Burkina ou bashi du Kivu. La politique du dumping agricole européen détruit leur vie et celle de leurs enfants.

Revenons à Frontex. L’hypocrisie des commissaires de Bruxelles est détestable : d’une part, ils organisent la famine en Afrique ; de l’autre, ils criminalisent les réfugiés de la faim.

Aminata Traoré résume la situation : « Les moyens humains, financiers et technologiques que l’Europe des Vingt-Cinq déploie contre les flux migratoires africains sont, en fait, ceux d’une guerre en bonne et due forme entre cette puissance mondiale et de jeunes Africains ruraux et urbains sans défense, dont les droits à l’éducation, à l’information économique, au travail et à l’alimentation sont bafoués dans leurs pays d’origine sous ajustement structurel. Victimes de décisions et de choix macroéconomiques dont ils ne sont nullement responsables, ils sont chassés, traqués et humiliés lorsqu’ils tentent de chercher une issue dans l’émigration. Les morts, les blessés et les handicapés des événements sanglants de Ceuta et de Melilla, en 2005, ainsi que les milliers de corps sans vie qui échouent tous les mois sur les plages de Mauritanie, des îles Canaries, de Lampedusa ou d’ailleurs, sont autant de naufragés de l’émigration forcée et criminalisée (7). »

(1) Cf. El País, Madrid, 13 mai 2007 ; la nuit est celle du 11 au 12 mai.

(2) Le Courrier, Genève, 10 décembre 2006.

(3) Le 28 septembre 2005, des soldats espagnols ont tué cinq jeunes Africains qui tentaient d’escalader la clôture électrifiée entourant l’enclave de Ceuta. Huit jours plus tard, six autres jeunes Noirs étaient abattus dans des circonstances similaires.

(4) Human Rights Watch, 13 octobre 2005.

(5) La Tribune de Genève, 14 décembre 2006. NDLR : voir cependant le travail réalisé sur cette question par United et Migreurop : « Des morts par milliers aux portes de l’Europe ».

(6) Ce chiffre exclut les personnes employées dans l’aquaculture. Cf. Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), La situation mondiale des pêches et de l’aquaculture, Rome, 2007.

(7) Aminata Traoré, intervention au Forum social mondial, Nairobi, 20 janvier 2007.

Contenu sponsorisé



Revenir en haut  Message [Page 1 sur 1]

Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum