Macias ou la repentance inversée
par Nasr-Eddine Lezzar *
par Nasr-Eddine Lezzar *
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image] «Nicolas Sarkozy a eu raison de ne pas s'excuser ». « Les Algériens devraient s'excuser pour pas mal de choses». Dixit Enrico Macias.
Macias suit Sarko, ils étaient ensemble sur l'estrade de la victoire il y a sept mois.
Déclarations maladroites, malheureuses, intempestives, impétueuses. Ces deux phrases assassines ont ruiné et achevé le capital ou le reliquat de sympathie que conservait ce chanteur de chez nous. Le refus des excuses ne se justifie par une absence de culpabilité de la colonisation - et soutenir cela est en soi gravissime - mais par une culpabilité réciproque de ceux qui se sont vus agressés chez eux et subi les affres de la colonisation que la loi du 23 février essaie de redéfinir d'une façon impudique.
Coupables d'avoir résisté, d'avoir lutté pour la liberté et la dignité. La résistance est aussi coupable que l'agression sinon plus.En tout état de cause, les résistances épousent les couleurs des guerres qui leur font face. Une guerre propre - si ça existe - engendre une résistance propre et la sale guerre provoque une sale résistance guerre. Macias aurait été sans doute mieux inspiré d'appeler à un pardon réciproque, s'il en fut, et chanter entre l'Algérie et la France « le grand pardon » qu'il loua pour Juifs et Palestiniens.
Vision sectaire et discriminatoire d'appeler au pardon pour certains et le rejeter pour d'autres. Un artiste est universaliste avant tout. Macias souhaite pour les siens, les Juifs d'Israël, ce qu'il rejette aussi pour les siens, les Algériens, son pays de naissance car il soutient à qui veut l'entendre que l'Algérie est son pays, le pays où il a grandi, la terre de son enfance, où il a commencé ses plus belles chansons.
Entre son pays d'origine et son pays de naissance, Macias accorde un inégal traitement. Il n'a pas la grandeur d'âme des enfants adoptifs qui maintiennent un amour indéfectible pour leurs deux familles, celle du sang et celle de l'adoption.
Lamentable et puéril dérapage d'un chanteur admirable, mais coupable d'incursion maladroite sur le terrain de l'histoire et de la politique.
Le chanteur humaniste a vécu. Il y a lieu de disséquer la question du pardon version Sarkozy qui s'avère un Le Pen light. Un coupable peut reconnaître les faits mais contester leur caractère injuste et criminel et ainsi les justifie et refuse la repentance. Position qui, à y voir de plus près, pourrait s'avérer correcte.
Sarkozy reconnaît le caractère injuste de la colonisation, mais refuse de demander pardon, les excuses. Macias, chantre de son maître, pousse plus loin, reconnaît le bien-fondé du refus de demander pardon et avance que les Algériens aussi devraient s'excuser (de quoi et pourquoi ?). Le refus de demander des excuses ne s'explique que par le mépris des victimes, la non-reconnaissance de leur douleur, la dénégation de leur droit à la dignité.
La colonisation a été injuste mais je ne présente pas d'excuses, parce que l'injustice de la colonisation est normale. Les colonisés n'ont même pas droit à la reconnaissance de leur martyr.
Lorsqu'on ne s'excuse pas d'une injustice c'est qu'on la considère méritée. On devrait disserter sur cette position machiavélique pendant longtemps. Revenons à Macias : il y a peut-être lieu de s'interroger si Macias a saisi la portée des propos sarkoziens pour les soutenir de cette façon, nous nous posons la question parce que nous le savions ou nous le croyions (Macias) obstinément suave.
On ne peut prétendre aimer un pays et mépriser son peuple, lui refuser le réconfort d'un pardon et exiger qu'il s'excuse d'avoir défendu sa dignité. Vous aviez déclaré un jour que le Président Bouteflika vous a invité, mais que les fous vous ont barré la route. Vous venez de couper cette route que « les fous » avaient simplement « barrée ». Qui est plus fou que l'autre ? Vous aviez aussi déclaré que vous alliez revenir chez le peuple algérien directement, sans intermédiaire et voilà que vous mettez une barrière entre les deux.
Vous ne pouvez pas imaginer M. Macias l'accueil qui vous aurait été réservé, si vous étiez venu seul chanter Constantine à Constantine. On ne peut souhaiter revenir chez un peuple qui est le sien, et mépriser ses douleurs, ses valeurs et ses martyrs.
- Je me suis demandé plusieurs fois pourquoi le retour de Macias a toujours été si problématique ? Parce que Juif, parce que pied-noir ou parce que les deux?
Des pieds-noirs sont revenus et ont eu des retrouvailles émouvantes ! Benjamin Stora, Juif et pied-noir bien de chez nous, effectue des allées et venues entre la France et l'Algérie. Il est accueilli avec tous les honneurs dus à ses travaux.
Le retour de Macias dans sa ville natale sur invitation de Bouteflika ou accompagnant Sarkozy, a fait l'objet d'une instrumentalisation et d'une manipulation politiciennes. Ce voyage, que beaucoup d'Algériens vous ont souhaité, a été à la fois compromis et souillé par la politique; et vous avez malheureusement accompagné les manipulateurs en y ajoutant de la démesure. Pour revenir, vous n'aviez besoin ni de Bouteflika ni de Sarko. Il aurait suffi de demeurer un enfant de Constantine, l'enfant d'un pays déchiré par une guerre qu'il n'a pas choisie.
- Contrairement à vous, nous sommes capables de discernement éclairé et capables de nuances M. Macias. Pour nous, le peuple français comprend d'abord les porteurs de valises et l'OAS (et l'ordre est délibéré). L'armée française enregistre des grands noms, de Labollardière, Saint-Arnaud et d'autres inconnus, glorieux bidasses et appelés du contingent, honorables soldats qui ont dénoncé et quitté l'armée française pour l'honneur de la France, ainsi que d'autres malheureux chefs de guerre moins honorables parce que tortionnaires, assassins et lâches. Le respect des honneurs de la guerre, des femmes et des enfants, de l'homme désarmé fait la différence (lire sur ce point l'excellent livre de Florence Beaugé « Algérie une guerre sans gloire»).
Il m'est arrivé de m'interroger s'il était louable et opportun que Bigeard vienne se recueillir devant la tombe de Ben M'hidi et je me suis dit, pourquoi pas. La repentance est grande, il faut exorciser l'histoire. Avec l'évolution récente de la position officielle française, d'aucuns continueront peut-être à parler du pardon et lequel ? L'Algérie peut-elle pardonner lorsque la France refuse de s'excuser ?
Devant cette position française qui n'a pas d'excuses à présenter, l'Algérie n'a plus de pardon à accorder. On n'offre pas quelque chose qu'on n'a pas à quelqu'un qui n'en veut pas ? Macias inverse les obligations de repentance, les Algériens s'excuseront auprès des Français, les Irakiens demanderont pardon aux Etats-Unis, les Palestiniens à Israël et les Juifs à Hitler. Vous mesurez peut-être l'ignominie que peut atteindre votre déclaration et vos malheureux propos. Nous sommes toujours capables de nuances et enclins au pardon ! A votre décharge, nous mettons vos propos intempestifs et maladroits sur le compte d'une réaction passionnelle et la frustration d'un voyage tant attendu. Pour Macias et Sarkozy. Les Algériens sont lucides, ils font la part des choses entre les paroles et les actes. Refuser des excuses aux Algériens en Algérie, et les présenter le lendemain aux harkis a un sens. Un respect inégal des tragédies. Nous sommes aussi capable de nuances, cette catégorie est divisée, les traîtres et les assassins, ceux qui ont fait des choix et ceux qui n'ont pas choisi, ceux qui ont rejoint les rangs de l'ennemi et délibérément tiré sur leurs frères et ceux passés à l'autre bord, coupables seulement d'un déficit en capacité de résistance et d'un manque de courage. A ces derniers, et à ces derniers seulement, le pardon est possible. Le discours démagogique de Sarkozy à l'auditorium de l'université Mentouri et le bain de foule, ne doivent pas faire illusion. On ne peut y voir que la capacité et la compétence des services, dans la fabrication des liesses et des présidents. L'histoire et la mémoire reconnaîtront les leurs.
*Avocat
Macias suit Sarko, ils étaient ensemble sur l'estrade de la victoire il y a sept mois.
Déclarations maladroites, malheureuses, intempestives, impétueuses. Ces deux phrases assassines ont ruiné et achevé le capital ou le reliquat de sympathie que conservait ce chanteur de chez nous. Le refus des excuses ne se justifie par une absence de culpabilité de la colonisation - et soutenir cela est en soi gravissime - mais par une culpabilité réciproque de ceux qui se sont vus agressés chez eux et subi les affres de la colonisation que la loi du 23 février essaie de redéfinir d'une façon impudique.
Coupables d'avoir résisté, d'avoir lutté pour la liberté et la dignité. La résistance est aussi coupable que l'agression sinon plus.En tout état de cause, les résistances épousent les couleurs des guerres qui leur font face. Une guerre propre - si ça existe - engendre une résistance propre et la sale guerre provoque une sale résistance guerre. Macias aurait été sans doute mieux inspiré d'appeler à un pardon réciproque, s'il en fut, et chanter entre l'Algérie et la France « le grand pardon » qu'il loua pour Juifs et Palestiniens.
Vision sectaire et discriminatoire d'appeler au pardon pour certains et le rejeter pour d'autres. Un artiste est universaliste avant tout. Macias souhaite pour les siens, les Juifs d'Israël, ce qu'il rejette aussi pour les siens, les Algériens, son pays de naissance car il soutient à qui veut l'entendre que l'Algérie est son pays, le pays où il a grandi, la terre de son enfance, où il a commencé ses plus belles chansons.
Entre son pays d'origine et son pays de naissance, Macias accorde un inégal traitement. Il n'a pas la grandeur d'âme des enfants adoptifs qui maintiennent un amour indéfectible pour leurs deux familles, celle du sang et celle de l'adoption.
Lamentable et puéril dérapage d'un chanteur admirable, mais coupable d'incursion maladroite sur le terrain de l'histoire et de la politique.
Le chanteur humaniste a vécu. Il y a lieu de disséquer la question du pardon version Sarkozy qui s'avère un Le Pen light. Un coupable peut reconnaître les faits mais contester leur caractère injuste et criminel et ainsi les justifie et refuse la repentance. Position qui, à y voir de plus près, pourrait s'avérer correcte.
Sarkozy reconnaît le caractère injuste de la colonisation, mais refuse de demander pardon, les excuses. Macias, chantre de son maître, pousse plus loin, reconnaît le bien-fondé du refus de demander pardon et avance que les Algériens aussi devraient s'excuser (de quoi et pourquoi ?). Le refus de demander des excuses ne s'explique que par le mépris des victimes, la non-reconnaissance de leur douleur, la dénégation de leur droit à la dignité.
La colonisation a été injuste mais je ne présente pas d'excuses, parce que l'injustice de la colonisation est normale. Les colonisés n'ont même pas droit à la reconnaissance de leur martyr.
Lorsqu'on ne s'excuse pas d'une injustice c'est qu'on la considère méritée. On devrait disserter sur cette position machiavélique pendant longtemps. Revenons à Macias : il y a peut-être lieu de s'interroger si Macias a saisi la portée des propos sarkoziens pour les soutenir de cette façon, nous nous posons la question parce que nous le savions ou nous le croyions (Macias) obstinément suave.
On ne peut prétendre aimer un pays et mépriser son peuple, lui refuser le réconfort d'un pardon et exiger qu'il s'excuse d'avoir défendu sa dignité. Vous aviez déclaré un jour que le Président Bouteflika vous a invité, mais que les fous vous ont barré la route. Vous venez de couper cette route que « les fous » avaient simplement « barrée ». Qui est plus fou que l'autre ? Vous aviez aussi déclaré que vous alliez revenir chez le peuple algérien directement, sans intermédiaire et voilà que vous mettez une barrière entre les deux.
Vous ne pouvez pas imaginer M. Macias l'accueil qui vous aurait été réservé, si vous étiez venu seul chanter Constantine à Constantine. On ne peut souhaiter revenir chez un peuple qui est le sien, et mépriser ses douleurs, ses valeurs et ses martyrs.
- Je me suis demandé plusieurs fois pourquoi le retour de Macias a toujours été si problématique ? Parce que Juif, parce que pied-noir ou parce que les deux?
Des pieds-noirs sont revenus et ont eu des retrouvailles émouvantes ! Benjamin Stora, Juif et pied-noir bien de chez nous, effectue des allées et venues entre la France et l'Algérie. Il est accueilli avec tous les honneurs dus à ses travaux.
Le retour de Macias dans sa ville natale sur invitation de Bouteflika ou accompagnant Sarkozy, a fait l'objet d'une instrumentalisation et d'une manipulation politiciennes. Ce voyage, que beaucoup d'Algériens vous ont souhaité, a été à la fois compromis et souillé par la politique; et vous avez malheureusement accompagné les manipulateurs en y ajoutant de la démesure. Pour revenir, vous n'aviez besoin ni de Bouteflika ni de Sarko. Il aurait suffi de demeurer un enfant de Constantine, l'enfant d'un pays déchiré par une guerre qu'il n'a pas choisie.
- Contrairement à vous, nous sommes capables de discernement éclairé et capables de nuances M. Macias. Pour nous, le peuple français comprend d'abord les porteurs de valises et l'OAS (et l'ordre est délibéré). L'armée française enregistre des grands noms, de Labollardière, Saint-Arnaud et d'autres inconnus, glorieux bidasses et appelés du contingent, honorables soldats qui ont dénoncé et quitté l'armée française pour l'honneur de la France, ainsi que d'autres malheureux chefs de guerre moins honorables parce que tortionnaires, assassins et lâches. Le respect des honneurs de la guerre, des femmes et des enfants, de l'homme désarmé fait la différence (lire sur ce point l'excellent livre de Florence Beaugé « Algérie une guerre sans gloire»).
Il m'est arrivé de m'interroger s'il était louable et opportun que Bigeard vienne se recueillir devant la tombe de Ben M'hidi et je me suis dit, pourquoi pas. La repentance est grande, il faut exorciser l'histoire. Avec l'évolution récente de la position officielle française, d'aucuns continueront peut-être à parler du pardon et lequel ? L'Algérie peut-elle pardonner lorsque la France refuse de s'excuser ?
Devant cette position française qui n'a pas d'excuses à présenter, l'Algérie n'a plus de pardon à accorder. On n'offre pas quelque chose qu'on n'a pas à quelqu'un qui n'en veut pas ? Macias inverse les obligations de repentance, les Algériens s'excuseront auprès des Français, les Irakiens demanderont pardon aux Etats-Unis, les Palestiniens à Israël et les Juifs à Hitler. Vous mesurez peut-être l'ignominie que peut atteindre votre déclaration et vos malheureux propos. Nous sommes toujours capables de nuances et enclins au pardon ! A votre décharge, nous mettons vos propos intempestifs et maladroits sur le compte d'une réaction passionnelle et la frustration d'un voyage tant attendu. Pour Macias et Sarkozy. Les Algériens sont lucides, ils font la part des choses entre les paroles et les actes. Refuser des excuses aux Algériens en Algérie, et les présenter le lendemain aux harkis a un sens. Un respect inégal des tragédies. Nous sommes aussi capable de nuances, cette catégorie est divisée, les traîtres et les assassins, ceux qui ont fait des choix et ceux qui n'ont pas choisi, ceux qui ont rejoint les rangs de l'ennemi et délibérément tiré sur leurs frères et ceux passés à l'autre bord, coupables seulement d'un déficit en capacité de résistance et d'un manque de courage. A ces derniers, et à ces derniers seulement, le pardon est possible. Le discours démagogique de Sarkozy à l'auditorium de l'université Mentouri et le bain de foule, ne doivent pas faire illusion. On ne peut y voir que la capacité et la compétence des services, dans la fabrication des liesses et des présidents. L'histoire et la mémoire reconnaîtront les leurs.
*Avocat