Ces excroissances illustrent l’absence de la puissance publique »
- Est-ce que les bidonvilles sont une fatalité ?
- Le bidonville n’est pas une fatalité. Ces excroissances urbaines sont le résultat de la mauvaise gestion de la part de la puissance publique. Cette dernière, de par sa déliquescence, permet cette excroissance par une complicité implicite. Qu’on vienne pas nous dire que les communes ne sont pas au courant des bidonvilles à Hydra ou à Gué de Constantine. La délivrance des permis de construire fait partie des prérogatives du président d’APC. Il faudra attendre le jour où le maire fera appel aux systèmes qui existent et qui doivent gérer la question urbaine.
- Pourquoi tous les programmes d’éradication de bidonvilles semblent inefficaces ?
- Tout est fait pour la réapparition des bidonvilles : il n’y a aucune prise en charge en aval, aucun suivi des opérations de recasement. Et c’est en ce sens qu’il faudrait redéfinir la notion de logement social. Ce dernier ne devrait pas être un cadeau providentiel que l’Etat « offre » au citoyen. Le citoyen risque parfois d’avoir un réflexe de rente : il peut par exemple revendre ce logement. C’est une spirale. Le réflexe de la rente est le même qu’on trouve à différents niveaux de l’Etat. C’est la logique du « chacun veut sa part ». Le citoyen se dit que lui aussi a sa « part », à l’image de tout un système basé sur la rente. On ne peut éradiquer les bidonvilles sans revoir toute la philosophie de ces opérations : il faut casser les mécanismes qui favorisent la rente. Et malheureusement, on ne tire jamais les leçons du passé. Voyez les nouvelles excroissances, ces sortes de « bidonvilles de qualité », comme à El Hamiz où la situation est pire. Ces excroissances sont spontanées et illustrent bien l’absence de la puissance publique. Des zones comme El Hamiz s’inscrivent également en marge de la société, particulièrement du point de vue économique. C’est de l’informel au sens le plus large. Ici aussi on voit que l’Etat ne fait que gérer l’impunité.
- Existe-t-il une réflexion autour des problèmes urbains dans les grandes villes ?
- Notre pays produit beaucoup de plans, mais il y a peu d’actions. Il existe des réflexions autour de l’urbanisme à Alger par exemple, mais on ne réfléchit pas aux moyens d’application. Il faut en tout cas arrêter avec le système de dérogation et surtout sortir des politiques d’achat de la paix sociale.
Adlène Meddi
--------------------------------------------------------------------------------
Bidonville Doudou Mokhtar, à Hydra
« Ils nous ont abandonnés et nous demandent de voter ! »
Le panorama n’est guère enchanteur : des eaux usées pestilentielles, fétides, stagnent dans les ruelles en terre, pourrissent sous la chaleur et attirent des nuées de moustiques.
Des baraques montées à base de parpaings, de planches et de tôles récupérées des décharges (sauvages) environnantes forment des blocs anonymes, qui n’ont aucune identité publique. Des antennes paraboliques se mêlent au décor qui n’a rien à envier à celui de Bardo, le plus grand bidonville d’Afrique situé au cœur de la ville portuaire de San Pedro en Côte d’Ivoire. Planté à Hydra, sur les hauteurs d’Alger, pas loin des quartiers résidentiels, des somptueuses villas et des salons de luxe qui en font sa réputation, le bidonville Doudou Mokhtar existe depuis l’indépendance et ne cesse de « grandir », amplifiant ainsi le risque de maladies. Erigé sur le lit d’un oued, il compte aujourd’hui plus de 800 baraques qui abritent quelque 3000 âmes. Leurs habitants sont inconsidérés, mal vus et traités comme des énergumènes, des bons à rien ou des « sous-citoyens ». On les surnomme « nas chkara hlib (les gens du sachet du lait) », allusion faite à leur vie de misère. Aussi, on dénomme le bidonville Mhatma (quelque chose à prendre par contrainte ou par absence d’autre choix). Entre les cahutes, des enfants jouent avec un ballon fait d’un tas de sachets et de tissus. Agés entre 7 et 15 ans, ces chérubins profitent ainsi de leurs vacances d’hiver. D’autres tiennent les murs d’une baraque servant de magasin d’alimentation générale. Mohamed Naâmi, âgé de 14 ans et habillé en haillons, ne cache plus sa joie d’être en vacances, non pas parce qu’il déteste l’école, mais parce qu’il est contraint de monter une pente à 45° pour atteindre son école primaire. « Venez ! Je vous montre le chemin que je me tape chaque matin pour rejoindre les bancs de l’école », insiste-t-il. L’école primaire se trouve sur une colline surplombant le bidonville, la ruelle y menant est boueuse et devient, comme en témoigne l’enfant, impraticable au temps des crues. En sixième année, le petit Mohamed raconte avec désolation la misère qu’il vit lui, ses cinq frères et son père, sa mère étant décédée. « Nous dormons entassés dans une pièce qui ne peut pas prendre un lit de deux places. Nous n’avons ni d’espace où mettre une table pour étudier à la maison ni où nous reposer tranquillement. Lorsqu’il pleut, notre pièce se transforme en lac, inhabitable donc. Les murs moisissent sous l’effet de l’humidité », raconte-t-il en baissant pudiquement la tête. A l’entrée nord de ce bidonville, on rencontre un homme en train de bricoler une vieille carcasse datant de l’époque de la Révolution agraire. Agé de 43 ans et père de 5 enfants, cet homme, qui s’appelle Belhadj Djillali, vit dans une hutte de deux pièces. « Je suis dans cet enfer depuis maintenant 8 ans. J’habitais Salembier (l’actuelle El Madania). Mais après le mariage, comme je n’avais pas de logement et n’avais pas non plus les moyens de louer, je me suis retrouvé ici », relate-t-il. M.Belhadj en a gros sur le cœur. Sans logement ni emploi, il en veut à mort aux autorités qui l’ont « abandonné » à son sort. « J’ai fait plusieurs dossiers pour le logement social sans que cela n’aboutisse. L’APC nous oriente vers la wilaya d’Alger laquelle rejette la balle, de son côté, aux autorités locales », souligne-t-il avec désolation. Les murs de sa baraque sont devenus noirs d’humidité et M.Belhadj dit avoir peur que sa fille de deux ans chope une maladie. Sa femme Zohra nous montre le petit carré lui servant de cuisine ; juste suffisant pour poser un fourneau de deux feux. « Nous n’existons pas. J’oublie que je suis au cœur de la capitale et à deux pas de Hydra », lâche-t-elle. A l’intérieur d’une baraque faisant office d’un magasin nous trouvons Adel, 36 ans, père de deux enfants. « Je suis ici depuis 6 ans. J’habitais à Bab El Oued avant de me marier. En 2001, j’ai postulé pour le programme de 20 000 logements AADL. En vain. Pour en bénéficier, il fallait que ton dossier soit appuyé par un haut placé. Moi, je ne connais personne pour m’aider. Les logements ont été donnés à ceux qui n’étaient pas dans le besoin », décrie cet employé du secteur touristique. Selon lui, l’APC de Hydra refuse de les reconnaître et leur demande de se rapprocher de la wilaya d’Alger. « Mais à l’approche des dernières élections, ils sont venus nous apporter nos cartes de vote comme si le seul droit dont on dispose est celui de voter. Ils nous prennent pour des cons », s’égosille-t-il. Boukhlef Samir, 34 ans, ancien habitant de Belcourt, y vit depuis 8 ans avec ses 4 enfants. « On a tapé à toutes les portes. Les services de la wilaya d’Alger sont venus à maintes reprises nous recenser, ils ont même établi des listes, mais aucune suite n’a été donnée. On en a marre de cette situation. Je n’ai pas envie que mes enfants grandissent dans un environnement pareil. C’est dangereux pour eux », lâche-t-il avant d’ajouter : « Nous ne demandons pas la lune. Nous souhaitons juste être dans un environnement plus ou moins supportable et convenable, loin de la promiscuité et de la saleté. Qu’ils nous donnent ne serait-ce que des chalets. » Le vœu de Samir est celui de la plupart des habitants de ce douar de misère. Mohamed Bouaza, 55 ans, invalide et père de 8 enfants, se trouve dans ce bidonville depuis maintenant 14 ans. Avant d’atterrir dans ce hameau de tous les maux, Mohamed vivait à Diar Chems, avant de louer un modeste appartement dans un quartier de Ruisseau. Lui, il parle de « misère noire ». « Ils nous ont donné des paquets de promesses. A chaque élection, ils viennent nous chanter leurs chansons. Après, on retombe dans l’oubli. Comme si on n’existe pas. Ils ne nous ont jamais écoutés. Leurs préoccupations sont ailleurs. Ils se fichent de notre sort. Pour eux, nous ne sommes qu’une populace importante uniquement pour le vote », fulmine-t-il. Selon lui, il y a ceux qui vivent dans « cet enfer », comme il aime à le qualifier, depuis 50 ans. C’est le cas de Mohamed Yeder, un retraité de 57 ans, qui vit ici depuis 1967. Il dit que deux de ses enfants sont mariés et vivent près de lui dans des baraques. « On m’a donné un document en 1984 pour soi-disant bénéficier d’un logement. Que du vent. Je n’ai rien eu depuis et ce ne sont pas les promesses des autorités qui manquent. Je me demande à qui va profiter le fameux programme d’un million de logements qu’on nous présente comme le programme du siècle », clame-t-il. La déception de Mohamed est grande. La souffrance des habitants de ce bidonville aussi. Abandonnés à leur sort, ils ne savent plus à quel saint se vouer.
M. A. O.