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Le 8 décembre 1975, le gouvernement algérien ordonne l'expulsion des ressortissants Marocains (on parle de 45.000 familles et 350.000 personnes) établis sur le territoire algérien depuis des décennies.
Elles laissent, derrière elles, famille, biens immobiliers, matériels, financiers et, parfois, des membres de leur famille.
Des associations, constituées de membres ayant subi l'expulsion de 1975, se mobilisent aujourd'hui pour faire entendre leur voix. Pourquoi ont-elles tant tardé à se faire entendre? Quelles sont leurs revendications? Quels sont les résultats attendus? Quelles sont les actions qu'elles mènent? Quels sont les enjeux de leurs combats? Ceux de la mémoire, de la reconnaissance de leur souffrance, de la réhabilitation du statut de leurs aînés (et partant, du leur), un dédommagement financier et/ou moral?
La liste des questions est bien longue et il importe d'y répondre. C'est à cet objectif que s'attelle ce colloque afin d'objectiver le débat à la lueur de l'analyse des faits de 1975.
Conclusions du Colloque «l’expulsion des Marocains vivant en Algérie (1975) en regard du droit international et humanitaire
par Fatiha Saidi Bis (Articles), lundi 20 mai 2013, 22:04
Intervention de Fatiha SAIDI
Conclusions du Colloque «l’expulsion des Marocains vivant en Algérie (1975) en regard du droit international et humanitaire
Bruxelles, Sénat, le 17 mai 13
Mesdames, Messieurs,
Chers Collègues,
Avant toute chose permettez-moi de vous remercier toutes et tous pour votre présence en cette matinée, pour nous permettre d’ouvrir une discussion sur un sujet sensible qui fait partie de l’histoire de milliers de personnes. Je remercie aussi mes collègues Marie Arena et Hassan Bousetta qui ont accepté de prendre une part active à ce colloque et bien évidemment, je ne puis oublier mes assistants Wilfrid Tastet et Dominique Durieux qui furent la cheville-ouvrière de cette manifestation.
Les faits que nous allons examiner aujourd’hui sont un fragment d’histoire qui s’inscrit en 1975, date à laquelle l’Algérie expulse femmes, hommes, enfants, vieillards, personnes handicapées -ironie du sort, parfois rescapées de la guerre d’Algérie à laquelle elles ont pris part.
Combien étaient-ils? Des milliers certes mais les chiffres restent occultés : 20.000 ? 45.000 ? 80.000? 300.000? Plus? Moins? Peu importe au demeurant. Peu importe, car la tragédie n’est pas statistique, son amplitude n’est pas chiffrable. La douleur se mesure à l’aune de l’atrocité des exactions commises sur les personnes, à l’atteinte à la dignité humaine, à la violation des droits fondamentaux. Et c’est bien dans ce cas de figure que nous plongeait 1975. Si la douleur était incommensurable, elle était d’autant plus vive que l’exaction était commise par un pays voisin, un pays frère.
Lorsque j’ai été approchée par l’association des Marocains expulsés d’Algérie (ADMEA), en 2007, pour soutenir leur cause, j’ai longuement réfléchi. Et puis, j’ai accepté de les soutenir dans leur démarche car elle me paraissait noble, légitime et surtout dénuée de tout esprit revanchard. En effet, le plus bel acte que peut poser l’être humain c’est de convertir ses difficultés, ses douleurs, ses souffrances en une stratégie collective fondée sur l’intérêt du plus grand nombre. C’est ce ressort qui m’attirait tout particulièrement dans les missions que s’assigne l’ADMEA. Mais ce n’est pas là le seul facteur car, pour nombre de personnes qui étaient jeunes à l’époque des faits ou qui ont vécu cet épisode en différé, car pris dans une autre histoire d’immigration, ces associations leur permettent un véritable exercice de mémoire, une manière de se réapproprier, sans nostalgie et sans haine, un moment de leur histoire. Et c’est là que l’exercice devient passionnant : tenter de comprendre, analyser avec le recul, écouter les témoignages, recouper les faits…, en un mot, reconstituer les morceaux d’une partie de l’histoire trop vite oubliée voire occultée et certainement tournée sans être lue.
Un bel exercice politique aussi, qui nous a amenés à rédiger et à déposer, ici au Sénat, une proposition de résolution. Merci à mes collègues Marie et Hassan, ici présents, mais aussi à Fabienne Winckel et Philippe Mahoux qui l’ont soutenue par leur signature.
Avec cette proposition de résolution, nous avons exprimé notre souhait de savoir comment des familles entières, dépossédées de leurs biens, déchiquetées du jour au lendemain dans leur tissu familial, social, relationnel ont été reçues dans leur pays d’origine. Nous voulons savoir combien elles étaient. Ce qu’elles sont devenues? Ont-elles terminé leur trajectoire forcée au Maroc? L’ont-elles prolongée dans un parcours migratoire? Nous voulons savoir quels ont été les effets, à court, moyen et long terme sur leurs relations affectives. Que sont devenues ces personnes brisées dans leur quotidien? Que sont devenues ces familles séparées? Comment ont-elles assumé leur subsistance lorsqu’elles se sont vues privées de toute ressource matérielle et financière? Que sont devenus ces enfants dont on a brutalement sectionné la scolarité?
On pourrait encore et encore continuer à égrener les questions mais c’est inutile car elles sont connues mais ce sont les réponses qui tardent.
Mesdames, Messieurs,
A un moment, devant les affirmations d’aucuns qui tendaient à minimiser les faits de 1975, j’ai été en proie au doute sur le caractère massif de ces expulsions. Alors, avec mon ami Mohammed Cherfaoui, nous nous sommes rendus à Genève où nous avons rencontré le coordinateur des secours de la Croix-Rouge, en 1975. Monsieur Tissot nous a fait part de son témoignage et nous a indiqué combien ces expulsions avaient eu lieu en nombre. De même, les documents que nous avons pu consulter au siège de la Fédération de la Croix-Rouge de Genève nous indiquaient les quantités de vivre, de tentes, de couvertures distribués à partir de décembre 75. Difficile de croire que des milliers de tonnes de lait, des centaines de milliers de couvertures et de tentes soient destinés à un groupuscule de personnes. Ces informations glanées à Genève ont stimulé mon envie d’aller plus loin dans les recherches et sont aussi à l’origine de la volonté de mettre sur pied ce colloque.
De ce colloque nous retiendrons que les expulsions de 1975 doivent être placées dans un contexte des droits humains. Le professeur Harsi nous a éclairé, en regard du droit des migrants, suivi par le professeur David qui a également fait état des différents instruments légaux qui permettent de qualifier d’illégales ces expulsions. L’Algérie a expulsé les ressortissants marocains, en violation des instruments légaux qu’elle a signés et ratifiés. Nos deux experts les ont largement cités et je ne vais donc pas les énumérer à nouveau.
Madame Marion Cailbaut, à qui nous souhaitons les pleins succès dans la poursuite de ses travaux consacrés aux expulsions de 1975, nous a fait part de sa volonté de voir les archives s’ouvrir pour donner encore plus de corps à ces événements et les livrer ainsi à la critique historique et à l’examen politique.
Monsieur Bouasria nous a présenté les objectifs poursuivis par les membres de l’Association des Marocains expulsés d’Algérie et a mis l’accent sur l’esprit d’ouverture et de réconciliation qui les animent. Il nous a également exprimé leur vif souhait de voir un jour ces faits reconnus pour être réhabilités dans leur histoire et dans leur souffrance. Et de la souffrance, il y en eut précisément, comme l’a déclaré Mohammed Cherfaoui, dans son témoignage, utilisant comme image-symbole, l’arbre arraché à ses racines. Mohammed Cherfaoui nous a livré un regard sur l’histoire des Marocains établis en Algérie dès le début du 19ème siècle, avec un pic plus fort, entre les années 20 et 30.
Mesdames, Messieurs,
Pour terminer, je vous dirais que le développement d’un Etat ne peut s’envisager sans un cadre de démocratie, de solidarité et d’échange. Si le Maroc et l’Algérie aspirent véritablement à un climat de paix, de démocratie et de bien-être de leurs citoyens, ils ne pourront plus se permettre de jouer encore plus longtemps la politique de l’autruche.
Nous espérons dès lors, que toutes les initiatives, comme celle développée aujourd’hui viendront les renforcer dans leur volonté de s’asseoir autour d’une table et d’engager un travail de dialogue et de construction en vue du développement harmonieux du Maghreb, dans un premier temps, avant de s’étendre à d’autres régions.
Et si, malgré tout la raison et le bon sens ne l’emportent pas sur l’entêtement stérile, nous continuerons à œuvrer toujours dans la même voie : celle de la défense des droits humains, de la démocratie et de la solidarité entre les peuples.
Je vous remercie pour votre attention.
Le 8 décembre 1975, le gouvernement algérien ordonne l'expulsion des ressortissants Marocains (on parle de 45.000 familles et 350.000 personnes) établis sur le territoire algérien depuis des décennies.
Elles laissent, derrière elles, famille, biens immobiliers, matériels, financiers et, parfois, des membres de leur famille.
Des associations, constituées de membres ayant subi l'expulsion de 1975, se mobilisent aujourd'hui pour faire entendre leur voix. Pourquoi ont-elles tant tardé à se faire entendre? Quelles sont leurs revendications? Quels sont les résultats attendus? Quelles sont les actions qu'elles mènent? Quels sont les enjeux de leurs combats? Ceux de la mémoire, de la reconnaissance de leur souffrance, de la réhabilitation du statut de leurs aînés (et partant, du leur), un dédommagement financier et/ou moral?
La liste des questions est bien longue et il importe d'y répondre. C'est à cet objectif que s'attelle ce colloque afin d'objectiver le débat à la lueur de l'analyse des faits de 1975.
Conclusions du Colloque «l’expulsion des Marocains vivant en Algérie (1975) en regard du droit international et humanitaire
par Fatiha Saidi Bis (Articles), lundi 20 mai 2013, 22:04
Intervention de Fatiha SAIDI
Conclusions du Colloque «l’expulsion des Marocains vivant en Algérie (1975) en regard du droit international et humanitaire
Bruxelles, Sénat, le 17 mai 13
Mesdames, Messieurs,
Chers Collègues,
Avant toute chose permettez-moi de vous remercier toutes et tous pour votre présence en cette matinée, pour nous permettre d’ouvrir une discussion sur un sujet sensible qui fait partie de l’histoire de milliers de personnes. Je remercie aussi mes collègues Marie Arena et Hassan Bousetta qui ont accepté de prendre une part active à ce colloque et bien évidemment, je ne puis oublier mes assistants Wilfrid Tastet et Dominique Durieux qui furent la cheville-ouvrière de cette manifestation.
Les faits que nous allons examiner aujourd’hui sont un fragment d’histoire qui s’inscrit en 1975, date à laquelle l’Algérie expulse femmes, hommes, enfants, vieillards, personnes handicapées -ironie du sort, parfois rescapées de la guerre d’Algérie à laquelle elles ont pris part.
Combien étaient-ils? Des milliers certes mais les chiffres restent occultés : 20.000 ? 45.000 ? 80.000? 300.000? Plus? Moins? Peu importe au demeurant. Peu importe, car la tragédie n’est pas statistique, son amplitude n’est pas chiffrable. La douleur se mesure à l’aune de l’atrocité des exactions commises sur les personnes, à l’atteinte à la dignité humaine, à la violation des droits fondamentaux. Et c’est bien dans ce cas de figure que nous plongeait 1975. Si la douleur était incommensurable, elle était d’autant plus vive que l’exaction était commise par un pays voisin, un pays frère.
Lorsque j’ai été approchée par l’association des Marocains expulsés d’Algérie (ADMEA), en 2007, pour soutenir leur cause, j’ai longuement réfléchi. Et puis, j’ai accepté de les soutenir dans leur démarche car elle me paraissait noble, légitime et surtout dénuée de tout esprit revanchard. En effet, le plus bel acte que peut poser l’être humain c’est de convertir ses difficultés, ses douleurs, ses souffrances en une stratégie collective fondée sur l’intérêt du plus grand nombre. C’est ce ressort qui m’attirait tout particulièrement dans les missions que s’assigne l’ADMEA. Mais ce n’est pas là le seul facteur car, pour nombre de personnes qui étaient jeunes à l’époque des faits ou qui ont vécu cet épisode en différé, car pris dans une autre histoire d’immigration, ces associations leur permettent un véritable exercice de mémoire, une manière de se réapproprier, sans nostalgie et sans haine, un moment de leur histoire. Et c’est là que l’exercice devient passionnant : tenter de comprendre, analyser avec le recul, écouter les témoignages, recouper les faits…, en un mot, reconstituer les morceaux d’une partie de l’histoire trop vite oubliée voire occultée et certainement tournée sans être lue.
Un bel exercice politique aussi, qui nous a amenés à rédiger et à déposer, ici au Sénat, une proposition de résolution. Merci à mes collègues Marie et Hassan, ici présents, mais aussi à Fabienne Winckel et Philippe Mahoux qui l’ont soutenue par leur signature.
Avec cette proposition de résolution, nous avons exprimé notre souhait de savoir comment des familles entières, dépossédées de leurs biens, déchiquetées du jour au lendemain dans leur tissu familial, social, relationnel ont été reçues dans leur pays d’origine. Nous voulons savoir combien elles étaient. Ce qu’elles sont devenues? Ont-elles terminé leur trajectoire forcée au Maroc? L’ont-elles prolongée dans un parcours migratoire? Nous voulons savoir quels ont été les effets, à court, moyen et long terme sur leurs relations affectives. Que sont devenues ces personnes brisées dans leur quotidien? Que sont devenues ces familles séparées? Comment ont-elles assumé leur subsistance lorsqu’elles se sont vues privées de toute ressource matérielle et financière? Que sont devenus ces enfants dont on a brutalement sectionné la scolarité?
On pourrait encore et encore continuer à égrener les questions mais c’est inutile car elles sont connues mais ce sont les réponses qui tardent.
Mesdames, Messieurs,
A un moment, devant les affirmations d’aucuns qui tendaient à minimiser les faits de 1975, j’ai été en proie au doute sur le caractère massif de ces expulsions. Alors, avec mon ami Mohammed Cherfaoui, nous nous sommes rendus à Genève où nous avons rencontré le coordinateur des secours de la Croix-Rouge, en 1975. Monsieur Tissot nous a fait part de son témoignage et nous a indiqué combien ces expulsions avaient eu lieu en nombre. De même, les documents que nous avons pu consulter au siège de la Fédération de la Croix-Rouge de Genève nous indiquaient les quantités de vivre, de tentes, de couvertures distribués à partir de décembre 75. Difficile de croire que des milliers de tonnes de lait, des centaines de milliers de couvertures et de tentes soient destinés à un groupuscule de personnes. Ces informations glanées à Genève ont stimulé mon envie d’aller plus loin dans les recherches et sont aussi à l’origine de la volonté de mettre sur pied ce colloque.
De ce colloque nous retiendrons que les expulsions de 1975 doivent être placées dans un contexte des droits humains. Le professeur Harsi nous a éclairé, en regard du droit des migrants, suivi par le professeur David qui a également fait état des différents instruments légaux qui permettent de qualifier d’illégales ces expulsions. L’Algérie a expulsé les ressortissants marocains, en violation des instruments légaux qu’elle a signés et ratifiés. Nos deux experts les ont largement cités et je ne vais donc pas les énumérer à nouveau.
Madame Marion Cailbaut, à qui nous souhaitons les pleins succès dans la poursuite de ses travaux consacrés aux expulsions de 1975, nous a fait part de sa volonté de voir les archives s’ouvrir pour donner encore plus de corps à ces événements et les livrer ainsi à la critique historique et à l’examen politique.
Monsieur Bouasria nous a présenté les objectifs poursuivis par les membres de l’Association des Marocains expulsés d’Algérie et a mis l’accent sur l’esprit d’ouverture et de réconciliation qui les animent. Il nous a également exprimé leur vif souhait de voir un jour ces faits reconnus pour être réhabilités dans leur histoire et dans leur souffrance. Et de la souffrance, il y en eut précisément, comme l’a déclaré Mohammed Cherfaoui, dans son témoignage, utilisant comme image-symbole, l’arbre arraché à ses racines. Mohammed Cherfaoui nous a livré un regard sur l’histoire des Marocains établis en Algérie dès le début du 19ème siècle, avec un pic plus fort, entre les années 20 et 30.
Mesdames, Messieurs,
Pour terminer, je vous dirais que le développement d’un Etat ne peut s’envisager sans un cadre de démocratie, de solidarité et d’échange. Si le Maroc et l’Algérie aspirent véritablement à un climat de paix, de démocratie et de bien-être de leurs citoyens, ils ne pourront plus se permettre de jouer encore plus longtemps la politique de l’autruche.
Nous espérons dès lors, que toutes les initiatives, comme celle développée aujourd’hui viendront les renforcer dans leur volonté de s’asseoir autour d’une table et d’engager un travail de dialogue et de construction en vue du développement harmonieux du Maghreb, dans un premier temps, avant de s’étendre à d’autres régions.
Et si, malgré tout la raison et le bon sens ne l’emportent pas sur l’entêtement stérile, nous continuerons à œuvrer toujours dans la même voie : celle de la défense des droits humains, de la démocratie et de la solidarité entre les peuples.
Je vous remercie pour votre attention.
Dernière édition par admin"SNP1975" le Ven 31 Mai - 17:11, édité 1 fois